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Je me souviens -- 2

Je me souviens de l'automne 1974. Cette année-là, comme chaque année, mes grands-parents revenaient d'un séjour passé sur la Côte d'Azur chez le fils de ma grand-mère (qui n'était pas ma grand-mère au sens biologique du terme, mais ma vraie grand-mère néanmoins puisque vivant avec mon grand-père depuis 1946, soit douze ans avant ma naissance - par conséquent, le fils de ma grand-mère était aussi mon oncle !). Ils avaient fait, comme à chaque fois, le voyage d'une seule traite.

C'est au moment où je vis mon grand-père, alors âgé de 77 ans, que je compris que quelque chose ne tournait pas rond.

Etait-ce son teint étrangement jaune ? Sa manière de nous sembler comme absent, déjà, sans prendre vraiment part à la conversation ? Il y avait sur son visage comme la marque d'une tristesse infinie et de la résignation de celui qui sait. Lui qui était d'ordinaire d'un commerce si agréable, un modèle pour nous tous, jamais agressif, cherchant toujours à souligner les qualités des uns et des autres plutôt que leurs défauts, d'un calme et d'une apparente sérénité qui faisaient tant de bien à ceux qui vivaient à ses côtés. Lui qui s'était mis au service d'un village dont il avait été le maire durant près de 30 ans, faisant l'unanimité autour de lui. Lui dont nous étions tous si fiers.

Je n'eus pas à attendre très longtemps une réponse car quelques semaines plus tard, j'appris qu'il souffrait d'un cancer du pancréas. Entre le jour de son retour de vacances et celui de son dernier départ, il s'écoula une année durant laquelle nous le vîmes inexorablement décliner, s'absenter petit à petit. Il ne semblait plus avec nous, comme si une gomme céleste était en train de l'effacer. En fermant les yeux, je le vois nettement, assis dans un fauteuil en toile orange, devant sa maison, le visage émacié. Il n'était déjà plus de ce monde.

Je n'ai jamais manqué de penser que les souffrances qu'il a pu connaître furent incroyablement injustes, j'aurais tellement voulu qu'il puisse nous quitter bien plus tard, en quelques secondes, dans le souffle de l'éternité qu'on réserve aux vieillards.

Aujourd'hui encore, dans mon jardin, je ne peux réprimer un violent pincement au coeur lorsque je m'allonge dans ce vieux fauteuil de toile orange. Et je pense si souvent à lui.

Commentaires

  • Bonsoir,
    Un souvenir triste qui fait encore et toujours mal quand on y pense.

  • Bonjour à toi et à vous tous,

    Tu me mets la larme à l'oeil. Tu sais que je viens de perdre maman et mon fils de neuf ans en souffre énormément. Lui aussi il voulait la garder plus longtemps. Il est difficile de faire un deuil quand un être cher part pour le long voyage. Je suis avec toi et avec tes souvenirs. Dis toi qu'il te regarde de là-haut et qu'il t'aime toujours autant. Il brille comme une étoile.

    Bisous et très bonne journée à tous
    Marie Christine

  • Oui, cette année 1974-75 fut difficile. Mes souvenirs ne sont pas tout à fait les mêmes que les tiens. À l'enterrement de notre arrière-grand-mère en décembre 74, la vision de mon grand-père jumeau m'a fait comprendre (alors que sa maladie n'était pas encore connue de nous) que nous reviendrions bientôt, pour lui, dans ce petit cimetère de Sivry sur Meuse. C'était une pensée, comme un éclair, mais j'avais hélas la certidtude de ne pas me tromper, je le sentais.
    Et c'est en mars suivant qu'il fut opéré dans une polyclinique nancéenne de "polypes" (officiellement) aux intestins. Il appréciait, à l'époque, les visites quotidiennes de son petit-fils étudiant et m'en remerciait à chaque fois. Mais c'était peu lui rendre de tout ce qu'il m'avait donné depuis plus de 22 ans. Il fut le premier à savoir que j'avais obtenu mon permis de conduire (et ma première voiture fut la sienne, 1 an tout juste après).
    C'est après son retour en Meuse que j'ai appris par notre soeur aînée, lors d'une rencontre chez nos parents, à Belleville, la réalité de sa maladie. Le souvenir de sa lente dégradation reste un des pires de mon existence, il ne méritait pas cela. Certaines scènes, notamment une vécue au cours de la communion de notre cousin, restent douloureusement gravées.
    Je me souviens aussi qu'il disait souvent qu'il savait de quoi il mourrait, que ce serait son coeur le lâcherait: il avait en effet fait un infarctus 15 ans plus tôt (et un pacemaker lui avait été implanté lors de son opération de 1975).
    Et puis il y eut notre dernière rencontre, vers la fin septembre. J'étais allé lui rendre visite, à vélo et, au moment de le quitter, je lui ai dit: "Je reviens dans 3 semaines" (je faisais à l'époque ma formation professionnelle à Evry Ville Nouvelle). Je n'oublierai jamais sa réponse, pour moi ses derniers mots: "Oh, tu sais...". Il avait dans la voix des points de suspension qui en disaient tellement...

  • La souffrance, ce sentiment d'injustice, cette offense faite à un être humain qui aurait mérité une tout autre fin. Voilà ce qui unit nos deux textes. Mais je vais prochainement compléter ce dernier par une suite (correspondant au mois d'octobre 1975) où je lui rendrai un hommage sous la forme d'un clin d'oeil tendre qu'il mérite tant !

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