Décidément, mon bon docteur D. est un personnage vraiment à part. Car, non content d'assurer ma maintenance électronique avec brio (« Ah ! Avec brio !... », ça me rappelle quelque chose...) et de faire de moi un sujet d'étude pour une revue spécialisée dans la stimulation cardiaque (à ce sujet, cher Docteur D., vous écrivez au sujet de mon pace maker, dans l'article qui est consacré à mon cas que, je vous cite, « le patient n'a pas souhaité changer de marque » ! C'est un comble ! Comme si, quelque part, ça vous arrangeait de me prêter ces intentions... mais bon, passons, si une telle attitude de ma part vous est utile, j'accepte de jouer le rôle du malade psycho-rigide...), une étude dont je ne me lasse pas depuis que j'y ai appris que je souffrais d'une « dysfonction sinusale avec insuffisance chronotrope sévère », ce qui, on en conviendra, a de la gueule et fait de moi un cas médical précieux, beaucoup plus finalement que l'objet qu'on vient de m'implanter. Oui, parce que je viens de recevoir une copie de la facture de mon hospitalisation et, après lecture attentive, je me suis aperçu que mon nouveau stimulateur n'était, finalement, pas si cher que ça, le prix affiché étant à peine supérieur à 3.000 € ! Bof... je suis déçu parce que je me rappelle qu'en 1991, le modèle qu'on m'avait choisi valait plus de 35.000 francs. J'espérais donc une belle poussée inflationniste, je m'étais déjà imaginé que – à l'instar de la folie immobilière – je serais équipé d'une électronique de dernière génération certes, mais dont le prix aurait honteusement flambé, pour abriter finalement un bel objet avoisinant les 10.000 €. Ben non, rien de tout cela en fait, c'est à se demander si la main d'oeuvre ne provient pas de Chine, d'Inde ou de Corée... Je me sens un peu victime d'une mondialisation sauvage qui va désormais se nicher au plus intime de moi-même, mon espace privé subdermique.
Oh là ! C'est parti dans tous les sens, je viens d'être à nouveau victime d'une attaque de parenthèses digressives... Pardonnez-moi ! J'en étais à – je résume – non content de s'occuper de mes affaires cardiaques et des les raconter dans une revue spécialisée, mon cher Docteur D. entretient désormais avec moi des relations très automobiles ! Vous avez appris grâce à moi qu'il circulait régulièrement dans une vieille Panhard dont la carte grise est datée du 16 décembre 1957. Mais vous ne savez pas encore qu'il a voulu m'aider à trouver un client pour mon ancienne voiture, un jeune médecin roumain avec lequel je suis entré en contact par e-mail. Manque de chance, ce potentiel acheteur a été attiré par les charmes d'une vieille Ford sous le fallacieux prétexte que, contrairement à ma Renault, elle disposait d'un système de climatisation. Pfff... sont fous ces roumains ! Le docteur D., qui m'a annoncé cette piteuse décision, était presque plus ennuyé que moi, d'autant que je n'avais pas eu la moindre difficulté à revendre mon véhicule au garage voisin de ma maison rose, celui qui m'a vendu une belle navette spatiale, avec plein de trucs automatiques, des informations qui s'affichent en transparence sur le tableau de bord, des boutons partout et même une sixième vitesse... Tant pis pour mon « roumain difficile » (je cite une fois encore le docteur D.), il ne sait pas ce qu'il a perdu, c'est son problème ! Mais vous ignorez aussi que non content de rouler dans une antiquité à la direction hasardeuse, mon bienfaiteur stimulant s'est entiché d'une vieille Jaguar à la conduite anglaise, repérée quelque part du côté de Luxembourg ! Et qu'il se l'est offerte, en allant la chercher par temps de verglas au volant de sa Panhard ! Vous imaginez un peu le spectacle ? Sept heures pour une trajet de deux fois 110 kilomètres, une nouvelle version de la croisière jaune, aux ambitions plus modestes j'en conviens, mais au résultat tout aussi incertain. Raah, je l'imagine agrippé à son nouveau volant, se tordant le cou pour tenter un dépassement, sur ce maudit axe routier infesté de milliards de camions pilotés par des chauffeurs dont on se demande s'ils ne sont pas aveugles, lorsqu'on les observe attentivement, déboîtant brutalement comme si vous n'existiez pas. Vous rigolez ? Essayez un jour le trajet Metz-Nancy en pleine semaine... vous m'en direz des nouvelles...
