En règle générale, au moment du réveil, je ne me rappelle pas mes rêves. Ah, tiens, permettez… une première parenthèse digressive : juste pour vous dire qu'on se rappelle quelqu'un ou quelque chose et qu'on se souvient de quelqu'un. Vous avez remarqué le nombre de personnes qui "s'en rappellent" ? Moi, ça m'énerve… Tiens, c'est comme tous ces hommes politiques qui "tirent les conséquences"… Je leur filerais des baffes, si j'en avais le pouvoir. Messieurs, on tire les conclusions, pas les conséquences ! Les conséquences, comme dirait je ne sais plus qui, elles se tirent toutes seules !!! Oh, je continuerais volontiers en évoquant cet usage du double relatif redondant et inélégant, vous savez, les phrases du genre : "c'est de cela dont il s'agit". Ben non, faut choisir son camp et économiser les relatifs : c'est de cela qu'il s'agit ou bien c'est cela dont il s'agit… Tsss… Je vais devenir intégriste si ça continue. C'est comme quand j'entends quelqu'un dire : "elle n'est pas prête de s'en aller". Là, encore c'est tout faux et je me crispe facilement quand j'entends proférer une telle horreur, car il faut dire, vous le savez tous : elle n'est pas près de s'en aller, ce qui signifie que son départ n'est pas pour demain et que, d'une certaine manière, elle n'est pas prête à s'en aller. Bon, euh… j'en étais où ? Ah oui, mes rêves dont je ne me souviens que de manière exceptionnelle. Il y a juste une catégorie d'aventures nocturnes qui me revient souvent en mémoire : je suis quelque part, n'importe où, et j'ai envie de faire pipi. Et là, je dois toujours trouver une solution pour me soulager, c'est vital. Je crois même me souvenir qu'une fois, j'ai vidé ma vessie… dans un four ! Et je ne vous cacherai pas que dans ces moments pressants, j'ai vachement intérêt à me réveiller illico, sinon gare à la catastrophe. Bon… mais où voulais-je donc en venir ? Attendez… Les rêves… Oui, oui… le dernier, je m'en souviens parfaitement, il est étrange et pénétrant et j'ai décidé de vous le conter, même si je vais pour cela vous infliger un récit qui, de temps à autre, pourra vous sembler incohérent et un tantinet sinistre.
I had a dream !
Toute cette drôle d'histoire se déroulait le temps d'un court week-end. Ma fille, celle que d'aucuns peuvent connaître sous l'appellation de La Fraise, nous avait conviés, Madame Maître Chronique et moi-même, à un bien drôle d'exercice, une angoissante course contre la montre. Il nous fallait, en un temps record – un peu plus de vingt-quatre heures – rallier son petit appartement distant de 500 kilomètres, quelque part tout en haut de la France en un lieu que nous appellerons l'Eglise des Dunes, le vider intégralement, emplir de son contenu deux voitures (la nôtre – que certains d'entre vous connaissent sous le nom de Navette Spatiale – et la sienne, garée là-bas depuis de longues semaines et qu'elle s'imaginait trouver à sa place, bien sagement, prête à démarrer…) et revenir à notre point de départ dans les plus brefs délais. Pour quelle raison ? Allez le lui demander, j'imagine qu'elle ne se plaisait guère en cette région qu'un employeur indélicat lui avait proposé de découvrir, certainement pour la punir d'avoir obtenu de brillants résultats à un concours quelques mois plus tôt. Le monde du travail est … impitoyable !
Je n'ai que des souvenirs épars du voyage aller : de l'autoroute, de l'autoroute, de l'autoroute, des camions partout, conduits par de gros individus en survêtement parlant une langue inconnue, celle de quelque pays de l'Est. Depuis que nos frontières sont ouvertes aux transporteurs de Hongrie, Roumanie, Slovaquie ou de Pologne, je vous prie de croire que nos nouveaux amis en profitent autant qu'ils peuvent !!! Ah, les vaches… Même que pendant que vous vous arrêtez pour une légitime pause pipi – désolé pour la récurrence urinaire – vous les trouvez installés devant les lavabos en train de se raser. Je me rappelle également un sandwich un peu mou avec, dedans, une sorte de pâte au thon avec une rondelle de tomate pour faire joli.
