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  • Cauchemar logomoteur ou le poulet alcoolique de l'Eglise des Dunes

    En règle générale, au moment du réveil, je ne me rappelle pas mes rêves. Ah, tiens, permettez… une première parenthèse digressive : juste pour vous dire qu'on se rappelle quelqu'un ou quelque chose et qu'on se souvient de quelqu'un. Vous avez remarqué le nombre de personnes qui "s'en rappellent" ? Moi, ça m'énerve… Tiens, c'est comme tous ces hommes politiques qui "tirent les conséquences"… Je leur filerais des baffes, si j'en avais le pouvoir. Messieurs, on tire les conclusions, pas les conséquences ! Les conséquences, comme dirait je ne sais plus qui, elles se tirent toutes seules !!! Oh, je continuerais volontiers en évoquant cet usage du double relatif redondant et inélégant, vous savez, les phrases du genre : "c'est de cela dont il s'agit". Ben non, faut choisir son camp et économiser les relatifs : c'est de cela qu'il s'agit ou bien c'est cela dont il s'agit… Tsss… Je vais devenir intégriste si ça continue. C'est comme quand j'entends quelqu'un dire : "elle n'est pas prête de s'en aller". Là, encore c'est tout faux et je me crispe facilement quand j'entends proférer une telle horreur, car il faut dire, vous le savez tous : elle n'est pas près de s'en aller, ce qui signifie que son départ n'est pas pour demain et que, d'une certaine manière, elle n'est pas prête à s'en aller. Bon, euh… j'en étais où ? Ah oui, mes rêves dont je ne me souviens que de manière exceptionnelle. Il y a juste une catégorie d'aventures nocturnes qui me revient souvent en mémoire : je suis quelque part, n'importe où, et j'ai envie de faire pipi. Et là, je dois toujours trouver une solution pour me soulager, c'est vital. Je crois même me souvenir qu'une fois, j'ai vidé ma vessie… dans un four ! Et je ne vous cacherai pas que dans ces moments pressants, j'ai vachement intérêt à me réveiller illico, sinon gare à la catastrophe. Bon… mais où voulais-je donc en venir ? Attendez… Les rêves… Oui, oui… le dernier, je m'en souviens parfaitement, il est étrange et pénétrant et j'ai décidé de vous le conter, même si je vais pour cela vous infliger un récit qui, de temps à autre, pourra vous sembler incohérent et un tantinet sinistre.

    I had a dream !

    Toute cette drôle d'histoire se déroulait le temps d'un court week-end. Ma fille, celle que d'aucuns peuvent connaître sous l'appellation de La Fraise, nous avait conviés, Madame Maître Chronique et moi-même, à un bien drôle d'exercice, une angoissante course contre la montre. Il nous fallait, en un temps record – un peu plus de vingt-quatre heures – rallier son petit appartement distant de 500 kilomètres, quelque part tout en haut de la France en un lieu que nous appellerons l'Eglise des Dunes, le vider intégralement, emplir de son contenu deux voitures (la nôtre – que certains d'entre vous connaissent sous le nom de Navette Spatiale –  et la sienne, garée là-bas depuis de longues semaines et qu'elle s'imaginait trouver à sa place, bien sagement, prête à démarrer…) et revenir à notre point de départ dans les plus brefs délais. Pour quelle raison ? Allez le lui demander, j'imagine qu'elle ne se plaisait guère en cette région qu'un employeur indélicat lui avait proposé de découvrir, certainement pour la punir d'avoir obtenu de brillants résultats à un concours quelques mois plus tôt. Le monde du travail est … impitoyable !

    Je n'ai que des souvenirs épars du voyage aller : de l'autoroute, de l'autoroute, de l'autoroute, des camions partout, conduits par de gros individus en survêtement parlant une langue inconnue, celle de quelque pays de l'Est. Depuis que nos frontières sont ouvertes aux transporteurs de Hongrie, Roumanie, Slovaquie ou de Pologne, je vous prie de croire que nos nouveaux amis en profitent autant qu'ils peuvent !!!  Ah, les vaches… Même que pendant que vous vous arrêtez pour une légitime pause pipi – désolé pour la récurrence urinaire – vous les trouvez installés devant les lavabos en train de se raser. Je me rappelle également un sandwich un peu mou avec, dedans, une sorte de pâte au thon avec une rondelle de tomate pour faire joli.

    Et puis, quelque six heures plus tard – je vous arrête tout de suite : il n'y a pas de faute à quelque qui ne s'écrit pas quelques, ici c'est la tournure adverbiale qui signifie environ, fin de la seconde parenthèse –  nous sommes arrivés devant la maison où nous attendait, bien sagement, la voiture de notre fille, une petite Honda Logo un peu cabossée quelques mois plus tôt après que sa néo-propriétaire ait vainement tenté de la faire entrer dans le garage de la Maison Rose. J'ai crû comprendre qu'au moment exact de la fatidique manœuvre, la porte du garage incriminé avait opéré un mouvement subit pour venir se gratter le mur contra l'aile droite du véhicule. C'est injuste… Mais revenons à notre histoire car le plus incroyable, c'est que la petite grise était toujours là ! Pas de doute, il s'agissait bien d'un rêve d'autant que quelques minutes plus tard, notre fille, exagérément optimiste, fut prise elle aussi d'une envie pressante :  la faire démarrer pour vérifier que ses projets de déménagement ne seraient pas contrariés par un moteur récalcitrant. Et là… mais oui, je rêvais toujours, la petite japonaise ronronna comme au jour de sa sortie d'usine, au quart de tour ! Ah si l'en allait toujours ainsi dans la vraie vie…

