Je tiens par cette courte note à remercier les manifestants anti-CPE qui ont eu la bienheureuse idée de bloquer tous les accès au boulevard par lequel on accède à la rue où la Maison Rose s'est établie voici maintenant cinquante ans environ. Ils m'ont grandement facailité la tâche... et permis de passer quelques moments tranquilles en la compagnie de deux charmants messieurs.
Confronté à l'urgence nauséabonde d'un égoût visiblement plein à ras-bord, j'avais pris rendez-vous avec une entreprise spécialisée en curages, débouchages et assainissements divers. Vous voyez un peu le tableau ? Le gros camion et sa citerne devant l'entrée, le moteur qui tourne bruyamment, le pépé voisin qui se demande s'il faut vite se rendre aux abris, les automo(dé)bilistes énervés pas la présence de l'engin au beau milieu de la rue, qui zigzaguent avec leurs voitures diesel de société entre deux places de stationnement, démontrant ainsi une habileté virile propre à impressionner un pilote de Formule 1 - oui, parce que ces braves gens, on dirait qu'ils n'ont pas le temps... le temps de quoi, je l'ignore, mais il faut qu'ils foncent, puis qu'ils freinent avant le virage, là, cinquante mètres plus bas, en affichant une mine patibulaire par laquelle ils vous expliquent qu'ils vous maudissent de leur faire prendre ce risque insensé... et les priver de je ne sais quelles précieuses secondes qu'ils auront tôt fait de gaspiller le soir même devant la télévision - et puis mes deux ouvriers, affables, rompus à cet exercice consistant à aspirer l'égoût avec un gros tuyau et force glou-glous pas très ragoûtants puis à projeter dans les conduits de l'eau avec un jet à haute pression. J'en reviens encore pas... mes deux types, qui ont pourtant toutes raisons d'arborer une mine de circonstance, car on ne saurait trouver ce boulot autrement que franchement emmerdant, sont les plus adorables qui soient. Et je te serre la main, et je te dis un mot gentil, et je t'explique comment on travaille. Et pis tiens, la plaque qui est dans votre garage, elle est cassée, je peux vous montrer comment on fait pour la changer. Sympa et psychologue, le copain nettoyeur, parce qu'en quelques secondes seulement, il m'a jaugé avec beaucoup de finesse, il a deviné le grand bricoleur qui sommeille en moi, il a tout de suite compris que même avec deux ou trois mains supplémentaires, le perçage de trou dans le mur serait toujours pour moi un exercice à l'issue incertaine, voire même un supplice. Même qu'on a l'impression qu'ils ne sont pas plus pressés que ça, ces gars-là... Ah, ça donne envie, en fait, vraiment, pendant quelques dixièmes de secondes, je me suis vu à leur place et sonner chez l'habitant pour lui annoncer la bonne nouvelle : "Vous êtes bouché ? Pas de problème, je vais m'occuper de vos conduits !". On doit se sentir utile, au moins, on voit le résultat du boulot qu'on est en train de faire... Et c'est vrai que j'ai toujours rêvé d'être capable de déboucher mes concitoyens. Un beau boulot, pas de risque de chômage et encore moins de CPE, je vous le garantis.