Et puis, quelque six heures plus tard – je vous arrête tout de suite : il n'y a pas de faute à quelque qui ne s'écrit pas quelques, ici c'est la tournure adverbiale qui signifie environ, fin de la seconde parenthèse – nous sommes arrivés devant la maison où nous attendait, bien sagement, la voiture de notre fille, une petite Honda Logo un peu cabossée quelques mois plus tôt après que sa néo-propriétaire ait vainement tenté de la faire entrer dans le garage de la Maison Rose. J'ai crû comprendre qu'au moment exact de la fatidique manœuvre, la porte du garage incriminé avait opéré un mouvement subit pour venir se gratter le mur contra l'aile droite du véhicule. C'est injuste… Mais revenons à notre histoire car le plus incroyable, c'est que la petite grise était toujours là ! Pas de doute, il s'agissait bien d'un rêve d'autant que quelques minutes plus tard, notre fille, exagérément optimiste, fut prise elle aussi d'une envie pressante : la faire démarrer pour vérifier que ses projets de déménagement ne seraient pas contrariés par un moteur récalcitrant. Et là… mais oui, je rêvais toujours, la petite japonaise ronronna comme au jour de sa sortie d'usine, au quart de tour ! Ah si l'en allait toujours ainsi dans la vraie vie…
Tout avait trop bien commencé… mais c'est par la suite que les choses se gâtèrent ! Comment nous retrouvâmes-nous dans les rues désertes d'une ville grise endormie dès 17h30 ? Je l'ignore. Nous marchions, le long d'une digue, dans la pénombre de laquelle nous devinions une étendue maritime un tantinet hostile et froide. Les passants étaient bien rares et nous fûmes intrigués par leur apparence : ils étaient déguisés ! Tous pareils, ou presque ! Des hommes transformés en femmes, avec des minijupes et des collants rayés multicolores, perchés sur de hauts talons et surmaquillés à la façon de clowns grotesques. Tous semblaient rallier une destination inconuue, incertaine, leurs mines sombres masquant mal une détresse assez facilement perceptible. En continuant ainsi notre chemin, nous pûmes scruter l'intérieur d'un bar où d'autres travestis commençaient avec beaucoup d'assiduité le long et pénible chemin de croix d'une inexorable alcoolisation, but ultime et probable de leur pathétique rassemblement. Il y avait même parmi les participants de cette course frénétique ce que je crus deviner comme étant un poulet humain ! Oui, vous m'avez bien lu : un monsieur habillé en poulet – ou en coq, mon souvenir est un peu vague, je l'avoue – qui buvait au milieu des autres, tout aussi avinés. En nous retournant, nous vîmes déambuler sur le trottoir des dizaines d'autres hommes femmes tristes marchant vers cet angoissant nulle part. Je me rappelle également une longue pause dans un restaurant où, entre deux bouchées d'une excellente choucroute aux trois poissons, je ne cessai de lorgner du côté de la fenêtre où j'entrevoyais, encore et encore, ces êtres étranges, maquillés à outrance, arborant des perruques bouclées bleues, jaunes, orange, rouges. Brrr…
Le problème des rêves, surtout quand ils virent tout doucement au cauchemar comme ce fut le cas, c'est qu'il est bien difficile de s'en extraire et d'en contrôler le cours. Je me sentais comme piégé, prisonnier des ces personnages improbables qui nous auraient bien fait rire dans la vraie vie. Encore que tellement de tristesse se dégageait de leur procession ininterrompue…
Je ne peux, une fois encore, vous expliquer comment je me retrouvai passager de la voiture de ma fille à la recherche d'une station de gonflage… A quelques centaines de mètres d'une raffinerie, il nous était quasiment impossible de localiser un point de ravitaillement en essence ! Tout cela tournait dans ma tête, les rues, un coup à droite, un coup à gauche et ainsi de suite, défilaient et je ne sentais perdu lorsqu'apparut une enseigne qui fit renaître en nous l'espoir. Peine perdue ! Un fou furieux avait retiré tous les tuyaux et, après une petite hésitation, nous consultâmes deux autochtones matutino-dominicaux pour leur demander s'il serait, éventuellement, possible de dénicher une station service munie de pompes à essence et de gonfleurs avec leurs tuyaux. Nouvel effet pervers de la perception floue des protagonistes au travers du filtre de mon rêve : plus leurs explications étaient fournies en détails, moins je comprenais où ils voulaient nous diriger. Vous allez tout droit, puis vous tournez, vous traversez le canal et vous revenez sur vos pas, c'est tout droit… enfin, un truc dans le genre, incompréhensible mais détaillé et souligné par un sourire désarmant… qui nous changeait beaucoup de tous ces faciès sinistres et bariolés qui continuaient à arpenter les rues de la ville, parfois surmontés d'un parapluie un peu désuet, porté très haut au-dessus de leur tête. Un peu déboussolés, nous reprîmes notre chemin et, prise d'une soudaine inspiration, ma fille décida de trouver l'emplacement d'un supermarché qu'elle n'avait jamais, jusque là, réussi à rallier en plusieurs mois de villégiature nordique. Nonobstant les limitations de vitesse, sa petite voiture filait telle l'éclair jusqu'au moment où – Ô miracle ! – nous aperçûmes une enseigne qui s'avéra être celle d'une station service où trônait un gonfleur en état de fonctionnement…
Là, j'ai encore comme un grand flou… Me reviennent à l'esprit quelques propos désobligeants sur les hommes qui, selon ma progéniture, feraient toute une histoire de la vérification de la pression des pneus alors qu'il n'y aurait vraiment pas de quoi fouetter une jante… Passons donc à la suite.
