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StimuloChronique - Page 2

  • Stimulo 2, unis pour la vie !

    Il y a maintenant quasiment 15 ans, j'avais écrit quelques notes avant et après la pose de mon premier pace maker. Par je ne sais quel miracle, alors qu'elles étaient stockées sur une disquette (vous savez, les trucs plats qu'on insérait autrefois dans les ordinateurs) méticuleusement cachée par mes soins là où elle n'aurait jamais dû se trouver, j'avais pu les retrouver dans leur format d'origine et les livrer ici-même à votre intraitable lecture. Enfin, quand je dis miracle, peut-être aurais-je pu également les détruire...
    Aujourd'hui, en février 2006, l'assassin revient sur les lieux du crime et vous propose un petit compte-rendu de ces 24 heures que je viens de passer en clinique. Et bien conscient du caractère bénin de l'intervention chirurgicale que j'ai subie, je ne me laisserai pas aller à quelque apitoiement que ce soit sur un sort que, finalement, des centaines de millions d'individus de par le monde envieraient probablement à juste titre.
    Et puis... il a dû encore se passer tout un tas de choses horribles ici et là depuis lundi... Alors, oui je sais, tout cela est certainement très égocentrique. Tant pis, j'assume ! J'écris aussi pour ne pas oublier.
    Selon toute probabilité et si j'en crois les éminents spécialistes qui se sont penchés sur mon cas, la durée de vie de ce nouveau stimulateur est estimée à 15 ans, tandis qu'il faudra envisager un changement de la sonde dans 10 ans. Je vous donne dès à présent rendez-vous en 2016 pour le troisième volet de ces aventures, que je rassemblerai probablement dans un somptueux coffret avec bonus et textes inédits. J'en ouvrirai la souscription vers 2012.
    Enfin, je vous avertis que le style de ces notes sera plus concis qu'à l'habitude, car j'ai privilégié le témoignage en quasi « direct live ». Point trop de parenthèses, peu de digressions, mais plutôt une suite d'impressions et de faits reproduits au plus près de leur vérité.
    Et je dédie ce texte modeste à ma petite femme qui, nonobstant un emploi du temps surchargé et une importante réunion, a réussi le tour de force d'être présente lundi après-midi et une bonne partie de la journée de mardi, adoucissant ainsi ces heures grises comme le mur de ma chambre d'hôpital. Miracle de la Saint-Valentin ?
    A vous Cognacq-Jay, à vous les studios.

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    Salle d'attente au service des entrées de la polyclinique. Je regarde mes voisins. Que des vieux. Je n'ai rien contre les personnes âgées, notez-le bien, sauf quand elles vont dépenser leur retraite dans les casinos, mais ça, c'est une autre histoire. Mais ce qui m'étonne toujours, c'est cette impression d'être arrivé là un peu en avance, comme quand j'étais gamin, à l'école ou au collège, plus jeune que les autres. Puis vient mon tour. Questions rituelles posées par une opératrice qui ne quitte pas son écran des yeux. Et lorsqu'elle édite les planches d'étiquettes qu'elle ira coller un peu partout et qui me suivront pendant 24 heures, elle s'aperçoit qu'elle a fait une grosse erreur d'orthographe sur mon nom. C'est bien, je ne suis même plus sûr que c'est de moi qu'on va s'occuper. Je vais devoir expliquer à chaque fois que nécessaire que : non, je ne suis pas monsieur Untel, oui l'erreur a été signalée et corrigée malgré les ratures manuscrites sur les documents. Et puis qu'est-ce j'y peux moi, c'est pas mon problème après tout.

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    Etonnement général quand j'annonce que je ne veux pas de télévision dans ma chambre, comme si j'étais un être anormal. Et pour achever mon portrait de gars bizarre, non, je ne veux pas de téléphone non plus.

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    Deux amis sont là dans la salle d'attente, Jean-Philippe et Gilles. Ce dernier doit lui aussi passer sur le billard car il souffre de calculs rénaux. Quand j'étais à l'école primaire, j'avais la réputation d'un as du calcul mental. Je découvre ainsi que d'autres voies sont ouvertes aux mathématiciens.

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    Une hôtesse nous guide dans ma chambre, au numéro 435. Propreté, murs gris, vue sur un paysage plutôt sinistre – au loin, la zone commerciale dite du Champ-le-Boeuf – froideur du mobilier, température ambiante élevée. Finalement, rien n'a vraiment changé depuis mes dernières incursions dans l'univers hospitalier.

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    A peine installé, deux infirmières me rendent une première visite. Elles promènent avec elles un matériel roulant dont je ne tarderai pas à m'apercevoir qu'elles ne peuvent plus se passer. Je glisse mon doigt dans une sorte de pince à linge électronique, on me plante quelque chose dans l'oreille et on emballe mon biceps (enfin, ce qu'il en reste) dans le gros coussin gonflable servant à mesurer la tension. Tout le reste est automatique, l'intervention humaine n'est plus requise et je peux lire non seulement ma tension, mais aussi la température de mon corps et mon pouls (52 pour la première mesure). Mais j'ai surtout la nostalgie de cette époque où l'infirmière prenait le temps de s'asseoir au bord du lit, de vous enserrer délicatement votre poignet de sa main en regardant sa montre, avant qu'elle ne vous dépose délicatement un thermomètre sur votre table de chevet. Tout est désormais plus calibré, un peu froid tout de même. Je m'efforce de plaisanter avec ces charmantes dames qui exercent leur métier avec application et simplicité...

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    Une autre infirmière, itinérante celle-là, entre dans la chambre pour un prélèvement sanguin à des fins d'analyse. Elle a la voix rauque, elle empeste le tabac quand elle parle. Une fois ses trois flacons étiquetés et rangés dans un sac, elle repart. Le rationalisme appliqué au domaine de la santé limite considérablement les échanges humains.

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    Beurk ! Le repas qu'on me propose est innommable... Une purée au goût de plastique dans laquelle baigne un morceau de viande insipide dont on peut supposer qu'il s'agit d'une sorte de jambon cuit et coupé assez épais. Et pour finir, un petit pot d'un flan industriel très sucré. Malgré la faim qui me tenaille, j'ai du mal à terminer. Une cuisine beaucoup moins avenante que le nom de la société qui la commercialise... Et dire que ne pourrai rien avaler avant demain midi.

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    Le docteur D. me rend une première visite durant mon repas et, voyant ma mine déconfite devant la torture qu'on m'inflige, me raconte ses démêlés avec une saumonette tout aussi immangeable, voici quelques années, ici même lorsqu'à son tour il était temporairement devenu un patient. Et puisque j'en ai terminé avec mon festin, il m'invite à le suivre dans son service pour quelques menus contrôles.

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    Malgré toutes ses tentatives, le docteur D. ne parvient pas à ramener à la vie mon stimulateur définitivement hors service. Il m'explique qu'il lui est déjà arrivé de vérifier qu'après une interruption, la batterie d'un pace maker peut se recharger un peu, permettant à ce dernier de se remettre en route. Mais non, rien n'y fait, le mien est mort, bien mort. Et pour disposer du maximum d'informations, il demande qu'on me fasse deux radios dans la pièce voisine. Poitrine collée à la vitre – toujours trop froide – je me tords le cou pour adhérer au mieux. Très obéissant, j'arrête de respirer quand on m'en intime l'ordre et je pense à ce petit papy qui me racontait il y a bien longtemps qu'il avait failli imploser en attendant que le manipulateur en radiologie l'autorise à respirer une fois son cliché en boîte. Autorisation qu'il attend peut-être toujours, si par bonheur il est toujours en vie.

