Je me suis récemment installé devant les étagères sur lesquelles j'ai tenté de ranger l'ensemble de mes disques. Et j'ai contemplé l'ensemble : il y a là le coin des 33 tours (environ 600), celui - ou ceux devrais-je dire - des CD, que je ne compte plus vraiment même si je sais que leur comptage s'exprimera au moyen d'un nombre à quatre chiffres. Il a aussi une petite unité de stockage numérique (500 giga-octets, pas plus) sur laquelle j'engrange une partie de mes vieux vyniles au format mp3, histoire, de temps à autre, de me livrer à une petite plongée dans le passé en ré-écoutant de vieux trésors avec mon baladeur. Je passerai sous silence ce gros carton dans lequel j'ai stocké des dizaines et des dizaines de concerts du groupe Magma, offerts sans que je les ai demandés par des fans qui voulaient me témoigner leur reconnaissance après que j'aie mis en place sur Internet le "Web Press Book" du groupe. Tiens, il faudra bien qu'un jour je les écoute ces enregistrements "sous le manteau", comme on dit. Aurais-je le temps ? Pas sûr...
A côté de mon frère, je suis, certes, un amateur, un discophile à la petite semaine, mais tout de même, il y a là tellement de bonheurs accumulés depuis la fin des années 60 que je suis tout heureux d'avoir pu offrir à ces disques un écrin digne de la joie qu'ils ont pu me procurer en près de 40 ans. Nichés au deuxième étage de la Maison Rose, dans cette grande pièce sous les toits que nous avons baptisée le Chalet Suisse - murs de pierre, belle cheminée, poutres, lambris, atmosphère presque montagnarde. Ils sont là, régis par un ordre qui me semble logique même si souvent hermétique à la plupart de ceux qui viennent faire un tour dans ce refuge : s'il est facile de débusquer le rayon de la musique dite classique, si l'on repère sans difficulté l'étage de la chanson française, si jazz et rock ont eux aussi leurs espaces propres (je précise qu'à l'intérieur de ces catégories, j'ai opté pour un classement alphabétique), il me faut fourbir des arguments un peu tirés par les cheveux pour expliquer que tout un rayon est dédié à John Coltrane (plus de 120 CD), qu'un autre rassemble l'ensemble de la collection de Seventh Records (Magma et associés), je dois également expliquer qu'il m'a aussi fallu utiliser certains coffrets comme "serre-CD", prenant parfois la décision de les sortir de leur famille naturelle. Et puis, ici une collection consacrée à l'histoire du jazz, et puis une autre encore...
Est-ce parce que nous venons tout récemment de fêter l'Epiphanie que je me penche sur le cas de toutes mes galettes ? En réalité, il n'est pas un jour sans que je me pose une question cruciale (vous constaterez que pendant que certains cherchent un logement, je suis habité par des préoccupations fondamentales...) : pourquoi continué-je à acheter régulièrement des disques alors que je sais pertinemment que la plupart d'entre eux ne tourneront qu'un nombre très limité de fois sur mes platines ou lecteurs ? En parcourant le rayon des vyniles, je fus pris l'autre jour d'un vrai vertige en m'apercevant que ces beaux objets, chargés de mon histoire personnelle, auxquels tant de souvenirs sont associés, étaient sagement rangés là, sans réel espoir de revenir à la vie sous le passage d'une pointe de diamant en leur sillon ou l'effet d'un rayon laser gobeur de 0 et de 1. Aurais-je un jour l'occasion de les écouter une nouvelle fois ? Impossible de le dire. Je préfère même ne pas chercher à répondre vraiment à la question.
