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Mini disc et maxi poisse

Je pense que je vais probablement me reconvertir. Ma nouvelle voie est toute tracée, je serai bientôt médium ! J’ai encore un peu de boulot pour affiner mes compétences, mais je constate que désormais, démonstration aura été faite de mon possible don de prémonition et que vous en aurez été les témoins, sans qu’aucune contestation ne puisse être opposée à mes affirmations. Oui, oui, j’ai bien dit prémonition vérifiable et si vous ne me croyez pas, jetez donc un petit coup d’œil à ma récente «Traque au trac». Je vous y faisais part de la panique naissante qui commençait à me gagner à quelques heures d’un rendez-vous pris, pour une interview, avec ce grand monsieur qu’est le contrebassiste Henri Texier. J’y expliquais le luxe de précautions prises pour parer à tout pépin majeur. Le dernier soir encore, toujours angoissé, j’avais multiplié les tests d’enregistrements pour m’assurer que le disque numérique que j’avais choisi n’était pas défectueux. Tout était prêt, il ne restait plus qu’à prendre le train en compagnie de Madame Maître Chronique, de poser nos bagages dans notre refuge de la rue de Grenelle et de rallier le Sunset, rue des Lombards, où l’ami Kangou devait nous rejoindre. J’étais toujours gagné par le trac, hanté par la peur de ne pas être au niveau de celui qui m’accordait une heure de son précieux temps, mais au moins, j’avais mis en œuvre tellement de procédures de sécurité que je pouvais, tout doucement, souffler et attendre ce bon moment.

medium_200704201928_DSC0247.jpgTout s’est merveilleusement passé ! Un ciel printanier, un soleil quasi estival qui nous servait de guide céleste, une longue balade à pied dans les rues de la capitale, une petite pause gourmande rue du Bac – excellente, cette petite gaufre au chocolat –, pas trop de parisiens en bagnole (enfin, si, quand même quelques uns, mais moins que d’habitude pour cause de vacances), un synchronisme parfait entre Henri Texier et nous-mêmes qui arrivâmes pile poil en même temps à l’endroit convenu, un petit coin au sous-sol, près du bar, tranquille, nous étions entre nous et après l’installation du précieux matériel, c’était parti pour une heure de discussion à bâtons rompus.

Car il faut dire que si le musicien est exceptionnel, l’homme est passionnant aussi, toujours sur la brèche, en révolte constante – il faut imaginer son regard qui brille dès lors qu’on lui le laisse le temps de s’exprimer, fourmillant de projets, lançant quelques phrases inquiètes à deux jours d’une échéance politique de premier plan. Un type habité, en quelque sorte.

Top là mes amis ! Je ne vous en dirai pas plus sur cet entretien, j’en réserve la primeur, et c’est normal, au magazine Citizen Jazz pour le compte duquel j’avais ménagé cette rencontre du vendredi 20 avril 2007.

Laissez-moi vous dire que lorsque j’ai appuyé sur le bouton Stop de mon petit magnétophone numérique, le compteur affichait 60 minutes et 15 secondes. La retranscription s’annonçait particulièrement longue et je ne pouvais m’empêcher d’avoir une pensée pour ma fille qui était censée en assurer l’essentiel. Beau boulot ! Et je n’étais pas peu fier de mes questions qui, toutes, avaient suscité des propos enflammés la plupart du temps.

Ah, si, tout de même, je peux bien vous le dire parce qu’a priori, les dernières minutes de la conversation étaient hors sujet (enfin, pas tant que ça finalement) et, comme on dit, off the record : ce fut un bonheur d’entendre Henri Texier fulminer, déjà rhabillé et attendu par sa femme Josie venue nous rejoindre quelques minutes plus tôt, contre certains critiques de jazz qui émettent des avis définitifs sur un concert alors qu’ils n’ont pris le temps d’en écouter la musique que pendant une très courte durée. « Et nous, nous jouons trois heures, nous jouons pour ceux qui restent du début à la fin, il y en a même qui viennent plusieurs soirs de suite, de loin parfois. Un concert, c’est un tout ».

C’est donc en toute sérénité que nous pûmes nous installer tranquillement en compagnie d’une succulente côte de veau en croûte de tomme d’Auvergne, juste à côté, dans un restaurant appelé de la rue des Lavandières Sainte Opportune (à ce sujet, j’ai l’impression que les prix y ont bien flambé depuis deux ans, faut payer les travaux de rénovation, on dirait… mais bon, c’est pas le sujet), encore sous le charme de ce monsieur pas comme les autres. Moi, j’étais super content parce qu’il me semblait bien qu’Henri Texier avait lui aussi apprécié cette heure de conversation, d’autant que l’ami Kangou en avait rajouté une couche en lui disant que c’était toujours agréable pour un musicien d’être questionné par quelqu’un qui, visiblement connaît son sujet.

