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  • Calendriers

    Le 30 juin est pour moi une drôle de journée. Depuis quatre ans surtout.

    Le 30 juin, c'est l'anniversaire de ma fille, qui compte aujourd'hui 25 printemps et dont je me rappelle les premières heures avec une précision étonnante : minuscule petite crevette, toute calme, déjà très studieuse au premier jour lorsqu'elle suivait les mouvements de ma main devant la fenêtre de la chambre de la maternité. La crevette a grandi, elle est restée studieuse, calme aussi, enfin... en notre présence. Avec ses amis, je ne sais pas...

    Le 30 juin, c'était aussi l'anniversaire de mon père, qui aurait 90 ans s'il n'avait pas eu la stupide idée de nous quitter au mois de février 2002. Lui aussi était calme, il aurait probablement fallu un tremblement de terre à sa porte pour qu'il se fâche. Il aurait été inquiet, je n'en doute pas, mais il n'aurait pas élevé la voix. Un homme de douceur.

    Aujourd'hui, ce binôme grand-père petite fille n'existe plus qu'en pensée et c'est déjà beaucoup. Mais comment m'empêcher d'imaginer que tous deux pourraient, ce soir, être toujours réunis pour fêter l'événement. Mon père serait là, bien sûr les années l'auraient peut-être un peu desséché, peut-être aurait-il été un peu sourd, un peu inattentif au monde qui l'entoure mais... il serait là.

    Je suis certain que pendant de longues années, mon propre frère a été hanté par la rupture d'une complicité calendaire qui l'unissait à son propre grand-père. Eux aussi étaient nés le même jour. On me rétorquera que ce grand-père - qui est le mien également - aurait cette année 109 ans. Et alors ? Un grand-père n'est-il pas éternel ? Il y pense encore, croyez-moi.

    Ma soeur n'aura pas ceu cette chance car bien que née le même jour que sa grand mère maternelle, elle est venue au monde alors que son aïeule nous avaient quittés depuis bien longtemps. Comme nous, elle a probablement dû tenter de dessiner intérieurement le portrait de cette dame que nous n'avons jamais connue que par l'intermédiaire de quelques rares photographies. Elle était grande, avait les yeux gris, elle semblait un peu secrète.

    Aujourd'hui, ils sont réunis, je pense à eux et je n'oublie pas qu'une part de chacun d'entre eux vit en moi. Plus ou moins enfouie, mais bien présente.

    Et j'envoie de gros bisous à ma fille en lui souhaitant un heureux anniversaire. 

