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Le voyageur sédentaire

Je ne dois pas avoir l'âme d'un baroudeur ou d'un aventurier. Aucun doute à ce sujet. Quand je pense à tous ceux que je connais, de près ou de loin, amis, parents, qui ont déjà sillonné notre planète bleue en tous sens, en avion, par bateau, en train, en voiture même... Quand je pense à ma progéniture qui connaît je ne sais combien de pays, dont certains finalement assez lointains... je me dis que, par comparaison, je fais vraiment figure d'amateur, moi le touriste vacancier dont les expéditions les plus lointaines m'ont conduit, assez récemment de surcroît, quelque part du côté de la Toscane ou de la côte Basque !

Je peux me trouver néanmoins quelques circonstances atténuantes : il y a d'abord le fait que le corps médical qui m'entoure reste assez réservé quant à l'opportunité pour moi de monter dans un avion – ce que je n'ai encore jamais fait, du reste –, surtout s'il s'agit d'envisager un long trajet. Pour parler clair, personne ne sait exactement ce qu'il adviendrait de ma personne une fois celle-ci embarquée dans les hautes altitudes et soumise à la pressurisation... Parce que je présente, reconnaissons-le, quelques inconvénients qui pourraient me valoir d'imploser de l'intérieur ou, hypothèse plus plausible, de gonfler un peu et de me mettre ici où là à dégouliner comme une bonne vieille tartine de confiture à la fraise ou, encore plus réjouissant, comme un délicieux coulis de framboise. C'est ennuyeux, je l'admets, et salissant. Alors j'hésite un peu tout de même, chacun ici sera en mesure de me comprendre.

Je pourrais également me réfugier derrière l'argument d'une certaine sagesse m'ayant conduit à dépenser mon argent à d'autres fins que la seule découverte de pâturages inédits et lointains, l'assouvissement d'une soif de connaissance et d'échange avec d'autres humains supposés enrichir mon histoire personnelle, ce dont je ne doute pas un seul instant, même si je reste dubitatif quant à la possibilité pour eux d'approfondir leur savoir sur la nature humaine rien qu'à me fréquenter. Un motif de « raison » visant en particulier à assurer à mon quotidien de père / mari cette dose minimale de confort qui assure à votre entourage une illusoire sécurité que notre vie matérielle et incertaine peut rendre nécessaire. J'entends par là qu'il faut parfois faire des choix et que pour tout une série de raisons liées à la gestion économique du quotidien, j'aurais ainsi préféré repousser à plus tard les projets de voyage.
Je crois également que parmi toutes les raisons possibles, je ne suis attiré – a priori, ce qui est une erreur, je le sais – que par un nombre limité de pays. Je ressens des bouffées de Rome, d'Irlande, d'Algarve, de fjords, de Vienne, de San Francisco ou New York... mais je ne respire guère l'atmosphère de la Thaïlande, des îles enchantées nichées quelque part dans l'Océan Indien, de la République Dominicaine ou encore de la Turquie.

Tous les motifs que je viens d'exposer sont probablement valables, chacun à sa manière. Mais personne n'est parfait, il n'y a aucune raison que je fasse exception à cette règle. J'aimerais être doté d'une curiosité universelle, d'une soif inextinguible de découverte, jusqu'à mon dernier jour et guidé toujours par un besoin d'ailleurs. Ce n'est pas exactement le cas. En réalité, j'en viens enfin à la raison profonde de cette chronique qui confine à la justification, car je sais que je présente une forme de handicap dont j'aimerais vous dessiner en quelques lignes les contours. Je ne saurais le nommer, je peux juste tenter de vous en décrire les symptômes. Il s'apparente à une drôle de sentiment d'enracinement qui me gagne alors que je découvre un lieu que j'ignorais jusque là. Et qui explique que, jusqu'à présent, j'ai privilégié des destinations plutôt proches pour me persuader que, si le besoin devenait un jour trop pressant, je pourrais facilement les rejoindre et trouver la paix intérieure supposée me gagner en m'y installant. Oui, je sais, tout cela peut paraître un peu étrange, mais j'essaie vraiment d'écrire le plus clairement possible ce qui, jusqu'à présent, demeurait un peu confus dans mon esprit.

