Jeudi 27 janvier 2005, 20h20… Il neige sur le boulevard des Capucines, la nuit est déjà tombée depuis un bon bout de temps sur Paris et pourtant, il règne ici comme un air de fête. Je contemple une fois encore la façade de l’Olympia qui affiche fièrement "Magma" et, comme revenu de longues années en arrière, je savoure avec plaisir mon ultime attente au sein d’un long cortège de personnes qui, tout comme moi, comme 2500 autres, sont venues célébrer avec ferveur et fièvre le rendez-vous qu’ils n’espéraient peut-être plus.
Magma à l’Olympia, Magma à l’Olympia…
Tout doucement, la température monte, la foule se presse dans le hall, le service d’ordre fait son boulot, fouille, palpe avec une drôle d’indifférence appliquée, comme si nous existions à peine, sans nous accorder le moindre regard.
Magma à l’Olympia, Magma à l’Olympia…
Il est 20h35, je n’ai encore aperçu aucun visage familier – ils sont pourtant nombreux à m’avoir demandé de les saluer, même quelques secondes. Arrivé tardivement en ce jour de grève surprise où les trains ont souvent brillé par leur absence et leur retard, après une longue course poursuite contre le temps, je remets à plus tard les retrouvailles avec mes amis. Dans la fosse, la foule se presse, les regards se croisent, heureux, anxieux, en attente. Après un rapide appel au micro demandant aux spectateurs de bien vouloir s’abstenir de fumer (une requête souvent ignorée…), une jeune chanteuse, Ayo, fait son entrée sur scène, seule, une guitare à la main. Elle est heureuse de jouer quelques minutes devant tant de monde, nous sommes un peu surpris de sa présence. Sa musique semble vivante et sincère, mais comment l’apprécier vraiment ? Comment nous extraire de l’univers mental que tous, nous nous sommes méthodiquement créé depuis des heures pour mieux communier avec la musique de Magma ?
Cette brève première partie terminée, voici maintenant venir le moment tant attendu. Beaucoup d’entre nous connaissent déjà le répertoire qui devrait être joué, les informations ont circulé énormément depuis plusieurs semaines et, avant même l’arrivée des musiciens sur scène, nous entendons en nous résonner les premières notes, celles que nous devinons, celles que nous nous remémorons.
Magma va venir, Magma à l’Olympia, Magma à l’Olympia…
"Emëhntëht-Rê" !
Ils sont là.
De gauche à droite sur la grande scène : Frédéric D’Oelsnitz, Antoine et Himko Paganotti, James Mac Gaw, Christian Vander, Philippe Bussonnet, Stella, Isabelle Feuillebois. Derrière eux, dans un grand bain de lumière rouge, domine la projection de la griffe.
"Emëhntëht-Rê" ! L’introduction est empreinte de toute la majesté qu’on lui avait connu dans les années 70 (en 1977 notamment), elle n’est plus uniquement vocale comme à l’époque des Voix, Christian Vander lui imprime toute la puissance que cette suite mythique – souvent évoquée, partiellement jouée – appelle et les thèmes vont pouvoir s’enchaîner : "Rind/ëh", puis le second fragment, que le groupe avait enregistré en 1976 (cf. la réédition sur CD de "Üdü Wüdü"), puis "Hhaï", dans une version très lyrique où le chant habité de Christian nous emporte… to believe in God… dowiss… avant que le Fender Rhodes ne scande deux accords sur lesquels vient se poser la basse de Philippe Bussonnet, elle gronde, les chœurs appellent… "Zombies" ! Tout s’enchaîne et même si l’on devine parfaitement que cette longue et belle suite n’en est qu’au premier stade de sa (re)création, qu’elle est encore inachevée, au point qu’elle ne fait qu’aviver encore plus notre impatience de l’écouter mûrir au fil des mois, toute l’énergie est là, intacte, préservée.
J’entends ma voisine de fosse qui, à l’évidence, découvre la musique de Magma, dire à son ami : "C’est léger et puissant à la fois !". Peut-être, instinctivement, a-t-elle tout compris, tout perçu ? Car la force vitale de l’univers musical de Christian Vander est probablement à chercher quelque part dans ce déchirement permanent, cet antagonisme entre amour et désespoir, cette lutte sans merci entre courants opposés. Légèreté et puissance, air et terre…
Après quelques mots de Stella qui nous dit le plaisir du groupe à investir à nouveau cette scène qu’il avait occupée voici maintenant 25 ans à l’occasion des concerts de rétrospective, c’est maintenant "Soï soï" et son introduction au piano, puis "KMX" et le duel fratricide entre la basse de Philippe Bussonnet et la batterie de Christian Vander.
On imagine alors une pause (ou une trêve, c’est selon…), quelques minutes de répit avant un second assaut, sous les ordres du capitaine d’un vaisseau conquérant.
Non, pas de pause, c’est au contraire un "K.A" survitaminé qui s’annonce, 50 minutes d’une fête musicale dense et habitée comme jamais : les voix s’envolent, le feu des cymbales nous brûle les yeux et les oreilles. Il y a dans cette composition que le groupe joue sans relâche depuis trois ans maintenant une jubilation aux pouvoirs énergisants, une joie si communicative qu’on redoute de voir le temps défiler trop vite, la fin s’approcher malgré nous. Pourtant, malgré notre envie commune de suspendre ce temps, de l’arrêter en plein vol et de demeurer ainsi, comme en état de lévitation, les minutes s’écoulent et la fin approche.
La fin, ou presque…
Les applaudissement, eux, durent longtemps, le public refuse la fin de la fête et c’est avec un neuvième complice que Magma revient sur scène : un Klaus Blasquiz souriant, voire débonnaire, qui vient jouer le rôle d’un Monsieur Loyal et prendre le temps de nous présenter, un à un, chacun des musiciens avant d’entonner la chanson "originelle", l’invitation au premier voyage : "Kobaïa" ou dix minutes pour un retour aux sources en guise d’au revoir. Et même si, ce soir-là, la prestation de Klaus ne fut peut-être pas inoubliable, ce bonheur partagé, ces sourires échangés, ces gestes affectueux eurent vite fait d’irradier définitivement un public conquis.
Applaudissements, applaudissements encore… à n’en plus finir ! Christian Vander, comme intimidé, revient au micro nous expliquer que… désolé… après 23h30… il faut arrêter, c’est ainsi, c’est l’Olympia, c’est Paris.
Applaudissements…
Et le groupe revient, malgré tout, tout doucement, musicien par musicien. Christian entame au chant la magnifique "Ballade", ainsi nommée parce qu’elle n’a jamais été présentée autrement. Les chœurs déposent leur tapis de velours, la guitare de James Mac Gaw tisse une toile délicate, les doigts de Christian imaginent une flûte ou, plus probablement, un saxophone soprano… Coltrane sundïa…
Les lumières se rallument, c’est fini.
On nous invite très vite à quitter la fosse. Dans le hall, chacun est là, un peu hagard, on retrouve enfin les visages qu’on n’avait pas eu le temps de voir trois heures plus tôt, on échange quelques mots, des silences, qui disent l’essentiel parce que tellement difficile à exprimer.
Magma à l’Olympia, Magma à l’Olympia !
Ce n’est qu’un au revoir.