On a peut-être deviné en survolant mon blog que je reste un vieux nostalgique de la série télévisée «Les Brigades du Tigre», qui avaient distillé ses 36 épisodes pétaradants entre les années 1974 et 1982. Je reviens aujourd'hui encore très régulièrement avec un grand plaisir vers cette reconstitution historique et parfois faite de bric et de broc, animée par les personnages du flegmatique Commissaire Valentin flanqué de ses deux acolytes, les inspecteurs Pujol et Terrasson. Je m'y sens bien, j'ai l'impression qu'avant de me raconter une histoire policière on me rappelle l'Histoire tout court, celle du début du Xxe siècle et de la naissance de la police scientifique, sous l'impulsion de Georges Clémenceau, dit le Tigre. Aussi étais-je assez impatient de voir comment le réalisateur Jérôme Cornuau avait bien pu cuisiner cette délicieuse pâtisserie qu'était pour moi un « feuilleton Madeleine de Proust »...
« M'sieur Clémenceau
Vos flics maintenant sont dev'nus des cerveaux
Incognito,
Ils ont laissé leurs vélos, leurs chevaux.
Pendant c'temps là dans les romans,
Certains nous racontent comment
Faire un casse tranquill'ment
Pour tuer le temps,
J'voudrais les y voir,
A notre place pour n'pas en prendre pour vingt ans ».
La chanson du générique a disparu... Il ne reste plus que la musique, signée Claude Bolling. Il paraît que le texte était daté, trop vieillot. Ah bon ? Pourtant, tout y était dit : l'obligation faite à la police de vivre avec ce nouveau siècle et d'employer des méthodes modernes pour rivaliser avec les gangsters de tous poils. Soit. Nous sommes en 2006, surtout ne pas bousculer le public en adoptant un style et un rythme un peu différents... Lui proposer le formatage contemporain.
Qu'on me comprenne bien : les 127 minutes de cette édition cinématographique des « Brigades du Tigre » sont le fruit d'un beau travail, la réalisation est soignée, la distribution quasi parfaite. Quoique... Allez savoir pourquoi, j'aurais permuté les rôles de Clovis Cornillac, que j'aurais plutôt vu en Jules Bonnot et de Jacques Gamblin, qui aurait fait un excellent et impassible Commissaire Valentin. Edouard Baer est un très bon Pujol - même si très différent de l'original - et Olivier Gourmet nous propose une interprétation... gourmande de Terrasson. Gérard Jugnot fait un bon commissaire Faivre, bien qu'il lui manque à l'évidence une certaine présence paternelle que son prédécesseur François Maistre avait parfaitement restituée. Tout est en place pour une histoire dédoublée (était-ce vraiment utile ? n'aurait-on pas pu avec profit se concentrer sur l'histoire de Bonnot au lieu de fusionner ce qui, au départ, étaient deux épisodes distincts à la lisière desquels se trouve l'actrice Diane Kruger ?) mais... raah, je dois être un vieux con, ça ne passe qu'à moitié ce nouveau millésime... D'abord c'est un peu long – la scène de la mise à mort de Jules Bonnot est interminable, il y a également un match de boxe qui vient un peu comme un cheveur sur la soupe – et puis, concession à notre époque racoleuse, il faut que la crudité des images violentes vous saute à la figure aussi souvent que possible. Quand un mec est zigouillé, on a le temps d'admirer ses plaies béantes, on entend bien le couteau qui fait pchoui-gloup-bloumpf dans les entrailles, une bonne dose de vitriol laisse de belles purulence sur le visage des dames, le sang coule abondamment, les combats sont brutaux et les protagonistes s'échangent des ramponnauds d'une telle force que le premier d'entre eux aurait de quoi vous expédier ad patres en une fraction de seconde. Mais ils se relèvent souvent – beaucoup trop souvent, au point que l'on se demande si l'intrigue intéresse vraiment le réalisateur. On dirait aussi qu'il a fallu contourner au maximum l'aspect un peu cucul la praline qui faisait tout le charme de la série initiale : les poursuites en voiture sont quasi absentes du film, même si Jules Bonnot parvient à distancer à vélo le Commissaire Valentin au beau milieu d'un marché. Et puis, on aurait aimé que «Les Brigades du Tigre» nous replonge dans ce qui fut une époque charnière pour les policiers : l'apprentissage de nouvelles techniques de combat – ici évoquées par le biais d'une scène répétitive où Terrasson expédie mécaniquement ses adversaires au tapis – et de méthodes scientifiques passionnantes dont les techniques anthropométriques et le travail réalisé sur les empreintes digitales ainsi que la création d'un fichier central. Non, en 2006, ce n'est plus le problème, il faut que ça castagne, que ça tue... Même la complicité des trois personnages principaux est plutôt mal rendue : Pujol a perdu son humour, il est devenu un personnage plutôt cynique, Valentin est maintenant une sorte de Titi gouailleur derrière lequel on ne reconnaît plus le personnage un peu opaque qu'incarnait Jean-Claude Bouillon.
Mouais... Oh, je dois vraiment être un vieux con mais je peux vous avouer qu'en sortant du cinéma, je n'avais qu'une seule envie : regarder n'importe lequel des épisodes de ce feuilleton mythique déjà disponibles en DVD. Parce que je ne reconnais pas mes «Brigades du Tigre» dans ce film. Les miennes étaient plutôt bon enfant, un peu plus instructives aussi... Ah, s'instruire... encore un vilain gros mot à ne pas mettre entre toutes les mains... Et le premier qui me dit que je suis un «nostalgique régressif» se prend une baffe... car il se trouvera bien un magazine branchouille bobo pour le penser...
Commentaires
J'imagine que tu connais déjà, mais l'émission 2000 ans d'histoire sur Inter en a aussi fait son sujet :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-inter01/emissions/histoire/fiche.php?did=42478
ça ne reste pas en ligne longtemps.
Il y a ausi un numéro spécial d'Historia.
Ah c'est vrai ça, je viens de voir ce numéro d'Historia que je vais m'empresser d'acheter d'ailleurs. Merci pour l'info, Mr Thousand Legs !