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L’histoire pas drôle de monsieur J.


J’ai un peu hésité avant de publier cette note, mais il est des rencontres qui vous laissent un peu abasourdis, et qui vous jettent en pleine figure la brutalité de notre monde. Alors je vous raconte en quelques lignes l’histoire de monsieur J.

Il s’appelle monsieur J., je conserve son anonymat, par délicatesse, parce qu’il vit des moments si pénibles qu’il n’aurait pas besoin d’une telle publicité. Monsieur J. était employé voici deux ans dans une grande surface culturelle où il avait la responsabilité du rayon des disques de jazz. Professionnel sérieux, on pouvait lui faire confiance pour vous donner de bons conseils, mettre en avant les disques qu’il appréciait et faire vivre au mieux les quelques bacs que son employeur lui laissait consacrer à la musique qu’il aimait. Car monsieur J, à ses heures perdues, était aussi clarinettiste. Monsieur J. allait se marier et être père de famille. Tout allait vraiment très bien.
Sauf que son agitateur d’employeur était un pingre et lui octroyait un salaire de misère après plus de 10 ans d’ancienneté. Monsieur J. décida donc de voguer vers d’autres horizons et se mit à travailler pour une compagnie d’assurance : beaucoup de travail, des heures qui ne se comptaient plus, un salaire multiplié par deux ou trois, jusqu’au jour fatidique où la future madame J. décida, quelques jours avant le mariage, de filer à l’anglaise, sans la moindre explication. Première déflagration.
Je garde le souvenir de monsieur J., quelques jours après cette brutale séparation : égaré dans une fanfare de jazz Dixieland… lors d’un mariage auquel nous étions conviés !
Monsieur J. tint bon, continua de travailler et devint même un excellent professionnel qui jouissait d’une très bonne réputation dans le secteur où il exerçait son métier. Les contrats pleuvaient, et monsieur J. put tout doucement remonter la pente et consacrer un peu de temps à son bébé de fils, qu’il lui était possible de voir régulièrement.
Monsieur J. engagea alors de l’argent pour prendre des parts dans une affaire, afin de mieux construire son avenir. Un emprunt, des mensualités avec, en retour, la promesse de nouveaux revenus.
C’était il y a trois ou quatre mois seulement.
Mais les «amis» de monsieur J. n’en étaient visiblement pas et ruinèrent ses espoirs en l’arnaquant… Deuxième déflagration.
Pas de revenus supplémentaires, des dettes à rembourser chaque mois jusqu'au jour où l’institution bancaire décida de bloquer ses comptes. Plus moyen de payer son loyer, plus d’argent pour mettre de l’essence dans une voiture devenue outil de travail et… plus de travail.
Démarches pénibles, expulsion malgré de nombreux appels lancés à un préfet sourd. Quelques amis pour l’héberger, lui permettre de prendre une douche et rester présentable aux yeux des autres.
Monsieur J. attend de pouvoir toucher quelques allocations, d’ici à deux mois et en attendant, erre dans les rues de la ville, les yeux brillants, l’haleine un peu chargée en alcool.
Tout s’est écroulé en quelques semaines, il ne peut même plus être un père épisodique car il n’a plus de toit.
Lundi soir, monsieur J. viendra sonner à la porte de mon bureau, nous parerons à l’urgence, la rédaction d’un CV, son impression en plusieurs exemplaires, je crois que nous collerons aussi des timbres sur les enveloppes car les timbres ne sont pas gratuits. Monsieur J. n’aime pas demander, en quelques secondes, ses yeux s’embuent de larmes et une présence, même discrète, est essentielle.
Parce qu’une troisième déflagration serait vraiment insupportable.

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