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Renaud GARCIA-FONS ou la musique élégante

C'est en regardant l'émission « Séquences jazz » sur la chaîne Mezzo en début de semaine – merci à toi, Mr Monstrueux d'avoir allumé le téléviseur au bon moment et d'avoir fait ce bon choix, c'est tout de même mieux que Comédie, non ? – qu'après avoir pu constater avec étonnement que le batteur jouant « Impressions » de John Coltrane aux côtés d'un Didier Lockwood pas très inspiré, à Vienne au mois d'août 2004, n'était autre qu'un certain Christian Vander, qu'une musique familière est venue chatouiller mes oreilles, celle d'un grand monsieur, le contrebassiste Renaud Garcia-Fons jouant avec les deux complices de son actuel trio, Kiko Ruiz (guitare) et Negrito Trasante (percussions).

Avec cette note, je souhaite aussi adresser un clin d'oeil à mon ami Michel V., dont la passion pour la Musique (j'écris volontairement ce mot avec une majuscule) est intacte et toujours aussi débordante. C'est lui qui, voici pas mal d'années maintenant, m'a guidé sur les pas de nombreux artistes que je connaissais peu, voire pas du tout et qui tous, sans exception, se sont avérés pour moi de nouveaux compagnons de route. Je lui dois mes rencontres, entre autres, avec Henri Texier, Louis Sclavis ou le très grand Michel Portal. Renaud Garcia-Fons fut un beau jour l'objet d'une de nos conversations toujours enflammées...

Il faut tout de même que vous imaginiez un peu la scène... Avec Michel V., on est dans une autre dimension, car la musique n'entre pas chez lui dans le cadre d'une simple distraction, c'est un univers dans lequel il faut pénétrer avec respect, c'est un art majeur. Pas étonnant que nous soyons faits pour nous entendre ; avec lui, il faudrait, en quelques minutes, pouvoir tout écouter d'un seul coup, car le temps nous semble toujours compté, alors on met un premier disque sur la platine, on s'en délecte, puis, forcément, on pense à un autre et on change, et ainsi de suite, jusqu'à en avoir comme un tournis sonore assez unique ! Ça n'arrête pas, le feu d'artifice a commencé. Mais ces enchaînements frénétiques sont encore moins redoutables que les batailles de « blind tests » que nous nous livrons de temps à autre, dont le principe très simple consiste à faire deviner à l'autre ce qu'il donne à écouter, en souhaitant sans le dire le piéger, bien sûr ! Ou bien, c'est le contraire et un certain recueillement est de mise : Michel V. nous convie chez lui, ordre nous est donné de nous asseoir sur le canapé, à la place centrale positionnée rigoureusement à mi-chemin entre les deux hauts-parleurs et là, après un minutieux réglage des basses et des aigus... on ne bouge plus, on écoute ! C'est exactement de cette façon que j'ai pu entendre pour la première fois Renaud Garcia-Fons, c'était le disque « Oriental Bass », pour être précis.

Vous m'aurez pardonné, j'en suis certain, cette nouvelle parenthèse digressive, mais je la crois nécessaire pour vous faire vivre à mes côtés cette fièvre qui vous gagne dans ces instants de découverte. Oreilles grandes ouvertes, vous êtes disponible pour connaître – ce que j'oppose à reconnaître – et vous apprenez, vous ajoutez un nouveau livre à votre bibliothèque intérieure, s'il le faut, vous devez même créer un nouveau rayonnage. Vous mesurez avec bonheur l'étendue de votre ignorance, certes, mais vous avancez un peu, ces quelques pas vous aident à rester debout et vivant.

Concernant Renaud Garcia-Fons, parlons de lui tout de même puisqu'il est le sujet de ce texte, je serais bien en peine de vous proposer une quelconque classification musicale. La manie des étiquettes, sport franco-français, n'est pas mon fort et je ne saurais vous fournir ici que quelques indications géographiques ! D'origine ibérique, notre contrebassiste à cinq cordes puise une très grande partie de son inspiration du côté des rivages de la Méditerranée. L'Espagne forcément, mais aussi le Maghreb et le reste de l'Afrique. A travers tous les voyages qu'il nous propose – et à cet égard l'album « Navigatore » publié en 2001 est une bonne initiation puisque Renaud Garcia-Fons nous emmène avec lui pour un tour du monde à bord de sa Caravelle et nous donne aussi à entendre des musiques d'origine celtique ou d'Amérique du Sud – nous sommes conviés à l'ouverture vers l'Autre, sans restriction. Nous sommes là au coeur d'une démarche artistique universelle, peut-être même sommes-nous en présence de ce que l'on devrait considérer comme cette « world music », ouverte à tous les brassages, dont on nous rebat les oreilles dès lors qu'un chanteur ou musicien occidental s'empare d'un instrument un tant soit peu exotique à nos tympans formatés. Il est toutefois une condition nécessaire à la musique de Renaud Garcia-Fons : il faut que le soleil brille ! Méditerranée, quand tu nous tiens...

