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5 à 7

Le 29 juillet 1972, mes parents mirent le cap sur Crépiat, un petit hameau de la Creuse, là où habitait ma grand-mère maternelle qui venait de partager notre quotidien depuis plusieurs mois. Elle était parmi nous depuis le 17 avril de cette même année et ce fut, je crois, la dernière fois que je la vis. En réalité, ces dates sont aussi pour moi des points de repère musicaux car elles correspondent à deux achats qui, chacun, ont leur importance ! Le 17 avril en effet, je fis l'acquisition de « Mardi Gras », le dernier (et dispensable) album studio de Creedence Clearwater Revival qui marquait alors la fin d'une époque (cf. la note de ce blog intitulée « Fortunate John ») tandis que le 29 juillet, je me précipitais chez mon disquaire favori pour ajouter une nouvelle galette à ma collection naissante : « V », du groupe Chicago. Un disque charnière dont je me rends compte aujourd'hui qu'il est essentiel dans mon parcours d'initiation musicale et que je continue d'écouter avec une régularité que je n'aurais peut-être pas imaginée ce jour-là, alors que je n'avais que 14 ans.

Forcément – tout cela va vous paraître répétitif – c'est mon frère qui m'avait fait découvrir ce groupe américain dont la musique, bourrée d'énergie jusqu'à la gueule, reposait sur un savant cocktail alliant la précision d'un trio de souffleurs hors pair (James Pankow, Lee Loughnane et Walter Parazaider), la rage électrique d'un guitariste exceptionnel (Terry Kath), l'élégance presque british d'un pianiste arrangeur (Robert Lamm) et les incursions plus « variétés » du bassiste chanteur Peter Cetera... auxquels on ne manquera pas d'ajouter l'excellent batteur et inventif percussioniste Danny Seraphine. Avec Chicago et ses sept musiciens, on naviguait dans l'océan d'une musique où les influences du jazz venaient se fracasser avec bonheur sur le blues et le rock, un régal pour toute oreille avide de brassage et de mariages heureux. Avec Chicago (qui s'appelait à l'origine Chicago Transit Authority, nom de la compagnie de transport de la ville), on était servi... et bien ! Le groupe alignait des albums doubles, identifiables facilement par un numéro qui leur servait de titre :  trois monuments pour commencer avant de nous servir une somme live sous la forme d'un... quadruple trente-trois tours (aujourd'hui réédité avec une heure de musique supplémentaire, je dis cela au cas où...). Tout ceci entre 1967 et 1971, quatre années d'une productivité phénoménale et de succès mondiaux dont les plus célèbres furent « Questions 67 and 68 » et « 25 or 6 to 4 ». Mais surtout, je crois maintenant pouvoir affirmer que c'est avec Chicago que j'ai pu faire entrer les sonorités du jazz dans mon propre univers. Jusque là, la musique s'appelait rock, elle devait être guitare, basse et batterie, parfois piano aussi. Mais j'étais peu sensible aux appels de la trompette, du trombone, de la flûte ou du saxophone ! Etonnant quand on sait que mon propre fils est saxophoniste et que, peut-être, sa vocation est en partie née du fait que depuis sa naissance, il a dû subir des heures et des heures durant lesquelles John Coltrane était au centre de bien des explorations. Mais oui, j'en suis sûr maintenant, c'est avec Chicago que ces instruments sont devenus pour moi de vrais compagnons de route...

On en était là, en ce jour de juillet 1972, avec ce Chicago foisonnant et nous livrant chaque année ses objets à faces multiples quand fut annoncée la parution d'un numéro 5... sous la forme d'un album simple ! Sacrilège ? Perte d'inspiration ? Changement de cap ? Car en effet, 45 minutes de musique n'étaient probablement pas l'écrin idéal pour de longues chevauchées comme celles des galettes précédentes ! Il y avait chez moi une vraie fébrilité d'autant que jusqu'à ce jour, je m'étais contenter de « resquiller » dans la chambre de mon frère et d'écouter cette musique qui commençait à me passionner. J'allais donc acheter mon premier disque de Chicago et, en vertu du fait que l'absence de mes parents facilitait grandement le rapatriement de l'objet à la maison (cf. « La stratégie de l'arbre à disque »), je mis à profit leur excursion creusoise pour dépenser ce qui me restait d'argent de poche (après l'achat du magazine « Best »...).