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    En attendant le développement des clichés, je m'assois dans la salle d'attente et, soucieux de ne pas perdre mon temps, me plonge dans une revue qui m'annonce que je vais tout savoir sur le nouveau système de la Bill Gates Company. Quelle n'est pas ma déception lorsque je me rends compte que le canard est certifié 5 ans d'âge et me présente en fait les grandes lignes de... Windows XP. C'est bon, je connais ! J'aurais dû faire attention aussi, c'était vraiment pas normal cette publicité en quatrième de couverture proposant un ordinateur dont le prix était annoncé en francs...

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    Le docteur D. est en admiration devant les deux radios qu'il scrute avec un plaisir non dissimulé. Il me promet de les scanner et de me les envoyer au plus vite par e-mail. Aurait-il deviné que j'ai des lecteurs, avides de tout savoir sur les charmes de la stimulation électrique ? Et que j'allais m'empresser de leur donner à voir ce beau spectacle ?

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    Remonté dans ma chambre, je passe une soirée très calme, à l'abri de mon iPod. Je commence par deux émissions que j'ai « podcastées » sur France Culture et France Inter : Répliques et Le masque et la plume. Cette dernière est consacrée au cinéma et, plus exactement, au palmarès des auditeurs de l'émission qui couronne cette année le réalisateur Jacques Audiard pour son film... non, ce n'est pas une blague : « De battre mon coeur s'est arrêté ». C'est malin, ça...

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    Je consacre la deuxième partie de ma soirée à un exercice dont j'ai largement abusé lorsque j'étais adolescent : lecture et musique. Devant mes yeux, le bouquin de Denys Podalydès, « Scènes de la vie d'acteur ». Une écriture remarquable, concise, inventive et la narration de tous les doutes d'un acteur, sur scène, dans les coulisses, pendant le tournage d'un film. Un vrai plaisir de lecture – le livre est agréable au toucher, ce qui ne gâte rien – même si l'atmosphère finalement assez étouffante qui se dégage de ces pages peut facilement vous dissuader de vous lancer dans le métier d'acteur... Dans les oreilles, deux albums de Traffic : « The low spark of high-heeled boys » (1971) et « Shoot out at the fantasy factory » (1973). Deux disques où la voix magnifique de Stevie Winwood est comme l'illumination permanente d'une musique chaleureuse où se mêlent avec bonheur la scansion du piano, les effets sonores appliqués à un saxophone ténor et une guitare presque douloureuse. A l'écoute de ces deux disques, je suis comme pris d'un vertige. Je me retrouve instantanément à l'époque où je les avais découverts – grâce à mon frère, une fois encore, j'avais 13/15 ans – et j'ai instantanément la perception du temps qui a filé à la vitesse de l'éclair, je suis plongé 35 ans en arrière, j'ai l'impression de n'avoir rien vu passer. Je suis redevenu l'enfant ayant revêtu un costume d'adulte et je me projette en avant, je me vois déjà au seuil de ma vie, trop tard, trop vite, rien qu'en fermant les yeux. Alors je me dis que chaque seconde compte, qu'il faut demeurer très attentif à ceux qui nous entourent, il faut écouter, goûter chaque instant.

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    22h30 : l'infirmière de nuit entre assez brusquement dans ma chambre, comme elle doit le faire dans toutes les chambres. Elle est souriante et me dit qu'elle est l'infirmière de nuit. Surtout, elle me confirme que mon opération est bien planifiée demain matin à 8h30 et qu'à partir de minuit, je ne dois plus ni boire ni manger. Elle m'inflige le même traitement que ses collègues, note tout scrupuleusement sur la feuille à mon nom, avec la faute d'orthographe. Bonne nuit !

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    Juste avant que j'éteigne la lumière, Saxoman m'envoie un SMS pour me souhaiter bonne nuit et bon courage pour demain.

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    6h30 : l'infirmière de nuit entre en trombe dans ma chambre. Elle va quitter bientôt son service et me demande si j'ai bien dormi. Oui, bof, pas trop, il fait trop chaud ici. Tension, température, pouls, l'appareil clignote, émet une série de bips. Comme hier. Elle me donne les consignes essentielles : prendre une douche (ah bon ? Mais j'en ai déjà pris une hier soir ! Oui, mais, il faut prendre une douche...), enfiler cette redoutable chemise longue fendue à l'arrière qui vous donne un air absolument ridicule, les fesses à l'air, quand, après moult efforts, vous avez péniblement réussi à l'attacher au moyen du bouton pression. Et puis... je dois attendre qu'on vienne me chercher.

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    Je patiente en musique : « Deja vu all over again » de John Fogerty et, dans un registre totalement différent, « Momentum » du saxophoniste Joshua Redman. Une bonne cure énergétique, très contrastée. D'un côté, un rock simple et éternel, de l'autre, un jazz qui se tourne vers des atmosphères plus avant-gardistes en proposant un répertoire qui mélange les genres : Led Zeppelin côtoie Ornette Coleman !

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    8h10 : c'est un brancardier qui, cette fois, s'annonce dans ma chambre ! Fini de rigoler, cette fois, faut y aller. Nous voilà partis pour une petite promenade, moi confortablement installé dans mon lit, lui pilotant l'engin et pestant contre les différents obstacles qui ne manquent pas de se présenter. Il y a là, par exemple, un fauteuil roulant vide de tout occupant. N'importe quoi ! Un fauteuil roulant, on en a besoin et on est assis dessus, sinon, ça ne sert à rien ! Nous descendons quatre étages et là, nous arrivons en un lieu qui évoque un peu un garage dont je serais la voiture amenée là pour une petite révision. Je suis très intrigué par la bonne douzaine de lits vides qui attendent. Je suis le seul être humain et, bien que livide moi aussi, je m'amuse à m'imaginer que ces couchages abandonnés ont été déposés là après quelques interventions chirurgicales manquées. C'est vrai, on ne peut pas gagner à tous les coups. La musique de John Fogerty trotte dans ma tête et va m'accompagner jusqu'au bout. Thank ya John !

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    Je suis maintenant dans un couloir où circulent un grand nombre de Schtroumpfs mâles et femelles : ils sont habillés de bleu, portent des chapeaux et des chaussures en papier blanc. Ils sont souriants et me disent tous bonjour, arborant un franc sourire. Je suis leur gagne-pain.

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    Un Schtroumpf différent vient me parler. C'est mon anesthésiste. Il m'explique qu'il va m'injecter je ne sais trop quoi mais que tout ceci est anodin, que l'intervention sera de courte durée. Il se lance aussi dans une longue explication visant à me faire comprendre que le docteur D. ne changera pas ma sonde et que, par conséquent, sa charge anesthésique sera moins puissante. Je suis d'accord avec lui, n'ayant pas la possibilité de penser quoi que ce soit d'autre.

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    Ah ! La salle d'opération ! Enfin ! Comme toujours, l'air ambiant est frisquet et les deux charmantes dames qui vont s'occuper de moi avancent masquées (tandis que moi, mesdames, je vous rappelle qu'on m'a contraint à me promener les fesses à l'air...) et me posent quelques questions d'usage : est-ce que je fais des allergies ? Spontanément, je réponds : « au travail... » mais cette information leur étant de peu d'utilité, je me vois dans l'obligation de leur confesser que, non, je ne me connais pas vraiment d'allergie. Et pour se venger, les garces me rasent la moitié de la poitrine.