Non, vraiment, j'ai de la chance d'avoir pour protecteur un personnage aussi atypique ! Que je soupçonne désormais d'être venu faire un petit tour sur ce blog, parce que... quand il m'écrit : « Je pense à vous en relisant vos aventures frappantes », peut-être fait-il allusion à une énième version de l'article qu'il rédige à mon sujet, mais peut-être évoque-t-il mes propres comptes-rendus ici même ? Du coup, je viens de relire rapidement les notes que j'ai rédigées autour de mes aventures cardio-stimulantes, afin de m'assurer que je n'avais pas écrit trop de stupidités... Ouf, non, ça va... Je trouve même qu'il s'en tire avec un portrait finalement assez flatteur, n'est-ce pas ? Il faut dire aussi que le bonhomme est bien loin de l'image stéréotypée du médecin hospitalier, blouse blanche ouverte, stéthoscope arboré à la façon de la cravate lors de la campagne du RPR dans les années 80, petites infirmières émerveillées, enfin, vous voyez le genre, ... Quoique... pour avoir vécu de longues, bien longues semaines à l'hôpital voici maintenant 27 ans, je ne suis pas si certain que cette image véhicule autant de stéréotypes qu'on l'imagine... Mais je digresse encore ! Non, le docteur D., c'est un autre univers, à lui tout seul : pas de blouse blanche, pas de rôle surjoué, de la compétence de la simplicité et puis, surtout, un zeste de ce quelque chose qui rend le personnage si attachant, on sent chez lui comme une part d'irrationnel, on devine très vite que l'enfant n'est pas totalement éteint en lui (oui, au fait, pourquoi, sous prétexte que nous sommes adultes, devrions-nous oublier que nous avons été et que nous sommes toujours des enfants ? Je ramasse les copies dans deux heures, merci, on travaille en silence...). Et puis chez lui, on bosse en famille : c'est madame Docteur D. qui est son assistante et quand elle n'est pas là, on utilise la main d'oeuvre disponible, y compris madame Maître Chronique que l'on invite à jouer les presse boutons !
Y a juste un truc qui me gêne, c'est cette phrase que le docteur D. a glissée discrètement l'autre jour, quand il m'a dit qu'il cesserait son activité dans deux ans. Alors là, pas drôle ! J'ai toute confiance en ce médecin qu'il m'a présenté l'autre jour comme son successeur mais... taratata ! Je ne mange pas de ce pain là. Et je veux croire que lorsqu'il me racontait l'histoire de ce chirurgien qui continuait, très très vieux, à opérer chez lui, il me suggérait qu'il ferait une exception pour moi. Qu'il continuerait à veiller sur moi avec toute l'attention que je mérite. Ben oui, j'ai bien compté, il me reste au moins deux pace maker à vivre et depuis quinze ans, j'ai pris des habitudes : alors OK, j'accepte de dire que je ne veux pas changer de marque, je suis prêt à me compromettre avec un gros mensonge, mais en échange, je ne change pas non plus de médecin. Non mais ! A bon entendeur...
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Chiche !
A travers ce blog, j'essaie de fabriquer de manière artisanale un savant mélange de souvenirs, de chroniques à teneur musicale et de quelques réflexions diverses sans autre ambition que, parfois, de susciter des échanges à travers lesquels nos personnalités acceptent de se dévoiler un peu. Or, il se trouve que mon propre frère tient lui-même son journal du web, dans une optique très proche. Il y parle beaucoup de musique (chance pour moi, les artistes dont ils parlent ne sont pas les mêmes qu'ici, cette complémentarité n'étant pas pour me déplaire, loin s'en faut), il travaille également à fixer sur le papier virtuel des souvenirs remontant à l'enfance. Je crois que tout cela est très important pour nous (pardonnez-moi de vous dire ces choses-là, mais après tout, vous faites aussi un peu partie de la famille), mais aussi pour nos enfants qui disposeront là d'une sorte de grenier-mémoire dans lequel ils pourront puiser, s'ils en ont envie.
Nos chemins aujourd'hui parallèles – dont les directions s'étaient un peu trop éloignées à mon goût depuis fort longtemps – sont la marque d'une vraie « essence fraternelle » qui me réjouit et me fait aborder ma vie de quasi-quinquagénaire avec un sentiment de « respiration » que notre éloignement avait un peu étouffé...
