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Les frères Moutin, on y revient !

Quelque dix minutes avant le début du concert du Moutin Réunion Quartet à la MJC Pichon de Nancy, le public très clairsemé - une petite quarantaine de personnes, dont pas mal d'habitués qui se retrouvent là et bavardent dans le hall d'entrée - témoignerait-il, avec un certaine cruauté, de l'indifférence de nos concitoyens face à un panorama musical dont l'indigence télévisuelle est aujourd'hui la marque ? Pourtant, une si belle affiche, un prix d'entrée somme toute raisonnable (12 €), une salle confortable... autant d'atouts qui auraient dû produire leurs effets à plein. Mais tel ne fut pas le cas, malheureusement. Une fois encore, les absents ont eu tort et les présents, dont l'enthousiasme a crû de minute en minute au fil d'un très beau concert, se sont félicités d'avoir eu raison. Les frères Moutin ont déployé leur jazz tout en énergie et générosité, ce fut pour nous un moment privilégié dont nous eûmes bien du mal à nous extraire une fois sortis de la salle.

medium_moutin.jpg Que dire des frères Moutin ? Ces deux jumeaux, François à la contrebasse et Louis à la batterie, font partie de ce que l'on pourrait appeler la crème de la scène jazz française. Musiciens surdoués, ils ont déjà côtoyé depuis vingt ans un nombre incalculable de musiciens de haut vol et se sont également illustrés dans bon nombre d'enregistrements mémorables. Pour ma part, je dois remonter au début des années 90 pour retrouver la trace du patronyme Moutin dans ma discothèque. François est en effet à l'affiche du splendide "Headgames" du MegaOctet d'Andy Emler et du non moins magnifique "Anyway" de Michel Portal. En outre, j'ai eu l'occasion de me délecter, voici cinq ans maintenant, de la participation des deux frères au très beau "Summertime" en trio d'Antoine Hervé. Et j'avais prêté une oreille à une précédente mouture de leur quartet (avec Baptiste Trotignon au piano et Sylvain Beuf au saxophone) ; de plus, j'étais depuis quelque temps très sensible à un extrait de leur dernier CD, "Something Loke Now", régulièrement entendu sur la chaîne Mezzo. C'est dire que leur venue, ici à Nancy, fut pour moi le moment idéal pour venir à leur rencontre et apprécier toute la force d'une formation qui repose non seulement sur l'étonnante complicité, preque surnaturelle, entre les deux frères, mais aussi sur le talent du pianiste Pierre de Bethmann et les enluminures du saxophoniste américain Rick Margitza.

Dès les premières secondes de "M.R.C.", le ton est donné : c'est un concert à haute énergie qui nous est offert. Pulsion constante de la batterie - Louis Moutin, pour notre plus grand plaisir, se tient de profil par rapport à la scène, ce qui nous permet d'admirer son jeu de pieds, soutien mélodique et rythmique sans faille de la contrebasse, dont les unissons avec la main gauche de Pierre De Bethmann vont faire merveille de même que ses échappées dans le registre aigu, lyrisme de Rick Margitza (qui, disons-le en passant, fut l'un des derniers saxophonistes de Miles Davis). On est d'emblée émerveillé par les regards complices que s'échangent François et Louis Moutin et leur complicité gémellaire est tout simplement fascinante ! Ces deux-là jouent ensemble, inventent ensemble, vibrent ensemble, transpirent ensemble. Cette communion des notes sera comme idéalisée dans un "duo de jumeaux" appelé "Bird's Medley", suite de thèmes de Charlie Parker que nos deux hommes interprètent avec un évident bonheur (Louis Moutin délaissant baguettes et balais pour jouer à mains nues). Malgré les années de travail en commun, les sourires échangés par ces deux extra-terrestres sont ceux de musiciens qui redécouvriraient à chaque concert le bonheur d'un dialogue jubilatoire et réinventé. Le public ne s'y trompe pas et compense son petit nombre par une chaleur et un enthousiasme qui toucheront le coeur de nos quatre héros d'un soir, visiblement émus jusqu'à la dernière seconde du rappel ("Africa", torride).

Il serait injuste toutefois de n'évoquer que François et Louis Moutin et de ne pas souligner le travail remarquable de leurs deux acolytes. Le jeu de Pierre De Bethmann (souvenous-nous du si beau trio Prysm, redécouvrons également son Ilium Quintet ou sa collaboration avec le saxophoniste David El Malek) est empreint de frénésie et de lyrisme, ses doigts courent littéralement sur le clavier, véritables marathoniens de la musique. Il est à lui seul une source intarissable d'où coulent avec une remarquable fluidité des rivières de notes. Rick Margitza quant à lui, presque discret dans la première demi-heure du concert, montera progressivement en puissance et nous gratifiera de quelques moments de bravoure dont un duo / duel avec Louis Moutin à la batterie, dans le plus pur esprit de ce que nous proposèrent voici 40 ans John Coltrane et Rashied Ali sur le disque "Interstellar Space" ainsi qu'une cadence - merci à mon musicien de fils de m'avoir rappelé que l'interprétation en solo de la fin d'un morceau s'appelait ainsi, j'avoue ici humblement mon inculture - pour conclure, seul, la très belle ballade appelée "Surrendering". On ne peut s'empêcher de penser au regrettté Michael Brecker, quelques années plus tôt, qui interprétait seul le "Naima" de John Coltrane.
 
Deux heures de musique, deux heures de générosité, une belle offrande. Merci à vous messieurs ! Nous reviendrons, c'est promis.
 
Pour en savoir plus : http://www.moutin.com, avec en écoute des extraits du dernier CD "Something Like Now", des biographies des musiciens, des liens, bref... tout ce qu'il faut savoir !

Commentaires

  • Merci pour le lien.
    Je vais aller écouter.
    Bonne journée.

  • Je n'ai pas écouté tout entièrement mais j'aime : Echoing, Touch and go, Tomcat (qui me fait penser à la classe d'ensemble jazz de mon professeur de guitare).

  • @Elisabeth : c'est très bien si tu aimes ! Et imagine quel bonheur ce peut être que d'écouter cette musique avec, en plus, toute la vibration propre à la scène.

  • J'imagine et j'ai même fait un poème à ce sujet (voir dans mon 2ème blog en lien en bas de mon blog principal le poème LES MUSIQUES DU MONDE)

  • Bonjour Maître Chronique et vous tous,

    Merci pour ce billet et je vais faire comme Elisabeth et me rendre sur le lien.
    En attendant cet instant je te souhaite une très bonne journée ainsi qu'à vous tous,

    Marie Christine

  • Très bonne idée... en attendant quelques lignes consacrées à "Alerte à l'eau", le nouveau CD du Henri Texier Strada Sextet, qui est une merveille !
    @ Bientôt

  • Merci de m'avoir expliqué (par téléphone) le sens caché et publicitaire du titre! Je cherchais dans ma mémoire embrouillée et ne trouvais point. Bon sang, mais c'est bien sûr! And you know what? I'm happy! (Tu as noté, je pense, le troisième degré...). Bon, je retourne à mes moutins... euh... moutons, pardon!

  • Oui, tu es happy... felix en latin, c'est bien ça ? Voilà un humour qui va faire du potin !!!

  • Gagné, frérot... Et tu en remets un couche...

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