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    Panique à bord ! Le docteur D., qui vient de faire son entrée, ne parvient pas à mettre la main sur LE pace maker qu'il a mis de côté pour moi, en prenant soin de bien le ranger non sans avoir écrit sur la boîte mon patronyme en toutes lettres. D'un seul coup, la ruche s'agite, l'une téléphone pour savoir où peut bien avoir été caché le précieux objet, l'autre se remémore le prénom de celle qui, hier, était sensée l'avoir rangé. Le docteur D. s'esquive, visiblement contrarié, avant de revenir, triomphant, une boîte à la main : « Je l'ai !!! ». C'est bon les amis, vous pouvez me piquer. N'empêche, j'ai beau fanfaronner... je sens qu'un début de stress me gagne !

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    L'intervention aura duré un peu plus d'une demi-heure, et bien que n'ayant jamais fermé les yeux, je soupçonne mon Schtroumpf endormeur de ne pas seulement m'avoir injecté un antibiotique et un anti-douleur !!! J'ai probablement perdu un tantinet la conscience exacte de ce qui m'arrivait. Je me souviens d'avoir entendu le Docteur D. dire que le nouveau pace maker était légèrement plus petit que le précédent, je l'entends expliquer à ses assistantes le raccordement à la sonde, je suis certain de lui avoir demandé s'il n'était pas en train de me recoudre. Mais tout s'est passé pour moi dans un flou cotonneux, avant que l'on ne me parque dans un autre grand garage appelé « Salle de réveil ».

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    Des bips en permanence, des malades qui toussent, d'autres auxquels on retire un tube enfoncé dans la gorge, le chant des infirmières qui essaient de les réveiller. Voilà ce qu'est une salle de réveil... dans laquelle je suis arrivé, très bien réveillé, mais où je commence tout doucement à m'endormir. On m'a branché un tube d'oxygène dans le nez, on me le retire un peu plus tard avant de déplacer mon lit qui va partir pour le voyage de retour dans ma chambre (tiens, c'est bizarre, je suis certain que le docteur D. voulait me voir juste après...). J'aperçois Gilles qui, lui aussi, se réveille. Je l'appelle mais, sans lunettes, il ne voit rien et ne me reconnaît pas. Une des infirmières pousse un coup de gueule contre un médecin, je l'entends dire : « Je vais me le faire, s'il continue... ». Pas contente, la demoiselle, vraiment pas !

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    A peine remonté dans ma chambre, mes infirmières viennent s'occuper de moi, suivies par leur appareillage de contrôle. Il y a cette fois une nouveauté : je dois noter ma douleur de 0 à 10. Ah bon ? « Oui, 0 c'est pas de douleur, 10 c'est une douleur insupportable ! ». Bon, ben, disons... 1,596 alors ! Evidemment, ma réponse ne leur convient pas. « Bon, je note 2 alors. Comme ça, quand je reviendrai tout à l'heure, je saurai que si vous me dites 3, c'est que votre douleur sera plus forte tandis que si vous me dites 1, c'est que vous aurez moins mal ». Voui voui voui... ça sent la norme ISO 9002 à plein nez, votre calcul d'intensité du bobo... C'est incroyable ce que les relations sont simplifiées de nos jours : avant, les personnels vous parlaient à la troisième personne du singulier, maintenant, elles vous lisent un questionnaire !

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    Ma petite femme fait son entrée dans la chambre en compagnie d'un brancardier ! La pauvre, elle était arrivée depuis un bout de temps quand on lui a dit que j'étais déjà parti pour un contrôle chez le Docteur D. chez lequel elle s'est rendue aussitôt sans m'y trouver puisque j'étais en salle de réveil avant que, par erreur, on me remonte directement au numéro 435. Vous me suivez ? Non ? Pas grave, j'ai moi-même mis un bon bout de temps avant de comprendre les mystères de la communication hospitalière. Tout ce que je sais, c'est que je dois effectuer une nouvelle promenade dans mon lit, car mon médecin préféré veut procéder aux premiers contrôles. En voiture, Simone !

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    Je retrouve le docteur D., qui se trouve en compagnie de deux commerciaux de l'entreprise Medtronic qui a fabriqué mon pace maker. J'ai à peine droit à un bonjour, mais je comprends bien que je ne suis pas leur centre d'intérêt. Ils sont là pour vendre leur matériel, en expliquer tous les avantages et surtout, montrer le fonctionnement du logiciel de pilotage et de contrôle de mon stimulateur. Cette drôle d'impression, soudain, de ne plus exister. Elle, tailleur rose bonbon, genre Bimbo des claviers ; lui, en retrait, les mains dans les poches, genre vivement qu'on aille manger.
    Heureusement, le docteur D. est un être humain pas comme les autres et, lorsqu'il apprend que ma femme ne pourra pas venir me chercher et que j'envisage de rentrer chez moi en taxi, il m'annonce comme un cycliste victorieux qu'il se fera un plaisir d'être mon chauffeur en fin d'après-midi et que, cerise sur le gâteau, il me conduira dans un véhicule de 50 ans !!!

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    Coup de téléphone à ma mère car je sais qu'elle doit se ronger les sangs. Un autre à La Fraise qui pensait venir me voir dans l'après-midi au cas où je ne pourrais pas quitter la clinique ce soir. Mais tout se déroule comme prévu, je rentrerai bien en fin d'après-midi. Un échange de SMS avec mon frère aussi, nous parlons de musique, pour ne rien changer aux bonnes habitudes.

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    Je redoute le repas qu'on va me servir et, en attendant, j'écoute « Ca se bouffe pas, ça se mange », l'émission de Jean-Pierre Coffe sur France Inter consacrée cette semaine aux fours à micro-ondes. Ou pourquoi il vaut mieux être ingénieur en génie des particules et spécialiste des champs électro-magnétiques pour bien comprendre tout ce qui se passe quand on n'a pas trouvé mieux pour réchauffer son bol de café...

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    J'espère qu'en plus, mon plateau-repas n'a pas été réchauffé au four à micro-ondes, après tout ce que je viens d'entendre... Taboulé à l'Orientale, Sauté de porc à la Flamande... Une invitation au voyage qui ne vaut que sur le petit menu imprimé. Car pour le reste, tout cela est d'une tristesse... Je mange sans conviction, j'attends d'être chez moi pour retrouver le vrai goût de la nourriture.

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    Ma cicatrice me fait mal, et depuis que j'ai essayé de me lever, un mal de crâne s'est agrippé à mes tempes. Je me déplace avec une certaine prudence car les premiers mouvements me font un peu vaciller. J'attends mon second contrôle.

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    Le téléphone sonne, je dois descendre pour l'ultime vérification avant ma sortie de clinique. Cette fois, j'y vais par mes propres moyens, et comme j'ai mémorisé le parcours depuis ce matin, je n'ai aucun mal à trouver mon chemin. Le docteur D. m'attend avec l'un de ses collègues, le docteur K. Tous deux s'exercent au pilotage de mon pace maker avec le logiciel qui leur a été présenté quelques heures plus tôt par les deux joyeux drilles entrevus quelque temps plus tôt. Je devine, aux vibrations que je ressens, que tous deux testent différents modes de stimulation, dont certains sont franchement désagréables. Mais une fois les réglages effectués, en guise de récompense, j'ai droit à un nouveau carnet de « porteur de pace maker ». Plus fort encore : étant le premier porteur de ce modèle de pace maker, j'assiste à sa naissance informatique. Le voici désormais intégré à la base de données de la clinique.