    Tout avait trop bien commencé… mais c'est par la suite que les choses se gâtèrent ! Comment nous retrouvâmes-nous dans les rues désertes d'une ville grise endormie dès 17h30 ? Je l'ignore. Nous marchions, le long d'une digue, dans la pénombre de laquelle nous devinions une étendue maritime un tantinet hostile et froide. Les passants étaient bien rares et nous fûmes intrigués par leur apparence : ils étaient déguisés ! Tous pareils, ou presque ! Des hommes transformés en femmes, avec des minijupes et des collants rayés multicolores, perchés sur de hauts talons et surmaquillés à la façon de clowns grotesques. Tous semblaient rallier une destination inconuue, incertaine, leurs mines sombres masquant mal une détresse assez facilement perceptible. En continuant ainsi notre chemin, nous pûmes scruter l'intérieur d'un bar où d'autres travestis commençaient avec beaucoup d'assiduité le long et pénible chemin de croix d'une inexorable alcoolisation, but ultime et probable de leur pathétique rassemblement. Il y avait même parmi les participants de cette course frénétique ce que je crus deviner comme étant un poulet humain ! Oui, vous m'avez bien lu : un monsieur habillé en poulet – ou en coq, mon souvenir est un peu vague, je l'avoue – qui buvait au milieu des autres, tout aussi avinés. En nous retournant, nous vîmes déambuler sur le trottoir des dizaines d'autres hommes femmes tristes marchant vers cet angoissant nulle part. Je me rappelle également une longue pause dans un restaurant où, entre deux bouchées d'une excellente choucroute aux trois poissons, je ne cessai de lorgner du côté de la fenêtre où j'entrevoyais, encore et encore, ces êtres étranges, maquillés à outrance, arborant des perruques bouclées bleues, jaunes, orange, rouges. Brrr…

    Le problème des rêves, surtout quand ils virent tout doucement au cauchemar comme ce fut le cas, c'est qu'il est bien difficile de s'en extraire et d'en contrôler le cours. Je me sentais comme piégé, prisonnier des ces personnages improbables qui nous auraient bien fait rire dans la vraie vie. Encore que tellement de tristesse se dégageait de leur procession ininterrompue…

    Je ne peux, une fois encore, vous expliquer comment je me retrouvai passager de la voiture de ma fille à la recherche d'une station de gonflage… A quelques centaines de mètres d'une raffinerie, il nous était quasiment impossible de localiser un point de ravitaillement en essence ! Tout cela tournait dans ma tête, les rues, un coup à droite, un coup à gauche et ainsi de suite, défilaient et je ne sentais perdu lorsqu'apparut une enseigne qui fit renaître en nous l'espoir. Peine perdue ! Un fou furieux avait retiré tous les tuyaux et, après une petite hésitation, nous consultâmes deux autochtones matutino-dominicaux pour leur demander s'il serait, éventuellement, possible de dénicher une station service munie de pompes à essence et de gonfleurs avec leurs tuyaux. Nouvel effet pervers de la perception floue des protagonistes au travers du filtre de mon rêve : plus leurs explications étaient fournies en détails, moins je comprenais où ils voulaient nous diriger. Vous allez tout droit, puis vous tournez, vous traversez le canal et vous revenez sur vos pas, c'est tout droit… enfin, un truc dans le genre, incompréhensible mais détaillé et souligné par un sourire désarmant… qui nous changeait beaucoup de tous ces faciès sinistres et bariolés qui continuaient à arpenter les rues de la ville, parfois surmontés d'un parapluie un peu désuet, porté très haut au-dessus de leur tête. Un peu déboussolés, nous reprîmes notre chemin et, prise d'une soudaine inspiration, ma fille décida de trouver l'emplacement d'un supermarché qu'elle n'avait jamais, jusque là, réussi à rallier en plusieurs mois de villégiature nordique. Nonobstant les limitations de vitesse, sa petite voiture filait telle l'éclair jusqu'au moment où – Ô miracle ! – nous aperçûmes une enseigne qui s'avéra être celle d'une station service où trônait un gonfleur en état de fonctionnement…

    Là, j'ai encore comme un grand flou… Me reviennent à l'esprit quelques propos désobligeants sur les hommes qui, selon ma progéniture, feraient toute une histoire de la vérification de la pression des pneus alors qu'il n'y aurait vraiment pas de quoi fouetter une jante… Passons donc à la suite.