Comment vous faire comprendre ? Comment vous convaincre que, le plus sincèrement du monde, j'ai souvent voulu arrêter le temps et :
- poser mes valises quelque part dans les environs de Sarlat, afin de disposer de tout le temps nécessaire à la visite d'innombrables châteaux et de villages perchés, surplombant un paysage charmeur, afin aussi de gambader comme un enfant parmi les troupeaux d'oies et de canards ;
- vivre en altitude, devenir un randonneur permanent et ne jamais redescendre respirer l'air vicié de nos villes, habiter un chalet tout en bois et m'habiller d'une grosse chemise à carreaux rouges et d'un pantalon de velours et confectionner en quelques secondes un feu de bois qui ne s'éteindrait pas au bout de trois ou quatre minutes ;
- m'installer pour toujours dans ce beau village de Castellina in Chianti, d'où les collines toscanes couvertes d'oliviers distillent le poison de leur beauté printanière et intemporelle, puis devenir Italien et maîtriser enfin cette langue apprise voici plus de 30 ans ;
- contempler pour toujours l'Océan Atlantique, à Biarritz, Pornichet ou à Roscanvel, et me noyer dans le silence de sa tourmente, me sentir humble ;
- me retirer définitivement dans le Berry, du côté d'une petite ville préservée des attaques de la modernité, où la vie semble s'être arrêtée et les habitants vivre plus lentement.

Je pourrais ainsi multiplier les exemples, car j'ai vraiment toujours souhaité m'arrêter, m'enraciner là où des choix de vacances nous guidaient pour quelques jours seulement.

Et puis... et puis... je m'imagine aussi, à défaut d'être doué de ce don d'ubiquité dont je rêve, sautillant de lieu en lieu, au gré de mes humeurs, pilotant je ne sais quel petit avion magique : un jour assis sur un rocher, respirant l'air du large et contemplant le spectacle de l'océan, du côté de Saint-Jean de Luz ou de la Presqu'Île de Crozon ; le lendemain, perdu au beau milieu de la campagne creusoise ou périgourdine, niché dans une maison à l'abri des regards indiscrets, revenant d'une longue promenade et lisant au coin du feu ; un autre jour, faisant une pause en altitude sous la protection bienveillante d'un sommet alpin m'invitant au silence après une randonnée propice à la méditation...

Ici donc, dans la quiétude d'une maison rose que nous continuons à apprivoiser, je me laisse parfois bercer par cette drôle de navigation, cet appel que nous lancent nos souvenirs lointains ou proches et je m'efforce de graver en moi des lieux que, probablement, je n'aurai pas le temps de visiter une seconde fois. Je ferme les yeux et me déplace sans bouger, j'emprunte mes propres pas et me laisse guider sur ces chemins du passé, pour ne pas oublier. Je garde à l'esprit cependant que ma Lorraine natale peut très vite me manquer, qu'il me tarde d'y revenir dès lors que je m'en suis éloigné... pour mieux la retrouver puis repartir et inscrire en moi de nouveaux futurs voyages intérieurs.

Commentaires

  • Tu as peut-être omis 2 raisons (ou plus):
    1- L'atavisme (quoi que ce soit une excuse facile, mais on n'a pas besoin d'excuses pour être ce qu'on est);
    2- La capacité à saisir le bonheur là où il se trouve sans penser que l'herbe est forcément plus verte ailleurs... "Le bonheur est dans le pré..." disait ce bon Jacques, et il avait bien raison!
    Mais je parle peut-être pour moi...

  • Pour la raison 2, là, y a pas de problème, je pense être armé de cette capacité. Et si tu l'évoques toi-même, c'est que, peut-être, de ton côté, il en va de même.
    Pour la première, oui, ce n'est pas impossible, nous ne sommes pas, il est vrai, issus d'une lignée de grands voyageurs...
    Et j'ai aussi publié ce texte en souhaitant recueillir le point de vue de quelques personnes (dont toi évidemment), c'est toujours intéressant de constater parfois qu'on n'est pas aussi unique qu'on l'imagine !!!

  • je partage cette sensation désagréable du départ : le risque de trouver un ailleurs mieux qu'ici vers lequel on ne peut s'installer à cause de tout ce qui nous attache à un endroit.

    rah c'est quand même embêtant tout ça... Et si Vienne c'était mieux ? qu'est-ce qu'on ferait ? On peut toujours acheter une résidence secondaire dans ledit lieu pour ses vieux jours.... vieux jours pendants lesquels on aspirera surtout à être proche des siens (surtout avec un statut de papy par exemple)... rah...

    (j'aime bien les jeux de mots servant d'entête à vos rubriques au fait)

  • @Willmanx : en réalité, je suis toujours très heureux de partir, pour (re)découvrir tel ou tel endroit, et quand je m'y sens bien, j'éprouve le besoin d'y rester. Ce qui ne m'empêche pas de ressentir des sentiments contradictoires et d'être aussi très content de revenir chez moi. Pour résumer, j'aimerais avoir le don d'être présent dans plein de lieux simultanément. Je sais que ça peut paraître bête mais on ne se refait pas !
    La résidence secondaire ? OK, mais laquelle choisir ? Il m'en faudrait une bonne dizaine en réalité...