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    L'heure de la sortie est maintenant proche, il ne me reste plus qu'à me soumettre à quelques formalités administratives avant de rejoindre celui qui s'est désigné comme mon chauffeur. Une fois réglés les 11€ exigés en contrepartie du privilège de la chambre seule, la secrétaire me fait remarquer que je suis entré à 16h44 et que je sors à 16h43 !!! Je quitte les lieux et rejoins mon bienfaiteur. Sur mon chemin, j'ai cru deviner que la vieille Panhard noire qui trône fièrement sur un emplacement réservé aux médecins serait le véhicule dans lequel je rentrerai chez moi. Très impressionnant !

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    La fenêtre du conducteur est restée ouverte, mais les portes sont bien fermées à clé. Le Docteur D. me présente son carrosse – c'est bien la Panhard noire ! – dont il exhibe fièrement la carte grise sur laquelle je peux lire que la première immatriculation remonte au 16 décembre 1957. Cette voiture, banquette à l'avant, sans ceintures de sécurité, qui empeste l'essence, est plus âgée que moi ! Je taquine son conducteur en lui faisant remarquer que, décidément, il aime les records de longévité. Après avoir maintenu en vie mon premier pace maker durant 15 ans (âge très respectable pour un stimulateur), chercherait-il à battre un autre record en pilotant ce véhicule qui tousse, crache, cale mais roule quand même ? Je me demande à quoi nous pouvons ressembler, lui et moi, vus de loin... Un improbable attelage, unis par une complicité réelle.

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    Je rentre chez moi, j'ai mal à la tête, mal à la poitrine. Je me couche très vite en me disant qu'une fois la douleur effacée, une fois la cicatrice bien refermée, je serai en route pour de nouvelles aventures, prêt à tourner une page de 15 ans, mon pace maker et moi ! J'ai envie de courir, de nager, de passer de bons moments avec les miens et de m'efforcer de les goûter au mieux quand ils se présenteront. La vie quoi... trop courte pour ne pas la savourer.

  • Même pas mort !

    Oui, bio-ionique de nouveau, mais bordel de nom d'un chien, j'ai vachement mal : à la tête depuis que je me suis mis debout, et aussi sous le pansement.
    Promis, je vous raconterai tout ça, j'ai pris des notes, y a pas mal de choses cocasses à partager avec vous... La moindre n'étant pas mon retour dans une Panhard de 1957 empestant l'essence et pilotée par mon chirurgien.
    Mais bon, là... dodo !

  • Pause pose

    Aujourd'hui est un jour vraiment placé sous le thème de l'électricité. Alors que je m'apprête à quitter le douillet nid familial pour rallier la clinique où m'attend mon nouveau stimulateur cardiaque, deux électriciens sont entrés dans la maison pour quelques travaux essentiels. Amusante, cette coïncidence, non ?

    Je pense être absent pour une durée très courte : si j'en crois les promesses de mon chirurgien, le « timing » sera le suivant : hospitalisation cet après-midi, pose du pace maker demain matin, sortie demain en fin de journée, une fois effectuées les différentes opérations de contrôle et les réglages nécessaires. C'est bien assez pour moi, j'ai passé suffisamment de temps à l'hôpital – il y a fort longtemps maintenant – pour ne pas en souhaiter plus !

    Faire les bagages. Que faut-il emporter ? Pour 24 heures, allons à l'essentiel. Une trousse de toilette, un pyjama et surtout, les compagnons de toujours. Je vais prendre deux livres : « Scènes de la vie d'acteur », de l'excellent Denis Podalydès (il faudra que je vous reparle de ce bouquin, très bien écrit, tout en finesse) et « Lumière froide », de John Harvey. Ce dernier est le sixième volet de cette suite de onze livres qui mettent en scène l'inspecteur Charles Resnick et ses collaborateurs. Je me suis dépêché de finir « Le tueur et son ombre » de Herbert Liebermann, pour faire la place à mon flic préféré. Mon iPod sera du voyage, gonflé à bloc avec près de 300 CD et quelques émissions diffusées ce week-end sur France Culture et France Inter. Je n'oublie pas mon téléphone portable.

    Je vais ajouter mon carnet de notes et un stylo dans mon sac. Je pense prendre quelques notes « en direct », je les comparerai à celles que j'avais écrites en 1991 et que j'avais recopiées ici sous le nom de « Stimulo ».

    Un peu d'argent liquide aussi. Car ma femme a un emploi du temps tellement chargé qu'elle n'est pas certaine de pouvoir venir me chercher quand je quitterai la clinique. Je prendrai le taxi. Comme dans les films, je tendrai mon billet au chauffeur sans lui demander la monnaie. Enfin, on verra...

    Je pars totalement décontracté, car cette mini-opération ne me fait pas peur du tout ! Je redoute plus l'ambiance de la clinique qui fait remonter en moi des souvenirs très désagréables. Malgré tout, je n'ai qu'une seule envie : être rentré ! Même si, dans les jours qui suivront, je ne pourrai échapper à quelques corvées : contrôles sanguins en laboratoire, pansement, infirmière... Ouais... Décontracté... Peut-être pas tant que ça en fait, je dois dire ça pour frimer un peu, je me raconte des histoires !

    Vivement demain...

  • L'arrêt au milieu

    Ça m'ennuie un peu de vous raconter ça, mais je vous fais une promesse : lorsque je serai à nouveau bourré d'énergie tel le lapin Duracell et que plus rien ne pourra plus m'arrêter de courir dans tous les sens, après la pose de mon nouveau pace maker, je ne viendrai plus vous convier à lire l'exposé minutieux et probablement un peu égocentré de mes petits problèmes de santé. En attendant, voici un retour sur une drôle de sensation...

    Mon coeur est mal fagoté, ça je l'ai compris depuis un certain temps. En d'autres termes, il est un peu du genre paresseux en raison d'un défaut de fabrication originel (je suis donc né avec un vice caché...) appelé « bradycardie sinusale ». Pour parler français, le sinus du coeur (grosso modo, c'est l'amorce de la pompe, c'est un peu lui qui fournit l'électricité...) étant défaillant, j'ai un rythme cardiaque trop bas en général, au repos en particulier où il peut descendre jusqu'à 35 pulsations par minute, voire un peu moins s'il le faut. J'ai tout du sportif au long cours, sauf que je ne suis pas du tout sportif... Mon coeur n'est cependant pas un feignant absolu, car il m'autorise les efforts physiques en accélérant normalement son pouls lorsqu'il le faut. C'est gentil de sa part. Seulement, dès lors que j'arrête l'effort en question, ce salopard prend illico ses RTT et s'arrête de bosser, provoquant la chute brutale de mon rythme cardiaque et, du même coup, de sévères chutes de tensions pouvant aller jusqu'aux malaises les plus désagréables... Je t'en foutrai des 35 heures... Tiens, si je pouvais, je le remplacerais par un coeur japonais, au moins, eux, ils ne prennent pas de vacances... OK, leur moteur est bridé, mais on peut toujours bricoler...

    Voilà pour le descriptif rapide. En conséquence et en l'absence temporaire de stimulation, je dois donc, comme on dit, me ménager et ne pas m'adonner à une activité trop intense. Ce à quoi je m'applique méthodiquement, avec, il faut le reconnaître, une réelle aisance. Au point que j'en viendrais à penser que le travail n'est pas mon propre. Mais c'est là une autre histoire.