Madame Maître Chronique et sa fille rangeaient, empaquetaient, lavaient, prises d'une frénésie dont je parvenais tout juste à absorber les excédents en chargeant nos deux véhicules à ras bords, non sans les avoir transformées en camionnettes en en rabattant les banquettes arrière. Voilà où mon rêve m'emporta après l'épisode des pompes à essence. Les événements connaissaient une brutale accélération : ces deux-là, visiblement, avaient décidé de mettre fin à notre séjour dans les délais les plus brefs ! Il est bien vrai que très vite, nous fûmes prêts à affronter 500 nouveaux kilomètres. En adoptant une technique particulière toutefois car notre fille avait décidé, la mutine, de piloter sa miniature asiatique du début à la fin, mais toujours accompagnée d'un passager. Une exigence de dernière minute, en quelque sorte. Vous voyez le genre ? Il me fallut d'abord être ce passager et Madame Maître Chronique dut accepter de jouer le rôle de la conductrice solitaire de la puissante navette, obligée de subir je ne sais quelle radio flamande ésotérique pendant que nous, devant, par la force du nombre, avions suffisamment de mains pour trouver, au bout d'une bonne heure de manipulations hasardeuses, un programme écoutable, à base d'opéra. Puis il y eut échange de pilotes et ce fut mon tour de conduire le bolide que je sonorisai à grands coups d'un jazz portalien ou de type texieriste. Fait étrange, je dois confesser qu'il me fallut beaucoup d'ingéniosité pour ne pas me laisser distancer par ma fille qui avait opté pour la formule "je double tout ce qui est devant moi" ; dans mon rêve cauchemar, je fus même obliger d'appuyer fort sur le champignon et de monter la régime de mon moteur alors même que j'avais enclenché depuis longtemps ma sixième vitesse. Et je ne pouvais m'empêcher d'avoir une pensée pour Madame Maître Chronique qui, quelques dizaines de mètres devant moi, était probablement en train de s'accrocher à tout ce qui était à portée de ses mains, priant Saint Dominique pour que leur frêle embarcation ne décolle pas au sommet d'une côte. Je la connais, Madame Maître Chronique, la conduite sportive, c'est pas son truc. Elle aime pas.
Je me rappelle également le phare anti-brouillard arrière que ma fille décida d'allumer pour une raison qui lui appartient, certainement parce qu'elle aime les signaux clignotants des autres conducteurs éblouis, ça doit être un peu comme une fête pour elle. Et puis, vers la fin, il y eut cette drôle de station service dont tout un côté est constitué en réalité d'un entrepôt de cartouches de cigarettes vendues beaucoup moins cher qu'en France. C'est pire qu'un supermarché du tabac, il y a plein de caissières qui vous attendent, même lorsque vous êtes, comme moi, non fumeur. On y trouve aussi des CD et DVD vierges à des prix imbattables. Il y a un monde fou là-dedans, ça grouille, ça dépense. Moi-même, dans mon rêve, je n'ai pu résister à un achat impulsion d'une bonne centaine de disques à graver pour quelques menus euros. Ne me demandez pas le prix, faut pas exagérer tout de même.
La nuit est tombée, nous sommes arrivés, nous avons vidé tout l'appartement de notre fille dans la chambre de son frère parti cohabiter avec des congénères musiciens depuis le mois de septembre.
Et là, je me suis réveillé, un peu assommé, toutes ces épreuves nocturnes m'avaient complètement épuisé malgré une nuit de sommeil.