Bon, pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça, moi ? Ah oui ! Le boulevard bloqué par les manifestants anti-CPE. Euh, soyons honnêtes : il faisait un soleil magnifique cet après-midi et la température avait suffisamment grimpé pour nous laisser croire que nous étions au printemps. Or donc, quelques grappes d'étudiants venus de l'Université toute proche avaient décidé l'action ultime : après l'autoroute jouxtant la Faculté de Médecine, le bloquage du boulevard, l'un de ceux par lesquels on entre en notre belle ville. Et voilà que ce beau petit monde se met à ramasser toutes les poubelles du quartier, on plante des grillages au bout de la rue et on s'installe au beau milieu de la circulation pour chanter un slogan avec de jolis rimes : "Police Nationale, milice du capital ! Police Nationale, milice du capital !". Le truc vachement élaboré, un beau niveau de raisonnement. Bonne humeur et, cerise sur notre gâteau, peloton de CRS qui encadrent l'aréopage, semble-t-il aussi pas mal préoccupé par la circulation des canettes de bière pour étancher une soif née d'une marche forcée d'au moins trois cents mètres. Cela dit, à cet endroit, le boulevard suit une trajectoire parallèle à celle de leur gosier, légèrement en pente, et l'on était là un peu comme au point de ravitaillement. Je parle des manifestants, hein, pas des CRS. M'enfin, tout cela pour vous dire que nous avons passé un petit moment plutôt agréable, un peu pour nous comme l'arrivée d'une étape du Tour de France. On détaille le peloton, on cherche qui va gagner, on penche la tête pour reconnaître les sportifs. Mais j'ai reconnu personne : pas de Besancenot, pas de président de l'UNEF, pas le monsieur de FO, ni même celui de la CGT qui me fait des fois penser à Jacques Dutronc. On doit pas être médiatiques, nous les Lorrains, on les intéresse pas. Pas grave, on s'en fout, nous on a dans le coeur le soleil qu'on n'a pas dehors. Tiens, c'est pas mal comme phrase... Comment ? Y a une chanson qui dit ça ? Oh, pardon, je ne recommencerai plus. Surtout que pour une fois, on avait du soleil, du beau, du jaune sur un ciel bleu.
Qu'on ne se méprenne pas, hein ? Je ne porte aucun jugement sur les manifestants ! Moi, j'avais autre chose à faire, puisque j'étais missionné par mes deux copains pour aller chercher un outil, vider une chasse d'eau, faire couler un peu le lavabo du rez-de-chaussée, pendant que Madame Maître Chronique fourbissait son carnet de chèques pour alléger vite fait bien fait notre compte en banque de 124€... Non, non, elle était pas partie faire du lèche-vitrines, 124€, c'est le prix du jet d'eau à haute pression... Pas mal, vous ne trouvez pas ? En réalité, j'ai surtout apprécié la collaboration des étudiants qui par leur barrage bienvenu, nous ont donné l'occasion de travailler tranquillement. Comme aucune voiture ne pouvait passer, jamais le camion n'a gêné qui que ce soit, les pilotes chevronnés étaient confinés en d'autres axes où ils ont pu s'exciter en toute liberté. Le vrai bonheur... celui des heures tranquilles et la satisfaction béate du propriétaire.
D'ailleurs, nettoyage pour nettoyage, il faut avouer que nous avons été beaucoup plus efficaces que nos amis de la police. Alors que chez moi tout était rentré dans l'ordre en trois quarts d'heure - notez bien, ça puait encore pas mal, mais il paraît que c'est normal et qu'il y en a toujours pour plusieurs heures après le nettoyage - les hommes en bleu marine avaient encore un sacré boulot. Il restait pas mal de monde à traîner bruyamment sur le boulevard. Je n'ai pas osé leur proposer les outils de mes deux camarades, ne voulant pas prendre le risque de rendre la situation explosive. N'empêche, chez moi, c'était bouclé ! Tout le monde ne peut pas en dire autant...
Commentaires
J'espère que Nicolas le Nabot ne lira pas cette note.
En tout cas moa je rigoule.
Mais c'est vrai que ça sentait moyen quand même...
Alors comme ca on se moque de la ferveur du peuple uni en une seule voix, un seul corps : la Manifestation et ses Sloggans ?
en tout cas j'espère qu'ils ne t'ont pas aspiré avec le reste...!
Meuh non meuh non, mais là... emploi du temps perso un peu bousculé, même pas le temps de prendre quelques minutes pour rédiger une courte note.
Je ne suis pas aspiré, juste un peu en retrait.
T'inquiète, j'vas revenir...