Je me rappelle qu'en 1976 - j'avais 18 ans, j'étais encore un peu crétin parfois - j'ai revendu un nombre incroyable de 33 tours parce qu'à cette époque, je vouais un culte absolu à la musique de Christian Vander et que je lui avais comme "obéi" après avoir lu des interviews dans lesquelles il donnait son opinion sur tel ou tel musicien. Des jugements souvent tranchés et des arguments assez forts... Du coup, certains de mes disques ne trouvèrent plus grâce à mes oreilles et c'est sans complexe que je partis un beau jour chez mon disquaire pour lui donner en dépôt tous ces disques à revendre. Mal m'en prit, car à peine la vente réalisée, je fus envahi par les remords et pris par le désir total de les écouter sans attendre. Ils n'avaient pas quitté leur nid depuis vingt-quatre heures qu'ils me manquaient déjà. Et je dois confesser qu'au fil des années qui se sont écoulées depuis cette erreur fatidique, j'ai racheté une bonne partie de ces vieux trésors. Ils sont là, tout près de moi, je ne les ai jamais beaucoup écoutés, mais je sens leur présence. Elle me rassure.
Je crois que ce phénomène s'apparente à celui d'une sorte d'amputation : ces disques sont le reflet de ma propre histoire, ils sont en quelque sorte le témoignage d'une longue et lente construction et leur absence est toujours cruelle. D'une certaine façon, ils permettent au passé d'être moins lointain que lorsqu'on ne peut se raccrocher à ce dernier qu'au moyen des souvenirs qui s'effilochent au gré des caprices de notre mémoire. Eux sont là, bien présents, ils prouvent notre passé.
Prenons un exemple concret : si je regarde la pochette du premier 33 tours de Jerry Garcia (guitariste leader du Grateful Dead), aussitôt, je remonte le temps, je fais un grand saut de 35 ans en arrière et me retrouve en ce vendredi 4 février 1972, très important pour moi. J'habitais Verdun et je mettais les pieds pour la première fois dans un magasin de disques appelé "Card Shop", petite embarcation commerciale dont la vendeuse - notre chère Gaby - allait être le commandant de bord durant de longues longues années, avant de rejoindre la grande librairie de cette même ville... où elle exerce encore, à quelques mois aujourd'hui de sa retraite ! J'ai eu l'occasion de bavarder avec elle il y a quelques semaines et, comme vous l'imaginez, nous avons évoqué le passé non sans avoir mesuré son défilement vertigineux en nous donnant des nouvelles réciproques de nos enfants devenus adultes... Voilà, c'est aussi simple que ça : les 12762 jours qui se sont écoulés entre aujourd'hui et le 4 février 1972 n'en forment qu'un seul. J'ai à nouveau 14 ans, ma vie commence seulement, mon passé existe à peine et mon énergie est intacte.
Ainsi vous l'aurez compris... le sablier du temps qui passe me nargue, m'angoisse parfois. Il m'arrive d'opérer un décompte un peu macabre pour m'apercevoir que le temps qui me reste à vivre est forcément bien plus court que celui que j'ai déjà vécu. Alors je ma fabrique des armes - toutes pacifiques - pour rester fort et prêt à affronter avec la plus belle énergie les années à venir. Et tous ces disques constituent mon arsenal, ma force de construction massive !
Tiens, à ce sujet, je viens d'apprendre que dès la fin du mois, Henri Texier allait sortir un nouveau disque (je le sais parce que c'est lui qui me l'a écrit). Un tel événement, ça ne se manque pas, car Henri Texier, contrebassiste, est un grand monsieur du jazz, qui possède un sens merveilleux de la mélodie ; je possède quasiment tous ses disques et le prochain, dès le jour de sa sortie, trouvera la place qui lui est déjà réservée sur son rayon, là-haut, dans le Chalet Suisse.
Et puis zut, il y a le prochain Louis Sclavis, aussi, au début du mois de février, sur le label ECM.
Ah, et dire qu'on trouve en ce moment, à des prix défiant toute concurrence, deux ou trois vieux disques de Bob Dylan qui me manquent...
J'en finirai jamais...