Il reste un mystère que je n'ai pas élucidé : j'ai raconté minutieusement mon songe à mes complices de déménagement virtuel. Pour une fois que je me rappelais tant de détails et que j'avais gardée intacte la chronologie des événements, j'étais heureux de les en faire profiter, espérant même les amuser. Je n'eus même pas le temps de profiter du plaisir de mon histoire bizarre ! Toutes deux avaient fait le même rêve, le départ vers l'Eglise des Dunes, les poulets travestis alcooliques avec des parapluies, leurs regards perdus, le vidage complet de l'appartement, retour sur les chapeaux de roues dans une nuit clignotante et le supermarché aux cigarettes. Même que ma fille a donné sa version des faits dans son propre blog !
Voilà pourquoi j'ai choisi de vous la raconter, cette histoire, parce que si vous me dites que vous aussi, vous l'avez vécue… je rends mon tablier et je vais me déguiser en poulet !
I had a dream !
Toute cette drôle d'histoire se déroulait le temps d'un court week-end. Ma fille, celle que d'aucuns peuvent connaître sous l'appellation de La Fraise, nous avait conviés, Madame Maître Chronique et moi-même, à un bien drôle d'exercice, une angoissante course contre la montre. Il nous fallait, en un temps record – un peu plus de vingt-quatre heures – rallier son petit appartement distant de 500 kilomètres, quelque part tout en haut de la France en un lieu que nous appellerons l'Eglise des Dunes, le vider intégralement, emplir de son contenu deux voitures (la nôtre – que certains d'entre vous connaissent sous le nom de Navette Spatiale – et la sienne, garée là-bas depuis de longues semaines et qu'elle s'imaginait trouver à sa place, bien sagement, prête à démarrer…) et revenir à notre point de départ dans les plus brefs délais. Pour quelle raison ? Allez le lui demander, j'imagine qu'elle ne se plaisait guère en cette région qu'un employeur indélicat lui avait proposé de découvrir, certainement pour la punir d'avoir obtenu de brillants résultats à un concours quelques mois plus tôt. Le monde du travail est … impitoyable !
Je n'ai que des souvenirs épars du voyage aller : de l'autoroute, de l'autoroute, de l'autoroute, des camions partout, conduits par de gros individus en survêtement parlant une langue inconnue, celle de quelque pays de l'Est. Depuis que nos frontières sont ouvertes aux transporteurs de Hongrie, Roumanie, Slovaquie ou de Pologne, je vous prie de croire que nos nouveaux amis en profitent autant qu'ils peuvent !!! Ah, les vaches… Même que pendant que vous vous arrêtez pour une légitime pause pipi – désolé pour la récurrence urinaire – vous les trouvez installés devant les lavabos en train de se raser. Je me rappelle également un sandwich un peu mou avec, dedans, une sorte de pâte au thon avec une rondelle de tomate pour faire joli.
Et puis, quelque six heures plus tard – je vous arrête tout de suite : il n'y a pas de faute à quelque qui ne s'écrit pas quelques, ici c'est la tournure adverbiale qui signifie environ, fin de la seconde parenthèse – nous sommes arrivés devant la maison où nous attendait, bien sagement, la voiture de notre fille, une petite Honda Logo un peu cabossée quelques mois plus tôt après que sa néo-propriétaire ait vainement tenté de la faire entrer dans le garage de la Maison Rose. J'ai crû comprendre qu'au moment exact de la fatidique manœuvre, la porte du garage incriminé avait opéré un mouvement subit pour venir se gratter le mur contra l'aile droite du véhicule. C'est injuste… Mais revenons à notre histoire car le plus incroyable, c'est que la petite grise était toujours là ! Pas de doute, il s'agissait bien d'un rêve d'autant que quelques minutes plus tard, notre fille, exagérément optimiste, fut prise elle aussi d'une envie pressante : la faire démarrer pour vérifier que ses projets de déménagement ne seraient pas contrariés par un moteur récalcitrant. Et là… mais oui, je rêvais toujours, la petite japonaise ronronna comme au jour de sa sortie d'usine, au quart de tour ! Ah si l'en allait toujours ainsi dans la vraie vie…
