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  • 5 à 7

    Le 29 juillet 1972, mes parents mirent le cap sur Crépiat, un petit hameau de la Creuse, là où habitait ma grand-mère maternelle qui venait de partager notre quotidien depuis plusieurs mois. Elle était parmi nous depuis le 17 avril de cette même année et ce fut, je crois, la dernière fois que je la vis. En réalité, ces dates sont aussi pour moi des points de repère musicaux car elles correspondent à deux achats qui, chacun, ont leur importance ! Le 17 avril en effet, je fis l'acquisition de « Mardi Gras », le dernier (et dispensable) album studio de Creedence Clearwater Revival qui marquait alors la fin d'une époque (cf. la note de ce blog intitulée « Fortunate John ») tandis que le 29 juillet, je me précipitais chez mon disquaire favori pour ajouter une nouvelle galette à ma collection naissante : « V », du groupe Chicago. Un disque charnière dont je me rends compte aujourd'hui qu'il est essentiel dans mon parcours d'initiation musicale et que je continue d'écouter avec une régularité que je n'aurais peut-être pas imaginée ce jour-là, alors que je n'avais que 14 ans.

    Forcément – tout cela va vous paraître répétitif – c'est mon frère qui m'avait fait découvrir ce groupe américain dont la musique, bourrée d'énergie jusqu'à la gueule, reposait sur un savant cocktail alliant la précision d'un trio de souffleurs hors pair (James Pankow, Lee Loughnane et Walter Parazaider), la rage électrique d'un guitariste exceptionnel (Terry Kath), l'élégance presque british d'un pianiste arrangeur (Robert Lamm) et les incursions plus « variétés » du bassiste chanteur Peter Cetera... auxquels on ne manquera pas d'ajouter l'excellent batteur et inventif percussioniste Danny Seraphine. Avec Chicago et ses sept musiciens, on naviguait dans l'océan d'une musique où les influences du jazz venaient se fracasser avec bonheur sur le blues et le rock, un régal pour toute oreille avide de brassage et de mariages heureux. Avec Chicago (qui s'appelait à l'origine Chicago Transit Authority, nom de la compagnie de transport de la ville), on était servi... et bien ! Le groupe alignait des albums doubles, identifiables facilement par un numéro qui leur servait de titre :  trois monuments pour commencer avant de nous servir une somme live sous la forme d'un... quadruple trente-trois tours (aujourd'hui réédité avec une heure de musique supplémentaire, je dis cela au cas où...). Tout ceci entre 1967 et 1971, quatre années d'une productivité phénoménale et de succès mondiaux dont les plus célèbres furent « Questions 67 and 68 » et « 25 or 6 to 4 ». Mais surtout, je crois maintenant pouvoir affirmer que c'est avec Chicago que j'ai pu faire entrer les sonorités du jazz dans mon propre univers. Jusque là, la musique s'appelait rock, elle devait être guitare, basse et batterie, parfois piano aussi. Mais j'étais peu sensible aux appels de la trompette, du trombone, de la flûte ou du saxophone ! Etonnant quand on sait que mon propre fils est saxophoniste et que, peut-être, sa vocation est en partie née du fait que depuis sa naissance, il a dû subir des heures et des heures durant lesquelles John Coltrane était au centre de bien des explorations. Mais oui, j'en suis sûr maintenant, c'est avec Chicago que ces instruments sont devenus pour moi de vrais compagnons de route...

    On en était là, en ce jour de juillet 1972, avec ce Chicago foisonnant et nous livrant chaque année ses objets à faces multiples quand fut annoncée la parution d'un numéro 5... sous la forme d'un album simple ! Sacrilège ? Perte d'inspiration ? Changement de cap ? Car en effet, 45 minutes de musique n'étaient probablement pas l'écrin idéal pour de longues chevauchées comme celles des galettes précédentes ! Il y avait chez moi une vraie fébrilité d'autant que jusqu'à ce jour, je m'étais contenter de « resquiller » dans la chambre de mon frère et d'écouter cette musique qui commençait à me passionner. J'allais donc acheter mon premier disque de Chicago et, en vertu du fait que l'absence de mes parents facilitait grandement le rapatriement de l'objet à la maison (cf. « La stratégie de l'arbre à disque »), je mis à profit leur excursion creusoise pour dépenser ce qui me restait d'argent de poche (après l'achat du magazine « Best »...).