  • Miles ahead

    medium_miles_davis.jpgJe n'aurai pas la prétention de résumer la somme artistique que fut la carrière de Miles Davis. Trop énorme... trop de génie dans une démarche allant toujours de l'avant, en recherche perpétuelle. On peut se gausser de l'extravagance du personnage, on peut aussi être irrité par ce qui ressemblait chez lui à une certaine forme d'arrogance, rien n'y fera : l'Artiste était au-dessus de la mêlée, et le temps parlera pour lui. En témoigne d'ailleurs l'ultime enregistrement du trompettiste, "Doo Bop", tellement critiqué au moment de sa sortie et qui démontrait pourtant que, plus que jamais, Miles ouvrait de nouvelles pistes sur lesquelles s'engouffrèrent bien des musiciens depuis les années 90.
    Dans ma propre histoire et dans ma relation avec l'univers musical, je serai éternellement redevable à Miles Davis d'avoir su "inventer" un nouveau langage à la fin des années 60, qu'on baptisa, pour d'évidentes raisons de commodité, "jazz-rock". C'est grâce à Miles Davis et aux innovations de sa formation de l'époque (au sein de laquelle évoluaient quelques musiciens ayant pour nom John McLaughlin, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Tony Williams ou bien encore Joe Zawinul...) que j'ai pu ouvrir mes oreilles à de nouveaux espaces sonores qui, depuis, constituent pour moi une source inépuisable de bonheurs musicaux. Mahavishnu Orchestra ? Weather Report ? Tony William's Lifetime ? Si ces noms évoquent quelque chose pour vous, alors vous me comprendrez aisément...
    Je ne répondrai pas non plus à la question que se posent souvent les Davisologues : quel fut sa plus grande formation ? Les spécialistes balancent entre deux quintettes, celui des années 60 avec Wayne Shorter (saxophone), Herbie Hancock (piano), Tony Williams (batterie) et Ron Carter (contrebasse) et l'un de ses prédécesseurs, au cours des années 50, avec Red Garland (piano), Paul Chambers (contrebasse), Philly Jones (batterie) et John Coltrane (saxophone).
    Je me régale souvent du coffret "Quintet 1965-1968 Complete Recorings" qui met en scène la première de ces deux formations et j'apprends avec bonheur la publication d'une intégrale "The legendary Prestige quintet sessions" pour ne pas avoir à trancher. Ce "nouveau coffret" (dont on trouvait la quasi totatlité du contenu dans "Chronicle", une autre intégrale rassemblant les enregistrements de Miles Davis pour le label Prestige entre 1951 et 1956) rassemble des enregistrements appartenant à la période 1955-1958 et ravira aussi bien les afficonados de Miles Davis que les Coltraniens dont je fais partie.
    Musique libre, inspirée - et pourtant, on doit se souvenir qu'à l'époque, Miles Davis avait des engagements contractuels à tenir avec le label Prestige alors même qu'il avait déjà signé un autre contrat avec Columbia et qu'il enregistrait donc aussi pour des raisons très matérielles - dont la hauteur est telle qu'elle paraît souvent inégalée.
    Je suis certain que si le Paradis existe, c'est cette musique-là qu'on doit y écouter en boucle, le soir, tranquillement assis sur un nuage en buvant une pinte avec Saint-Pierre. Autour de vous, soyez certains qu'il doit y avoir foule mais après tout, quelle importance, le ciel est si grand. Il y aura de la place pour tout le monde. Enfin, pour ceux qui l'auront mérité, uniquement !
    En plus - soyons aussi mesquins de temps à autre - ce coffret de 4 CD (augmenté d'un livret d'une quarantaine de pages) nous est proposé à un prix qui vaut tout de même le détour : moins de 50 €.
    A 48 heures de cet exaspérant passage obligé qu'est devenu aujourd'hui la fête de l'alcool... euh, de la musique voulais-je dire, ce petit cadeau musical arrive à point nommé. Avec son air d'éternité, il est un excellent remède à la médiocrité ambiante et remet les pendules à l'heure dès les premières minutes. Tout est dit, dans un souffle, c'est magique !

    Tiens, j'ai bien envie de vous en proposer un court extrait. La composition s'appelle "Tune up" et je n'ai pas pu résister au plaisir de vous laisser écouter un chorus de John Coltrane, qui, déjà, habitait sur une autre planète.


  • Le moment de la notice

    C’est bien beau de perdre en trois mois une petite dizaine de kilos à l’aube de la cinquantaine, histoire de prouver qu’on n’est pas obligé de devenir gras du bedon, comme nous le serinent les magazines féminins revanchards. Encore faut-il, au-delà d’une hygiène alimentaire savamment étudiée et offrant néanmoins un minimum de place à quelques fantaisies, essayer de se maintenir en forme et pratiquer avec une régularité digne des bonnes résolutions de rentrée scolaire un minimum d’exercice physique. Voici donc l’histoire d’un vélo elliptique arrivé en notre Maison Rose il y a quelques jours sous la forme d’un carton pesant une bonne cinquantaine de kilos - 53 exactement - qu’un gentil transporteur accepta de hisser avec moi jusqu’au deuxième étage, le désormais célèbre « Chalet Suisse ».