Un disque en bois ! Ou presque... Une épaisse double pochette imitant ce noble matériau, dans lequel était sculpté le nom du groupe, dans la typographie que nous lui connaissions bien. Et puis... plein de cadeaux : de beaux portraits individuels de chacun des musiciens (très vite accrochés au mur de ma chambre) et un grand poster du groupe (même destination murale, évidemment), une jolie galette de vynile enveloppée dans une pochette avec toutes les paroles, dont l'épaisseur appartenait à la fin d'une époque puisque dès l'année suivante, le choc pétrolier conduisit les industriels de tous poils à de sévères économies allant jusqu'à atteindre nos si chers disques, qui firent une étrange cure de minceur et de souplesse. Mais... ceci est une autre histoire, évidemment. Et puis... la musique ! De déception il n'allait pas être question, loin de là ! Chicago nous avait inventé un véritable concentré de musique et proposé un répertoire homogène et généreux dont je compris instantanément qu'il était un grand crû ! « A hit by Varese », « All is well », « Now that you've gone », « Dialogue », « While the city sleeps », « Saturday in the park », « State of the union », « Goodbye », « Alma mater »... Pas une seconde de répit, que du bon, que du bon... D'ailleurs, pour être très franc et malgré l'excellence d'un disque comme « VII » paru deux ans plus tard, jamais Chicago n'a, à mon sens, retrouvé cette tension, cet équilibre miraculeux entre énergie, précision des arrangements, inventivité des mélodies et cohésion des sept musiciens. Ils ne faisaient qu'un seul homme et je tenais là une perle que je conserve précieusement, tellement chargée de souvenirs et si symbolique d'un virage que j'amorçais, avant la découverte d'autres univers dont je parlerai un jour. Je suis éternellement redevable aux musiciens de Chicago de m'avoir donné les clés d'une grande maison dans laquelle je n'osais pas rentrer et dont ils m'ont facilité l'accès grâce à une sorte d'oecuménisme musical qui était leur marque.

Chicago existe toujours, seuls Robert Lamm et les trois soufflants sont toujours là, on annonce même la prochaine parution d'un « XXX », c'est tout dire. Mais je dois bien avouer que la groupe a cessé d'exister pour moi depuis ce jour tragique de l'année 1978, le 23 janvier précisément, (nous en étions alors au volume « XI » paru l'année précédente) où l'admirable Terry Kath – celui à qui Jimi Hendrix vouait une grande admiration et qui, lui-même, adorait Hendrix auquel il rendit hommage sur « Chicago VIII » avec « O Thank You Great Spirit » – quitta brutalement cette bonne vieille Terre après un stupide jeu de roulette russe avec un pistolet qu'il pensait vide... Chicago ne pouvait plus être Chicago, les musiciens avaient même d'ailleurs fait savoir aux débuts du groupe qu'ils se sépareraient si l'un d'entre eux devait quitter l'aventure, c'était comme une trahison, un reniement. Sacrilège supplémentaire : le premier disque enregistré par Chicago sans Terry Kath ne portait plus de numéro, mais un banal titre comme tant d'autres albums : « Hot streets » !

Alors, à doses régulières mais toujours aussi bienfaisantes, je m'injecte méthodiquement mes si belles minutes de Chicago, je me sens toujours bien avec mes vieux compagnons et je repense à ce jour où j'avais en mains depuis quelques secondes cet objet en faux bois, à peine extirpé du rayon de disques et plein de promesses largement tenues depuis ! J'avais quatorze ans... peut-être dans un coin de ma tête les ai-je toujours un peu...

Le site officiel de Chicago : http://www.chicagotheband.com

Commentaires

  • Ah, j'ai appris quelque chose ! Je croyais que l'un des albums s'appelait "transit authority" (celui avec le mythique premier morceau). En fait, c'est leur nom complet. Ahhhh woook...grâce à toi, ma culture s'enrichit !

  • Tu as peut-être découvert Chicago grâce à ton frère, mais par des disques qu'il empruntait à son ami Phil (lui-même depuis converti au jazz). Et lui-même (le frère) n'acheta son premier Chicago qu'entre Noël et Nouvel an 1972 dans ce petit magasin de la rue Chaussée: c'était le fameux coffret live...
    Ah... "Questions 67 & 68", "I'm a man" (merci Stevie), "Does anybody really knows what time it is?"... Quelle belle époque!!!

  • @JPADPS : c'est un peu mon principe de vie en fait... Essayer de m'enrichir des autres et, si je le peux, modestement, enrichir à mon tour...

    @Quiet Man : oh, je savais bien chez qui tu avais connu Chicago, mais c'était mieux que tu le dises toi-même, non ? Quant à ce cher Phil, passionné parmi les passionnés et qui a su traduire en actes son amour pour la musique, si on faisait un peu de pub pour lui ? http://perso.wanadoo.fr/improjazz/

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