Tout ceci m'a donné une idée que je lui soumets ici, en votre présence à tous, parce que je suis persuadé que l'exercice pourrait bien s'avérer jubilatoire : nous lancer, régulièrement, un petit défi d'écriture (en nous accordant un délai pour le réaliser, car lui, tout comme moi, a la mauvaise habitude de travailler, ce qui nuit fortement à la pratique de nos loisirs, ce que nous déplorons depuis des décennies...) dont le principe est très simple. L'un de nous détermine un sujet à évoquer et nous travaillons chacun de notre côté à la rédaction du texte en planifiant la date de publication. Ainsi, au jour J, nous découvrons (et vous découvrez) le résultat ! Voir comment chacun a modelé la pâte de ses propres souvenirs, comment chacun a vécu ces moments communs, constater les différences, observer les rapprochements, les similitudes. J'avoue que je suis d'ores et déjà très impatient d'en découvrir les richesses.
Par conséquent, j'appelle sans plus tarder mon Ô Brother ! à nous raconter la pratique d'un jeu qu'il avait inventé et auquel nous nous sommes adonnés durant de très longs mois d'été. Je n'en dis pas plus, le seul indice supplémentaire que je lui fournirai sera le suivant : « petits coureurs » ! Mais je sais qu'il avait déjà compris.
Nous sommes le vendredi 10 mars 2006, je nous accorde trois semaines pour écrire ce texte et je nous (vous) donne rendez-vous au... 1er avril 2006 pour le mettre en ligne. Non, non, non, ce n'est pas un poisson, même si la date et la ligne pourraient vous inciter à le penser.
Bon, frangin, prêt à relever le défi ? Et si je ne sens pas un enthousiasme total dans ta réponse, j'en appelle à nos millions de lecteurs assidus pour t'encourager, tel le public du marathon de Paris que tu finiras bien par courir quand tu seras remis sur pieds !
C'est parti ! -
Sur le chemin d'Eric
Profitant du nouvel aménagement de mon grenier, je m'attelle à un classement un tant soit peu rigoureux de mes disques et des magazines de musique qu'il m'arrive d'acheter. Et c'est en mettant un peu d'ordre dans ma collection de Jazzman que j'ai relu la chronique d'un disque qui m'avait, pour parler trivialement, mis en pétard au moment où je l'avais découverte. Chronique d'une humeur annoncée, comme disent les journalistes quand ils ne parviennent pas à trouver un titre à leur article. Ce qui démontre également que j'aurais tout aussi bien pu ranger cette note dans la catégorie « Humeurs » au lieu de « Musique »...
C'est dans le numéro 111 de Jazzman, daté de mars 2005, qu'on trouve sous la plume de Franck Bergerot la critique de « My favorite songs », le CD live tout juste publié par le saxophoniste Éric Barret. Je cite : « Est-ce la prise de son ? L'imperfection des arrangements ? Le manque de répétitions ? Une distribution inadéquate ? Ça swingue, ça respire, ça sonne comme un brouillon encore très inabouti. A-t-on voulu garder le souvenir d'une aventure sans lendemain ? Il y a comme un aveu de semi-échec dans cette livraison prématurée. »
Et puis quoi encore ? Soyons clairs... Tous les goûts sont dans la nature, tout chroniqueur a le droit d'aimer ou non tel ou tel disque et de le faire savoir. Mais pourquoi un tel acharnement à démolir un travail qui est très probablement un témoignage signifiant dans le déjà long parcours d'un musicien exemplaire ? Et de quel droit juger de l'imperfection des arrangements et de la qualité de la distribution ? Ce journaliste a-t-il mieux à nous proposer ? Peut-être cet enregistrement n'est-il pas le « Kind of Blue » de l'année 2005, peut-être aussi doit-on se souvenir du proverbe : « Qui aime bien châtie bien », mais cette façon de balayer en quelques lignes le travail d'un artiste que l'on ne peut soupçonner de la moindre compromission avec je ne sais quel système laisse un goût plutôt amer. D'où cette impression, désagréable, que les croche-pieds les plus inattendus vous viennent parfois de ceux qui se disent vos amis.