    Laissez-moi vous expliquer avant toute chose : Madame Maître Chronique et moi-même avons longtemps fréquenté ce que nous appelons une « salle de sport ». Trois grandes pièces embuées résonnant des échos FM meuglés par de tristes chanteuses arènebi pré-formatées, des instruments de torture en nombre – pour courir, marcher, pédaler, soulever, tirer, un aréopage de Brutus aux larges épaules vous scrutant d’un regard dont la profondeur avoisine au mieux celle d’une flaque d’eau en zone désertique, un environnement olfactif à vous donner envie, enfin, d’être définitivement privé de votre odorat, sans oublier les douches où vous devez vous immiscer avec timidité entre deux paires de fesses poilues et rebondies énergiquement frottées au moyen d’un gel douche dont le parfum discret déclenche chez vous instantanément une migraine insupportable, juste avant que l’heureux propriétaire des dites fesses, dûment séché, ne s’asperge d’un fatidique déodorant dont les effluves ne seront pas sans rappeler les nuisances du nuage de Tchernobyl au mieux de sa forme, nonobstant les dénégations de notre Ministre de l’Environnement de l’époque. Au bout de quelques années, faut le reconnaître, ça lasse… C’est pas qu’on soit crâneurs, Madame et moi, mais bon… reconnaissons que la conversation était assez limitée avec nos co-religionnaires. Et puis, on n’y connaît rien en foot, en bagnoles ou en tuning et nous n’avons pas une science très approfondie de la géographie locale des clubs de rencontres. Voilà, j’ai trouvé : nous nous sentions un peu étrangers en ce monde très simple où toutes les questions économiques et politiques les plus complexes trouvent toujours une solution très facile. Suffit de. Y a qu’à. Faut qu’on. Le responsable est clairement identifié, son nom est « Ils ». Une espèce de poujadisme ambiant que d’aucuns cherchent à excuser en le baptisant de « bon sens populaire » et que je me contente de définir comme de la connerie, pure et simple. Pourtant, je peux vous assurer que nous avons fait montre d’une assiduité assez irréprochable, gagnant les lieux de une à deux fois par semaine pour y accomplir des exploits dignes des plus grands sportifs. Au point qu’à bien y réfléchir, je me demande si le niveau que nous avions atteint ne nous aurait pas valu d’être l’objet d’une amnistie présidentielle si le besoin s’en était fait sentir. Rendez-vous compte : j’en étais arrivé au stade où, grimpant sur un drôle d’engin – une sorte d’enfant illégitime né du croisement d’une paire de skis de fond et d’un vélo d’appartement – j’étais capable de mouliner à près de 100 tours de pédalier par minute pendant près d’une heure et demie. Sus aux calories, j’affichais avec fierté une transpiration que m’aurait envié notre Johnny national, un faciès livide pendant l’effort, sans grimace, le regard plongé dans un ailleurs inaccessible… et surtout, la satisfaction de l’exploit accompli malgré la souffrance endurée. On n’a rien sans rien, et j’étais capable à cette époque d’entendre n’importe quelle radio vomi sans avoir envie de fracasser la minichaîne coupable contre le miroir accroché au mur du fond. Nous étions devenus en quelque sorte des ascètes, des esthètes du pédalage intérieur, des créateurs de sueur, des experts du sweat shirt détrempé (qui portait bien son nom – à ce propos, on dit « souète » et par « souite », je suppose que vous le saviez, m’enfin, au cas où, je préfère préciser). Et tout cela sans ingurgiter la moindre poudre de Perlimpinpin spéciale « musculation » avec protéines et autres substances magiques. Non ! Tout en volonté, en endurance. Par la force d’un mental d’acier. Mais comme vous l’avez compris, une certaine lassitude finit par nous gagner. Non que nous n’ayons plus envie de nous frotter à l’exercice sus-décrit, mais plutôt parce que le voisinage sportif que nous devions endurer confinait petit à petit à l’insupportable. Oui mais… une bonne hygiène sportive, finalement, c’est bon pour le corps, bon pour l’esprit. Alors… nous étions dans l’obligation de trouver une solution. Et voici qu’un beau jour de mai 2006, nous décidâmes d’acquérir l’appareil source de toutes nos souffrances et d’installer chez nous un « coin sport », loin des mastodontes à la démarche simiesque que nous ne voulions plus voir. Le plus dur était à venir cependant, car avant de trôner sur la bête, il nous fallait franchir un obstacle redoutable : le montage de l’engin et la lecture de sa notice d’installation. Nous allions, durant plus de deux heures, nous sentir seuls au monde.