    Mais le phénomène le plus perturbant se produit en réalité une fois que je suis couché, lorsque je parviens au repos complet. Mon rythme cardiaque atteint son seuil « plancher » et je ressens comme un drôle de flottement, j'ai l'impression que l'environnement autour de moi commence à vaciller et je n'ai pas d'autre solution que d'engager une lutte discrète dans le seul but d'exercer l'activité physique minimale qui fera remonter mon pouls. Et j'ai beau savoir que le phénomène est parfaitement expliqué du point de vue médical, je ne peux m'empêcher d'être gagné par une légère angoisse qui traîne dans un coin bien enfoui de ma tête au moment où je m'endors.

    Raison pour laquelle il m'arrive de me réveiller au beau milieu de la nuit, certainement histoire de vérifier que ce feignant de coeur n'a pas décidé, une bonne fois pour toutes, de s'arrêter. En gros, je me réveille pour vérifier que je dors bien. Mais non, à 3 heures du matin cette nuit, j'étais bel et bien vivant et pour me rendormir, j'ai allumé le poste de radio niché juste au-dessus de ma tête. Deux charmantes dames nous exposaient doctement le problème de la sexualité des enfants. Passionnant. Le retour aux limbes était garanti sous dix minutes, je me suis très vite rendormi, contrairement à cette autre nuit où je dus subir brutalement les assauts vocaux d'une certaine Nolwenn Leroy. Comment peut-on être aussi cruel avec les auditeurs noctambules ? Ça va pas la tête ? Ah ben là, je peux vous assurer que le rythme de mon coeur a connu une accélération brutale et que le pace maker n'état plus utile durant un bout de temps. Sauf que sur ce coup-là, j'étais à la limite de la crise cardiaque... et que ma bradycardie n'aurait pas le moins du monde été en cause !

  • Stimulonimbus

    Je suis vraiment content pour mon chirurgien. Non, sans blague... Quand il m'a téléphoné samedi dernier à son retour de vacances, j'avais bien perçu chez lui une pointe de désappointement lorsqu'il m'était apparu qu'il avait dû se résigner à m'implanter un stimulateur cardiaque dont le modèle ne correspondait pas à celui qu'il souhaitait me proposer. Indisponible jusqu'au début du mois de mars, cette petite merveille de la technologie était, selon ses dires, la plus adaptée à mon problème de bradycardie sinusale et, de surcroît, de toute dernière génération. J'aurais donc pu bénéficier des dernières avancées de la technologie et, lui, expérimenter le fonctionnement d'un nouvel appareil chez un « jeune » patient (j'emploie cet adjectif car mon docteur D. ne manque jamais de me rappeler que par comparaison avec sa clientèle habituelle, je suis vraiment très jeune). Mais il n'était pas raisonnable de me laisser poireauter encore plus de trois semaines et, par conséquent, son choix s'était porté sur un modèle moins récent mais disponible, assurant néanmoins grosso modo les mêmes fonctions.

    C'est dire qu'avant-hier, quand j'ai reçu de lui un e-mail qui non seulement me confirmait la date du 14 février pour la pose du pace maker mais bien plus encore m'annonçait que, finalement, ce modèle chéri serait bien disponible, j'ai poussé un vrai ouf ! de soulagement. Ben oui, parce que c'est bien beau de s'apitoyer toujours et encore sur le sort des malades, mais a-t-on jamais une pensée pour les praticiens ? J'ai l'air de plaisanter ? Pas tant que ça en fait, surtout dans le domaine précis qui me concerne. Je suis en réalité vraiment content de savoir que je pourrai, passivement certes, contribuer à l'évolution de la connaissance et du traitement de ce type de maladies. Il y a pour moi comme une dynamique entre l'activité du médecin et la contribution que je pourrai fournir en faisant part de mes sensations, en observant les améliorations (ou a contrario l'absence d'améliorations). Je me tiens donc à la disposition de mon médecin pour lui fournir toutes les informations que je serai en mesure de percevoir et de lui retransmettre. Je serai volontiers son chroniqueur du stimulateur...

    Et de même qu'il existe une sorte de complicité médecin / patient, j'ai compris aussi que, parfois, il peut se trouver une connivence entre malades. Il y a quelques mois lors d'un contrôle, c'était en juillet 2005 me semble-t-il, j'écoutais distraitement mon voisin de salle d'attente, un vaillant nonagénaire qui ne semblait pas emballé à l'idée de se faire implanter un pace maker. Son fils déployant tous les arguments possibles pour lui expliquer les bienfaits d'une intervention bénigne, on voyait très bien que le papy n'était guère convaincu, surtout quand il lui renvoyait une moue dubitative signifiant grosso modo : « T'as qu'à te le faire poser toi-même, si c'est si bien que ça... ». Et forcément, il quémandait autour de lui, en silence, avec l'oeil malicieux du gamin farceur qu'il semblait n'avoir jamais cessé d'être, le secours des voisins que nous étions. Ayant compris en outre que malgré mon « jeune » âge, je faisais partie de la confrérie des stimulés, il me demanda derechef mon avis d'expert. Et je n'eus pas la moindre difficulté à le persuader qu'une fois électroniquement assisté, il courrait comme un lapin et oublierait très vite la présence de l'intrus subdermique ! C'est donc un vieux jeune homme qui entra dans le cabinet du médecin et en ressortit quelques minutes plus tard, tout pimpant et fermement décidé à passer à l'acte dans les jours suivants. Moi, le « jeune homme », le bébé du pace maker, le stimulonimbus, j'avais de par la seule force de quelques mots bienveillants et optimistes, peut-être modifié le cours des jours d'un vieux monsieur dont j'imaginais désormais la vie prolongée grâce à mes conseils. Rien que pour ça, c'est chouette une bradycardie !

  • Mon chirurgien est en pleine forme !

    J'ai reçu hier soir un coup de téléphone du Docteur D., celui qui va bientôt m'implanter mon nouveau pace maker. De retour d'une semaine de vacances, il s'est bien entendu enquis de mon état a-stimulé et m'a longuement parlé de son séjour du côté de Méribel, l'une des stations de cette belle région qu'on appelle « Les Trois Vallées ». Il est de retour et il va très bien, merci pour lui.

    Tiens, le plus amusant, ce serait d'essayer de vous reconstituer au mieux notre savoureux dialogue. Il flottait dans notre conversation un petit je-ne-sais-quoi de surréaliste qui m'a littéralement enchanté. Et puis, et puis... cette sensation diffuse d'être perçu par le corps médical comme une sorte de petit rat de laboratoire, ... Je ne garantis par l'exactitude de chaque mot prononcé, mais ce dont je suis certain, c'est que ma retranscription en traduit assez fidèlement l'esprit.