    Madame Maître Chronique et sa fille rangeaient, empaquetaient, lavaient, prises d'une frénésie dont je parvenais tout juste à absorber les excédents en chargeant nos deux véhicules à ras bords, non sans les avoir transformées en camionnettes en en rabattant les banquettes arrière. Voilà où mon rêve m'emporta après l'épisode des pompes à essence. Les événements connaissaient une brutale accélération : ces deux-là, visiblement, avaient décidé de mettre fin à notre séjour dans les délais les plus brefs ! Il est bien vrai que très vite, nous fûmes prêts à affronter 500 nouveaux kilomètres. En adoptant une technique particulière toutefois car notre fille avait décidé, la mutine, de piloter sa miniature asiatique du début à la fin, mais toujours accompagnée d'un passager. Une exigence de dernière minute, en quelque sorte. Vous voyez le genre ? Il me fallut d'abord être ce passager et Madame Maître Chronique dut accepter de jouer le rôle de la conductrice solitaire de la puissante navette, obligée de subir je ne sais quelle radio flamande ésotérique pendant que nous, devant, par la force du nombre, avions suffisamment de mains pour trouver, au bout d'une bonne heure de manipulations hasardeuses, un programme écoutable, à base d'opéra. Puis il y eut échange de pilotes et ce fut mon tour de conduire le bolide que je sonorisai à grands coups d'un jazz portalien ou de type texieriste. Fait étrange, je dois confesser qu'il me fallut beaucoup d'ingéniosité pour ne pas me laisser distancer par ma fille qui avait opté pour la formule "je double tout ce qui est devant moi" ; dans mon rêve cauchemar, je fus même obliger d'appuyer fort sur le champignon et de monter la régime de mon moteur alors même que j'avais enclenché depuis longtemps ma sixième vitesse. Et je ne pouvais m'empêcher d'avoir une pensée pour Madame Maître Chronique qui, quelques dizaines de mètres devant moi, était probablement en train de s'accrocher à tout ce qui était à portée de ses mains, priant Saint Dominique pour que leur frêle embarcation ne décolle pas au sommet d'une côte. Je la connais, Madame Maître Chronique, la conduite sportive, c'est pas son truc. Elle aime pas.

    Je me rappelle également le phare anti-brouillard arrière que ma fille décida d'allumer pour une raison qui lui appartient, certainement parce qu'elle aime les signaux clignotants des autres conducteurs éblouis, ça doit être un peu comme une fête pour elle. Et puis, vers la fin, il y eut cette drôle de station service dont tout un côté est constitué en réalité d'un entrepôt de cartouches de cigarettes vendues beaucoup moins cher qu'en France. C'est pire qu'un supermarché du tabac, il y a plein de caissières qui vous attendent, même lorsque vous êtes, comme moi, non fumeur. On y trouve aussi des CD et DVD vierges à des prix imbattables. Il y a un monde fou là-dedans, ça grouille, ça dépense. Moi-même, dans mon rêve, je n'ai pu résister à un achat impulsion d'une bonne centaine de disques à graver pour quelques menus euros. Ne me demandez pas le prix, faut pas exagérer tout de même.

    La nuit est tombée, nous sommes arrivés, nous avons vidé tout l'appartement de notre fille dans la chambre de son frère parti cohabiter avec des congénères musiciens depuis le mois de septembre.

    Et là, je me suis réveillé, un peu assommé, toutes ces épreuves nocturnes m'avaient complètement épuisé malgré une nuit de sommeil.

    Il reste un mystère que je n'ai pas élucidé : j'ai raconté minutieusement mon songe à mes complices de déménagement virtuel. Pour une fois que je me rappelais tant de détails et que j'avais gardée intacte la chronologie des événements, j'étais heureux de les en faire profiter, espérant même les amuser. Je n'eus même pas le temps de profiter du plaisir de mon histoire bizarre ! Toutes deux avaient fait le même rêve, le départ vers l'Eglise des Dunes, les poulets travestis alcooliques avec des parapluies, leurs regards perdus, le vidage complet de l'appartement, retour sur les chapeaux de roues dans une nuit clignotante et le supermarché aux cigarettes. Même que ma fille a donné sa version des faits dans son propre blog !

    Voilà pourquoi j'ai choisi de vous la raconter, cette histoire, parce que si vous me dites que vous aussi, vous l'avez vécue… je rends mon tablier et je vais me déguiser en poulet !

  • Chasse nocturne

    Je me dois de vous confesser mon inquiétude... Imaginez qu'au sortir du très beau concert des frères Moutin que j'évoquais l'autre jour, je me suis trouvé fort dépourvu lorsque je me rendis compte que nos chers amis musiciens avaient oublié d'emporter avec eux leur petit stock de CD destiné à la vente et, pourquoi pas, à la dédicace. Zut, moi qui avais attendu ce soir-là pour acheter "Something Like Now", je n'avais plus qu'à me faire voir ailleurs. C'est là que de drôles de phénomènes, a priori sans rapport les uns avec les autres, ont commencé à se manifester. Récit de 48 heures un peu spéciales.

    A peine avais-je quitté mon bureau lundi dernier que je me précipitai chez l'un des principaux disquaires de ma chère cité. Je ne dois pas le nommer, disons qu'il est une institution, en particulier du fait de son ouverture dominicale qui en fait un véritable lieu de promenade et un salon de lecture où il est de bon ton de s'installer tout en feignant d'ignorer les  clients qui aimeraient se frayer un passage. Le seul hic, c'est que le magasin a récemment été racheté par un groupe plus puissant dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne laisse guère espérer de sa part une forte propension à nous proposer des articles culturels un tant soit peu hors des sentiers battus. Wait and see... C'est donc un peu le foutoir dans ce vaste espace, y a des bouquins partout, sur plusieurs étages, une salle entière consacrée aux DVD et un rayon disques plutôt bien fourni au sous-sol. Sauf que... parmi les milliers de galettes rangées selon un ordre dont la logique peut parfois échapper aux esprits trop cartésiens, y a pas mon disque ! Mais c'est fou, ça ! Des musiciens viennent ici, tout près, pour donner un concert magnifique et c'est un complot pour que personne n'achète le disque dont ils ont joué une grande partie deux jours plus tôt.
     
