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Sur le chemin d'Eric

Profitant du nouvel aménagement de mon grenier, je m'attelle à un classement un tant soit peu rigoureux de mes disques et des magazines de musique qu'il m'arrive d'acheter. Et c'est en mettant un peu d'ordre dans ma collection de Jazzman que j'ai relu la chronique d'un disque qui m'avait, pour parler trivialement, mis en pétard au moment où je l'avais découverte. Chronique d'une humeur annoncée, comme disent les journalistes quand ils ne parviennent pas à trouver un titre à leur article. Ce qui démontre également que j'aurais tout aussi bien pu ranger cette note dans la catégorie « Humeurs » au lieu de « Musique »...

C'est dans le numéro 111 de Jazzman, daté de mars 2005, qu'on trouve sous la plume de Franck Bergerot la critique de « My favorite songs », le CD live tout juste publié par le saxophoniste Éric Barret. Je cite : « Est-ce la prise de son ? L'imperfection des arrangements ? Le manque de répétitions ? Une distribution inadéquate ? Ça swingue, ça respire, ça sonne comme un brouillon encore très inabouti. A-t-on voulu garder le souvenir d'une aventure sans lendemain ? Il y a comme un aveu de semi-échec dans cette livraison prématurée. »

Et puis quoi encore ? Soyons clairs... Tous les goûts sont dans la nature, tout chroniqueur a le droit d'aimer ou non tel ou tel disque et de le faire savoir. Mais pourquoi un tel acharnement à démolir un travail qui est très probablement un témoignage signifiant dans le déjà long parcours d'un musicien exemplaire ? Et de quel droit juger de l'imperfection des arrangements et de la qualité de la distribution ? Ce journaliste a-t-il mieux à nous proposer ? Peut-être cet enregistrement n'est-il pas le « Kind of Blue » de l'année 2005, peut-être aussi doit-on se souvenir du proverbe : « Qui aime bien châtie bien », mais cette façon de balayer en quelques lignes le travail d'un artiste que l'on ne peut soupçonner de la moindre compromission avec je ne sais quel système laisse un goût plutôt amer. D'où cette impression, désagréable, que les croche-pieds les plus inattendus vous viennent parfois de ceux qui se disent vos amis.

Car enfin, quelle faute impardonnable Eric Barret a-t-il bien pu commettre pour voir le compte de sa dernière production ainsi réglé en quelques phrases ? Se serait-il lié les pieds et les poings avec des médias qui nous auraient conséquemment abreuvé de sa musique jusqu'à plus soif et écoeurement, moyennant je ne sais quelle transaction financière avec une « major » complice ? Serait-il le chouchou de ces radios FM dont la programmation dégouline dans les tympans d'une foule consommatrice cible des dernières trouvailles du marketing le plus cynique ? Aurait-il forcé la porte de nos grandes chaînes de télévision "populaires" pour devenir le membre attitré d'un jury chargé de fabriquer le prochain génie chantant de la décennie, juste avant son inexorable plongeon dans l'oubli ? Aurait-il reçu une récompense injustifiée et médiatique lors d'un palmarès annuel ? Se serait-il, ne fût-ce qu'une seule fois, laissé abuser par un courant musical à la mode, au détriment de la cohérence de sa démarche personnelle ? Rien de tout cela. La musique d'Eric Barret évolue dans une certaine confidentialité – inhérente à ses choix artistiques, probablement – au point que la plupart d'entre vous n'ont jamais entendu parler de lui. J'ai la chance de connaître un peu ce monsieur. D'abord parce que je l'ai déjà vu sur scène (j'ai le souvenir d'un très bon concert en trio avec le guitariste Serge Lazarévitch et le batteur Joël Allouche), ensuite parce que je possède quelques uns de ses disques, dont le magnifique « New Shapes » ou encore « Linkage », très beau duo avec le batteur Simon Goubert dans ce qui ressemble fort à un hommage à un autre duo, celui formé par John Coltrane et Rashied Ali en 1967 pour la session « Intersellar Space ». Enfin, parce qu'ayant été le professeur de saxophone de mon Saxoman de fils durant plusieurs années, j'ai ouï dire de ses qualités de pédagogue et pour l'avoir rapidement côtoyé, je sais que l'homme est discret, sincère et... bourré de talent, toujours en recherche ! Et puis, pour l'histoire, souvenons-nous qu'en 1985, alors qu'il n'était âgé que de 26 ans, Éric Barret enregistrait un disque en trio avec Henri Texier et Aldo Romano, excusez du peu. C'est aussi à cette époque qu'on pouvait l'écouter au Sunset comme invité du très coltranien trio de Christian Vander (avec Michel Graillier et Alby Cullaz). Alors si « My favorite songs » (un titre clin d'oeil à Coltrane, une fois encore, car qui n'a jamais entendu parler de « My favorite things », l'un de ses disques les plus célèbres ? Vous, là, au fond de la classe ? C'est bon, passez me voir à la fin de l'heure, merci.) n'a pas l'heur de recueillir l'adhésion totale d'un chroniqueur musical, pourquoi passer ainsi sous silence ce qui fait l'intérêt de ce disque et appuyer sur ce qui semble à première vue une série de faiblesses ? Je l'ignore et j'éprouve ici le besoin de redresser une barre que j'estime injustement tordue !