    « - Allo ! C'est le docteur D., comment allez-vous sans votre pace maker ?
    - Beuh... pas trop mal, faut dire aussi que je n'ai pas abusé des efforts inutiles...
    - Mais vous avez senti une différence depuis une semaine ?
    - Beuh... ben... je suis resté au calme, j'ai pas fourni d'efforts inutiles...
    - Oh, je reviens de vacances. On a super bien skié, il faisait un temps magnifique. On était à Méribel.
    - Ah oui, je connais bien les Trois Vallées, mais l'été, hein, parce que moi, le ski...
    - Et puis on avait un hôtel à Brides-lès-Bains.
    - Je connais Brides-lès-Bains, c'est là que j'allais faire mes courses au supermarché, au Super U.
    - Une demi-heure en oeuf et hop, on était sur les pistes, c'est pratique. Vous devriez essayer de faire un effort violent, pour voir ce que ça donne.
    - Beuh... je sais comment ça fait, hein ? J'ai déjà pas mal donné... Et puis, je suis allé chez le cardiologue, il a bien vu que ma bradycardie était toujours aussi nette !
    - Ouais, ouais, mais vous savez, je suis certain qu'aujourd'hui, j'arriverais à le remettre en route, votre pace maker...
    - Hmmmouais, vous pensez que vos vacances lui ont fait du bien ? Pas sûr hein, et puis, il a quand même quinze ans.
    - Ah, ben oui, c'est vrai, il a fait son temps et on l'avait donc pas posé pour rien notre pace maker ! Le seul problème, c'est qu'il n'y avait pas énormément de neige. Trop de soleil.
    - Ah bon ? Z'avez eu du beau temps ?
    - Magnifique, mais ça fait fondre la neige.
    - Oui, parce qu'ici, du côté des Vosges, on dirait qu'il y en a assez de la neige et puis, c'était bien, il ne faisait pas trop beau.
    - J'aurai pas le pace maker avant le 1er mars, enfin, le modèle dont je vous ai parlé.
    - Euh... ça fait peut-être un peu long, non ? Parce que j'ai déjà commencé la diminution de mon traitement anti-coagulant, en prévision. On avait dit que mon INR devait passer au-dessous de 2, non ?
    - Oui, c'est bien ce que je me dis. Mais bon, moi, l'INR, je m'en moque un peu, j'ai déjà opéré avec un taux supérieur, ça c'est bien passé. Bon, oui, ça fait long quand même. Oh, Mais y a un autre modèle, équivalent, hein ?
    - Ah ? Et çui là, on peut le poser rapidement ?
    - Oui, début de semaine prochaine ? Oh, on était bien dans notre hôtel, c'était vraiment pratique, on prenait les oeufs et on était tout de suite sur les pistes. C'était une belle semaine de vacances.
    - Euh... ben, ch'sais pas moi, le lundi 13 ?
    - Alors... oui, vous rentrez en clinique le 13 après-midi, on pose le pace maker le 14 et vous sortez le soir ?
    - Oui, c'est bien ça.
    - Non, franchement, le ski juste avant l'arrivée des parisiens, c'était un régal, un temps magnifique, et puis notre hôtel, vraiment très bien. Chambre seul ou à deux ?
    - Euh, ben, euh... plutôt seul si c'est possible, plutôt seul.
    - Bon, ben on se tient au courant, je vous rappelle un peu avant. A bientôt ! »

    C'est tout de même rassurant, vous ne trouvez pas, de savoir que celui qui va pratiquer sur vous une opération – même si pour ce qui me concerne, celle-ci est on ne peut plus bénigne – est au mieux de sa forme ! Et puis, comme dirait ma chère et tendre épouse, quoi de mieux que la perspective d'avoir « un nouveau coeur » le 14 février, soit le jour de la Saint-Valentin !!!

  • "Benêt-volat"

    Y a des jours, comme ça, où je me dis que je suis tout de même un peu con ! Je m'en suis aperçu hier lors de ma visite chez le cardiologue.

    Pour que vous compreniez bien, je dois néanmoins vous apporter quelques précisions sur le contexte : je ne vais pas voir n'importe quel cardiologue. Celui-là fut autrefois le propriétaire de la maison que j'ai louée durant 12 ans (le lieu enchanteur où la Fraise et Saxoman ont vu le jour, fait leurs premiers pas, grandi...), c'est lui qui a veillé sur moi il a 15 ans lorsque j'ai dû me faire implanter ce stimulateur cardiaque en instance de remplacement et nous avons, petit à petit, fait en quelque sorte partie de son cercle familial. Nous étions voisins, nos maisons n'étant distantes que de quelques mètres et nichées dans un magnifique coin de verdure quelque part à Nancy. Mais je suis aussi devenu pour lui une sorte de "conseiller informatique", lorsqu'il a commencé à s'équiper en Macintosh et en PC, j'ai formé sa secrétaire, j'ai toujours veillé par ailleurs à ce qu'il bénéficie des services des prestataires les plus compétents. Et je suis resté pour mon cardiologue une sorte de "hot line" bienveillante.

    Hier donc, j'ai dû me rendre à son cabinet pour un petit check-up : je vois d'ici que tous, vous frémissez d'inquiétude ! Non, pas de panique, mon coeur tient le coup, sa forme est plutôt bonne, même si son défaut de fabrication est, lui, bien là : un sinus cardiaque très très paresseux, une pulsation à 50 alors que je ne suis pas au repos et que je ne suis pas spécialement sportif non plus... et qui descend à 35 au plus noir de la nuit. On appelle ça une bradycardie (du grec bradus qui signifie lent... c'est le Littré qui dit ça, donc ça doit être vrai). Une fois débarrassé des mètres cubes de gel qu'il me fallait ôter avec un essuie-tout qui vous gratte les dessous de bras, une fois rhabillé (à ce moment-là, vous vous apercevez que vous avez oublié un bon gros paquet de gel, là, juste au niveau des côtes, qui vient coller à la chemise toute propre que vous aviez préparée pour l'occasion...), me voilà en train de signer un chèque d'un montant fort sympatique ma foi, 101,70€, pour une prestation somme toute assez courte, entre un quart d'heure et vingt minutes. Mais bon... je ne dis rien, c'est un métier, cardiologue...

    A peine rechaussé, voilà t-y pas que mon spécialiste m'appelle du fond de son local d'examen (hum hum, j'ai l'impression que le coup était prémédité parce qu'il n'y avait pas de client après moi...) avec un air un peu ennuyé pour m'expliquer qu'il avait un gros souci : pas moyen d'enregistrer avec le graveur de DVD connecté à son échographe. "Ca ne marche pas, j'obtiens juste une image complètement pixellisée, je ne vois rien"... Un problème ennuyeux pour lui, parce qu'il semble maintenant obligatoire pour ces professions médicales de garder une trace informatisée de leurs examens. Il fulmine contre le mode d'emploi qui lui présente une télécommande avec des touches que lui, ne voit pas sur la sienne. "C'est quand même incroyable, je n'ai pas la même télécommande que sur le mode d'emploi...". OK, chef, on va voir ce qu'on peut faire... Je vérifie les branchements, c'est bon de ce côté là ; je regarde les principales commandes du graveur de DVD et commence à me pencher sur le cas de cette drôle de télécommande. Je compare scrupuleusement avec le dessin du mode d'emploi et, hop là ! Je fais coulisser vers le bas la partie inférieure de la zappette et que vois-je ? Les touches mystérieuses ! Ô miracle ! Quel talent ! Du coup, l'utilisation du graveur de DVD s'en trouva fort simplifiée et après deux ou trois essais et exercices pratiques concluants, je n'eus aucune difficulté à convaincre mon cardiologue qu'il allait maintenant devenir un expert en maniement des images archivées.

    La seule différence, c'est que ma prestation fut on ne peut plus bénévole... Vous imaginez l'intervention d'un spécialiste, le déplacement... J'ai fait un rapide calcul et je me suis rendu compte que même en divisant par deux mon tarif par rapport au sien, il me suffirait de travailler moins de 20 heures par mois pour toucher le même salaire brut que celui que l'Education Nationale me verse généreusement.

    C'est là que je me suis trouvé un peu nigaud tout de même. Ah, le bénévolat, c'est bon pour les consciences mais alors, pour le porte-monnaie, c'est pas le pied !