A côté de mon frère, je suis, certes, un amateur, un discophile à la petite semaine, mais tout de même, il y a là tellement de bonheurs accumulés depuis la fin des années 60 que je suis tout heureux d'avoir pu offrir à ces disques un écrin digne de la joie qu'ils ont pu me procurer en près de 40 ans. Nichés au deuxième étage de la Maison Rose, dans cette grande pièce sous les toits que nous avons baptisée le Chalet Suisse - murs de pierre, belle cheminée, poutres, lambris, atmosphère presque montagnarde. Ils sont là, régis par un ordre qui me semble logique même si souvent hermétique à la plupart de ceux qui viennent faire un tour dans ce refuge : s'il est facile de débusquer le rayon de la musique dite classique, si l'on repère sans difficulté l'étage de la chanson française, si jazz et rock ont eux aussi leurs espaces propres (je précise qu'à l'intérieur de ces catégories, j'ai opté pour un classement alphabétique), il me faut fourbir des arguments un peu tirés par les cheveux pour expliquer que tout un rayon est dédié à John Coltrane (plus de 120 CD), qu'un autre rassemble l'ensemble de la collection de Seventh Records (Magma et associés), je dois également expliquer qu'il m'a aussi fallu utiliser certains coffrets comme "serre-CD", prenant parfois la décision de les sortir de leur famille naturelle. Et puis, ici une collection consacrée à l'histoire du jazz, et puis une autre encore...
Est-ce parce que nous venons tout récemment de fêter l'Epiphanie que je me penche sur le cas de toutes mes galettes ? En réalité, il n'est pas un jour sans que je me pose une question cruciale (vous constaterez que pendant que certains cherchent un logement, je suis habité par des préoccupations fondamentales...) : pourquoi continué-je à acheter régulièrement des disques alors que je sais pertinemment que la plupart d'entre eux ne tourneront qu'un nombre très limité de fois sur mes platines ou lecteurs ? En parcourant le rayon des vyniles, je fus pris l'autre jour d'un vrai vertige en m'apercevant que ces beaux objets, chargés de mon histoire personnelle, auxquels tant de souvenirs sont associés, étaient sagement rangés là, sans réel espoir de revenir à la vie sous le passage d'une pointe de diamant en leur sillon ou l'effet d'un rayon laser gobeur de 0 et de 1. Aurais-je un jour l'occasion de les écouter une nouvelle fois ? Impossible de le dire. Je préfère même ne pas chercher à répondre vraiment à la question.
Je me rappelle qu'en 1976 - j'avais 18 ans, j'étais encore un peu crétin parfois - j'ai revendu un nombre incroyable de 33 tours parce qu'à cette époque, je vouais un culte absolu à la musique de Christian Vander et que je lui avais comme "obéi" après avoir lu des interviews dans lesquelles il donnait son opinion sur tel ou tel musicien. Des jugements souvent tranchés et des arguments assez forts... Du coup, certains de mes disques ne trouvèrent plus grâce à mes oreilles et c'est sans complexe que je partis un beau jour chez mon disquaire pour lui donner en dépôt tous ces disques à revendre. Mal m'en prit, car à peine la vente réalisée, je fus envahi par les remords et pris par le désir total de les écouter sans attendre. Ils n'avaient pas quitté leur nid depuis vingt-quatre heures qu'ils me manquaient déjà. Et je dois confesser qu'au fil des années qui se sont écoulées depuis cette erreur fatidique, j'ai racheté une bonne partie de ces vieux trésors. Ils sont là, tout près de moi, je ne les ai jamais beaucoup écoutés, mais je sens leur présence. Elle me rassure.
Je crois que ce phénomène s'apparente à celui d'une sorte d'amputation : ces disques sont le reflet de ma propre histoire, ils sont en quelque sorte le témoignage d'une longue et lente construction et leur absence est toujours cruelle. D'une certaine façon, ils permettent au passé d'être moins lointain que lorsqu'on ne peut se raccrocher à ce dernier qu'au moyen des souvenirs qui s'effilochent au gré des caprices de notre mémoire. Eux sont là, bien présents, ils prouvent notre passé.