Oui. Bon ? C’est quoi le problème alors ? Parce que tu ne vas peut-être pas passer des semaines à nous raconter que tu as fait du bon boulot, que c’était vachement réussi, que tout le monde il est beau tout le monde il est gentil content. Tu crois que c’est avec ce genre de prose que tu vas capter plus que tes trois lecteurs quotidiens ?

Oh ! Hé ! Non mais ça va pas ? On n’est pas aux pièces, j’y viens… Car vous avez compris depuis longtemps, je n’en doute pas, qu’il y a eu un petit problème, une «couille dans le potage», comme dirait je ne sais plus qui (on s’en fout de toutes façons), dont j’ai pour l’instant omis de vous parler. Parce que tout au bonheur de l’heure passée et du bon plat qui m’attendait, arrosé d’un sympathique petit verre de Gaillac, je ne pus résister au plaisir de ré-écouter les premières secondes de mon précieux enregistrement.

Et là, ce fut le drame !

Saloperie de foutue connerie de bordel de merde d’appareil à la con ! Vous savez quoi ? Je glisse le petit disque dans le magnétophone, j’attends qu’il soit prêt à la lecture et que vois-je ? «Blank MD» ! Comment ça, blank MD ? Mais y a une heure de conversation dans mon mini disc ? Elle est où ? «Attends, pas de panique, me dit Kangou, c’est peut-être pas le bon disque.» Mais si, c’est le bon disque, j’en avais sorti qu’un seul de son emballage, ça peut pas être un autre. «Bon, tu sais quoi, me susurre Madame Maître Chronique, visiblement impressionnée par ma mine déconfite, on va tous essayer de rassembler nos souvenirs et tu vas écrire un texte autrement. C’est que les choses devaient se passer ainsi, c’est un signe. Je vais t’aider…» Je pense que je vais canoniser mon épouse dans un avenir proche. Plutôt que de se laisser aller à la soudaine et très brutale morosité qui m’avait gagné – je vous laisse imaginer quelle fut l’intensité du grand moment de solitude que j’ai connu pendant plusieurs minutes – elle possède en une fraction de seconde une solution de rechange, elle y croit dur comme fer, elle va me donner un coup de main, on se débrouillera autrement. Kangou n’est pas mal non plus dans le genre restons zen : « Bon, parlons plutôt de ton fils samedi dernier à Carmaux, il a été excellent ! Le concert de Présent fut vraiment le grand moment du Festival RIO. » Ah oui, mon fils, c’est vrai que ça avait l’air d’être bien pour lui ce soir là. Entouré de la bande des américano-belges de ce drôle de groupe dont j’avais acheté le premier disque bien avant qu’il ne soit né, j’ai cru comprendre que le concert s’était terminé par une longue ovation debout. Ben oui, vous avez raison tous les deux… Vous avez raison. Mais j’avais une heure d’enregistrement, j’avais déjà en tête tout l’enchaînement de mon travail d’écriture. Fait suer tout ça, en plus, je vais passer pour un branquignole, le mec qui paume une interview exclusive. Mais c’est pas de ma faute non plus, hein ? C’est le disque qui était défectueux, y avait un secteur endommagé, quelque part et quand la procédure d’écriture s’est enclenchée, ben elle a planté. Je vois pas d’autre explication.
 
Qui c’est qui avait raison ? C’est Maître Chronique ! Je vous avais bien prévenus avec ma traque au trac. C’était pas normal d’être angoissé de la sorte, y avait un truc maléfique qui planait au-dessus de ma tête. J’étais guetté par une force qui me voulait du mal, à moi et à personne d’autre ! Et ben voilà, en plein dans le mille : elle m’a flingué tout mon boulot, j’avais bossé comme un malade pour que tout soit nickel et eux, au-dessus, les malfaisants, ils claquent des doigts et tout disparaît. La suite… Ben, le concert fut chouette, avec ses trois sets qui nous ont emmenés jusqu’à 1h30 du matin, nous proposant de larges extraits du dernier album «Water Alert», mais aussi de «(V)Ivre» ou de «Holy Lola» ; Henri Texier, adorable, me disant qu’on pourrait s’arranger au téléphone, ; sa femme Josie venue bavarder avec nous, pour parler de ses enfants, de l’étonnante complicité entre son mari et son fils – Sébastien, saxophoniste et membre du Strada Quartet de son popa. Des gens extraordinaires et humbles tout à la fois. Tiens, pourquoi ne pas aller visiter tranquillement l’album photo en ligne de Kangou et découvrir de magnifiques portraits pris sur le vif durant cette soirée ?
 