Tout avait trop bien commencé… mais c'est par la suite que les choses se gâtèrent ! Comment nous retrouvâmes-nous dans les rues désertes d'une ville grise endormie dès 17h30 ? Je l'ignore. Nous marchions, le long d'une digue, dans la pénombre de laquelle nous devinions une étendue maritime un tantinet hostile et froide. Les passants étaient bien rares et nous fûmes intrigués par leur apparence : ils étaient déguisés ! Tous pareils, ou presque ! Des hommes transformés en femmes, avec des minijupes et des collants rayés multicolores, perchés sur de hauts talons et surmaquillés à la façon de clowns grotesques. Tous semblaient rallier une destination inconuue, incertaine, leurs mines sombres masquant mal une détresse assez facilement perceptible. En continuant ainsi notre chemin, nous pûmes scruter l'intérieur d'un bar où d'autres travestis commençaient avec beaucoup d'assiduité le long et pénible chemin de croix d'une inexorable alcoolisation, but ultime et probable de leur pathétique rassemblement. Il y avait même parmi les participants de cette course frénétique ce que je crus deviner comme étant un poulet humain ! Oui, vous m'avez bien lu : un monsieur habillé en poulet – ou en coq, mon souvenir est un peu vague, je l'avoue – qui buvait au milieu des autres, tout aussi avinés. En nous retournant, nous vîmes déambuler sur le trottoir des dizaines d'autres hommes femmes tristes marchant vers cet angoissant nulle part. Je me rappelle également une longue pause dans un restaurant où, entre deux bouchées d'une excellente choucroute aux trois poissons, je ne cessai de lorgner du côté de la fenêtre où j'entrevoyais, encore et encore, ces êtres étranges, maquillés à outrance, arborant des perruques bouclées bleues, jaunes, orange, rouges. Brrr…
Le problème des rêves, surtout quand ils virent tout doucement au cauchemar comme ce fut le cas, c'est qu'il est bien difficile de s'en extraire et d'en contrôler le cours. Je me sentais comme piégé, prisonnier des ces personnages improbables qui nous auraient bien fait rire dans la vraie vie. Encore que tellement de tristesse se dégageait de leur procession ininterrompue…
Je ne peux, une fois encore, vous expliquer comment je me retrouvai passager de la voiture de ma fille à la recherche d'une station de gonflage… A quelques centaines de mètres d'une raffinerie, il nous était quasiment impossible de localiser un point de ravitaillement en essence ! Tout cela tournait dans ma tête, les rues, un coup à droite, un coup à gauche et ainsi de suite, défilaient et je ne sentais perdu lorsqu'apparut une enseigne qui fit renaître en nous l'espoir. Peine perdue ! Un fou furieux avait retiré tous les tuyaux et, après une petite hésitation, nous consultâmes deux autochtones matutino-dominicaux pour leur demander s'il serait, éventuellement, possible de dénicher une station service munie de pompes à essence et de gonfleurs avec leurs tuyaux. Nouvel effet pervers de la perception floue des protagonistes au travers du filtre de mon rêve : plus leurs explications étaient fournies en détails, moins je comprenais où ils voulaient nous diriger. Vous allez tout droit, puis vous tournez, vous traversez le canal et vous revenez sur vos pas, c'est tout droit… enfin, un truc dans le genre, incompréhensible mais détaillé et souligné par un sourire désarmant… qui nous changeait beaucoup de tous ces faciès sinistres et bariolés qui continuaient à arpenter les rues de la ville, parfois surmontés d'un parapluie un peu désuet, porté très haut au-dessus de leur tête. Un peu déboussolés, nous reprîmes notre chemin et, prise d'une soudaine inspiration, ma fille décida de trouver l'emplacement d'un supermarché qu'elle n'avait jamais, jusque là, réussi à rallier en plusieurs mois de villégiature nordique. Nonobstant les limitations de vitesse, sa petite voiture filait telle l'éclair jusqu'au moment où – Ô miracle ! – nous aperçûmes une enseigne qui s'avéra être celle d'une station service où trônait un gonfleur en état de fonctionnement…
Là, j'ai encore comme un grand flou… Me reviennent à l'esprit quelques propos désobligeants sur les hommes qui, selon ma progéniture, feraient toute une histoire de la vérification de la pression des pneus alors qu'il n'y aurait vraiment pas de quoi fouetter une jante… Passons donc à la suite.
