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L'ami Henri


J’aurais pu vous parler de la mort du Pape et si j’avais eu le moindre talent de dessinateur, je vous aurais volontiers proposé, à la manière de Plantu, un petit dessin vous mettant en scène un Jean-Paul II levant le bras rageur du vainqueur dans la dernière ligne droite d’une course vers l’au-delà et regardant derrière lui la mine déconfite du Prince Rainier, battu sur le fil.
Mais tout ceci n’aurait pas été très politiquement correct. Il faut dire que cette idée m’avait traversé l’esprit en entendant, samedi matin, les journalistes d’Europe 1 nous lire successivement les bulletins médicaux des deux mourants, comme s’ils étaient embarqués dans je ne sais quelle course vers l’éternité.
Donc, pas de pape, pas de Jean-Paul II, pas de raillerie sur Monaco, c’est pas bien !
Alors je vais revenir à vendredi soir, à une si belle soirée passée dans le sud meusien, à Commercy (oui, le pays des madeleines, les seules, les vraies, je dis cela aux habitants de Liverdun qui osent baptiser de la même manière leurs propres petites brioches. Or, seule celle de Commercy peut revendiquer le nom de Madeleine, c’est historique !).
C’était la soirée d’ouverture de la nouvelle édition du Festival de Jazz de cette petite ville, avec à l’affiche un grand monsieur, un très grand monsieur devrais-je même dire : le contrebassiste Henri Texier.
Henri Texier, on l’imagine volontiers chez lui, chantant à tue-tête les thèmes de ses compositions avant de les écrire et de les arranger. Car sa musique, c’est d’abord un chant : d’amour, de révolte, de fraternité, c’est une source d’énergie assez unique à laquelle il est si bon de puiser qu’on y revient sans cesse. Autour de lui et formant pour l’occasion le Strada Quintet (un nom donné en hommage à Fellini, car Henri Texier entretient avec le cinéma de très belles relations, et en particulier avec le cinéma italien), il y avait Sébastien Texier, le fiston saxophoniste et clarinettiste, au jeu lyrique et dissonant, François Corneloup dont le saxophone baryton est un enchantement mélodique, Gueorgui Kornazov, tromboniste explosif et tonitruant et, le temps d’un soir, intérimaire jubilant du plaisir d’être d’une si belle fête, Franck Agulhon et sa batterie, faussement appliqué et parfaitement intégré.
Vendredi soir, ce si beau Strada Quintet a largement puisé dans le répertoire du dernier disques d’Henri Texier, « (V)Ivre », nous offrant même une composition inédite en introduction : « Work Revolt Song ». Durant une heure et demie, le temps s’est comme arrêté, nous avons tous retenu notre souffle, comme si nous ne voulions pas priver d’oxygène cette fanfare endiablée et multicolore, puisant ses influences aux quatre coins du monde, en Inde, en Afrique, en Amérique… dans une communion qui ne porta jamais si bien son nom.
Henri Texier, c’est aussi un être humain qui a su garder sur le monde le regard d’un enfant effrayé par la brutalité des hommes, de ce système totalitaro-capitaliste qui broie tout sur son passage, au mépris de ceux qui souffrent. Henri Texier est homme de compassion, sa musique suinte la révolte (« Mais ce n’est pas toujours facile de se révolter », confiera-t-il entre deux morceaux) tout en nous encourageant à rester humbles. Une fois de plus, il nous met en garde face à ceux pour qui la culture est l’ennemi, il ne baisse pas les bras et entame avec sa contrebasse un nouvel acte d’amour.
Nous avons la chance de connaître Henri Texier personnellement : voici quelques années, nous fûmes par le plus grand des hasards voisins de vacances à Saint-Gilles Croix-de-Vie et, déjà un grand fan, j’avais osé l’aborder et lui dire tout le bien que je pensais de sa musique. Depuis, nous avons gardé le contact et nous ne manquons jamais une occasion d’aller le voir lorsqu’il se produit dans la région, voire même à Paris. Chaque année, nous échangeons nos vœux et c’est toujours avec une certaine impatience que nous attendons le petit « bricolage » cartonné qu’il aura inventé pour nous souhaiter amicalement une bonne année.
Dans les loges, Henri Texier est exténué, non par le concert qui fut pour tout le groupe un moment privilégié, mais plutôt par le voyage qui le précéda. Néanmoins, il nous accueille avec beaucoup de chaleur, demande des nouvelles de chacun d’entre nous, ses yeux pétillent de malice et de douceur, sa courte barbe devenue blanche (monsieur Henri va fêter ses 60 ans) est celle d’un sage dont on recherche la compagnie.
Sur l’instant, nous sommes conscients de vivre un de ces moments dont on sait qu’ils resteront gravés pour longtemps dans nos mémoires. Son héros est là, devant nous, d’une désarmante simplicité et nous savourons, seconde après seconde, le plaisir qu’il nous procure.
Il ne reste qu’un mot à dire, à lui dire : MERCI, monsieur Henri, à très bientôt.

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