    Puisqu'il en est ainsi, je fis abstraction de toutes mes habituelles réserves et me rendis vers une autre destination, un vaste supermarché de la culture qui, il y a bien longtemps, se prétendait un agitateur. Qui ne semble plus agiter grand chose, sinon le chiffon rouge de régulières restructurations économiques visant à s'attirer la clémence de je ne sais quelle caisse de retraite pour milliardaires de Floride, dont on dit régulièrement qu'elle pourrait en faire l'acquisition, à condition toutefois que l'agitateur en question veuille bien se décarcasser pour agiter au minimum ses dividendes. A moins que l'acheteur supposé ne soit une banque internationale. Inutile de vous laisser plus longtemps dans une insupportable attente : chez l'agité, y a pas de Moutin non plus ! Un peu déçu tout de même et espérant n'avoir pas vu le CD pourtant présent dans les bacs, j'avisai un vendeur et lui fis part de mon problème : "Euh... le dernier disques du Moutin Réunion Quartet", vous ne l'avez plus ?" Notez que je dis "plus", ce qui signifie que, dans ma grande innocence, j'espérais à ce moment précis qu'il eût pu (bien le subjonctif passé, bien...) auparavant l'avoir en stock. Mine désappointée du responsable du responsable du rayon, qui me dit (attention, c'est un grand moment) : "Oaaaarf... Naaaan... On n'en a pas, on en commande plus, ça se vend pas..." Vous pouvez répéter ? On n'en a pas, parce que ça ne se vend pas ! Ah oui, c'est vachement logique comme truc : on le met pas dans le magasin, comme ça on n'est sûr de pas en vendre. C'est grosso modo ce que je répondis à notre homme qui, j'en suis persuadé, n'a pas décelé à ce moment précis chez moi la moindre esquisse de soupçon de début de trace d'ironie. Et je fais comment, moi, pour m'acheter le disque des Moutin, moi, je fais comment ? "Ben... euarh... si vous voulez, on vous le commande !". C'est sûr, tu m'as bien regardé. T'es pas bien toi, tu viens de me dire que tu les commandais pas et tu veux bien maintenant ? Rien du tout, j'agiterai pas les dividendes de ton patron encore breton pour l'instant et j'irai me faire voir ailleurs. Non mais des fois...
     
    Il me restait alors une ultime solution : la commande en ligne. Je renonçai à mon fournisseur favori (ah ! ma zone !), qui m'annonçait je ne sais combien de semaines de délai. Pas le temps d'attendre, une Moutinite aiguë, faut la soigner assez vite, sinon, ça vous démange de partout. Donc là, c'est pas possible, désolé. Alors je me rendis sur le site de mes musiciens chouchous (www.moutin.com) et je pris connaissance du nom de leur label, en l'occurrence Nocturne. Ni une ni deux, je claviotais www.nocturne.fr et, en quelques clics, mis la main (enfin, pas exactement la main, c'est une image, arrêtez de croire tout ce que je vous dis) sur le disque tellement convoité : DISPONIBLE ! Et pour un prix tout à fait correct, frais de port inclus. Je n'avais plus qu'à accéder à la boutique en ligne et valider mon achat. Sauf que... gagné par l'impatience qu'avaient fait naître en moi tous ces virages commerciaux, je fus pour ainsi dire victime d'une glissade de souris et bouclai mon achat avant même d'avoir spécifié mon moyen de paiement. Un complot vous dis-je ! Il y a quelqu'un qui ne veut pas que j'achète le disque des frères Moutin, je le sais ! Il me fallut subir les assauts de mon client de messagerie qui m'expliqua que ma commande était bien validée... Comment ça, validée ? J'ai pas payé !!! Pfff... Là, je ne vous le cache pas, j'ai failli tout abandonner. Je n'étais même plus certain d'avoir bien assisté au concert dont je vous ai proposé le compte rendu voici quelques jours. Durant quelques instants, j'eus même quelques doutes quant à ma propre identité, c'est vous dire...
     
    Alors, mon général, on fait quoi maintenant ? Ben, on prend ses petits doigts, caporal, et on écrit à Monsieur Nocturne pour lui expliquer le problème et lui demander comment procéder ! A vos ordres mon général ! J'ai donc écrit à Monsieur Nocturne, qui s'est avérée dans un premier temps être une madame Nocturne, ce qui, vous en serez d'accord, ne change absolument rien. Voici sa réponse, très exactement :
     
    "Bonjour. Il faut procéder au paiement par carte bancaire pour que votre commande soit validée. La commande est envoyée automatiquement à nos clients, même si cette dernière n’est pas payée. Quand une commande n’est pas réglée par carte bancaire, elle est automatiquement annulée.
    Question PERSO : Êtes-vous gendarme ?? Si oui , quelqu’un de notre société souhaite vous parler.
    Très cordialement
    Nocturne."

