Je vous l'avais promis : voilà maintenant un mois jour pour jour que j'ai assisté au concert donné par Steve Reich et ses musiciens à Châlons-en-Champagne. Un concert magnifique dans une salle élégante à l'acoustique impeccable. Mon plus beau concert ? Pas impossible…
J'avais évoqué depuis longtemps la perspective de cette soirée avec Quiet Man – qui habite au pied de la cathédrale de Châlons-en-Champagne – et ce n'est pas sans surprise qu'il me téléphona très rapidement pour m'informer qu'il avait non seulement acheté la place que je lui avais demandé d'acquérir pour moi mais qu'en outre il viendrait avec moi. J'allais donc pouvoir, peut-être, faire découvrir un environnement musical nouveau à celui qui, voici plusieurs décennies maintenant, m'en avait fait connaître tellement ! Et ce n'est pas sans un réel plaisir que je pus débarquer du train peu avant 19h30, attendu par mon frère et son amie JaPal. Le temps d'engloutir en quatrième vitesse un sandwich, nous étions déjà repartis en direction de la salle de concert où quelques grappes de spectateurs attendaient déjà, alors que nous étions à plus de 30 minutes du début de cette soirée.
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j'adore arriver un peu à l'avance. J'observe, je savoure, éventuellement je bavarde si je ne suis pas seul. C'est un peu comme une mise en condition, il faut que je m'imprègne de l'atmosphère des lieux avant de m'engouffrer et de m'installer, si possible en bonne place !
Donc tout va bien : la salle est belle (une sorte d'amphithéâtre tout de bois vêtu), les fauteuils sont confortables et les rangées suffisamment espacées pour que nos jambes génétiquement programmées dans le sens de la longueur puissent y trouver leurs aises. Et puis, sur scène, il y déjà de quoi observer : quatre pianos, des marimbas, des vibraphones et des xylophones. On devine la place qu'occuperont les quatre chanteurs ainsi que le quatuor à cordes, là, devant nous, au centre de la scène. En observant les coulisses, on entrevoit de nombreuses chemises blanches qui s'affairent, on ne peut pas à proprement parler d'uniforme, mais il y a, semble-t-il, une tenue des musiciens. J'ai beau chercher, je ne vois pas Steve Reich mais c'est normal, certainement, il fera son apparition au dernier moment.
C'est parti, tout le monde est sur scène et le chef d'orchestre arrive au pas de charge, il salue très brièvement le public et installe le silence avant le début de la création qu'on nous a annoncée, "Daniel Variations", en hommage au journaliste américain Daniel Pearl assassiné en Afghanistan voici quelques années. C'est bizarre tout de même : ce mec debout devant nous, même si nous ne le voyons que de dos, ne ressemble guère à Steve Reich et là… franchement, même si la musique interprétée est belle (dans la droite ligne de "You are"), je commence à m'inquiéter. Un peu tout de même. C'est magnifique d'écouter une si belle création mais je voulais tellement le voir, lui, diriger ses musiciens. Alors je consulte le programme, il y a bien écrit le nom du chef d'orchestre (désolé, j'ai oublié) mais aussi la mention "Steve Reich & Musicians". Au bout de 30 minutes, j'ai fait le maximum d'efforts pour que cette absence ne parasite pas trop mon écoute mais je reste un peu perplexe. On m'aurait menti ? J'aurais pris le train de 17h42 pour ne voir qu'un clone ?
Mais non, je suis en train de me raconter des histoires car notre chef d'orchestre, sous les applaudissements, désigne d'un bras confraternel un homme qui se tient derrière la console de mixage. Et là, pas le moindre doute : la casquette me dévoile instantanément son identité, Steve Reich est bien parmi nous et va monter sur scène pour prendre part à l'interprétation de l'une de ses œuvres majeures : "Music for 18 musicians". Il faut le voir, d'une discrétion et d'une simplicité exemplaires, installer lui-même les instruments : il déplace les pianos, les percussions, on devine que rien ne sera laissé au hasard et que nous sommes bien en présence d'un grand monsieur. J'allais dire un grand jeune homme car il est bien difficile de deviner qu'il vient tout juste de fêter ses 70 printemps. Si j'ai l'espoir de me tenir comme lui au même âge, alors là, mes amis, je signe tout de suite des deux mains et j'envisagerai même une prolongation si possible.