Car enfin, quelle faute impardonnable Eric Barret a-t-il bien pu commettre pour voir le compte de sa dernière production ainsi réglé en quelques phrases ? Se serait-il lié les pieds et les poings avec des médias qui nous auraient conséquemment abreuvé de sa musique jusqu'à plus soif et écoeurement, moyennant je ne sais quelle transaction financière avec une « major » complice ? Serait-il le chouchou de ces radios FM dont la programmation dégouline dans les tympans d'une foule consommatrice cible des dernières trouvailles du marketing le plus cynique ? Aurait-il forcé la porte de nos grandes chaînes de télévision "populaires" pour devenir le membre attitré d'un jury chargé de fabriquer le prochain génie chantant de la décennie, juste avant son inexorable plongeon dans l'oubli ? Aurait-il reçu une récompense injustifiée et médiatique lors d'un palmarès annuel ? Se serait-il, ne fût-ce qu'une seule fois, laissé abuser par un courant musical à la mode, au détriment de la cohérence de sa démarche personnelle ? Rien de tout cela. La musique d'Eric Barret évolue dans une certaine confidentialité – inhérente à ses choix artistiques, probablement – au point que la plupart d'entre vous n'ont jamais entendu parler de lui. J'ai la chance de connaître un peu ce monsieur. D'abord parce que je l'ai déjà vu sur scène (j'ai le souvenir d'un très bon concert en trio avec le guitariste Serge Lazarévitch et le batteur Joël Allouche), ensuite parce que je possède quelques uns de ses disques, dont le magnifique « New Shapes » ou encore « Linkage », très beau duo avec le batteur Simon Goubert dans ce qui ressemble fort à un hommage à un autre duo, celui formé par John Coltrane et Rashied Ali en 1967 pour la session « Intersellar Space ». Enfin, parce qu'ayant été le professeur de saxophone de mon Saxoman de fils durant plusieurs années, j'ai ouï dire de ses qualités de pédagogue et pour l'avoir rapidement côtoyé, je sais que l'homme est discret, sincère et... bourré de talent, toujours en recherche ! Et puis, pour l'histoire, souvenons-nous qu'en 1985, alors qu'il n'était âgé que de 26 ans, Éric Barret enregistrait un disque en trio avec Henri Texier et Aldo Romano, excusez du peu. C'est aussi à cette époque qu'on pouvait l'écouter au Sunset comme invité du très coltranien trio de Christian Vander (avec Michel Graillier et Alby Cullaz). Alors si « My favorite songs » (un titre clin d'oeil à Coltrane, une fois encore, car qui n'a jamais entendu parler de « My favorite things », l'un de ses disques les plus célèbres ? Vous, là, au fond de la classe ? C'est bon, passez me voir à la fin de l'heure, merci.) n'a pas l'heur de recueillir l'adhésion totale d'un chroniqueur musical, pourquoi passer ainsi sous silence ce qui fait l'intérêt de ce disque et appuyer sur ce qui semble à première vue une série de faiblesses ? Je l'ignore et j'éprouve ici le besoin de redresser une barre que j'estime injustement tordue !
Avec ce disque, Éric Barret voulait d'une certaine manière nous raconter le début de son éducation musicale et s'en explique d'ailleurs très simplement sur la pochette. Il reprend à son compte des chansons ou compositions qui ont bercé son enfance et son adolescence : chansons de Léo Ferré (La vieille pèlerine, L'amour fou, E.P. Love, ...) mais aussi de Jacques Brel (Quand maman reviendra), d'Henri Salvador (Syracuse) ou de Léonard Cohen (Suzanne) ; aux côtés desquelles on peut trouver une reprise du splendide « Islands » de King Crimson et de « O Caroline » de Matching Mole, le groupe fondé par Robert Wyatt après son départ de Soft Machine. Entouré de six complices (parmi lesquels figurent les excellents Pierre-Olivier Govin aux saxophones, Éric Löhrer à la guitare et Benjamin Moussay au piano), Éric Barret se livre à nous sans fard, sans affectation, et surtout sans tricherie dans la simplicité d'une salle qu'on devine petite en écoutant les maigres applaudissements. On est là dans un cercle intime, Éric Barret nous raconte son histoire comme d'autres, autrefois, évoquaient leurs souvenirs d'enfance au coin du feu. Un point c'est tout. Pas d'effets de manches, pas de surproduction cache-misère d'un manque d'inspiration, juste une heure de musique sincère et chaleureuse. Il faut, parfois, savoir ne pas demander plus à un artiste et considérer chacun de ses actes pour ce qu'il est : un caillou supplémentaire sur un chemin dont les contours ne sont pas forcément dessinés à l'avance.
