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La stratégie de l'arbre à disques


Où placer cette note ? Dans la catégorie "Cool memories" ou "Musique" ? Les deux mon capitaine, sauf qu'ici, ce n'est pas autorisé, alors je tranche dans le vif, rangeons ces quelques phrases dans le vaste bazar de mes souvenirs, dont on verra qu'ils sont néanmoins très reliés à mon présent.

Alors donc, j'aimerais remonter un peu le temps et... attention, je vous parle d'un temps que les moins de... 40 ans ?, ne peuvent pas connaître ! Bref, nous sommes le mercredi 13 décembre 1972 et me voici en possession d'un précieux billet de 100 francs (somme considérable si l'on veut bien la rapporter à mes émoluments mensuels d'alors, en d'autres termes mon argent de poche, soit 5 francs), prêt à une dépense dont je rêve depuis plusieurs semaines déjà. Mais je vais un peu vite...
Revenons d'abord à un autre jour, un jeudi celui-là, le 27 janvier de cette même année 1972 (tiens, les gamins, je vous rappelle qu'à cette époque - et c'était la dernière année scolaire sous ce régime - on n'allait pas au collège le jeudi après-midi), qui fut en quelque sorte ma déclaration d'indépendance, le jour où je me suis affranchi de ma fraternelle et néanmoins bienveillante tutelle musicale. En effet, je n'avais vécu jusque là que dans l'ombre de mon frère aîné qui, en matière de musique, m'avait tout appris, à commencer par les Beatles, les Rolling Stones, puis en passant par les premiers disques de King Crimson, et bien d'autres encore. Tout ce que je connaissais, je l'avais appris de lui qui, patiemment, avait accepté sans renâcler ma présence à ses côtés dans sa chambre. Mais je n'existais pas par moi-même (d'ailleurs, mes soeurs ne manquaient jamais de me rappeler que je faisais "tout comme mon frère", raah, les vilaines...). Or donc, ce jour célèbre, je fis l'acquisition d'un double LP du Grateful Dead, dont j'avais lu tant d'échos flatteurs dans Best et Rock & Folk qu'il m'avait semblé inévitable d'aller à sa rencontre, alors même que mon propre frère ne m'en avait jamais parlé !!!
Et là, ce fut le choc : cette musique était pour moi, elle me parlait, elle m'était destinée, Jerry Garcia (leader charismatique du groupe disparu le 9 août 1995) se confiait à moi ! Je tenais enfin MON univers, je ne le devais à personne !
1972 fut donc l'année de toutes les acquisitions : une semaine plus tard, l'album solo de Jerry Garcia tout frais dans les bacs, puis le premier album du Grateful Dead, puis "Anthem of the Sun", puis "Aoxomoxoa", puis "Live Dead", puis "Workingman's Dead", puis "American Beauty"... autant vous dire qu'en ces mois fiévreux, je menais une vie quasi monacale eu égard à l'affectation obsessionnelle de l'intégralité mon budget. Et je me dois aussi de vous confier mes émois en lisant dans la presse musicale les comptes-rendus de la tournée européenne et printanière du groupe en France (à l'Olympia, salle dont j'ai fait tout récemment la connaissance pour un concert de Magma dont je vous parlerai très prochainement), en Angleterre, en Allemagne...
Je suis trop long ? Vous ne voyez pas le rapport avec mon billet de 100 francs ? J'y viens et pour cela, avançons un peu dans le temps pour arriver au mois de novembre : j'apprends la publication de "Europe '72", triple album du Grateful Dead enregistré durant sa tournée européenne du printemps !!! Arrgh... J'ai plus un centime dans mes popoches... et la chose coûte une fortune... Inutile de vous dire que dès cet instant, j'ai cessé de vivre, d'autant que j'avais pu entendre des extraits plus que prometteurs de ce disque à la radio.
Pas un sou, obligé de contempler la belle pochette en rendant une visite quasi quotidenne à mon disquaire (au moins, de ce côté-là, j'étais tranquille, je devais être le seul verdunois à m'intéresser au Grateful Dead, je ne risquais pas de voir disparaître ce bel objet...)... et de rentrer à la maison les mains vides !!!