    J'avais donc ma réponse puisque Madame Nocturne me conseillait finalement de renouveler ma commande et de ne pas me mélanger les crayons informatiques à nouveau. Mais la suite du message, vous y comprenez quelque chose, vous ? "Êtes-vous gendarme ?" A ce moment précis, j'ai commencé à avoir très peur : aurais-je mis le pied dans une boutique obscure dont les responsables auraient craint de ma part, enfin, la révélation de leurs activités illégales ? Pourquoi moi ? Je veux acheter le disque des frères Moutin, un point c'est tout ! Je ne suis pas gendarme, je ne l'ai jamais été et à supposer que j'ai envie de le devenir un jour, ça ne m'arrivera jamais, je suis bien trop vieux pour ça ! Alors pourquoi toutes ces questions ? Et puis, cette façon de me dire "question PERSO" écrit en majuscules, au cas où je comprendrais mal. Je respirai un grand coup et répondis avec ce ton affable (à fables ?) qui me caractérise : "Non, je ne suis pas gendarme, désolé !". Je ne sais même pas pour quoi je tins à leur faire savoir que j'étais désolé, parce qu'en réalité je ne l'étais pas. Intrigué, oui, désolé, non !

    La réponse à tout ce mystère ne se fit pas attendre, car deux heures plus tard, je reçus cet ultime message, accompagné de la validation de ma commande qui, cette fois, n'avait donné lieu à aucun ratage : " Un ami que je n’ai pas vu depuis longtemps est Gendarme, il se nomme Maître Chronique, voilà la raison de ma question."

    QUOI ? Un autre Maître Chronique ici-bas ? On se moque de qui ? Il n'a qu'un seul Maître Chronique sur Terre et c'est moi. Cet autre n'est qu'un usurpateur. J'écrivis donc une ultime réponse par laquelle je fis savoir que je n'étais pas ce Maître Chronique là et paraphai mon message d'un "Maître Chronique, le seul, l'unique, le vrai", vengeur.

    Depuis, Monsieur Nocturne ne m'a jamais plus donné de nouvelles, je crois qu'il a compris son erreur et se morfond dans la pénombre de la pièce où sont entreposés tous les disques dont ne veulent plus les grandes surfaces de la culture.

    Ah si, tout de même : dès le lendemain, un petit paquet m'attendait en la Maison Rose. Avec une remarquable célérité, Monsieur Nocturne m'avait fait parvenir ce disque Graal qui m'avait, durant toute une soirée, valu tant d'aventures.

    Mais je suis certain, certain, toutefois, qu'il s'agit d'un complot !

    NB : en réalité, Monsieur Nocturne n'évoquait pas Maître Chronique dans son message mais les prénom et nom sous lesquels je me cache au quotidien. Que je ne peux vous dévoiler, malheureusement. Ce qui ne change absolument rien à l'histoire, vous l'admettrez.

  • Les frères Moutin, on y revient !

    Quelque dix minutes avant le début du concert du Moutin Réunion Quartet à la MJC Pichon de Nancy, le public très clairsemé - une petite quarantaine de personnes, dont pas mal d'habitués qui se retrouvent là et bavardent dans le hall d'entrée - témoignerait-il, avec un certaine cruauté, de l'indifférence de nos concitoyens face à un panorama musical dont l'indigence télévisuelle est aujourd'hui la marque ? Pourtant, une si belle affiche, un prix d'entrée somme toute raisonnable (12 €), une salle confortable... autant d'atouts qui auraient dû produire leurs effets à plein. Mais tel ne fut pas le cas, malheureusement. Une fois encore, les absents ont eu tort et les présents, dont l'enthousiasme a crû de minute en minute au fil d'un très beau concert, se sont félicités d'avoir eu raison. Les frères Moutin ont déployé leur jazz tout en énergie et générosité, ce fut pour nous un moment privilégié dont nous eûmes bien du mal à nous extraire une fois sortis de la salle.

    medium_moutin.jpg Que dire des frères Moutin ? Ces deux jumeaux, François à la contrebasse et Louis à la batterie, font partie de ce que l'on pourrait appeler la crème de la scène jazz française. Musiciens surdoués, ils ont déjà côtoyé depuis vingt ans un nombre incalculable de musiciens de haut vol et se sont également illustrés dans bon nombre d'enregistrements mémorables. Pour ma part, je dois remonter au début des années 90 pour retrouver la trace du patronyme Moutin dans ma discothèque. François est en effet à l'affiche du splendide "Headgames" du MegaOctet d'Andy Emler et du non moins magnifique "Anyway" de Michel Portal. En outre, j'ai eu l'occasion de me délecter, voici cinq ans maintenant, de la participation des deux frères au très beau "Summertime" en trio d'Antoine Hervé. Et j'avais prêté une oreille à une précédente mouture de leur quartet (avec Baptiste Trotignon au piano et Sylvain Beuf au saxophone) ; de plus, j'étais depuis quelque temps très sensible à un extrait de leur dernier CD, "Something Loke Now", régulièrement entendu sur la chaîne Mezzo. C'est dire que leur venue, ici à Nancy, fut pour moi le moment idéal pour venir à leur rencontre et apprécier toute la force d'une formation qui repose non seulement sur l'étonnante complicité, preque surnaturelle, entre les deux frères, mais aussi sur le talent du pianiste Pierre de Bethmann et les enluminures du saxophoniste américain Rick Margitza.