Mais le plus remarquable est ce sentiment qui vous gagne et vous fait croire que la musique de Renaud Garcia-Fons est accessible à toutes les oreilles, qu'elle ne nécessite aucune « initiation » particulière. Elle coule d'évidence, de simplicité et d'élégance, sans pour autant être dénuée d'une bonne dose de virtuosité. Un heureux mariage entre simplicité et créativité, sans complexe. Peut-être aussi une certaine définition de l'exigence.

Il y a quelques années, j'avais eu la chance d'assister à un concert de Renaud Garcia-Fons dans la magnifique salle de l'Arsenal à Metz. Entouré de cinq ou six musiciens – ma mémoire me fait défaut, je me souviens seulement de la présence des deux actuels membres de son trio à la guitare et aux percussions – le contrebassiste avait déroulé son magnifique tapis musical durant 90 minutes qui sont passées à la vitesse de l'éclair. Sa présence physique discrète contrastait étrangement avec la force du propos et une certaine manière de se tenir bien droit, un peu fièrement – tel le toréador ? – et nous étions sortis comme hébétés après avoir reçu ce que j'appelle un peu religieusement une offrande. Pas une seconde de tricherie, un talent fou et toujours ce brassage harmonieux, partant d'une introduction en solo aux intonations classiques pour aller jusqu'aux sonorités rock d'une contrebasse électrifiée et gémissant un magnifique chorus à l'archet. Renaud Garcia-Fons, encore un passeur, un de ces artistes trans-courants dont nous avons tant besoin.

Il n'y a rien à jeter dans la discographie de Renaud Garcia-Fons, c'est un parcours jusque-là sans faute et c'est avec bonheur que l'année 2006 a vu la publication d'un beau disque live, « Arcoluz », doublé d'un DVD. Peut-être pourrais-je vous recommander de commencer votre voyage avec lui en écoutant « Oriental Bass » ou « Navigatore » ? Mais si vous vous prenez au jeu, vous constaterez bien vite chez vous monter le besoin pressant d'en écouter un peu plus, et un peu plus encore.

C'est donc le moment de commencer...

Discographie :
- Légendes (1993)
- Alborea (1995)
- Oriental Bass (1997)
- Fuera (1999)
- Navigatore(2001)
- Entremundo (2004)
- Arcoluz (2006)

On peut se procurer directement tous ces beaux disques sur le label Enja

On écoute ?
Un petit bonus avec cet extrait de "Navigatore", que l'on trouve sur l'album éponyme.

Commentaires

  • Le son (pas la mélodie, hein, attention) est un petit peu kitchounet dans cet extrait. Mais je suis aveuglément (sourdiquement ?) Maître Chronique et je commande Oriental Bass au plus vite !
    Merci Michel V. et Merci Maître Chronique.

    Personnellement, j'ai un petit souci phonique avec la clique à Texier depuis l'achat d'un double CD de Texier drôlement expérimental d'un côté / avec un orchestre classique de l'autre côté. Je n'avais aimé ni l'un ni l'autre. Et ma seule et fine attache étant que Julien Lourau commença chez lui... J'ai largué les amarres et laissé tomber.
    Louis Sclavis je ne connais que l'album sur le thème de la danse qui m'avait bien plu.
    Quant à Portal, c'est une sommité du jazz dans le monde des amateurs de Jazz. Je ne le trouve pas très accessible (dois-je dire ici que je n'aime pas du tout Steve Coleman et notamment sa performance nancéienne la plus récente... Pas mon truc du tout en fait). Je crois qu'à part Coltrane, la sophistication expérimentale du jazz a ses limites dans mes pavillons acoustiques.

    Maître Chronique, ne faudrait-il pas une chronique pour chacun de ses musiciens ?

  • @Willmanx : si, absolument, c'est prévu. En attendant, je me permets quelques recommandations :
    > Henri Texier : An Indian's Week (93), Mozaïc Man (98) et Mad Nomads (95) (ce dernier disque avec Julien Lourau et le très bon guitariste Noël Akchoté). Le disque dont tu parles s'appelle "String's Spirit", avec la collaboration de Claude Barthélémy. Ce n'est pas son meilleur, effectivement. Je ferai une note sur lui car j'ai la chance de le connaître personnellement.
    > Louis Sclavis : Napoli's Walls, brillantissime, avec Médéric Collignon et ses vocaux étranges. Mais aussi, plus ancien, "Chamber Music".
    > Michel Portal : Turbulence

    Oriental Bass : excellent choix. Quant à l'extrait sonore, il est le début du voyage qui commence par des rappels celtiques, c'est peut-être ça ce que tu ressens comme "kitchounet". Et j'ai pas mal dégradé volontairement le son. Sur une chaîne, ça claque comme un drapeau. Et si tu aimes les influences espagnoles, fonce sur "Arcoluz" (avec le DVD en prime).

    Steve Coleman : j'ai toujours ressenti un certain ennui pendant ses concerts, et pourtant ses disques sont souvent magnifiques.

  • merci pour les tuyaux. Je vais retenter du texier avec ces conseils.

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