Quiet Man et JaPal, bien qu'a priori assez étrangers à la musique qu'ils viennent d'écouter, ont les oreilles suffisamment ouvertes et curieuses pour apprécier la création et ils semblent visiblement contents d'être là. C'est une découverte artistique dont le caractère hypnotique leur plaît et j'en suis fort content. Au moins, je sais désormais que j'aurai pu rendre une toute petite partie de la monnaie discographique que mon frère m'avait offerte en son temps !
Deuxième longue et belle ligne droite – une heure environ – qui nous mène vers des espaces magiques, ceux de "Music for 18 musicians" où chacun occupe une place qui semble stratégique : les voix, les cordes et les clarinettes sont les respirations – jusqu'au bout du souffle – sur un canevas percussif et rythmique assez démoniaque. Les trames s'entrecroisent, les décalages infimes montrent la complexité de la composition qui, malgré tout, ne présente aucune difficulté à l'écoute. C'est comme un torrent de montagne qui s'écoule paisiblement en ricochant sur les pierres millénaires, imperturbable, ancestral même (il y a là une influence très nette des gamelans balinais), créant un climat totalement intemporel, dégagé de toutes les modes.
Steve Reich marquera l'histoire de la musique du XXe siècle (rappelons que ses premières œuvres remontent aux années 1960), j'en ai toujours été convaincu. Et son attitude sur scène, exemplaire, nous apporte la preuve – s'il en était besoin – qu'il est aussi un grand monsieur. Il est aux côtés de ses musiciens, il partage leur travail (il faut avoir les vus au moins une fois se relayer aux marimbas sans que votre oreille soit en mesure de déceler le changement d'interprète ; il faut avoir admiré le travail titanesque de cette pianiste qui, une heure durant, aura répété le même motif rythmique avec une précision quasi-surhumaine ; il faut avoir deviné ces échanges de regards, à peine esquissés, à travers lesquels Steve Reich transmet des informations), rien ne le distingue de l'un d'entre eux.
A ce moment précis du concert, quelques minutes avant la fin, je suis sous le charme, j'ai peur aussi que tout cela se termine bientôt.
Et la salle réservera à ces artistes l'ovation qu'ils méritent amplement, avec quatre rappels je crois. Je ne suis pas peu fier, d'ailleurs, d'avoir fait lever tout le monde pour un ultime hommage.
Et pour répondre à la question que je me posais en introduction, il est fort probable que je venais d'assister là à l'une de mes plus belles soirées de musique.
Quiet Man et JaPal n'ont pas regretté cette exploration d'un univers inédit. Alors pour moi, tout était bien, à ceci près que l'emploi du temps avait empêché Madame Maître Chronique d'être de la fête. Et que je suis plus que certain qu'elle aurait adoré. Et puis, passer une soirée à Châlons-en-Champagne, c'était aussi l'occasion de nous retrouver autour d'une bonne bouteille, vous savez, ce vin local avec des bulles ?
Monsieur Reich : MERCI !
J'avais évoqué depuis longtemps la perspective de cette soirée avec Quiet Man – qui habite au pied de la cathédrale de Châlons-en-Champagne – et ce n'est pas sans surprise qu'il me téléphona très rapidement pour m'informer qu'il avait non seulement acheté la place que je lui avais demandé d'acquérir pour moi mais qu'en outre il viendrait avec moi. J'allais donc pouvoir, peut-être, faire découvrir un environnement musical nouveau à celui qui, voici plusieurs décennies maintenant, m'en avait fait connaître tellement ! Et ce n'est pas sans un réel plaisir que je pus débarquer du train peu avant 19h30, attendu par mon frère et son amie JaPal. Le temps d'engloutir en quatrième vitesse un sandwich, nous étions déjà repartis en direction de la salle de concert où quelques grappes de spectateurs attendaient déjà, alors que nous étions à plus de 30 minutes du début de cette soirée.