    Dès les premières secondes de "M.R.C.", le ton est donné : c'est un concert à haute énergie qui nous est offert. Pulsion constante de la batterie - Louis Moutin, pour notre plus grand plaisir, se tient de profil par rapport à la scène, ce qui nous permet d'admirer son jeu de pieds, soutien mélodique et rythmique sans faille de la contrebasse, dont les unissons avec la main gauche de Pierre De Bethmann vont faire merveille de même que ses échappées dans le registre aigu, lyrisme de Rick Margitza (qui, disons-le en passant, fut l'un des derniers saxophonistes de Miles Davis). On est d'emblée émerveillé par les regards complices que s'échangent François et Louis Moutin et leur complicité gémellaire est tout simplement fascinante ! Ces deux-là jouent ensemble, inventent ensemble, vibrent ensemble, transpirent ensemble. Cette communion des notes sera comme idéalisée dans un "duo de jumeaux" appelé "Bird's Medley", suite de thèmes de Charlie Parker que nos deux hommes interprètent avec un évident bonheur (Louis Moutin délaissant baguettes et balais pour jouer à mains nues). Malgré les années de travail en commun, les sourires échangés par ces deux extra-terrestres sont ceux de musiciens qui redécouvriraient à chaque concert le bonheur d'un dialogue jubilatoire et réinventé. Le public ne s'y trompe pas et compense son petit nombre par une chaleur et un enthousiasme qui toucheront le coeur de nos quatre héros d'un soir, visiblement émus jusqu'à la dernière seconde du rappel ("Africa", torride).

    Il serait injuste toutefois de n'évoquer que François et Louis Moutin et de ne pas souligner le travail remarquable de leurs deux acolytes. Le jeu de Pierre De Bethmann (souvenous-nous du si beau trio Prysm, redécouvrons également son Ilium Quintet ou sa collaboration avec le saxophoniste David El Malek) est empreint de frénésie et de lyrisme, ses doigts courent littéralement sur le clavier, véritables marathoniens de la musique. Il est à lui seul une source intarissable d'où coulent avec une remarquable fluidité des rivières de notes. Rick Margitza quant à lui, presque discret dans la première demi-heure du concert, montera progressivement en puissance et nous gratifiera de quelques moments de bravoure dont un duo / duel avec Louis Moutin à la batterie, dans le plus pur esprit de ce que nous proposèrent voici 40 ans John Coltrane et Rashied Ali sur le disque "Interstellar Space" ainsi qu'une cadence - merci à mon musicien de fils de m'avoir rappelé que l'interprétation en solo de la fin d'un morceau s'appelait ainsi, j'avoue ici humblement mon inculture - pour conclure, seul, la très belle ballade appelée "Surrendering". On ne peut s'empêcher de penser au regrettté Michael Brecker, quelques années plus tôt, qui interprétait seul le "Naima" de John Coltrane.
     
    Deux heures de musique, deux heures de générosité, une belle offrande. Merci à vous messieurs ! Nous reviendrons, c'est promis.
     
    Pour en savoir plus : http://www.moutin.com, avec en écoute des extraits du dernier CD "Something Like Now", des biographies des musiciens, des liens, bref... tout ce qu'il faut savoir !

  • COgitations

    « Mais qu’est-ce qui leur arrive ? Hé ? Ho ? Ca va pas la tête ? Z’êtes devenus fous ? » Non, mais, attendez que je vous explique ce qui m’arrive. Je suis là, dans ma chambre, tranquillement allongé, je viens seulement de me réveiller et je me rends compte que mon frère est en train de m’embrasser à pleine bouche – jamais je n’aurais pensé ça de lui… Notez bien, je ne juge pas, c’est sa vie, il est libre… – pendant que ma mère, livide comme un ciel lorrain pluvieux au mois de novembre, me conjure de prononcer le nom des Bee Gees ! Non non, vous ne rêvez pas : les Bee Gees ! Je ne voudrais pas être désagréable, mais ça aurait pu attendre un peu, laissez-moi émerger les amis, on est samedi, y a pas collège aujourd’hui, rien ne presse et cet après-midi, c’est Intervilles à Verdun, avec Guy Lux en vrai ! Nous sommes le premier mai, c’est la fête du travail, on va pas s’exciter comme ça sur le nom des frères Gibb ! C’est peut-être parce qu’ils ont une chanson qui s’appelle « First Of May » que ma mère y tient tellement. Mais d’un autre côté, ça m’étonne quand même parce que je ne la connaissais pas sous cet angle, ma mère, je savais pas que ça l’intéressait la musique anglo-saxonne, j’en étais resté aux Compagnons de la Chanson, Fred Mella, Jean-Louis Jaubert, Jean Broussolle… Quant à mon frère, ce serait bien qu’il arrête un peu parce que, sans vouloir être oiseau de mauvais augure, y a juste derrière lui un type en uniforme qui va l’enfermer au poste de police s’il continue à me malaxer les lèvres !!! Enfin, quand je dis police, je suis pas certain, je ne reconnais pas bien la tenue et puis il y a ce casque un peu inhabituel. Oui. Et puis je trouve que mon lit est un peu dur ce matin… Mais c’est bizarre tout de même, j’ai l’impression d’être allongé par terre parce que ma tête est à la hauteur des pieds de ma mère, alors à moins de supposer qu’elle ne soit parvenue à un état de lévitation suite à sa découverte des mélodies des Bee Gees, j’explique pas, mais vraiment pas. Et je suis en slip. D’habitude, je ne dors jamais en slip. Je porte un pyjama.