En lisant les notes du CD, j'ai été intrigué par la conclusion du texte écrit par Éric Barret et certaines phrases dont, fugitivement, j'ai cru qu'elle m'appartenaient : « Je découvris au début de l'adolescence la musique pop anglaise et ses passionnants musiciens tels Robert Wyatt et Robert Fripp. Là encore, j'appréciai leurs talents de mélodistes. C'est la musique anglaise, en pleine explosion dans le milieu des années 1970, qui m'amena sans que je m'en rende compte au jazz. Ce furent les groupes anglais Yes, King Crimson, Soft Machine, ensuite la fusion, Mc Laughlin, Weather Report, Zappa puis le jazz, Miles, Coltrane... ». Hé ! Ho ! Mais c'est moi ça !!! C'est mon histoire. Oui, euh... sauf que la conclusion est assez différente, ma foi, et pas à mon avantage : « Et finalement le saxophone pour moi, le début d'un autre apprentissage... ». Oui, parce que là... je suis plus à la hauteur du tout, mais plus du tout ! Tout au plus capable d'extirper deux notes d'un harmonica lorsque j'avais cinq ans. Et depuis, silence radio, passez votre chemin, messieurs dames... Heureusement que ma descendance a relevé le niveau, parce que là, j'étais définitivement écrabouillé, ridiculisé.
Il me reste cependant une toute petite arme pacifique dont j'essaie de me servir au mieux pour aborder deux ou trois sujets qui me tiennent à coeur et raconter ici ou là quelques histoires anodines. Et je crois qu'Éric Barret méritait bien que je la dégaine pour défendre sa cause !
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Retour à la vie normale...
Toute bonne chose ayant une fin, me voici de retour au travail. Rien n'a changé depuis mon absence, les mêmes personnes au même endroit, la même drôle d'ambiance, il flotte ici comme un air un peu désabusé. Mes collègues se répartissent toujours en deux catégories : les gentils et les pas gentils. Les premiers, tout de même, m'ont demandé si j'allais mieux, si j'avais enfin pu obtenir les bons réglages pour mon pace maker. J'ai eu l'impression d'exister pour eux, c'est agréable. Les seconds (minoritaires, je tiens à le préciser) se sont contentés au mieux de me dire bonjour. Pour eux, c'est exactement comme si j'étais encore là vendredi, comme si je revenais de week-end. Je suis un meuble, probablement. Ceux-là, finalement, je les emmerde, voilà ce que j'appelle une bonne résolution de rentrée. Après tout, c'est un peu comme une rentrée pour moi. C'est vrai qu'il est extrêmement difficile de se remettre au travail, dans le bon rythme, je dois prendre le temps de réfléchir et de faire le point sur mes dossiers en cours. Mais où en étais-je donc ? Tiens, pourquoi avais-je écrit cela sur ce bout de papier ? Ah, et puis quelqu'un est venu fouiner dans les documents rangés sur mon bureau, et ça... j'aime pas du tout. Nom d'un chien... je ne pige plus rien à cette requête sous Access... Il faut que je note noir sur blanc tout ce que j'ai à faire pour les trois prochains mois, que je me fixe des dates et que je commence dans le bon ordre. Bon, ben... je vais commencer par trier mes papiers, enfin, quand je dis trier, je vais en jeter les trois quarts, comme d'habitude... J'ai soif... Hop ! Direction la fontaine à eau, je remplis une petite bouteille que je vais boire en deux ou trois gorgées seulement. Jusqu'à la suivante. J'ai toujours soif ici.
Et puis j'ai encore un peu la tête à mes trois journées parisiennes, à ce temps un peu trop froid pour déambuler comme je l'aurais souhaité, à observer les façades, à deviner les intérieurs, à inventer des histoires. A cette promenade réfrigérante sur l'allée des Cygnes, au milieu de la Seine, entre le Pont Mirabeau et le Pont Bir-Hakeim.
Je suis toujours sous le charme de « Mademoiselle Julie », très belle pièce de Strindberg interprété avec un incroyable talent par Emilie Dequenne, Bruno Wolkowitch et Christine Citti. Trois acteurs dont l'engagement physique est absolument étourdissant. Depuis le quatrième rang où nous étions installés, nous avons ressenti la puissance de leur jeu, ce combat qu'ils menaient et qui prenait à la gorge jusqu'au dernier mot. Aujourd'hui encore, j'ai du mal à en parler tellement c'était intense, très pur. Si vous pouvez, allez vite voir cette pièce magnifique.
