Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Belin est du multiple

medium_la_perdue.jpgC'est un peu par hasard que j'ai rencontré, tout récemment, Bertrand Belin. Il ne m'a pas vu, forcément, mais je l'ai tout de suite entendu... Et quand j'évoque l'idée du hasard, suis-je bien certain que c'est ce dernier qui m'a conduit à découvrir sa musique ? Car il y a dans ses mélodies, ses arrangements, ses choix instrumentaux, son interprétation et ses textes tout ce qui peut me réconcilier durablement avec ce que, communément, on appelle la "chanson française", dont je me suis depuis longtemps, à quelques notables exceptions près, éloigné par ennui et par manque de surprise, lassé du conformisme et du manque d'audace de cette prétendue nouvelle scène dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années. Au point qu'il me plaît de penser que la découverte de l'univers si particulier de ce musicien était programmée, quelque part, comme si je n'avais aucune chance d'y échapper. J'étais donc au volant de ma voiture, voici quelque temps, écoutant distraitement France Inter, quand mon attention fut attirée par une chanson à la tonalité un peu folk, une drôle de ballade habitée de guitare, d'un violon et d'une voix un peu étrange, grave, presque mal assurée. Le sens des paroles m'échappait parfois : "Je songe, comme je me livre aux grands arbres tranquilles / A l'oubli, vilaine vague vile, qui voudrait tout saisir / Comme est vain de vouloir songer moins au plus beau de ces fables / Choses inoubliables...". Chance pour moi, la présentatrice de l'émission eut la bonne idée de fournir l'information essentielle que j'attendais, le nom du chanteur. Bertrand Belin, donc, qui venait de publier son deuxième album, "La Perdue". Dès que possible, j'entrepris quelques recherches sur Internet pour tenter d'en savoir un peu plus sur cet artiste et je fus heureux de m'apercevoir que ce qui m'avait intrigué en quelques fractions de seconde n'était pas le fruit de mon imagination : il était bien question, ici ou là, d'un certain Bertrand Belin, qu'on présentait comme "un auteur compositeur arrangeur atypique, chanteur envoûtant et guitariste nomade, un de ces grands extravagants qui savent décoiffer la chanson". On évoquait ailleurs son "mystère", son "élégance décalée" et l'on saluait son "ascension poétique" ou bien encore son "style musical à part", son "interprétation épurée".
 
Il n'était pas besoin de me le dire deux fois et c'est sans attendre que je fis l'acquisition - pour un prix très modique, je tiens à le préciser pour le cas où, parmi vous, sommeilleraient quelques vilains spécialistes du téléchargement frauduleux, ce qui, j'en suis persuadé, ne saurait être le cas de mes innombrables et fidèles lecteurs qui ont compris depuis longtemps à quel point mon attachement à la musique et ma défense des musiciens allait de pair avec la volonté forcenée de ne pas me laisser aspirer par ce courant irresponsable dans lequel s'engouffrent désormais tellement d'entre nous et qui les pousse à télécharger, télécharger, télécharger... au point que je finis par me demander si la motivation première de ces gloutons "donwloaders" est la musique ou la satisfaction un peu malsaine et inconséquente du pirate bravant les interdits et jouissant en solitaire de l'illusion de la gratuité... Et qu'on ne me réponde pas qu'il s'agit de faire la nique aux "majors" et à leurs actionnaires ! Il est tellement d'autres moyens de résister et de ne pas contribuer au formatage ambiant : notamment en n'achetant pas n'importe quoi et, surtout, en achetant des disques dignes d'intérêt... Car il en existe toujours, et beaucoup. La preuve, j'en rencontre chaque jour, encore faut-il faire cet effort minimum qui consiste à être un peu curieux de ce qui sort des sentiers battus d'une bande FM sinistre et conservatrice...
 
Euh, j'en étais où, moi ? Ah oui, Bertrand Belin et son deuxième disque : "La perdue".

