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Misérables…

J’ai un peu hésité à vous raconter cette histoire navrante, pensant d’abord que le récit de la veulerie et de la médiocrité n’avait pas sa place sur les pages de Maître Chronique. Et puis, non, c’était décidément trop idiot de taire les comportements les plus bas. Alors j’ai choisi d’en parler ici.

« Quand les cons voleront à midi, il fera nuit. » (Michel Audiard)

Imaginez quelle put être avant-hier soir la réaction de ma sœur de retour chez elle, après les obsèques de notre mère et une journée chargée en pleurs et tristesse, malgré le plaisir des retrouvailles avec des êtres chers qu’on ne voit, malheureusement, que trop rarement et bien souvent en ces pénibles circonstances. Après aussi un voyage en voiture de plusieurs heures vers la région parisienne, dont on imagine aisément qu’il ne baigna pas dans une ambiance particulièrement légère ni joyeuse. Ouvrant sa boîte aux lettres, elle découvrit une enveloppe matelassée, expédiée par je ne sais plus quel sinistre personnage – neveu, beau-frère, cousin, après tout quelle importance – sorte d’exécuteur des basses œuvres de la propriétaire de la défunte. Une lettre qui avait été postée, semble-t-il, au plus tard le vendredi 25 mai à 15 heures, le cachet de la Poste faisant, comme on dit, foi. Ce courrier, adressé sans le moindre mot qui aurait pu témoigner du minimum de compassion pour la famille endeuillée, n’était rien d’autre qu’un décompte de charges à régler sans attendre pour l’année 2006, selon un calcul qui, depuis des décennies d’ailleurs, était loin d’être au désavantage des propriétaires, trop heureux d’avoir trouvé depuis plus de trente ans des locataires payant rubis sur l’ongle loyers et taxes diverses, sans jamais s’élever vraiment contre une pratique qu’ils auraient pu légitimement contester s’ils avaient été animés d’un esprit un tant soit peu procédurier. Mais ceci est une autre histoire… mes parents étaient pacifiques avant tout, tous ceux qui les ont bien connus pourront vous le confirmer.

Rétrospectivement, on est donc obligé de comprendre que cette propriétaire, petite femme inexistante, qui a encaissé les loyers de ses locataires depuis septembre 1974, date à laquelle mes parents étaient entrés dans les murs de l’appartement qu’ils lui louaient, n’a pas manqué d’une vraie présence d’esprit et d’une étonnante rapidité dans l’exécution des ses œuvres vénales. Elle qui, depuis le 8 février, le jour où ma mère avait été hospitalisée après sa chute pour ne plus revenir chez elle, ne s’était jamais fendue du plus petit coup de fil pour prendre de ses nouvelles… Car c’est en effet mon propre frère qui lui annonça vendredi matin, vers 10 heures, le décès de notre mère, envolée doucement dans l’autre monde la veille au soir, à 20 heures 45. On oubliera qu’elle n’eut elle-même à ce moment précis pas le moindre mot de réconfort pour lui ni sa famille, personne n’étant parfait il est vrai. On devra en revanche deviner que sa réaction immédiate fut de téléphoner à son je ne sais plus qui (celui qui avait pris le relais d’un mari décédé pour agiter le tiroir caisse à intervalles très réguliers) afin de lui faire part du prévisible manque à gagner mensuel. On imaginera alors ce Thénardier pitoyable exhibant d’un tiroir les précieux documents qu’il allait s’empresser de fourbir et de glisser dans une enveloppe pour réclamer son dû.

Pauvre type, pauvres gens, misérables êtres vivants et déjà morts depuis si longtemps… recevez ici mon mépris le plus total, sans limite. Nous allons vider l’appartement au plus vite, les larmes aux yeux certes, mais dans les délais les plus brefs possibles ; nous allons régulariser la situation et vous laisser confire dans la médiocrité et la bassesse qui vous personnifient depuis le jour de votre naissance et vous englueront au soir de votre mort. Je ne vous souhaite plus qu’une seule chose désormais : qu’une fois votre dernière heure venue, votre cerveau abruti perçoive enfin, quand défilera le film de ce que vous croyiez être votre vie et qui n’était rien d’autre qu’une trop longue erreur, à quel point votre existence aura été vaine, du début à la fin. Je crois toutefois très peu à cette hypothèse d’un éclair de lucidité qui animerait enfin votre esprit pauvre, mais je vous le souhaite de tout mon cœur, espérant qu’à cette seconde finale, vous ne partirez pas dans l’inconscience de votre absolue crétinerie.

En attendant ce jour libérateur, nous aurons pu nous remémorer longuement les instants de joie, ces petites humeurs de la vie, tous ces bonheurs qu’avaient modestement réussi à construire notre père et notre mère dans l’amour de leurs enfants. Un trésor d’une valeur inestimable, qu’ils nous ont transmis et auquel vous ne pourrez jamais avoir accès.

Commentaires

  • Rien à ajouter si ce n'est que j'approuve chaque mot... et que les Thénardier, au moins, avaient réussi quelque chose, ou quelqu'un, de bien: Gavroche...

  • J'ai beau me dire à chaque fois que c'est pas possible que ça puisse exister tant d'abjection, et bien si ça existe !
    Paix et lumière sur vous mes amis.

  • Je suis stupéfait. Je n'arrive pas à trouver de mots pour qualifier ce genre de personne, dont les veines charrient de la boue, dont le coeur n'est qu'un étron fumant. J'adhère totalement à ta juste colère.

    A bientôt j'espère, cher Maître.

  • Il est vrai, je le reconnais, que mon propos est très dur...
    Il est vrai aussi qu'il reflète très fidèlement la colère qui m'a gagné quand j'ai lu le message de ma soeur nous faisant part de ce geste inqualifiable...
    Il est vrai, enfin, que d'autres personnes, à l'esprit plus apaisé que n'est le mien en ce moment, pourraient, en cherchant bien et très longtemps, finir par trouver, peut-être, une esquisse de qualité à ces "braves gens".
    J'avoue très simplement que l'écriture de ces paragraphes m'a un peu soulagé... mais si peu, finalement.

  • c'est incroyable de se comporter de la sorte !!!
    le resect est sans doute un mot banni de son vocabulaire!!
    je comprends votre colère et votre mépris face à ce genre d'individus

    c'est un manque de respect, de pudeur, de dignité un manque de tout sentiment humain ce qui en général nous difféncie des animaux!
    et bien ces gens-là sont encore pire que ça

    je vous souhaite bon couarage dans cette épreuve et c'est heureux que vous soyez tous unis=)))

  • Bonjour,
    Il était nécessaire d'écrire ce coup de gueule rien que pour se soulager. Je ne peux rien ajouter à cette froideur dans la réaction de la propriétaire. L'argent, toujours l'argent d'abord, c'est ce qui la motive le plus, un coeur sec, très sec, aucune humanité. Je vois le genre.
    Infréquentable !
    Tu n'auras aucun regret car aucun échange n'est possible avec de telles personnes.
    Je comprends que tu veuilles vider au plus vite l'appartement et ce sera malheureusement pour remuer bien des souvenirs.

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