Je pense aussi à Alain Souchon, un type que j'aime bien (oui, je sais, ça peut en surprendre certains...) parce qu'il fait partie de cette poignée de chanteurs qui ont réussi à s'inventer un univers qui n'appartient qu'à eux. Souchon, c'est quelqu'un qui possède son langage, et dont la vision du monde est beaucoup moins légère que ne peuvent le laisser supposer ses déhanchements innocents et ses propos badins sur la scène de l'Olympia. Il est aujourd'hui dans la situation de celui qui n'a rien à attendre de personne, qui peut prendre tout le temps qu'il souhaite pour enregistrer un nouveau disque et dont les tournées font toujours salle comble. Ma seule réserve concerne ses musiciens (parmi lesquels, forcément, figure un ancien membre de Magma. C'est incroyable le nombre d'anciens musiciens de Magma qui jouent aux côtés des chanteurs. Cette fois, c'était le bassiste Guy Delacroix) qui sont tous très talentueux, mais qui font leur boulot, sans plus. Ils accompagnent. Peut-être est-ce que l'on leur demande après tout, mais c'est bien dommage. Ah, et puis ce batteur, il faudrait qu'un jazzman lui fasse une bonne formation continue et lui apprenne à oublier de temps en temps la pédale de sa grosse caisse pour se consacrer un peu plus à sa caisse claire qu'il délaisse... c'est bête, on peut dire tellement de belles choses rien qu'avec un petit frisé sur une caisse claire... L'a dû être batteur de rock, lui... Oh, et puis le public de Souchon, il est amusant aussi, très diversifié en réalité, c'est presque comme pour Tintin, de 7 à 77 ans. Il a un point commun avec tous les publics de tous les chanteurs de France cependant : il faut qu'il tape dans ses mains – ce qui en soi n'est pas condamnable – à la première occasion, moi ça m'énerve parce que je n'ai pas payé ma place pour entendre le public et surtout, je me demande pourquoi il faut toujours que ce soit n'importe comment ! Pour finir sur le sujet, je ne peux passer sous silence cette chanteuse dont j'ai oublié le nom et qui nous a infligé quatre ou cinq chansons en première partie : un concentré exact de tout ce que je déteste en matière de chanson. D'abord, je n'aime pas qu'on se décrète drôle, surtout quand on ne l'est pas. Ensuite, moi, les textes plan plan sur deux accords de guitare, ça me crispe énormément, même avec le recours d'un petit séquenceur pour enregistrer « en direct » des boucles et les rediffuser comme son propre accompagnement. Ce genre d'effets, j'aime beaucoup quand c'est un type comme Richard Bona ou comme John McLaughlin qui s'en sert, mais là, ça faisait vraiment gadget, vous savez, le genre je viens de découvrir ce petit appareil magique, c'est géniaaal ! Oui, mais une couche de merde sur une couche de merde... comme dirait l'autre, ça reste de la merde. Déjà, la miss, elle avait commencé en se faisant passer pour une chanteuse canadienne, pour avoir du succès auprès du public. Vous voyez un peu le genre, j'avais l'impression qu'on allait nous obliger à écouter des chansons de Linda Lemay... Heureusement, ça n'a duré que vingt minutes et j'étais effondré de voir qu'en insistant un peu... elle aurait eu droit à un rappel... Non mais ça va pas la tête.
Ah oui ! La collection Duncan Phillips au Musée du Luxembourg ! Splendide ! Ce collectionneur américain, mort dans les années 60, avait amassé depuis le début du vingtième siècle un nombre de trésors absolument sublime. J'ai vu du Manet, du Cézanne, du Van Gogh, du Hopper, du Braque, du Bacon, du Kandinsky... et plein d'autres chefs d'oeuvre. Un peu plus d'une heure à s'immerger dans le génie pictural, c'est un excellent remontant, le remède est efficace, vous pouvez m'en croire. En revanche, j'ai dû batailler ferme pour contrer les attaques de plein de vieilles filles moches et armées d'un audiophone qui, sous prétexte de visite guidée par leurs écouteurs, vous marchent sur les pieds sans s'excuser. Vieille pomme !
Je me suis bien amusé aussi à déambuler parmi les pingouins du Bon Marché, tous pareils, avec leur mine blasée, leur regard condescendant et leurs mémés impolies qui vous balancent leur panier à provisions dans les genoux lorsque vous avez le malheur d'empiéter sur leur terrain de chasse, entre le rayons des fromages et celui de la charcuterie. Ils me font bien rigoler les pingouins quand ils vont acheter à prix d'or des babioles en tous genres au magasin d'à côté, le Conran Shop, comme ça, ils ne risquent pas de rencontrer les blaireaux dans mon genre qui préfèrent se les procurer ailleurs pour un prix nettement inférieur... sauf le jour où je vais y flâner pour m'amuser ! Du coup, je me dis qu'ils sont à notre époque ce qu'étaient il y a un siècle les acteurs des années dites « folles », vivant sur leur nuage, inconscients (ou aveugles) de l'état du monde... Une bien triste caste, qui se pense supérieure, probablement.