  • Défaut intelligence

    C'est quand même extraordinaire : alors que samedi j'étais un citoyen lambda des plus ordinaires, j'entends par là que rien ne me dissociait a priori de la grande majorité des gens de par mon mode de vie, je dois à nouveau me glisser dans la peau d'un malade, tout cela parce que mon crétin de pace maker a décidé de prendre un congé sans solde, sans donner le moindre préavis. Je ne vous cacherai qu'étant un adversaire assez redoutable de toute forme de maladie (ma thrombo-phlébite géante de l'année 1979 s'en souvient encore, elle a voulu me faire passer l'arme à gauche quand j'avais 21 ans mais, t'are ta gueule à la récré, ma vieille, je suis toujours debout et je t'emmerde... 1000 excuses pour cette grossièreté mais avec ce genre d'ennemis, seule la force fait loi), je supporte assez mal d'être obligé de me couler dans ce moule médicalo-assisté auquel je ne peux pas toujours échapper, parce que je suis somme toute un être humain assez raisonnable...

    Il faudra que j'arrête de balancer plein de trucs entre parenthèses et que je songe à raccourcir mes phrases, vous ne trouvez pas ?

    J'ai entamé hier après-midi mon petit marathon personnel qui me fait rendre visite à différents médecins ou éminents représentants du corps médical : ma généraliste tout d'abord (paraît que c'est obligatoire maintenant avant de voir n'importe quel spécialiste) avec laquellej'orchestre pour demain une visite chez mon cardiologue (ben oui, parce qu'avant, c'est certain, de temps à autre, je me disais : "tiens, quoi faire aujourd'hui ? Oh, chouette, je vais aller chez mon cardiologue !" Dis, m'sieu le ministre de la Sécu, tu crois vraiment qu'on va voir un cardiologue dans le seul but d'aggraver ton déficit ?), puis une modification régulée de mon traitement anti-coagulant (j'avais oublié de vous raconter ça, mais avec un sang très liquéfié, on ne peut pas sans risque se faire charcuter...) qui va nécessiter un contrôle sanguin vendredi matin, puis un nouvel entretien avec ma généraliste qui, au vu des résultats, optera probablement pour une seconde modification entraînant elle-même un nouveau contrôle sanguin lundi matin. C'est bon, vous me suivez ? Et puis lundi, je dois faire le point avec mon chirurgien pour savoir quel jour il peut remplacer mon stimulateur, sachant qu'il me réserve je ne sais quel modèle "Medtronic" des plus perfectionnés, déjà commandé semble-t-il...

    Par conséquent l'ennui ne me guette pas. Et j'ai sur le grill quelques notes à rédiger sur mon blog : j'ai commencé un petit texte consacré à Terry Riley, il faut aussi absolument que je vous parle de Franck Zappa, j'ai enfin en chantier une petite chronique consacrée à une émission de télévision... and so on ! Et j'ai promis à Saxoman la mise à jour de son site Web.

    Pour couronner ce brillant emploi du temps, j'aurai aussi du pain sur la planche du côté de la maison Magma. Stella m'a longuement téléphoné hier pour prendre de mes nouvelles et nous avons bien sûr parlé de l'activité du groupe. Un DVD va bientôt sortir (fin mars probablement), il sera le premier d'une série de quatre qui verront le jour en 2006 et qui retraceront les quatre semaines de concerts que le groupe avait donnés l'an passé au Triton, en revisitant la quasi-intégralité de son répertoire et en appelant pour l'occasion des membres "historiques" tels que Klaus Blasquiz, Jannick Top ou Benoît Widemann. Comme d'habitude, c'est à moi que sera confié le soin de réaliser les pages de présentation de ces DVD sur le site Internet du groupe et d'orchestrer une petite campagne de communication.

    C'est tellement mieux ainsi ! Dire que l'inactivité me pèse est bien peu... C'est plus fort que moi, il faut que je crée, que j'imagine, j'ai besoin de projets en permanence et le rallye médecin-cardiologue-laboratoire-médecin-chirurgien ne m'enthousiasme pas vraiment.

    Ah, y a un autre truc chouette : j'ai déposé mon arrêt de travail au boulot hier et en bavardant avec quelques uns de mes collègues, je me suis rendu compte que j'avais échappé à une réunion de service, modèle du genre, guidée pour certains par une ligne de conduite très simple : "j'en fais le minimum, je raconte des bobards avec assurance, je refile le boulot aux autres et j'ouvre ma grande gueule !". J'en connais, s'ils étaient des chaudières, y aurait le message "DEFAUT INTELLIGENCE" qui s'afficherait en gros sur leur sourire hypocrite.

    Rien qu'à y penser, je sens que mon pace maker aurait envie de redémarrer tout seul... Du calme, cheval, du calme... Tu m'as laissé tomber, c'est bien fait pour toi, j'attends ton remplaçant. Trop tard pour avoir des remords, fallait y penser plus tôt !

  • Inactivité

    Faut que je m'habitue... Vivre au ralenti en attendant le sésame électronique qu'on m'a promis pour la semaine prochaine.
    M'adonner à quelques tâches domestiques, ben oui, quand même, je ne vais pas rester à la maison et attendre, les pieds sous la table, qu'on vienne me servir. Je veux bien calmer le jeu, comme on dit, mais pas devenir un parasite !
    J'en profite aussi pour faire le point. Je me dis que je suis parvenu à un âge où je ne dois pas culpabiliser sous prétexte que je ne vais pas travailler durant quelques jours. Au moins, j'ai une bonne raison que personne ne viendra me contester. N'empêche, brutalement, je me sens inutile et je pense forcément à tous ceux que la société rejette brutalement et qui, eux, ont mille fois plus de raisons que moi de ressentir cela.
    Il faut que je fasse du rangement aussi, dans la bibliothèque musicale qui est stockée sur l'un de mes disques durs. Je classe, j'indexe, j'en profite pour ré-écouter quelques vieilleries qui n'ont pas pris une ride. Tiens, faites-moi penser que je dois vous dire prochainement deux mots du compositeur américain minimaliste Terry Riley. Ecoutez donc son « A rainbow in curved air ».
    Et comme je suis une personne dotée d'un minimum de conscience professionnelle, je vais aussi m'attaquer à la rédaction d'un dossier sur l'entrée des jeunes dans la vie active en Lorraine. J'ai trois semaines pour le boucler. La technologie contemporaine me permet en cas d'urgence de recourir à ce télé-travail.
    Envie d'écouter en rafale la bonne quinzaine de disques du groupe de jazz-rock Weather Report, avec Joe Zawinul et Wayne Shorter. C'est plein d'énergie.
    Je crois que je regarderai un épisode des « Brigades du Tigre », ce sera ma Madeleine de Proust de la journée. Et puis, avec cette série, j'avais l'impression d'apprendre quelque chose, chaque épisode était bien situé dans un contexte et des événements historiques précis. Et j'adore les poursuites de voiture à 25 km/h !
    Demain, c'est promis, je m'attaque à la mise à jour du site Internet de Saxoman, depuis le temps qu'il me fait remarquer que pas mal de pages sont périmées.
    Envie aussi de laisser tomber certaines choses, je me rends compte que quelques activités ont bouffé pas mal de mon temps, je ne sais même pas si elles en valent la peine. Je me demande si je ne vais pas laisser tomber le Press Book de Magma sur Internet. Il faudrait que quelqu'un prenne le relais. Je ne suis plus très motivé. Fatigué surtout de certaines histoires.
    Raah, et puis il y a tous ces bouquins que je voudrais lire, ou relire. Il faut que je termine la série des romans de John Harvey et de son inspecteur Charlie Resnick.
    Il fait un froid de canard dans cette région, heureusement le soleil est de la partie. Mais j'ai des envies de Languedoc-Roussillon, de Bretagne, de Pays Basque...
    Envie de cinéma aussi.
    Finalement, je me demande si tout n'ira pas mieux quand j'aurai repris le boulot. Au moins, le cadre est fixé, les journées passent à vitesse grand V et je ne prends pas le temps de réfléchir.
    Je ne suis pas inquiet le moins du monde, cette opération est on ne peut plus bénigne. C'est juste cette dépendance à un objet qui, au-delà du bien fou qu'il vous procure lorsqu'il fonctionne, m'énerve un peu...