    Un disque en bois ! Ou presque... Une épaisse double pochette imitant ce noble matériau, dans lequel était sculpté le nom du groupe, dans la typographie que nous lui connaissions bien. Et puis... plein de cadeaux : de beaux portraits individuels de chacun des musiciens (très vite accrochés au mur de ma chambre) et un grand poster du groupe (même destination murale, évidemment), une jolie galette de vynile enveloppée dans une pochette avec toutes les paroles, dont l'épaisseur appartenait à la fin d'une époque puisque dès l'année suivante, le choc pétrolier conduisit les industriels de tous poils à de sévères économies allant jusqu'à atteindre nos si chers disques, qui firent une étrange cure de minceur et de souplesse. Mais... ceci est une autre histoire, évidemment. Et puis... la musique ! De déception il n'allait pas être question, loin de là ! Chicago nous avait inventé un véritable concentré de musique et proposé un répertoire homogène et généreux dont je compris instantanément qu'il était un grand crû ! « A hit by Varese », « All is well », « Now that you've gone », « Dialogue », « While the city sleeps », « Saturday in the park », « State of the union », « Goodbye », « Alma mater »... Pas une seconde de répit, que du bon, que du bon... D'ailleurs, pour être très franc et malgré l'excellence d'un disque comme « VII » paru deux ans plus tard, jamais Chicago n'a, à mon sens, retrouvé cette tension, cet équilibre miraculeux entre énergie, précision des arrangements, inventivité des mélodies et cohésion des sept musiciens. Ils ne faisaient qu'un seul homme et je tenais là une perle que je conserve précieusement, tellement chargée de souvenirs et si symbolique d'un virage que j'amorçais, avant la découverte d'autres univers dont je parlerai un jour. Je suis éternellement redevable aux musiciens de Chicago de m'avoir donné les clés d'une grande maison dans laquelle je n'osais pas rentrer et dont ils m'ont facilité l'accès grâce à une sorte d'oecuménisme musical qui était leur marque.

    Chicago existe toujours, seuls Robert Lamm et les trois soufflants sont toujours là, on annonce même la prochaine parution d'un « XXX », c'est tout dire. Mais je dois bien avouer que la groupe a cessé d'exister pour moi depuis ce jour tragique de l'année 1978, le 23 janvier précisément, (nous en étions alors au volume « XI » paru l'année précédente) où l'admirable Terry Kath – celui à qui Jimi Hendrix vouait une grande admiration et qui, lui-même, adorait Hendrix auquel il rendit hommage sur « Chicago VIII » avec « O Thank You Great Spirit » – quitta brutalement cette bonne vieille Terre après un stupide jeu de roulette russe avec un pistolet qu'il pensait vide... Chicago ne pouvait plus être Chicago, les musiciens avaient même d'ailleurs fait savoir aux débuts du groupe qu'ils se sépareraient si l'un d'entre eux devait quitter l'aventure, c'était comme une trahison, un reniement. Sacrilège supplémentaire : le premier disque enregistré par Chicago sans Terry Kath ne portait plus de numéro, mais un banal titre comme tant d'autres albums : « Hot streets » !

    Alors, à doses régulières mais toujours aussi bienfaisantes, je m'injecte méthodiquement mes si belles minutes de Chicago, je me sens toujours bien avec mes vieux compagnons et je repense à ce jour où j'avais en mains depuis quelques secondes cet objet en faux bois, à peine extirpé du rayon de disques et plein de promesses largement tenues depuis ! J'avais quatorze ans... peut-être dans un coin de ma tête les ai-je toujours un peu...

    Le site officiel de Chicago : http://www.chicagotheband.com

  • Zeppelin de choses à vous dire !

    Voici une lettre que j'aurais pu adresser à Franck Tortiller, actuel directeur de l'Orchestre National de Jazz.