Ensuite, ce fut le retour rue de Grenelle, tous ces jeunes alcoolisés dérivant dans les rues de Paris, canettes de bière ou bouteilles d’alcool à la main, un drôle de calme troublé de temps à autre par une sinistre auto-engueulade d’une jeune femme ivre, rue des Saint-Pères ou bien encore cette démarche vacillante d’un drôle de type, complètement saoul et écoutant de la musique avec son baladeur tout en chantant «Alegria ! Alegria ! Alegria !». A peine posé dans ma chambre, je pris les quelques notes d’urgence qui s’imposaient, histoire de fixer sur les papier les indispensables points de repères dont j’aurais besoin pour écrire mon texte. Il était 3 heures du matin.
 
Nous avions tout de même passé une sacrée soirée ! Mais c’est juré, promis, craché ! On ne m’y reprendra plus et j’ai déjà mis en place mon dispositif de sauvegarde le plus absolu, l’arme fatale, la baguette magique de la mémoire que le monde entier m’enviera très vite : un carnet et un stylo, que je confierai à Madame Maître Chronique, qui sera déléguée à la prise de notes. Au moins, elle, elle ne me fera pas le coup du «Blank Wife», elle a une mémoire d’éléphant, elle capte tout à la vitesse de l’éclair et je serai bien tranquille.
 
Connard de mini disc !

Commentaires

  • Et bien quel sale coup du sort!...Tes doutes semblaient bel et bien fondés...ça alors!...Ne serait-ce pas finalement un cadeau du ciel pour te faire prendre conscience de ta vraie capacité à rebondir et surtout à faire appel à ton incroyable mémoire d'éléphant pour te remémorer cette inoubliable rencontre et rédiger un pur article!...Affaire à suivre, et à lire!
    Et quel talent d'écriture encore une fois...quand t'attèles-tu à l'écriture de ton 1er roman?...

  • @ Marinella : j'apprécie les compliments qui sont toujours agréables. Et c'est étonnant de constater à quel point ils me font penser aux propos que me tient régulièrement Madame Maître Chronique, en particulier lorsque tu évoques le "cadeau du ciel". C'est ainsi qu'elle m'a remonté le moral vendredi soir. Je peux te dire qu'il y avait du boulot... Tout cela parce qu'elle a beaucoup plus confiance en moi que... je n'en ai moi-même ! Et pour ce qui est du premier roman... c'est une autre paire de manches...

  • Il y a des jours comme ça... Mais il y a aussi des gens qui font de la bonne musique et même quand les machines seront en panne, rien ne les empêchera de la jouer... Parfois c'est même mieux. Un jour, lors d'un concert de VDGG l'orgue/basse de Hugh Banton est tombé en panne. Le temps de réparer, Peter Hammill a joué tout seul avec sa guitare acoustique, et ce fut le meilleur moment du concert...

  • @ Quiet Man : ce que tu dis est très vrai. Mais pour ce qui concerne mon interview, c'est qu'à l'heure actuelle nous ne sommes que trois à avoir en tête la très belle musique des propos d'Henri Texier... et que j'avais prévu de les partager avec beaucoup plus de monde...

  • Voilà la vraie solution: la musique des mots. Plutôt que de les retranscrire fidèlement, il faut faire partager le ressenti, l'émotion, et je pense que ton minidisc personnel fonctionne encore de ce point de vue-là. Et puis tu dois savoir que la plupart des amateurs de musique(s) lisent les interviews en diagonale, ne s'arrêtant que lorsqu'ils rencontrent un mot-clé.
    (Sinon, pour info, JaPal et moi avons un dictaphone MP3...)

  • Ben oui, c'est la conclusion à laquelle nous sommes parvenus, Madame Maître Chronique et moi. Je vais profiter d'un aller-retour en train cette semaine pour commencer la rédaction de mon texte. Les mots-clés, ce sont précisément ceux que j'ai notés dans notre chambre dès que nous sommes revenus du Sunset.
    Pour le dictaphone mp3, vos conseils vont m'intéresser, j'en suis sûr !

  • Bonjour Maître Chronique et vous tous,

    Ho la la ! Quelle barbe...Je crois que j'aurais été folle de rage en fait. Car même avec des mots clefs, on perd le souvenir de phrases que l'on veut siter. Je ne sais que te dire car c'est vraiment embétant. Je suis vraiment désolée pour toi. Cela dit je ne doute pas que tu pourras quand même faire un article intéressant.

    Bon bonne journée le medium(sourire) et bonne journée à tous

    Marie Chritine

  • Si c'est vrai ce que tu dis, c'est vraiment triste... Il faudrait ... maintenant il est trop tard pour te donner des conseils. Mais il faut toujours penser au pépin.
    Bonne soirée en espérant que tu arriveras au bout de tes peines.

  • Bon, voilà... tout va rentrer dans l'ordre et c'est MMC qui avait raison. Après un gros boulot, mon interview est retranscrite, Henri Texier va relire le tout et apporter tous les correctifs et compléments qu'il souhaite.
    Je vais vous raconter tout ça demain, probablement...
    Merci à vous tous pour vos encouragements !

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