  • Tu sais que Castellina in Chianti, c'était chez Léo Ferré ?
    Pfff, la Toscane... ça devrait même pas exister cet endroit-là, tellement c'est terrible d'en repartir ! ;o)

  • Raah, j'suis con moi ! J'y ai fait l'année dernière une promenade magnifique, à Castellina... en ignorant que c'était le nid de Léo Ferré... Comme je le comprends...

  • Je crois qu'en fait nous sommes des nomades sédentarisés. Nos envies de voyages ont un rayon plus ou moins grand selon notre capacité à apprécier ce que nous rencontrons. Et à aimer ce que nous aimons en fonction de notre sensibilité et pas parce qu'IL FAUT avoir vu telle chose ou être allé dans tel endroit. J'aimerais être escargot et transporter ma maison avec moi pour respirer les enfroits qui me séduisent, y retourner quand j'ai envie. Transporter ma maison mais pas pour la maison car je crois que l'accession à la propriété (terme qui fut en vogue) est un frein pour beaucoup de choses, mais pour ce qu'il y a dedans. Et, dites-moi, comment transporter mes milliers de disques dans une coquille? Même en i-podisant et mp3isant le tout, je n'y arriverais pas...

  • @Quiet man : c'est rigolo ta remarque "aimer ce que nous aimons en fonction de notre sensibilité et pas parce qu'IL FAUT avoir vu telle chose ou être allé dans tel endroit" ! Mot pour mot ce que je disais hier soir lors d'une conversation entre amis, mais vraiment mot pour mot ! Et j'aime bien ton analogie avec l'escargot, car elle correspond à une idée qui m'a souvent traversé l'esprit ! A mon avis, on ne doit pas être frangins pour rien...
    Pour le transport, je te suggère tout de même de faire l'acquisition d'un bon gros disque dure externe (tu vois, du genre 500 Go ou plus) avec connexion USB, à brancher sur une source pas trop encombrante ! Avec une conversion mp3 de qualité, tu dois pouvoir sans problème dépasser les 5 ou 6000 disques... mais là, il y aura un autre problème... le temps pour le faire !

  • Je comprend bien ce que tu dis.
    Je m'étonne moi-même de m' être attachée comme ça à ce coin des Etats-Unis. Vivre ici me paraissait, il y a quelques mois, impossible a envisager, et pourtant, je sais que de retours a Aix, Boston va me manquer énormement. Et je n'ai même pas le mal du pays, en étant ici !

  • En tant que soit-disant "grande voyageuse" (mouaif), je vais essayer de contribuer ici...je sais que pour moi il n'est pas envisageable de ne pas aller faire un tours "ailleurs" au moins deux fois par an, sans compter l'Angleterre d'ailleurs...pourquoi? j'ose espérer qu'il ne s'agit pas de consumérisme effréné...le plaisir de se détacher quelques jours, quelques semaines pour découvrir...quoi, ben autre chose...sans que ça implique quoique ce soit sur le vivre ailleurs (de toute façon, vu les circonstances, j'ai pas trop de questions à me poser...)...bref, l'Europe, comme jsuis pas allée beaucoup plus loin non plus, comme un vaste échiquier où on peut se promener à sa guise, voir les cultures se toucher et se modifier au gré de l'espace, tout ça quoi (bon, pi faut bien le dire, plus à l'est tu vas, moins chère est la bière!)
    :)

  • Auprès de mon arbre ...

    Bon ! pour ton anniversaire je t'offre un guide Michelin de la Picardie. Je suis vraiment trop bon.

    Mais alors d'où ça lui vient cette manie de la bougeotte en tongue à la Fraise ?

    PS : Concernant la Toscane alors làààà ! je te donne mille fois raison.

  • @Mille Pattes : ben oui, c'est gentil ! Mais comme tu es un lecteur attentif de mon blog, tu dois te souvenir que mon anniversaire remonte à plus de mois maintenant, c'était le 19 janvier ! Tant pis, j'attendrai 10 mois alors...
    La bougeotte de La Fraise : faut lui demander ! J'ai remarqué cependant qu'elle avait quelques gènes communs avec sa grand-mère maternelle, assez prompte à partir ici ou là dès qu'elle en a l'occasion !!!
    La Toscane... drôle de sensation celle qui te fait penser que tu t'y sens comme chez toi...

  • Le gêne de la bougeotte? Goude questione! et puis avec les résultats du mouvement inter qui tombent...c'est pas fini...

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