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Petits bonheurs en direct...

Je m'aperçois, à la relecture de quelques unes de mes notes, qu'il est souvent question de ces moments privilégiés dont on n'a pas forcément conscience au moment où on les vit. Rétrospectivement, on éprouve une sensation de nostalgie, voire de regret lorsqu'on se rend compte qu'on n'a pas forcément vécu ces instants avec toute l'intensité qu'ils méritaient. Et l'on est parfois saisi de ce drôle de vertige né de la perception du temps qui passe, qui passe... Fort heureusement, je viens - à 48 heures d'intervalle - de faire l'expérience inverse, c'est-à-dire vivre des petits moments d'intimité familiale dont j'ai compris au moment même où j'en étais l'un des acteurs / spectateurs qu'ils resteraient inscrits dans ma mémoire. Ils n'ont rien d'extraordinaire en ce sens que leur évocation ne vous sera pas forcément passionnante mais ils étaient, conjugaison du verbe être, tout simplement. Et c'est un cadeau d'une valeur inestimable.

Mardi 2 janvier 2006
: nos enfants (respectivement 25 et 22 ans, je tiens à la rappeler, car à leur évocation, vous pourriez penser parfois qu'ils en ont quinze de moins) ont décidé leurs parents - enfin, après des mois d'une lutte acharnée - à découvrir cet incroyable univers qu'on appelle IKEA (entreprise mondiale d'origine suédoise dont le patron, richissime, a pris l'élémentaire précaution de réfugier ses avoirs en Suisse et dont tous les articles sont fabriqués en Chine, au Viet-Nam, en Turquie, en Roumanie, au Portugal, mais semble-t-il rarement en Suède, contrairement à ce que pensent bon nombre de personnes. Si la paternité de cette enseigne est nordique, sa philosophie est, elle, purement mercantile et désireuse de bichonner ses rentiers actionnaires). Faut dire que Madame Maître Chronique et moi-même ne prisons guère ces hyper-méga-marchés impersonnels et monotones où la foule peut passer des journées entières à farfouiller dans les moindres recoins d'un énorme hangar, où chacun de vos pas est méthodiquement dirigé grâce à un fléchage au sol vous indiquant la pertinence de votre trajet, vous confirmant que vous vous dirigez inexorablement vers le stade ultime des achats en nombre. Attention mes amis : pas question de marcher à l'envers, suivez les flèches, respectez les consignes et arrangez-vous pour qu'au fil de votre déambulation, vous ayez acquis suffisamment de besoins spontanés pour qu'au stade final - un énorme entrepôt au niveau inférieur, juste avant les caisses - vous libériez tous vos instincts acheteurs et remplissiez un hétéroclite caddy composé de verres de tables, de housses de couettes, de tapis, de balais à cabinet, de boîtes à outils et autres babioles auxquelles vous n'aviez pas accordé l'esquisse d'un début de pensée une heure auparavant. Et en plus, il tombe des cordes en Lorraine, comme chaque année, la grisaille a installé ses quartiers d'hiver pour une bonne douzaine de mois. Un bonus magnifique pour couronner votre expédition car vous mettrez un terme à cette dernière en sprintant sur le parking, drivant votre caddy avec une maestria que vous envierait n'importe quel pilote de rallye.
Et pourtant... moi j'étais là, durant ces trois heures, un peu hébété, je n'avais besoin de rien en réalité mais je jouissais du petit bonheur que je vivais : j'avais ma petite tribu autour de moi, ma progéniture avait l'air de passer un bon moment, chacun de nos enfants invita même l'un de ses parents au restaurant local (une sorte de cantine pour clients, où la nourriture n'était pas si mauvaise que ça, reconnaissons-le), et lorsque nous étions attablés, sur nos chaises hautes, à contempler le paysage lorrain gris et un peu sinistre, j'aurais voulu que le temps s'arrête. J'étais bien dans ce drôle d'endroit, pourtant radicalement opposé à ma géographie intérieure. Allez comprendre...

Jeudi 4 janvier 2006
: petit repas de famille au deuxième étage de notre maison. Dans la cheminée, un feu de bois nous apporte chaleur et lumière, tout doucement, la température ambiante atteint 20 degrés et beaucoup plus à côté du foyer, une bonne bouteille de vin d'Arbois fait monter le rose aux joues des convives. Et ce vieux rhum de Cuba, 15 ans d'âge... sympa, non ? Un peu plus loin dans la grande pièce aux murs de pierre et aux poutres de chêne massif, les hauts parleurs de l'ordinateur réconfortent nos oreilles avec un vieux disque de Pink Floyd ou des Beatles, avant les mélopées indiennes de Shakti. Puis c'est le tour de Brad Meldhau en solo à Tokyo. La qualité est là, c'est important, même en ces circonstances, de ne pas oublier qu'une exigence minimale ne peut pas nuire. On s'amuse d'un jeu de société ou d'un jeu de cartes. Le temps s'est arrêté pendant quelques heures. La grisaille et la pluie du dehors sont loin de nous.

Je n'ai aucune prédisposition au bonheur : je ne parviens pas en effet à me glisser dans la peau de celui qui, quelque part dans sa maison ou dans un coin ombragé de son jardin, contemplerait ce qui l'entoure en se disant : "Je suis heureux !". Le monde va trop mal pour que je puisse, ne serait-ce qu'un instant, avancer vers cet état que, pourtant, nous cherchons tous plus ou moins. Mais il faut une sacrée dose d'égoïsme pour parvenir à s'extraire ainsi de son environnement et n'en plus percevoir toutes les violences au point d'envisager le bonheur comme une possibilité. Ou bien faudrait-il être totalement ignorant...
 
Je crois vraiment en revanche à la quête de ces instants fugaces, tous ces petits bonheurs que l'on parvient - ou non - à attraper au vol en se disant que la vie est trop courte pour ne pas rester conscient en permanence des cadeaux qui nous sont faits. Carpe diem. Je viens d'en recevoir quelques uns, tout récemment, et c'était bien ainsi. Je guette dès à présent l'apparition des prochains !

Commentaires

  • Bonjour Maître Chronique et vous tous,

    Je suis heureuse de lire enfin ton billet. Le bonheur est un chantier très vaste qui ne fini jamais. Une des plus belles émotions que nous pouvons ressentir très souvent. C'est étrange mais je le vois partout. Dans cet enfant qui sourit, dans cette fleur qui fleurit, quand les saisons offrent un nouveau décors, dans l'amour des miens et aussi des amis et des passants. Le bonheur pour moi et de voir naitre à tous les carrefours de la vie.

    Merci à toi de m'avoir laissé le bonheur d'écrire quelques lignes de bonheur.

    Bisous,
    Marie Christine

  • Merci pour cet instant de bonheur si bien raconté, l'important c'est d'être avec ceux qu'on aime. Pourquoi aller chercher ailleurs ?
    J'attends les autres récits avec impatience...
    Bonne journée.

  • bonsoir,
    Voler de blog en blog, poser ses pas dans le blog de Marie Christine, prendre un bain de bonheur, cliquer sur un nom, je cherche... oui ! tien ! là ! Maître Chronique? Un autre moment de bonheur... Merci

  • @Christian : merci de ta visite et de tes mots. A bientôt !

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