    Je crois que je commence à comprendre tout doucement…

    Tout à l’heure, j’étais déjà levé. J’ai même pris mon petit-déjeuner. Et puis je me souviens que j’ai voulu prendre un bain. On peut pas dire que j’étais sale, mais aujourd’hui, c’est un samedi qui compte comme un dimanche : oui, c’est ça, nous sommes le samedi 1er mai 1971 ! Alors, on va pas attendre dimanche pour le bain, on se débarrasse du lavage aujourd’hui. Surtout que cet après-midi, il paraît qu’on ira tous au Parc de Londres – c’est le stade qui s’appelle comme ça, à Verdun – pour voir Intervilles avec Guy Lux. C’est pas que ça me passionne vraiment, mais ça changera un peu.

    Donc, je suis monté à la salle de bains. Ce qui a installé ma mère dans un état d’inquiétude maximale, parce qu’elle crève de trouille à chaque fois qu’on va dans cette pièce et qu’on met en route le chauffe-eau, une machinerie qui présente une caractéristique vachement sonore : bien souvent, sa mise en marche déclenche une sorte de déflagration pas vraiment rassurante. Ca doit être une histoire d’entretien, je ne sais pas trop, le principal, c’est que l’eau chauffe, non ? Un chauffe-eau, vous, vous lui demandez quoi d’autre ? Faut dire que notre maison – enfin, la maison que louent mes parents depuis bientôt 10 ans – n’est pas de première fraîcheur, et je ne sais pas si l’idée d’une norme en matière de chauffage ou d’électricité a traversé un jour le cerveau de nos propriétaires invisibles. Mais on l’aime bien cette maison, avec ses deux grands marronniers qui allaient devenir mes complices à chaque fois que j’aurais envie d’un disque. Il y a aussi ces parterres de fleurs, circulaires, autour desquels j’entame de temps à autres une course-poursuite avec mon père, qui caresse obstinément l’espoir de me rattraper malgré le fait qu’en règle générale, j’ai toujours un tour d’avance. Et là-haut, au deuxième étage, c’est le lieu de tous nos exploits sportifs de carton où mon frère m’a initié il y a quelques années maintenant à la pratique du jeu des petits coureurs. Et dans le jardin, là, à droite du marronnier de droite, combien de buts n’avons-nous pas marqué ou encaissé ? Je ne suis pas certain que les massifs de fleurs partageraient notre enthousiasme, mais je peux vous dire que les ballons ont déjà pas mal fusé par ici. De l’autre côté, près du garage, il y a le potager avec les lapins, le tas où l’on dépose toutes les épluchures. Tiens, c’est là qu’un soir, je me suis retrouvé tout bête parce que je venais d’apprendre qu’un coureur cycliste anglais était mort en escaladant le Mont Ventoux. Le Tour de France 1967, je crois. Il y a aussi cette cave ou mon père va alimenter la chaudière en chardon, c’est quand même chouette, non ? Nous, on appuie sur des boutons de nos jours, des fois ça marche, des fois ça vous dit : défaut brûleur. Lui, il bossait pour qu’on ait chaud. Vraiment, cette maison est un peu pourrie, mais c’est la nôtre. Alors on s’est tous habitués à ses facéties et en particulier celle du chauffe-eau. Tous sauf ma mère qui est persuadée qu’on va y passer l’arme à gauche à chaque fois qu’on en franchit la porte. C’est la raison pour laquelle, dès lors que l’un d’entre nous s’y installe à des fins d’hygiène, il faut absolument qu’elle vienne frapper à la porte toutes les trois minutes et qu’on lui réponde que tout va bien.

    Je me souviens parfaitement que j’ai pris mon bain tout à l’heure. C’est après que, dans ma tête, les faits s’entourent d’un flou que je ne m’explique pas trop bien. Je me rappelle ces petites étoiles qui clignotaient un peu partout. Je sais que je suis sorti de la baignoire, je me suis séché et j’ai enfilé mon slip… à moitié. Après, c’est le trou noir. Défaut cerveau.

    Y a mon frère qui est là, ma mère juste derrière et au moins un pompier, sinon deux. On dirait qu’il m’est arrivé quelque chose. Mais bon, ça va mieux, je sais où je suis : dans ma chambre, allongé à même le parquet, en slip, et tout le monde semble s’intéresser drôlement à moi. Je crois comprendre que je suis tombé dans les pommes et que je me suis effondré derrière la porte de la salle de bains. C’est probablement parce que je ne répondais pas à ma mère qu’il y a eu comme un affolement. Surtout que je bloquais l’ouverture. Ensuite, je ne sais pas trop qui m’a sorti de là et comment, mais quelqu’un y est arrivé.