Mais en ce beau jour de décembre, le mercredi 13, le miracle arriva : mon parrain et sa femme vinrent rendre visite à notre famille, ce qui me combla de joie car - n'hésitez pas à me trouver vénal, j'avoue - je savais qu'à son départ, je serais en possession d'un billet promu au rang d'étrennes ! Bingo !!! 100 francs, pile poil ce qu'il me fallait... et il n'était que 17 heures !!!
Sans attendre, je mis le cap vers le centre ville et échangeai ma précieuse image contre le disque du miracle !!! Mais là... désolé de vous infliger cette cocasse péripétie, le plus dur restait à faire : rentrer chez moi sans faire savoir que j'étais en possession d'un disque d'une telle valeur et que j'avais dépensé en quelques minutes l'intégralité de mes étrennes... Car mes parents avaient beau connaître ma passion pour la musique, ils n'aimaient pas vraiment apprendre que tout argent liquide faisait chez moi l'objet d'une conversion intégrale sous forme de disques... Heureusement, j'avais dans l'affaire un précieux allié : l'un des deux grands marronniers se dressant fièrement à l'entrée du jardin (vous allez bientôt comprendre le sens du titre de cette note). Il me fallait dans un premier temps vérifier que personne n'était en vue au moment de mon retour, puis ouvrir le moins bruyamment possible la grille de l'entrée (toujours rouillée, jamais silencieuse) et déposer furtivement le disque derrière le marronnier complice avant de rentrer, les mains dans les poches, arborant la mine réjouie de celui qui se sentait tout heureux d'avoir été faire "un tour en ville". Ensuite, je devais guetter le moment où je pouvais très rapidement sortir dans le jardin, récupérer mon bien, filer dans ma chambre, ranger le disque (sa place était déjà réservée dans le premier rayon de mon armoire), respirer un grand coup, me débarrasser du sac en plastique qui le contenait et... enfin, en déposer la première galette sur l'électrophone (euh, les jeunots, ça vous dit quelque chose ce mot ou je dois expliquer ?).
Et là... le bonheur, je me souviens parfaitement de cette longue et douce dégustation : "Cumberland Blues", "Jack's Straw", "He's Gone", "China Cat Sunflower / I Know You Rider", "Truckin'",... et ce livret dont je contemplais les photos avidement, encore et encore... et cette belle pochette : une jambe marchant au-dessus de la Terre, surmontée d'un arc-en-ciel !
Je n'avais pas encore 15 ans, tout cela semble si loin... et si proche malgré tout. Pas plus tard qu'hier, je me suis acheté en téléchargement (je donne cette précision parce que je tiens à faire savoir que je ne pirate pas, moi !) pour une somme modique, 16 €... tiens, c'est bizarre, aujourd'hui je trouve la somme modique alors que si mes comptes sont exacts, elle équivaut à un peu plus de 100 F, c'est-à-dire le coût exorbitant de l'année 1972, mais bon, je m'égare... sur le site Internet du Grateful Dead un magnifique quadruple CD live, enregistré en février 1973. Cinq heures de musique, inaltérable, goûteuse, comme aux plus beaux jours. Et moi j'ai toujours 15 ans !

Commentaires

  • Ouin !!! Moi aussi j'veux un arbre à disques !

  • La stratégie du sac à main.
    Je suis une fille indigne. Alors que papounet s'escrimait à trouver LA musique, je me vautre, parfois, dans le commercial et souvent, dans le David Guetta (qui comprendra un jour car mon interet pour le bonhomme est un simple postulat philosophique: j'aime ce cynisme éhonté. Et les boom-boom derrière accessoirement).
    Bref je me vautre (et pire! achète) dans le Guetta. Alors faire rentrer un Guetta clandestinement chez les Tagada, c'est pas facile. Mais habitant au 2ème étage, sans arbre à proximité, les choses sont différente. Cela dit, à la lecture de ce post, j'ai compris que j'avais adopté la même technique ancestrale que le Y a K.A....avec mon sac à main géant qui permet de faire passer en douce les cd (pourris)...avec l'air innocent de la fille "qui revient d'un tour en ville"...
    (m'en fous, de toute façon le Y a K.A. sait très bien que lorsque je suis loin de mes nanceiennes pénates, c'est pas le Guetta qui me manque...mais le jaaaazz...)

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