    Pour commencer, il faut imaginer la chose sortie de son emballage originel. Enfin… quand je dis la chose, je devrais plutôt dire LES choses. C’est bien simple, il y en a partout : des vis, des boulons, des rondelles, des cache pédale, des bras articulés, des pieds. Sans compter les sacs plastiques qui envahissent la pièce et qui vous rappellent la dernière fois où vous avez tenté de manger un artichaut. Z’avez pas remarqué ? Quand vous avez fini de le déguster, votre assiette est plus remplie qu’au départ. Et ben là, c’était la même chose… Avec en plus les milliers de boulettes en polystyrène que vous avez involontairement projetées dans toute la pièce en voulant extraire les différents éléments du carton. Et que vous retrouverez sans le moindre doute dans plusieurs années, cachées sous le meuble à disques, malgré des séances de ménage à répétition. Une sorte de découragement commence à vous gagner lorsque, bien décidé à ne pas vous en laisser compter, vous ouvrez le livret…
    Et là… c’est le drame !
    Le mec qui a écrit ça, il doit vivre dans un univers bi-dimensionnel, une sorte de monde virtuel où tous les êtres humains ont le nez collé juste à côté des joues, un peu comme chez Picasso (le peintre, pas la voiture) ou comme dans les fresques égyptiennes. Je ne vois pas d’autre explication à cette manière de dessiner les schémas de montage… Ou bien c’est un pervers… En tous cas, on comprend très vite qu’il a décidé de régler ses comptes avec nous et que la bataille à engager va être des plus rudes. Ce salopard vous cause de la vis n° 38 longue de 5 millimètres dans laquelle vous n’aurez pas oublié de glisser une rondelle n°12 de diamètre 0,8, avant de la fixer dans le trou 76 au moyen de la clé que, bien entendu, vous avez involontairement projetée d’un coup de pied malhabile sous l’un des trente cartons de déménagement toujours pas vidés depuis le mois de novembre dernier. Et y en a comme ça six pages, à décrypter, l’œil collé à la feuille de papier malgré le port obligatoire de vos loupes de quinquagénaire. Alors forcément, par moments, on s’énerve un peu, on ne comprend pas pourquoi le nombre de vis spécifié dans la notice ne correspond pas à celui qui vous avez pu compter dans la vraie vie. Sans compter les dizaines d’allers-retours du deuxième étage au garage pour aller chercher le bon tournevis, celui qui vous manque toujours… jusqu’à que, illuminé par un éclair de lucidité, vous décidiez de remonter une bonne fois pour toutes la boîte à outils… Petit à petit cependant, un appareil évoquant assez fortement celui sur lequel vous vous êtes épuisé durant des années sous l’œil torve des bovidés poitrinaires commence à apparaître sous vos yeux ébahis. Malgré votre ignorance et votre incapacité congénitale à entretenir avec tout travail manuel une relation paisible, il devient évident que devant vous commence à se dresser fièrement un vélo elliptique. Tout est là, le pédalier dans sa coque plastique, les deux bras articulés, le tableau de bord électronique, y a même un porte-bidon dont la présence reste un mystère, comme si le concepteur avait imaginé un beau jour qu’on irait peut-être se balader en rase campagne avec sa machine à transpirer. Moi, j’ai trouvé à quoi il sert ce bidule : à vous griffer les genoux une fois sur deux en plein effort. Histoire d’ajouter une deuxième couche de souffrance à celle que vous allez vous badigeonner méticuleusement des heures durant. Comme les rasoirs à deux lames.

    Trois heures plus tard… Il me reste deux vis dont je ne sais quoi faire et il est évident que deux orifices sur l’axe central attendent toujours le boulon adéquat. Oh hé ! C’est pas de ma faute, je vous jure, c’est les Picasso qui se sont trompés dans l’approvisionnement. J’ai tout vérifié, j’ai relu deux ou trois fois la notice après montage, me repassant mentalement tout le film de cette construction en fermant les yeux. Tsss tsss tsss… c’est pas moi, c’est eux ! Ils auront droit à un e-mail dans lequel je ne manquerai pas de leur réclamer les éléments manquants. Non mais… Bon, cela dit, tout semble en place, j’ai même trouvé l’orifice permettant de brancher le boîtier d’alimentation et c’est d’un poing vengeur fièrement dressé que je salue cette victoire face à l’ennemi ! Ah, vous aviez pensé m’avoir ? C’est raté…

    Dimanche 28 mai 2006, vers 11 heures du matin. Je grimpe sur la bête non sans une certaine fébrilité et après avoir pris le temps de sonoriser le Chalet Suisse de manière acceptable en piochant une heure de musique dans ma discothèque. Le pédalage commence, les compteurs électroniques affichent leurs premiers résultats. C’est beau la technique moderne… Miracle ! On dirait bien que le montage a réussi, tout semble en ordre. Une belle aventure humaine vient de se terminer, une autre va commencer…

    Lundi 5 juin 2006 : déjà plus de 75 kilomètres au compteur, le total cumulé des calories dépensées est désormais un nombre à quatre chiffres. Tout est scrupuleusement noté sur mon assistant personnel, je veille au grain et m’engage à suivre un programme draconien. Le programme d’analyse de la masse graisseuse me déroute un peu néanmoins car il m’indique que je suis au-dessous du seuil normal… En d’autres termes, je dois m’engraisser tout en pédalant. Comprends pas…