  • Mort d'un compagnon

    « Ça faisait presque 15 ans que nous ne nous étions pas quittés, très attachés l'un à l'autre, lui a l'écoute permanente de mes moindres mouvements, moi le protégeant de toutes les agressions extérieures. Au début de notre histoire pourtant, nos relations furent un peu conflictuelles, sa présence m'était plutôt désagréable, j'avais l'impression qu'il cherchait à s'imposer dans ma vie alors que j'étais certain de pouvoir me débrouiller sans lui. Et puis le temps a fait son oeuvre, j'ai compris qu'il ne me voulait que du bien et qu'en cas de coup dur, il serait là, à veiller sur moi. C'est vrai qu'il ne m'a jamais laissé tomber, qu'il était devenu au fil des mois et des années comme un alter ego, invisible mais terriblement stimulant...
    Il est parti brutalement samedi matin, je le savais condamné mais les médecins m'avaient promis qu'il en avait encore pour quelques mois... Depuis, je vis comme au ralenti, sa présence me manque énormément, je ne suis plus le même. »

    COUPEZ ! STOP ! C'EST NUL ! C'EST QUOI CETTE HISTOIRE ?

    Oh, qu'est-ce qu'il a, lui ? Qu'est-ce qu'il n'aime pas dans mon histoire ? C'est gnan-gnan ? Ça va faire pleurer dans les chaumières ? Faut évacuer les sentiments, peut-être ?

    JE VEUX DES FAITS, RIEN QUE DES FAITS... TES ÉTATS D'ÂME, ON S'EN BAT L'OEIL AVEC UNE QUEUE DE SARDINE, MON GARS !!!

    L'est rigolo, lui... Des faits, des faits... Je suis pas journaliste, moi, déjà que j'arrive même pas à être écrivain... J'essayais juste de dire les choses comme je les ressens de l'intérieur, c'est une façon de ne pas me cacher, de dire tout cela au mieux. Des faits, des faits, il en a de bonnes... Bon, j'essaye...

    « Samedi 28 janvier, 11h30, Polyclinique de G. à N.
    Nous sommes arrivés à l'heure prévue, et dès notre entrée dans le hall, le docteur D. est venu à notre rencontre. A peine sommes-nous installés sur la table d'examen que celui-ci laisse échapper un juron après le lancement de son premier diagnostic :
    Merde, je l'ai perdu, je n'ai plus de réponse !
    Je le vois qui commence à s'agiter, il interroge son écran, cherche une solution pour le ramener à nous mais on dirait que la cause est entendue, il ne pourra rien faire. Ayant pour habitude de ne jamais renoncer, il tente une ultime manoeuvre et arrête toute l'alimentation électrique de son appareil de contrôle. Il voit bien que je suffoque, que je me sens comme pris à la gorge, j'ai l'impression d'avoir perdu le contrôle de moi-même. C'est une sensation extrêmement désagréable, non pas douloureuse, mais très proche d'un étouffement qu'on ne parvient pas à juguler. Je commence à avoir un peu peur... »

    OH ! TU VAS PAS EN PLUS T'APITOYER SUR TON SORT, ON T'A DIT QU'ON S'EN FOUTAIT DE CE QUE TU RESSENS ! UN PEU DE RECUL, DE DERISION... MERDE, C'EST PAS COMPLIQUÉ !

    Ok, je raconte avec distance et dérision alors : comme j'ai pu l'écrire voici plusieurs mois (cf. la note appelée Stimulo), je suis porteur d'un stimulateur cardiaque depuis bientôt 15 ans. Samedi, je me rendais à un contrôle bisannuel en sachant parfaitement que je devrais bientôt m'habituer à l'idée de remplacer prochainement le bestiau, au mois d'avril probablement, car cet appareil un peu magique avait fait son temps. Et comme à chaque fois, une fois bien enduit aux endroits stratégiques d'un gel absolument insupportable (ben oui, vous savez bien, quand c'est fini, on vous file deux pauvres morceaux d'essuie-tout pour enlever ce qui reste mais y en a jamais assez, parce que les médecins, ils vous en badigeonnent dix fois trop, vous vous en foutez plein les doigts sans parvenir à en mettre sur le papier, il en reste toujours et ça colle aux vêtements... c'est aussi pénible que de pisser dans le train... enfin, pour les mecs, hein ?), mon chirurgien commence a scruter les résultats qui tombent de son ordinateur, un peu comme les résultats des courses au PMU. Il analyse les graphiques, empoigne son stylet, me colle un capteur sur la poitrine et commence à vérifier le niveau de charge de la pile. Et là... PAF ! Ecrasé comme une vieille bouse le pace maker !!! Aux abonnés absents et surtout, le voilà qui s'auto-commute en « mode secours », ce qui signifie en langage moins obscur qu'il se met à me stimuler oreillette et ventricules... à l'envers ! Enfin, c'est ce que j'ai cru comprendre après avoir demandé deux ou trois explications techniques que je ne suis pas certain d'avoir bien comprises... Vous imaginez le truc ? Je suis allongé, et mon coeur commence à vivre sa vie tout seul, môssieu fait sa petite crise d'indépendance, il se la joue autonomiste corse (ou basque, ou breton, choisissez, je veux vexer personne), j'ai le rythme qui s'emballe alors que je suis immobile... bref, je suffoque un tantinet, d'autant que je ne suis guère rassuré par les mimiques de mon ange gardien qui cherche une solution, qui cherche, farfouille, commence à perdre doucement son calme légendaire. Aux grands maux les grands remèdes, il arrête tout (une sorte de 'reset' si l'on veut causer façon informatique) pendant que moi, je commence à me demander comment je vais me tirer de cette affaire. Parce que je suis venu en voiture et même si Saxoman a gentiment proposé d'accompagner son père en ces moments particuliers, ben le problème, c'est que le fiston, il a pas le permis de conduire. Alors je vais redescendre comment, moi ? Et j'ai le souffle toujours aussi court, ça devient un peu inquiétant cette histoire... Surtout, je devine qu'il va falloir que je passe sur le billard plus tôt que prévu, c'est pas que ça me fasse peur, m'enfin, c'est pas non plus mon sport préféré...
    Ouf ! Après un redémarrage anxiogène, mon docteur chevronné a pu procéder à la mesure d'urgence : l'arrêt complet du pace maker. Me voici désormais sans filet et condamné à une certaine inactivité physique en attendant l'implantation de son successeur, qu'on me promet de dernière génération, le nec plus ultra dans sa catégorie.
    Une question me taraude néanmoins et je ne manque pas d'interpeller mon spécialiste :
    - Et si mon pace maker s'était commuté en mode secours un dimanche au lieu de tomber en panne ici, en votre présence ?
    - Ben mon vieux, là, vous étiez baisé !
    Et surtout vachement rassuré... Le truc qui est bien dans cette histoire, c'est que je dois rester au maximum chez moi avant l'opération, soit pendant une dizaine de jours. Et que je pourrai, toutes les heures, toutes les minutes même si j'en ai envie, aller bavarder avec ma chaudière qui fonctionne maintenant à merveille, depuis que je l'ai affranchie de son esclavagiste portugais. Et si elle m'écrit : DEFAUT PACE MAKER, je lui en colle une !