Madame Maître Chronique et sa fille rangeaient, empaquetaient, lavaient, prises d'une frénésie dont je parvenais tout juste à absorber les excédents en chargeant nos deux véhicules à ras bords, non sans les avoir transformées en camionnettes en en rabattant les banquettes arrière. Voilà où mon rêve m'emporta après l'épisode des pompes à essence. Les événements connaissaient une brutale accélération : ces deux-là, visiblement, avaient décidé de mettre fin à notre séjour dans les délais les plus brefs ! Il est bien vrai que très vite, nous fûmes prêts à affronter 500 nouveaux kilomètres. En adoptant une technique particulière toutefois car notre fille avait décidé, la mutine, de piloter sa miniature asiatique du début à la fin, mais toujours accompagnée d'un passager. Une exigence de dernière minute, en quelque sorte. Vous voyez le genre ? Il me fallut d'abord être ce passager et Madame Maître Chronique dut accepter de jouer le rôle de la conductrice solitaire de la puissante navette, obligée de subir je ne sais quelle radio flamande ésotérique pendant que nous, devant, par la force du nombre, avions suffisamment de mains pour trouver, au bout d'une bonne heure de manipulations hasardeuses, un programme écoutable, à base d'opéra. Puis il y eut échange de pilotes et ce fut mon tour de conduire le bolide que je sonorisai à grands coups d'un jazz portalien ou de type texieriste. Fait étrange, je dois confesser qu'il me fallut beaucoup d'ingéniosité pour ne pas me laisser distancer par ma fille qui avait opté pour la formule "je double tout ce qui est devant moi" ; dans mon rêve cauchemar, je fus même obliger d'appuyer fort sur le champignon et de monter la régime de mon moteur alors même que j'avais enclenché depuis longtemps ma sixième vitesse. Et je ne pouvais m'empêcher d'avoir une pensée pour Madame Maître Chronique qui, quelques dizaines de mètres devant moi, était probablement en train de s'accrocher à tout ce qui était à portée de ses mains, priant Saint Dominique pour que leur frêle embarcation ne décolle pas au sommet d'une côte. Je la connais, Madame Maître Chronique, la conduite sportive, c'est pas son truc. Elle aime pas.
Je me rappelle également le phare anti-brouillard arrière que ma fille décida d'allumer pour une raison qui lui appartient, certainement parce qu'elle aime les signaux clignotants des autres conducteurs éblouis, ça doit être un peu comme une fête pour elle. Et puis, vers la fin, il y eut cette drôle de station service dont tout un côté est constitué en réalité d'un entrepôt de cartouches de cigarettes vendues beaucoup moins cher qu'en France. C'est pire qu'un supermarché du tabac, il y a plein de caissières qui vous attendent, même lorsque vous êtes, comme moi, non fumeur. On y trouve aussi des CD et DVD vierges à des prix imbattables. Il y a un monde fou là-dedans, ça grouille, ça dépense. Moi-même, dans mon rêve, je n'ai pu résister à un achat impulsion d'une bonne centaine de disques à graver pour quelques menus euros. Ne me demandez pas le prix, faut pas exagérer tout de même.
La nuit est tombée, nous sommes arrivés, nous avons vidé tout l'appartement de notre fille dans la chambre de son frère parti cohabiter avec des congénères musiciens depuis le mois de septembre.
Et là, je me suis réveillé, un peu assommé, toutes ces épreuves nocturnes m'avaient complètement épuisé malgré une nuit de sommeil.
Il reste un mystère que je n'ai pas élucidé : j'ai raconté minutieusement mon songe à mes complices de déménagement virtuel. Pour une fois que je me rappelais tant de détails et que j'avais gardée intacte la chronologie des événements, j'étais heureux de les en faire profiter, espérant même les amuser. Je n'eus même pas le temps de profiter du plaisir de mon histoire bizarre ! Toutes deux avaient fait le même rêve, le départ vers l'Eglise des Dunes, les poulets travestis alcooliques avec des parapluies, leurs regards perdus, le vidage complet de l'appartement, retour sur les chapeaux de roues dans une nuit clignotante et le supermarché aux cigarettes. Même que ma fille a donné sa version des faits dans son propre blog !
Voilà pourquoi j'ai choisi de vous la raconter, cette histoire, parce que si vous me dites que vous aussi, vous l'avez vécue… je rends mon tablier et je vais me déguiser en poulet !
Commentaires
Rassure-toi, je n'ai pas fait le même rêve que toi. Pour moi, il y avait aussi des déguisés pas dégrisés: des Chinois de Paris brandissant des dragons en papier crépon pour fêter l'année du cochon... Et en fait de chansons flamandes, j'ai eu droit à des guitaristes-chanteurs américains.
Mais tu peux te déguiser en poulet! Succès garanti!!!
Bonjour,
J'ai lu avec plaisir cette note. Bon, ce n'était qu'un rêve mais presque réel.
Finalement, je me pose une question : était-ce bien un rêve ?