Prenons un exemple concret : si je regarde la pochette du premier 33 tours de Jerry Garcia (guitariste leader du Grateful Dead), aussitôt, je remonte le temps, je fais un grand saut de 35 ans en arrière et me retrouve en ce vendredi 4 février 1972, très important pour moi. J'habitais Verdun et je mettais les pieds pour la première fois dans un magasin de disques appelé "Card Shop", petite embarcation commerciale dont la vendeuse - notre chère Gaby - allait être le commandant de bord durant de longues longues années, avant de rejoindre la grande librairie de cette même ville... où elle exerce encore, à quelques mois aujourd'hui de sa retraite ! J'ai eu l'occasion de bavarder avec elle il y a quelques semaines et, comme vous l'imaginez, nous avons évoqué le passé non sans avoir mesuré son défilement vertigineux en nous donnant des nouvelles réciproques de nos enfants devenus adultes... Voilà, c'est aussi simple que ça : les 12762 jours qui se sont écoulés entre aujourd'hui et le 4 février 1972 n'en forment qu'un seul. J'ai à nouveau 14 ans, ma vie commence seulement, mon passé existe à peine et mon énergie est intacte.
Ainsi vous l'aurez compris... le sablier du temps qui passe me nargue, m'angoisse parfois. Il m'arrive d'opérer un décompte un peu macabre pour m'apercevoir que le temps qui me reste à vivre est forcément bien plus court que celui que j'ai déjà vécu. Alors je ma fabrique des armes - toutes pacifiques - pour rester fort et prêt à affronter avec la plus belle énergie les années à venir. Et tous ces disques constituent mon arsenal, ma force de construction massive !
Tiens, à ce sujet, je viens d'apprendre que dès la fin du mois, Henri Texier allait sortir un nouveau disque (je le sais parce que c'est lui qui me l'a écrit). Un tel événement, ça ne se manque pas, car Henri Texier, contrebassiste, est un grand monsieur du jazz, qui possède un sens merveilleux de la mélodie ; je possède quasiment tous ses disques et le prochain, dès le jour de sa sortie, trouvera la place qui lui est déjà réservée sur son rayon, là-haut, dans le Chalet Suisse.
Et puis zut, il y a le prochain Louis Sclavis, aussi, au début du mois de février, sur le label ECM.
Ah, et dire qu'on trouve en ce moment, à des prix défiant toute concurrence, deux ou trois vieux disques de Bob Dylan qui me manquent...
J'en finirai jamais...
Commentaires
Bonjour Maître Chronique et vous tous,
Je pense tout simplement que c'est ta passion. Tu aimes collectionner les disques. Pourquoi pas en fait ! Nous avons tous un jardin secret et je trouve cela très bien.
Je souhaite vivement que ta collection s'agrandisse au fil du temps.
Je te souhaite une très bonne semaine ainsi qu'a vous tous
Marie Christine
Je n'ai pas autant de disques (vinyles et cd) que toi mais les mêmes problèmes se posent : quand trouver le temps de les écouter ? Comment les classer pour les retrouver en un clin d'oeil ? Pourquoi acheter de nouveaux alors qu'on a du mal à les écouter par manque de temps ?
Récemment, j'ai fait un premier classement. J'ai noté sur des feuilles volantes par groupes, leur emplacement. C'est mieux que rien. Mais, bientôt, ils seront déclassés.
Bonne journée.
Un petit détour bien sympa à la découverte de ton blog... Très musical... Et moi qui me noit dans trois disques, quelle belle leçon...
allez, a bientôt ! et félicitations
Merci à vous trois pour vos commentaires. Ils m'encouragent à poursuivre mon petit travail d'écriture.
Quant au côté "musical" de mon blog, rien n'étonnant quand on connaît l'adresse du site, n'est-ce pas ?
A bientôt !