Avec madame Maître Chronique, nous nous sommes bien amusés aussi dans un grand magasin parisien dont la directrice arpentait les rayons plutôt déserts du prêt-à-porter masculin de luxe. Elle s'étonnait avec ostentation du fait que les clients étaient rares... Euh, ben moi, si elle m'avait demandé mon avis, je lui aurais volontiers donné. Parce que si elle voulait bien prendre le temps d'observer les vendeurs locaux, elle s'apercevrait vite que ces braves messieurs sont assez doués pour jouer le rôle de repoussoir. Ils arborent tous la même mine hautaine, ricanent dans le dos des clients, voire de leurs chefs, et comme dirait l'autre, ils se croient sortis de la cuisine de Jupiter. Et puis cette zone, franchement, elle est assez glaciale, esthétique austère, faussement branchée et prix façon racket. OK, je ne suis pas la cible mais n'empêche, on doit être assez nombreux dans mon genre à se contenter de passer. M'enfin, si elle veut destiner son magasin aux seuls riches américains et japonais, c'est son problème, je ne sais même pas pourquoi je vous dis tout cela.
Il y a quelques mois, je vous avais expliqué que je scrutais toujours la foule lors de mes virées parisiennes pour détecter les célébrités croisées. Cette fois, mon tableau de chasse n'est pas à la hauteur de mes espérances, bien que de qualité infiniment supérieure au précédent (Christine Deviers-Joncour pour toute récolte, c'était quand même bien maigre) : Jean-Claude Brialy, Luis Rego et Antoine Wechter. Un butin assez hétérogène, mais décevant.
J'ai profité de mon aller retour en train pour prendre un bon gros bain de musique sous mon iPod... Au menu principalement, Robert Wyatt, le grand monsieur. En solo ou avec son groupe Matching Mole. Ce musicien de génie qui en 1974 a enregistré ce que je considère comme un disque majeur de la musique du XXe siècle, « Rock Bottom »... et dont je vais vous parler dans un avenir très proche, parce que je trouve inadmissible de n'avoir pas encore consacré un vrai texte à ce monument. Et puis, en écoutant « O Caroline », mes pensées ont dérivé vers le saxophoniste Eric Barret qui en fait une reprise émouvante, l'an passé. Et dont le disque a été méchamment critiqué dans Jazzman... Alors, d'idée en idée, j'ai commencé à réfléchir à un autre texte à vous proposer. Mais j'en dis trop.
Et puis, pendant que je je m'immergeais dans la musique, j'ai continué l'exploration des aventures de l'Inspecteur Resnick dont j'ai acheté les trois volumes qui me manquaient. Mais c'est bizarre aussi, cette impression mitigée de savoir qu'on va tout connaître de l'histoire du personnage, il y a le plaisir d'arriver au bout de l'aventure et, en même temps, cette petite angoisse qui vous gagne à l'idée que bientôt, cette relation avec lui sera terminée. Après, on se sent comme vide et on a besoin de respirer avant d'attaquer un autre bouquin.
Voilà, en quelques mots, l'histoire de ma reprise d'une vie normale. Autant vous l'avouer, ma tête est encore dans les nuages. -
Escapade
Demain, samedi et dimanche, allez madame Maître Chronique, on fait les valises, on met le cap sur Paris avec un programme chargé. Théâtre, Olympia, une expo... je vous raconterai tout cela, j'aimerais vous expliquer pourquoi je ne supporterais pas d'habiter la capitale mais que j'adore y flâner, la truffe en l'air, comme aurait dit Gotainer.
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Y a comme un hic
14 février 2006 : un nouveau Medtronic...
2 mars 2006 : Exit Scenic, bonjour Honda Civic...
C'est vrai que tout cela coûte du fric,
Mais bon, moi je trouve ça assez chic... -
En quête de Charlie...
Il y a toujours près de moi un livre... ou deux, trois parfois, tous commencés, parce que sans papillonner pourtant, il m'arrive d'être pris d'envies complémentaires qui nécessitent d'avoir plusieurs fers au feu. En ce moment par exemple, je me régale du bouquin de l'acteur Denis Podalydès, « Scènes de la vie d'acteur », du livre de René Rémond consacré au XXe siècle et d'un policier signé John Harvey, « Preuve vivante ». Je ne peux pas rester longtemps sans bouquiner et, pour avoir longtemps pratiqué cet exercice que d'aucuns jugent impossible à réaliser, l'on risque de me trouver souvent un bouquin entre les mains, un casque sur les oreilles, me distillant intimement une musique et m'apportant la concentration nécessaire à l'immersion dans les univers créés par les écrivains. Je viens également de m'apercevoir qu'à l'exception de quelques livres mis en exergue dans ce blog, je ne vous avais pas encore fait part de mes coups de coeur en ce domaine. L'occasion, donc, d'inaugurer une nouvelle catégorie de notes, que je baptise « Impressions », et de vous dire deux mots, justement, de John Harvey et avant tout de son personnage exemplaire, l'inspecteur Charlie Resnick.