Avec ce disque, Éric Barret voulait d'une certaine manière nous raconter le début de son éducation musicale et s'en explique d'ailleurs très simplement sur la pochette. Il reprend à son compte des chansons ou compositions qui ont bercé son enfance et son adolescence : chansons de Léo Ferré (La vieille pèlerine, L'amour fou, E.P. Love, ...) mais aussi de Jacques Brel (Quand maman reviendra), d'Henri Salvador (Syracuse) ou de Léonard Cohen (Suzanne) ; aux côtés desquelles on peut trouver une reprise du splendide « Islands » de King Crimson et de « O Caroline » de Matching Mole, le groupe fondé par Robert Wyatt après son départ de Soft Machine. Entouré de six complices (parmi lesquels figurent les excellents Pierre-Olivier Govin aux saxophones, Éric Löhrer à la guitare et Benjamin Moussay au piano), Éric Barret se livre à nous sans fard, sans affectation, et surtout sans tricherie dans la simplicité d'une salle qu'on devine petite en écoutant les maigres applaudissements. On est là dans un cercle intime, Éric Barret nous raconte son histoire comme d'autres, autrefois, évoquaient leurs souvenirs d'enfance au coin du feu. Un point c'est tout. Pas d'effets de manches, pas de surproduction cache-misère d'un manque d'inspiration, juste une heure de musique sincère et chaleureuse. Il faut, parfois, savoir ne pas demander plus à un artiste et considérer chacun de ses actes pour ce qu'il est : un caillou supplémentaire sur un chemin dont les contours ne sont pas forcément dessinés à l'avance.

En lisant les notes du CD, j'ai été intrigué par la conclusion du texte écrit par Éric Barret et certaines phrases dont, fugitivement, j'ai cru qu'elle m'appartenaient : « Je découvris au début de l'adolescence la musique pop anglaise et ses passionnants musiciens tels Robert Wyatt et Robert Fripp. Là encore, j'appréciai leurs talents de mélodistes. C'est la musique anglaise, en pleine explosion dans le milieu des années 1970, qui m'amena sans que je m'en rende compte au jazz. Ce furent les groupes anglais Yes, King Crimson, Soft Machine, ensuite la fusion, Mc Laughlin, Weather Report, Zappa puis le jazz, Miles, Coltrane... ». Hé ! Ho ! Mais c'est moi ça !!! C'est mon histoire. Oui, euh... sauf que la conclusion est assez différente, ma foi, et pas à mon avantage : « Et finalement le saxophone pour moi, le début d'un autre apprentissage... ». Oui, parce que là... je suis plus à la hauteur du tout, mais plus du tout ! Tout au plus capable d'extirper deux notes d'un harmonica lorsque j'avais cinq ans. Et depuis, silence radio, passez votre chemin, messieurs dames... Heureusement que ma descendance a relevé le niveau, parce que là, j'étais définitivement écrabouillé, ridiculisé.

Il me reste cependant une toute petite arme pacifique dont j'essaie de me servir au mieux pour aborder deux ou trois sujets qui me tiennent à coeur et raconter ici ou là quelques histoires anodines. Et je crois qu'Éric Barret méritait bien que je la dégaine pour défendre sa cause !

Commentaires

  • C'esy bien de prendre sa plume virtuelle pour rétablir une injustice. C'est bien aussi de citer l'auteur, peut-être un musicien frustré qui ne parvenait même pas à sortir 2 notes d'un harmonica. Et puis c'est pratique, comme il est parfaitement inconnu, il ne sera même pas besoin de le boycotter...

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