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j'adore arriver un peu à l'avance. J'observe, je savoure, éventuellement je bavarde si je ne suis pas seul. C'est un peu comme une mise en condition, il faut que je m'imprègne de l'atmosphère des lieux avant de m'engouffrer et de m'installer, si possible en bonne place !
Donc tout va bien : la salle est belle (une sorte d'amphithéâtre tout de bois vêtu), les fauteuils sont confortables et les rangées suffisamment espacées pour que nos jambes génétiquement programmées dans le sens de la longueur puissent y trouver leurs aises. Et puis, sur scène, il y déjà de quoi observer : quatre pianos, des marimbas, des vibraphones et des xylophones. On devine la place qu'occuperont les quatre chanteurs ainsi que le quatuor à cordes, là, devant nous, au centre de la scène. En observant les coulisses, on entrevoit de nombreuses chemises blanches qui s'affairent, on ne peut pas à proprement parler d'uniforme, mais il y a, semble-t-il, une tenue des musiciens. J'ai beau chercher, je ne vois pas Steve Reich mais c'est normal, certainement, il fera son apparition au dernier moment.
C'est parti, tout le monde est sur scène et le chef d'orchestre arrive au pas de charge, il salue très brièvement le public et installe le silence avant le début de la création qu'on nous a annoncée, "Daniel Variations", en hommage au journaliste américain Daniel Pearl assassiné en Afghanistan voici quelques années. C'est bizarre tout de même : ce mec debout devant nous, même si nous ne le voyons que de dos, ne ressemble guère à Steve Reich et là… franchement, même si la musique interprétée est belle (dans la droite ligne de "You are"), je commence à m'inquiéter. Un peu tout de même. C'est magnifique d'écouter une si belle création mais je voulais tellement le voir, lui, diriger ses musiciens. Alors je consulte le programme, il y a bien écrit le nom du chef d'orchestre (désolé, j'ai oublié) mais aussi la mention "Steve Reich & Musicians". Au bout de 30 minutes, j'ai fait le maximum d'efforts pour que cette absence ne parasite pas trop mon écoute mais je reste un peu perplexe. On m'aurait menti ? J'aurais pris le train de 17h42 pour ne voir qu'un clone ?
Mais non, je suis en train de me raconter des histoires car notre chef d'orchestre, sous les applaudissements, désigne d'un bras confraternel un homme qui se tient derrière la console de mixage. Et là, pas le moindre doute : la casquette me dévoile instantanément son identité, Steve Reich est bien parmi nous et va monter sur scène pour prendre part à l'interprétation de l'une de ses œuvres majeures : "Music for 18 musicians". Il faut le voir, d'une discrétion et d'une simplicité exemplaires, installer lui-même les instruments : il déplace les pianos, les percussions, on devine que rien ne sera laissé au hasard et que nous sommes bien en présence d'un grand monsieur. J'allais dire un grand jeune homme car il est bien difficile de deviner qu'il vient tout juste de fêter ses 70 printemps. Si j'ai l'espoir de me tenir comme lui au même âge, alors là, mes amis, je signe tout de suite des deux mains et j'envisagerai même une prolongation si possible.
Quiet Man et JaPal, bien qu'a priori assez étrangers à la musique qu'ils viennent d'écouter, ont les oreilles suffisamment ouvertes et curieuses pour apprécier la création et ils semblent visiblement contents d'être là. C'est une découverte artistique dont le caractère hypnotique leur plaît et j'en suis fort content. Au moins, je sais désormais que j'aurai pu rendre une toute petite partie de la monnaie discographique que mon frère m'avait offerte en son temps !