Je vous parle ici de onze beaux bouquins, dix romans et un recueil de nouvelles, qui mettent en scène un inspecteur de police, Charlie Resnick, et les membres de son équipe, quelque part du côté de Nottingham. Car nous sommes ici en Angleterre, assez loin semble-t-il de l'eldorado dont nous rebattent les oreilles toute la clique des ayatollahs ultra-libéraux assez en vogue de nos jours, jamais en manque d'une idée nouvelle pour nous expliquer que l'herbe est toujours plus verte ailleurs. Chez John Harvey, l'Angleterre n'est pas miraculeuse, elle est terre de contrastes, on y voit des communautés s'y opposer, la souffrance est une réalité quotidienne pour bon nombre de gens qui vivent la précarité dans ce qu'elle a de plus cruel. Tous les personnages ont une vraie consistance, avec leurs joies, leurs peines, leurs amours difficiles au point que finalement, ce que l'on a coutume d'appeler les « intrigues policières » passent très souvent au second plan, parce que c'est la vie de ces êtres humains de chair et de sang qui nous happe. Et que la lecture de ces bouquins s'apparente aussi, parfois, à une salutaire prise de conscience.
Charlie Resnick, d'origine polonaise, vit seul avec ses quatre chats (Bud, Miles, Dizzy et Pepper) dont on devine que les noms traduisent la passion de leur maître pour le jazz et c'est tout naturellement qu'on s'invite à ses côtés lorsqu'il choisit un vieux 33 tours de Monk, Billie Holiday ou Lester Young. On salive à le voir se composer d'incroyables sandwiches à base de Stilton, d'huile d'olive, d'oignons et de tomates dont il raffole, on frémit lorsque sa cravate subit à intervalles réguliers les assauts d'une sauce vinaigrette coulant d'un sac en papier en provenance directe d'un traiteur voisin du commissariat. Resnick est un homme au grand coeur, mais timide aussi, paternaliste presque avec sa jeune inspectrice Lynn Kellog, dont la vie personnelle est compliquée par une drôle d'histoire de coeur avec un cycliste et par la maladie de son père. Resnick vit seul dans une maison, mais on sait qu'il a été marié à Elaine et que cette histoire est toujours très douloureuse, pour lui comme pour elle. Un couple brisé malgré le ciment de leurs origines polonaises.
Et puis, il faudrait parler de tous les membres de l'équipe de Charlie Resnick : outre Lynn Kellog, c'est Kevin Naylor dont le couple est toujours sur le fil du rasoir, c'est Mark Divine, le réac obsédé sexuel, c'est Diptak Patel dont les origines pakistanaises sont souvent un lourd fardeau à porter dans son insertion professionnelle, c'est Graham Millington, c'est Jack Skelton, le commissaire divisionnaire sportif dont la fille Kate est aux prises avec tous les pièges de son adolescence, une fille coincée entre un père et une mère qui se déchirent.
Ici, on parle de la vie, la vraie, une vie formidablement écrite par un John Harvey très inspiré qui a mis fin aux « aventures » de son personnage Resnick parce qu'il savait bien que cette histoire devait forcément s'arrêter un jour... et parce qu'il pensait que 10 romans, c'était bien, un bon chiffre en quelque sorte. On aurait volontiers continué cette belle aventure mais le mieux étant parfois l'ennemi du bien, on se dit que tout est bien ainsi et qu'une fois ces pages dévorées, on finira par s'y replonger tôt ou tard.
Tous les livres de la série Charlie Resnick sont disponibles chez Rivages / Noir. Je ne saurais que trop vous conseiller de les lire dans leur ordre chronologique.
Coeurs solitaires (n° 144)
Les étrangers dans la maison (n° 201)
Scalpel (n° 228)
Off Minor (n° 261)
Les années perdues (n° 299)
Lumière froide (n° 337)
Preuve vivante (n° 360)
Proie facile (n° 409)
Eau dormante (n° 479)
Now's the time (n° 526)
Derniers sacrements (n° 527)Pour en savoir plus : une interview donnée par John Harvey au magazine Lire.