Je ne sais même pas si je vais savoir en parler correctement et vous donner l'envie de vous précipiter dessus. Comment commencer ? Peut-être en vous disant que, spontanément, à l'écoute des premières notes, celle de la chanson "Le trou dans ta poitrine", j'ai pensé un peu à un autre grand monsieur mystérieux, Gérard Manset. Probablement en raison d'une démarche poétique où le travail des mots nous emmène vers un univers parfois austère, sensuel souvent, chargé de mystère et où le sens des phrases - desquelles disparaissent parfois le pronom personnel - nous échappe dans un premier temps. Il faut y revenir pour mieux apprécier les personnages dont Bertrand Belin nous suggère les histoires, celle d'un ami perdu à la guerre dans "La tranchée" ou celle d'une veuve dans "Des os de seiche". Et puis... il y a ces textures sonores élégantes et aériennes : guitare, piano, basse, batterie légère sur lesquels viennent se poser cordes, clarinette, violon, trombone, trompette, flûte... il y a, constamment, ces arrangements subtils et jamais prévisibles dont on goûte les subtilités au fil des écoutes, on devine assez facilement certaines influences, comme celle, par exemple, de Gabriel Fauré dans la chanson finale, "Les orchidées", que l'on croirait volontiers extirpée d'un répertoire du début du XXe siècle : "Et les orchidées, nouvelles venues / Seront des blasons à nos coeurs déçus". Car "La perdue" est bien, en effet, le travail d'un musicien accompli et protéiforme, aux facettes et influences revendiquées multiples, mais caractérisé par une remarquable homogénéité. Les douze pièces qui composent cet album sont autant de petits mondes, elles nous réservent chacune leur suprise : le glissement du thème initial vers un autre, qui s'envole ; les notes d'un piano, décalé, surgi comme de nulle part sur une rythmique lancinante ("La perdue") ; un violoncelle qui devient frénétique, comme à bout de cordes ; la voix magnifique de Barbara Carlotti ("L'aube posée") ; un menuet interprété en solo à la guitare (ne jamais oublier que Bertrand Belin est un excellent guitariste). On ne ressent aucun décalage entre les mots et les mélodies, c'est une fusion parfaitement réussie. Bertrand Belin s'accommode aisément du rythme de notre langue pour la faire chanter naturellement, il dilate les mots, contracte les phrases, au gré de ses inspirations. J'ai lu le mot "crooner" au sujet de sa manière de chanter. Oui, peut-être, mais selon moi sans cette forme de superficialité qui entoure généralement ce mot, auquel je préférerais volontiers celui de dandy dont la doctrine se définit par "l'élégance, la finesse et l'originalité", ce qui, il faut bien le dire, convient parfaitement à Bertrand Belin. Et qui me rappelle un peu le Jean-Claude Vannier des années 70, celui qui était l'arrangeur de "Melody Nelson" ou le compositeur de "Diva Divine".
 
Inutile, je crois, d'accumuler les superlatifs. Peut-être conviendrait-il tout simplement de vous faire écouter les premières minutes de ce très beau disque avant que, comme moi, vous ne vous ruiez chez votre disquaire le plus proche afin d'ajouter cette pépite à votre discothèque !


Et pour aller plus loin...
 
Post scriptum : à peine avais-je rédigé cette note que je découvris, tout à l'heure, une chronique enthousiaste de "La perdue" dans le dernier numéro de Télérama. Encore le hasard ?

Commentaires

  • Il a quelque chose d'attirant ... j'ai écouté l'extrait et je prends ses coordonnées.
    Merci de nous le faire découvrir. J'espère qu'on entendra encore parler (chanter) de lui.

  • Je partage tout à fait ton ressenti, que j'ai depuis longtemps déjà. Plus qu'à un formidable musicien, nous avons à faire avec un compositeur, qui fait fusionner les mots et les musiques.
    Ses deux albums sont formidables, mais ses prestations scéniques sont encore plus indispensables ! Qu'il soit seul, en duo, en groupe, autant d'arrangements différents nous attendent, et l'humour entre les morceaux !
    Comme toi je désespérais de cette chanson française, et Bertrand nous donne la preuve que non, la musique française n'est pas nulle !!
    En revanche, j'ai un peu peur car en ce moment il fait beaucoup de premières parties, il faut absolument qu'il décolle dans cette pléthore de musiques industrielles merdiques.
    Je sais qu'il passe seul au Café de la Danse le 4 Avril pour les Parisiens, profitez-en !

  • @Freaxinthenight : merci de ton commentaire ! Et pour ce qui est de ton inquiétude... allez, on parie que Bertrand Belin va vraiment décoller dans un avenir proche ?

  • Bertrand Belin (ou l'autre), n'est-ce pas lui qui joue (guitare et même banjo) avec un des représentants de la nouvelle scène française, Bénabar?

  • @ Quiet Man : absolument ! Cela dit, j'ai l'impression que la comparaison entre leurs deux univers s'arrête là.

  • Chronicart parle du disque de Bertrand Belin, en des termes très élogieux que je fais miens très volontiers !
    http://www.chronicart.com/music/music_rock.php3

Les commentaires sont fermés.