Deuxième longue et belle ligne droite – une heure environ – qui nous mène vers des espaces magiques, ceux de "Music for 18 musicians" où chacun occupe une place qui semble stratégique : les voix, les cordes et les clarinettes sont les respirations – jusqu'au bout du souffle – sur un canevas percussif et rythmique assez démoniaque. Les trames s'entrecroisent, les décalages infimes montrent la complexité de la composition qui, malgré tout, ne présente aucune difficulté à l'écoute. C'est comme un torrent de montagne qui s'écoule paisiblement en ricochant sur les pierres millénaires, imperturbable, ancestral même (il y a là une influence très nette des gamelans balinais), créant un climat totalement intemporel, dégagé de toutes les modes.
Steve Reich marquera l'histoire de la musique du XXe siècle (rappelons que ses premières œuvres remontent aux années 1960), j'en ai toujours été convaincu. Et son attitude sur scène, exemplaire, nous apporte la preuve – s'il en était besoin – qu'il est aussi un grand monsieur. Il est aux côtés de ses musiciens, il partage leur travail (il faut avoir les vus au moins une fois se relayer aux marimbas sans que votre oreille soit en mesure de déceler le changement d'interprète ; il faut avoir admiré le travail titanesque de cette pianiste qui, une heure durant, aura répété le même motif rythmique avec une précision quasi-surhumaine ; il faut avoir deviné ces échanges de regards, à peine esquissés, à travers lesquels Steve Reich transmet des informations), rien ne le distingue de l'un d'entre eux.
A ce moment précis du concert, quelques minutes avant la fin, je suis sous le charme, j'ai peur aussi que tout cela se termine bientôt.
Et la salle réservera à ces artistes l'ovation qu'ils méritent amplement, avec quatre rappels je crois. Je ne suis pas peu fier, d'ailleurs, d'avoir fait lever tout le monde pour un ultime hommage.
Et pour répondre à la question que je me posais en introduction, il est fort probable que je venais d'assister là à l'une de mes plus belles soirées de musique.
Quiet Man et JaPal n'ont pas regretté cette exploration d'un univers inédit. Alors pour moi, tout était bien, à ceci près que l'emploi du temps avait empêché Madame Maître Chronique d'être de la fête. Et que je suis plus que certain qu'elle aurait adoré. Et puis, passer une soirée à Châlons-en-Champagne, c'était aussi l'occasion de nous retrouver autour d'une bonne bouteille, vous savez, ce vin local avec des bulles ?
Monsieur Reich : MERCI !
Commentaires
En te lisant, j'ai l'impression d'avoir assisté au concert. Mais j'y ai assisté! Ce n'était donc pas un rêve! Steve Reich chez Pierre Dac! Étonnant, non?
ALlez, Champagne pour tout le monde!
Cette note que j'ai déjà lue plusieurs fois est bien écrite. Comme un vrai journaliste...
Merci de ton commentaire sur David CROSBY... qui sera avec Nash et Stills dans la hotte du Père Noël.
Bonne soirée et, si je ne reviens pas, JOYEUX NOEL !!!
@Elisabeth : ta remarque m'est très agréable et je t'en remercie. Sais-tu d'ailleurs que j'ai réécrit la note que j'avais consacrée au saxophoniste John Zorn (http://musiques.hautetfort.com/archive/2006/10/24/john-le-fou.html) au mois d'octobre pour un magazine appelé Citizen Jazz ? Cet article sera publié au début du mois de janvier (www.citizen.jazz) et je pense pouvoir contribuer de temps en temps à ce site.
Pour David Crosby... ah ! c'est vrai qu'il est beau le disque que j'évoque sur ton blog.
A mon tour de te souhaiter un joyeux Noël et de te dire à bientôt sur nos blogs.
Un bon début. Je ne connais pas ce site.
Bonne soirée.
Vu !!! C'est bien de publier des articles personnels dans ce site que je ne connais. Cela est un bon début.
Excuses pour le double commentaire, je croyais que le dernier que j'ai tapé en premier n'était pas passé.
Je n'ai toujours pas écouté cet album.... grrr. J'ai pensé à vous Maître Chronique avec un petit morceau en écoute de par chez moi qui est une sorte de détour amateur vers king crimson Discipline que vous m'aviez fait découvrir.