Voici une lettre que j'aurais pu adresser à Franck Tortiller, actuel directeur de l'Orchestre National de Jazz.
Cher monsieur Tortiller,
vous venez de publier le dix-neuvième opus d'une formation dite « institutionnelle », l'Orchestre National de Jazz, dont les 20 années d'existence ont vu se succéder, si mes comptes sont exacts, huit directeurs. Après François Jeanneau, Antoine Hervé, Claude Barthélémy (à deux reprises), Denis Badault, Laurent Cugny, Didier Levallet et Paolo Damiani, vous voici à la tête d'un orchestre réjouissant dont la récente production discographique me ravit à plus d'un titre !
Car en effet, malgré le parcours qui est le vôtre, malgré les diplômes et premiers prix que vous avez accumulés depuis plus votre plus tendre jeunesse en percussion, analyse musicale, harmonie et contrepoint, ... vous auriez pu, comme d'autres, vous réfugier dans une attitude musicologisante (un néologisme que je revendique car on y devine ce que le suffixe « gisante » accolé à la musique laisse subodorer d'immobilisme) et refuser d'ouvrir vos oreilles à certaines formes d'expressions musicales ne recevant en leur temps qu'un rictus condescendant de la part de tous les savants qui, déjà, s'étaient enfermés dans le doux refuge du conformisme et la célébration des valeurs établies. Or, armé de votre flamboyante quarantaine, vous nous faites un plaisir infini en nous proposant de relire à votre façon le répertoire d'un groupe mythique du rock des années 70, le grand Led Zeppelin. Un pari d'autant plus risqué que la bande à Jimmy Page et Robert Plant avait fondé sa renommée mondiale sur un cocktail explosif d'électricité, de guitare et de chant et sur un sens évident de la mélodie. Tandis que chez vous, point d'électricité, point de guitare, les voix n'affleurent que de temps à autre dans de courtes envolées qui ne sont pas sans rappeler celles de l'incontrôlable Médéric Collignon (musicien de la précédente mouture de l'ONJ), vous vous présentez nu, avec votre petite armée de percussions et de « souffleurs » inspirés... et votre talent !
Intelligemment intitulé « Close to Heaven », ce nouveau disque accomplit un miracle permanent : celui d'être lui-même sans trahir la musique qui l'a inspiré, il est comme une sorte de palimpseste jazz en transparence duquel les thèmes originaux sont toujours apparents, respectés, jamais dénaturés bien que profondément remaniés par des arrangements inventifs. Vous revisitez ainsi : « Black dog », « The rain song », « Dazed and confused », « Black mountain side », « Four sticks », « Stairway to heaven », « Kashmir » et « No quarter » et jamais notre attention ne se relâche. Est-ce dû à la pulsation colorée et tonique des vibraphones que vous vous partagez avec Vincent Limouzin ? A la présence constante de la contrebasse d'Yves Torchinsky ? A la toile rythmique tissée par Patrice Héral et David Pouradier Duteil, vos batteurs, que viennent enluminer le saxophone d'Eric Séva, la trompette de Jean Gobinet, le tuba de Michel Marre ou le trombone de Jean-Louis Pommier ? A l'énergie que tous, vous semblez avoir déployée pour nous offrir cette heure à haute concentration énergétique ? C'est un peu tout cela et bien d'autres choses aussi, ce sont tous ces petits détails que l'on découvre au fil des écoutes.
J'avais eu l'occasion, en octobre 2001, de venir vous écouter au Nancy Jazz Pulsations : vous étiez membre du Jazztet de Bernard Struber, qui interprétait ce soir-là une création dédiée au grand Franck Zappa (il me semble que cette dernière s'appelait « Zapp'Attac »). Entre marimbas et vibraphone, vous aviez illuminé cette soirée de toute votre élégance et j'attends depuis ce jour avec impatience le moment où je pourrai, à nouveau, participer à la fête que vous ne manquerez pas de donner. Avec l'Orchestre National de Jazz peut-être, ou dans un autre cadre, quelle importance ? Où ? Quand ? Je l'ignore aujourd'hui mais ce jour viendra, forcément. Puisque vous ne trichez pas avec la musique, ma confiance en vous est totale et je serai heureux de vous le dire de vive voix si l'occasion se présente.
En attendant, je savoure « Close to Heaven »... qui m'a redonné l'envie de me plonger à nouveau dans la discographie de Led Zeppelin, que je n'avais pas explorée depuis quelques années, faute de temps, mais aussi parce qu'il y a toujours tant de nouvelles aventures sonores à découvrir et que le temps passe si vite, malheureusement. Je suis donc sur le point de me ravitailler en « Black Dog », « Dancing Days », « Rock'n'Roll », « Stairway to Heaven », « Kashmir »... et tant d'autres inoubliables morceaux de bravoure ! J'imagine que vous ne m'en voudrez pas de délaisser un temps votre musique, persuadé au contraire que vous faites partie de ceux que l'on appelle les « passeurs », ces artistes qui ne cessent de jeter des ponts entre différents univers pour nous inciter, toujours, à rester en éveil. La meilleure preuve en est le second projet sur lequel vous travaillez avec l'ONJ et qui sera consacré... à la valse ! Je ne promets pas pour autant que je serai pris de l'envie irrépressible de me jeter sur « Le Beau Danube Bleu » après avoir découvert « Sentimental 3/4 », mais je sais que vous nous guiderez avec jubilation vers le monde du trois temps et que nous vous suivrons les yeux fermés... et les oreilles grandes ouvertes !
Un grand merci à vous.
Et pour en savoir plus : http://www.onj.org
Sans oublier, bien sûr : http://www.led-zeppelin.com/
Commentaires
Pour ceux qui n'aiment pas le jazz, il ya aussi le dernier CD de ROBERT PLANT & THE STRANGE SENSATION "Mighty Rearranger". Et avec un peu de chance, pour le même prix, on a 1 CD bonus live 11 titres, avec des reprises de "Black Dog", "When The Levee Breaks", "Gallows Pole" et "Whole Lotta Love". Pas mal, non?
Oh bah oui mon bon monsieur ! Il faudrait pour résumer tout cela une petite note entièrement consacrée à Led Zep !!! Et pour en revenir à l'ONJ, j'aurais pu ajouter que ce CD était une bonne occasion d'entrer dans un univers "jazz" (je mets des guillemets car, finalement, je ne sais pas trop ce que cela veut dire... c'est un monde tellement riche et diversifié) avec les clés du rock en main.
Cela dit, j'ai bien apprécié, en son temps, "Off Abbey Road" par le Mike Westbrook Band. Comme quoi quand le matériel et les interprètes sont de qualité, les barrières et les étiquettes n'on pas beaucoup de sens... et le plaisir est là...