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Connaissance et sensualité

Vendredi après-midi, je me suis acheté un livre. Oui, et alors, me direz-vous ? Bonne nouvelle, il avait un peu de temps, il s’est rendu au rayon bouquins dans un magasin dont, pourtant, il essaie de limiter au maximum sa contribution au chiffre d’affaires. On est content pour lui, tant mieux.
Mais qu’est-ce que vous êtes susceptibles ? C’est le soleil qui vous tape sur la tête, vous ne supportez pas le passage brutal de l’hiver à l’été ? Vous en avez marre de voir la tête de Rastaffarin et du baron Machin, vous savez, l’ultra-libéral qui a su trouver en son temps les fonds publics pour renflouer son navire familial ? Oh, c’est pas grave, je vous disais cela uniquement pour vous faire part d’une certaine forme de relation que j’entretiens avec les livres et qui me paraissait un tout petit peu digne de retenir votre attention. Ceux qui m’aiment me suivent et hop !
Donc, j’étais là, devant des centaines de bouquins étalés non sans une certaine indécence, j’avais dans l’idée de lire plutôt un roman, plutôt anglo-saxon et plutôt en collection de poche (c’est quand même moins cher…). Mon œil a parcouru rapidement les piles de hauteurs et de tailles variables, j’ai repéré une couverture plus sympa que les autres, un paysage désertique, des tons allant du beige au brun et j’ai empoigné la chose. Bonne souplesse sous la main (important, ça, la souplesse, parce que quand je lirai dans mon lit, le bouquin ne refusera pas obstinément de rester ouvert, une typographie lisible sans lunettes (ben oui, à 47 ans, il faut accepter de faire quelques concessions et je me suis vu contraint, voici 18 mois, de chausser des loupes pour m’adonner à la lecture), l’idée aussi que le texte n’est pas suffisamment dense pour vous faire tourner les pages une ou deux fois par demi-heure seulement (moi, j’aime bien tourner souvent les pages d’un livre, je lutte ainsi mieux contre le sommeil qui me gagne). En quatrième de couverture, je lis le «pitch», comme dirait l’autre, je constate que le sujet m’intéresse : il s’agit de l’histoire de cinq pénitents qui tentent de survivre durant l’épreuve de la quarantaine, il y a deux mille ans, dans le désert de Judée. Je ne connais pas l’auteur, mais il est anglais, un certain Jim Crace (ce qui me le rend tout de suite sympathique car il est le quasi-homonyme de Jim Croce, un chanteur américain que j’aimais beaucoup et qui, comme d’autres grands, est mort brutalement dans un accident d’avion, vous voyez ici à quel point mon esprit est un peu torturé...) né en 1946. Enfin, le titre est «Quarantaine» et voici qui me correspond bien, pour 3 ans encore, même si je sais qu’il ne s’agit de MA quarantaine à moi tout seul.
Tout cela pour, finalement, dire que j’entretiens avec les livres une relation visuelle, tactile, olfactive même (vous ne respirez pas un bouquin au moment de l’acheter ?) et que je suis persuadé qu’en notre époque de haute technologie et de dématérialisation des supports (celle qui gagne la sphère de la musique notamment, mais qui peut être combattue dès lors qu'un vrai effort est fait dans la présentation, et accessoirement le prix, il suffit pour s'en convaincre de voir le dernier coffret consacré à Charlie Parker dont j'ai déjà parlé ici. Ce coffret donne à lire, à voir et à toucher tout autant qu'à entendre), l’objet livre a encore de beaux jours devant lui. D’ailleurs, les tentatives qui ont vu le jour jusqu’à présent se sont soldées par des échecs, me semble-t-il. Je ne crois pas que les e-books aient connu un franc succès : il leur manque une âme, un parfum, un douceur au toucher qui les rendent uniques. Vous vous imaginez, vous, au lit ou sur la plage, en train de lire sur un écran qui sera probablement illisible la plupart du temps ? Ne tournant plus les pages mais appuyant du doigt sur le bouton «Page suivante» ? Incapables de mesurer le chemin qui vous reste à parcourir jusqu’à la fin ? Nan nan nan… je ne suis pas vieux jeu en disant cela, je suis quasi certain d’avoir raison. Il nous faut préserver cette alliance magique entre connaissance et sensualité !
Le livre est plus menacé par la propagation de l’inculture auprès des générations en devenir par les médias mercantiles que par un hypothétique transfert des textes vers des supports numériques (bien utiles, quant à eux, pour archiver).
Et puis, quelle que soit la stratégie implacable de la communication mise en place à l’échelle de la planète qui a su créer le besoin autour de ces livres, quel bonheur tout de même de voir tous les gamins du monde se précipiter avec leurs parents pour acheter le dernier tome d’Harry Potter ! On les imagine, rentrant chez eux, se nichant dans leur chambre et se mettre… à lire, tout simplement, télévision éteinte ! Alors je me dis qu'avant-hier, devant tous ces bouquins, peinant à choisir, j'étais un peu comme eux, à la recherche de cette magie de l'imaginaire que seuls les livres et ceux qui les écrivent peuvent nous transmettre.

