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Ferrov'hier (vies dédoublées)


Trois petits textes notés fugitivement hier sur un carnet, dans le train qui m'emmenait de Nancy à Paris.

Vendredi 10 mars 2005, 6h20, je suis dans le train qui m'emmène de Nancy à Paris. J'écoute "Moving", un CD du pianiste norvégien Bugge Wesseltoft : climats aux confins du jazz et de la musique électro, atmosphères délicates où quelques notes de piano semblent s'échapper d'un paysage brumeux. L'accompagnement idéal en cette nuit finissante. Et puis, c'est "Gare du Nord", une très belle composition qui me vaut cette étrange sensation d'entendre, à l'intérieur (car j'écoute cette musique avec des écouteurs) comme à l'extérieur le bruit du train, en un parfait dédoublement. Jusqu'à l'annonce vocale en français d'un contrôleur, dont je ne sais si elle est réelle ou enregistrée sur le disque. J'ôte alors mes écouteurs, la voix s'est tue... Elle provient de la musique de Bugge Wesseltoft, exactement synchronisée avec la situation que je vis réellement. Mais de là à dire que je mène une double vie...

Je dois rédiger pour un magazine dédié à la musique de Magma la chronique d'un concert du groupe, en l'occurrence celui de l'Olympia, le 27 janvier dernier. Même si je garde un souvenir exact de ces trois heures passées dans la fosse de cette salle mythique (bien que reconstituée à l'identique), je ne me prive pas du plaisir de rédiger mon texte en écoutant ce concert, qu'une âme charitable a bien voulu enregistrer "sous le manteau" et m'envoyer quelque temps plus tard sous la forme d'un double CD. Cette fois, il ne s'agit pas de deux vies distinctes dont les échos sonores viennent se superposer comme par magie, mais de la même vie, qui se répète à quelques semaines d'intervalle.

A quelques minutes de mon arrivée à Paris, ma voisine de train semble vouloir me demander quelque chose et me fait signe d'ôter les écouteurs qui diffusent la musique de Magma depuis près de deux heures. Elle ne veut pas rester sur la quasi certitude de me connaître et pense que, de mon côté, je ne l'ai pas reconnue lorsqu'elle m'avait salué sur le quai.
Oh la... et dire que je me pique d'être plutôt physionomiste... là, honnêtement, je sèche !
Elle pense m'avoir vu au Conservatoire ou peut-être à l'Ecole des Musiques Actuelles de Nancy. Tiens tiens, aurait-elle vu juste ? Je lui réponds donc et lui dis qui je suis, je lui explique que j'ai été Président de cette école, que mon fils en a été longtemps l'élève et qu'il y enseigne aujourd'hui le saxophone. Je la confirme donc dans son impression, elle m'avait bien identifié !
"Et moi, vous ne me reconnaissez pas ?"
Gasp... je la scrute un instant, je fouille dans mes souvenirs, je tente quelques rapprochements jusqu'au moment où une idée me vient à l'esprit : "Vous n'auriez pas été prof de piano à l'EMAN ?"
Bingo ! Oui, sauf que... je ne suis plus en présence de la même personne ! La dernière fois que je l'avais vue, elle était obèse, quasiment difforme, les cheveux tristement attachés en une queue de cheval, elle était vêtué de façon terne et anonyme et là... je revois une jeune femme au mieux de sa forme, épanouie, mince, qui a le temps de me dire sa joie d'être la mère de deux enfants, qu'elle revit, qu'elle éprouve des sensations totalement nouvelles comme la séduction, notamment dans le regard des autres, dans la rue ou lorsqu'elle chante sur scène ! Elle me raconte l'anecdote d'un de ses anciens élèves qui demandait de ses nouvelles alors qu'elle était juste à côté de lui et qui refusait de la croire lorsqu'elle lui disait : "Mais votre prof de piano, c'est moi !". Elle ne cache pas son plaisir de vivre ce genre de situations un peu surréalistes.
Décidément, ce voyage en train était vraiment placé sous le signe de la double vie : j'avais devant moi une personne qui me confiait qu'elle en vivait une deuxième, la seconde ayant chassé la première.

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