    Je suis réveillé mais quand même un peu dans les vapes ! Faut pas exagérer non plus, je fais le malin parce que je vous raconte, mais je me sens faiblard. Les pompiers m’ont pris en charge et fait monter dans leur camion rouge. Là, je fais une toute petite digression, mais je me sens obligé de vous confier que dans les dix minutes qui ont suivi, j’ai ressenti – très égoïstement – un sentiment de fierté comme je n’en avais jamais connu jusque là ! Attendez, faut me comprendre : j’ai traversé toute la ville à la vitesse de l’éclair, toutes sirènes hurlantes ! Le pied ! Rien que pour moi, le défilé à fond les ballons ! Remarquez, j’exagère là encore parce que traverser en camion de pompier la ville de Verdun à grande vitesse, ça ne prend pas dix minutes… En dix minutes, vous en faites au moins deux ou trois fois le tour… Verdun est une jolie petite ville, certes, mais c’est dans ces moments très particuliers que vous comprenez que c’est avant tout une petite ville.

    Le reste de la journée fut nettement moins passionnant : je me suis retrouvé au lit, à l’hôpital, j’ai vu des médecins, des infirmières, on m’a enfiché un tuyau vert à double branche dans le nez – je crois que c’était de l’oxygène – on m’a expliqué que j’avais été victime d’une intoxication au monoxyde de carbone – tiens, je vous l’avais bien dit que ce sacré chauffe-eau était un petit rigolo – dont la formule chimique est CO. C’est un truc vachement vicieux, ça sent rien, ça fait pas mal, non, ça vous envoie dans le coton en quelques minutes, vous voyez rien venir. Quand même, vous imaginez qu’à un certain moment, j’ai enfilé mon slip, j’ai passé la première jambe et… zou… plus personne, même pas le temps de finir. Ouah, ils ont dû voir mon zizi en plus… La honte, quand je pense qu’il y a encore peu de temps, je prenais mon bain en slip pour être certain que personne ne me voie nu… Ben là, c’est râpé, ils ont pu admirer le paysage, j’espère que c’est pas pour ça que mon frère m’embrassait sur la bouche. Non, non, si j’ai bien compris, c’est même lui qui m’a ranimé, avant que les pompiers ne débarquent – ce qui n’a pas empêché la presse locale, dès le lendemain de leur attribuer ce mérite. Ah les salauds ! C’est le frangin qui fait tout le boulot, eux, ils viennent juste pour conduire leur camionnette rouge et on les félicite. C’est dégueulasse, ce côté prestige de l’uniforme. Ils veulent pas une médaille, en plus ?

    Y a plein de monde qui est venu me voir, mes grands-parents étaient là, ils étaient contrariés eux aussi. Moi, ça m’ennuyait que tout le monde soit triste à cause de moi. Alors pour ne pas les attrister pour des pommes – celles dans lesquelles, manifestement, j’étais tombé, j’ai quand même terminé l’après-midi en vomissant. C’est un de mes trucs ça, vomir. Quand je fais du sport, au collège, je chope un mal à la tête carabiné tout le reste de la journée et à la fin, je vomis. Ben là, j’ai fait la même chose, au moins, je me suis dit que tous mes proches ne s’étaient pas fait du souci pour rien.

    Cette drôle d’histoire a eu deux conséquences bien particulières : depuis ce jour, je nourris une méfiance absolue à l’encontre de tous les appareils utilisant le gaz. Ces bestiaux là, je ne les aime pas, je les guette du coin de l’œil. Récemment, j’ai raconté ici même les mésaventures qui m’ont opposé à ma chaudière : normal, la chaudière, c’est l’ennemi ! C’est comme un chauffe-eau. Quant à la gazinière, je ne lui fais pas confiance non plus : à peine avons terminé de cuisiner que j’ai déjà fermé la manette d’arrivée du gaz. Quand je pars au boulot, il n’est pas rare que je remonte à la cuisine pour vérifier que je n’ai pas laissé le robinet ouvert. Moi, je n’y suis pour rien, c’est inutile de vous moquer de moi, on voit bien que vous n’avez jamais connu un chauffe-eau comme celui du 1er mai 1971. Méfiez-vous des gazinières…

    L’autre conséquence, elle est calendaire car figurez-vous qu’après cette hospitalisation dont la durée n’excéda pas une grosse demi-journée, j’ai fréquenté ce milieu une seconde fois, 8 ans plus tard, jour pour jour. Le 1er mai 1979, j’entamais une nouvelle aventure que je vous raconterai prochainement : ce seront les thrombochroniques ! Et celles-là, elles ont duré bien plus longtemps, j’irais même jusqu’à dire qu’elles sont toujours bien vivantes ! Je vous laisse seulement deviner que cette maudite fête du travail est devenue pour moi un jour fatidique en puissance. Depuis bientôt trente ans, je n’aime pas le 1er mai, cette journée est signe de menace, j’évite les longs déplacements, je végète, je me laisse gagner par une boulimie de nonchalance, c’est mon principe de précaution à moi.

    A propos du 1er mai 1971, vous savez quoi ? 25 051 jours plus tôt, le 29 septembre 1902, un certain Emile Zola – un de mes écrivains préférés – n’avait pas la chance d’être surveillé par une mère inquiète et mourait des suites d’une intoxication au monoxyde de carbone. Il n’allait pas pouvoir terminer la rédaction de son quatrième évangile. Promis, je vais le venger.
     
    PS : mon Quiet Man de frère évoque de son côté cette drôle de journée. Pour le lire, c'est ICI !