Commentaires

  • Ai-je bien lu ? Lire et sensualité ?!
    Damned ! Me voilà feinté et découvert, car pour moi un livre est comme une maîtresse et de celles-là, j'en ai eu des tas ! Je suis le Casanova de Carnégie, blague locale...

    Un livre, c'est d'abord un grain, un toucher, un relief... et les bêtes folio n'en ont guère... mais les pléiades, oh que oui... La couverture, je ne m'y attarde guère, le maquillage ne me plaît pas, je n'aime pas trop les artifices et Grand-Mamounette m'avait dit un jour qu'elle ne mettait pas de rouge à ses lèvres, qu'elle avait naturellement framboises, parce qu'on tuait des baleines pour les fabriquer et qu'aucune femme ne valait une seule baleine ( même une toute petite et vieille baleine... ). Alors, je délaisse la couverture et cherche l'âme. Les indices sont nombreux pour ceux qui savent les lire. Le parfum, oui, certes, capiteux comme un Morse, délétère comme un Burke, savoureux comme un Lodge, audacieux comme une poésie russe... La parole... ben oui, mon cher Monsieur, les livres parlent... le craquement des pages, la reliure qui chuchote, et la mélodie des feuilles tournées, presque aussi inspirées qu'une impro de Miles... Le corps ! Et là, la pléiade surclasse tous les livres, doré à l'or fin, le papier bible alors que tous mes pléiades sont anti-religieux ( ou l'art de conserver sa fibre anticléricale de manière littéraire ) et son jaune cuivré, qui m'évoque ( allez savoir pourquoi... aujourd'hui une peau huilée ), mais un vieux Livre de Poche, tant de fois parcouru et toujours aussi peu connu n'est pas sans attraits... Et je regrette le temps des livres-hymens, car j'ai connu ce temps ancien, où on s'asseyait avec un orange Pekoe et un couteau en main ( un vrai couteau, le mien vient d'une noble institution militaire pour laquelle j'ai une faiblesse certaine, qui m'a été donné par Grand-Mamounette contre une pièce de 5 francs en argent, pour ne pas briser l'amitié, vieille tradition dans le vignoble champenois ) et où on déchirait les pages, comme un hymen, avec une pénétration toujours hélas trop violente, mais avec une ivresse rare de soudard dans une ville conquise et les mots, alors comme autre chose, s'échappaient, se livraient, nous appartenaient... Mais un livre, c'est bien plus que cela, c'est une âme fidèle, je me souviens de moments où je faisais le ouin-ouin et des poches que j'avais dans ma besace et que j'ouvrais, avec compassion, avec componction et je m'évadais. Mes livres, mes maîtresses, mes soeurs, mes vies parallèles, mes amies d'hier, d'aujourd'hui et de demain... Un de mes grands professeurs parti aujourd'hui boire du Madiran et chasser des loups pour leur voler des lapins... avait tenu en haleine 300 zétudiants dans un amphi en leur racontant la veille de la mort de Mazarin, où ce dernier fièvreux, déjà mort en fait, en pleine nuit, se lève, va dans sa bibliothèque et touche chacun de ses livres, en les caressant, tendrement tout en disant d'une voix étonnament claire pour un déjà-mort, " mes chers objets...qu'allez vous devenir..." Moi, c'est décidé, même si je vais en enfer, j'emporte avec moi mes lentilles... on ne sait jamais... mais pas de préservatifs ! Un livre, c'est sans plastique... sauf chez les nouveaux marchands du Temple... Tout est dit ! Vendre un livre dans du plastique et pourquoi pas un vinyl dans du plastique, tant qu'à faire...

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