    Cher monsieur Tortiller,
    vous venez de publier le dix-neuvième opus d'une formation dite « institutionnelle », l'Orchestre National de Jazz, dont les 20 années d'existence ont vu se succéder, si mes comptes sont exacts, huit directeurs. Après François Jeanneau, Antoine Hervé, Claude Barthélémy (à deux reprises), Denis Badault, Laurent Cugny, Didier Levallet et Paolo Damiani, vous voici à la tête d'un orchestre réjouissant dont la récente production discographique me ravit à plus d'un titre !
    Car en effet, malgré le parcours qui est le vôtre, malgré les diplômes et premiers prix que vous avez accumulés depuis plus votre plus tendre jeunesse en percussion, analyse musicale, harmonie et contrepoint, ... vous auriez pu, comme d'autres, vous réfugier dans une attitude musicologisante (un néologisme que je revendique car on y devine ce que le suffixe « gisante » accolé à la musique laisse subodorer d'immobilisme) et refuser d'ouvrir vos oreilles à certaines formes d'expressions musicales ne recevant en leur temps qu'un rictus condescendant de la part de tous les savants qui, déjà, s'étaient enfermés dans le doux refuge du conformisme et la célébration des valeurs établies. Or, armé de votre flamboyante quarantaine, vous nous faites un plaisir infini en nous proposant de relire à votre façon le répertoire d'un groupe mythique du rock des années 70, le grand Led Zeppelin. Un pari d'autant plus risqué que la bande à Jimmy Page et Robert Plant avait fondé sa renommée mondiale sur un cocktail explosif d'électricité, de guitare et de chant et sur un sens évident de la mélodie. Tandis que chez vous, point d'électricité, point de guitare, les voix n'affleurent que de temps à autre dans de courtes envolées qui ne sont pas sans rappeler celles de l'incontrôlable Médéric Collignon (musicien de la précédente mouture de l'ONJ), vous vous présentez nu, avec votre petite armée de percussions et de « souffleurs » inspirés... et votre talent !
    Intelligemment intitulé « Close to Heaven », ce nouveau disque accomplit un miracle permanent : celui d'être lui-même sans trahir la musique qui l'a inspiré, il est comme une sorte de palimpseste jazz en transparence duquel les thèmes originaux sont toujours apparents, respectés, jamais dénaturés bien que profondément remaniés par des arrangements inventifs. Vous revisitez ainsi : « Black dog », « The rain song », « Dazed and confused », « Black mountain side », « Four sticks », « Stairway to heaven », « Kashmir » et « No quarter » et jamais notre attention ne se relâche. Est-ce dû à la pulsation colorée et tonique des vibraphones que vous vous partagez avec Vincent Limouzin ? A la présence constante de la contrebasse d'Yves Torchinsky ? A la toile rythmique tissée par  Patrice Héral et David Pouradier Duteil, vos batteurs, que viennent enluminer le saxophone d'Eric Séva, la trompette de Jean Gobinet, le tuba de Michel Marre ou le trombone de Jean-Louis Pommier ? A l'énergie que tous, vous semblez avoir déployée pour nous offrir cette heure à haute concentration énergétique ? C'est un peu tout cela et bien d'autres choses aussi, ce sont tous ces petits détails que l'on découvre au fil des écoutes.
    J'avais eu l'occasion, en octobre 2001, de venir vous écouter au Nancy Jazz Pulsations : vous étiez membre du Jazztet de Bernard Struber, qui interprétait ce soir-là une création dédiée au grand Franck Zappa (il me semble que cette dernière s'appelait « Zapp'Attac »). Entre marimbas et vibraphone, vous aviez illuminé cette soirée de toute votre élégance et j'attends depuis ce jour avec impatience le moment où je pourrai, à nouveau, participer à la fête que vous ne manquerez pas de donner. Avec l'Orchestre National de Jazz peut-être, ou dans un autre cadre, quelle importance  ? Où ? Quand ? Je l'ignore aujourd'hui mais ce jour viendra, forcément. Puisque vous ne trichez pas avec la musique, ma confiance en vous est totale et je serai heureux de vous le dire de vive voix si l'occasion se présente.
    En attendant, je savoure « Close to Heaven »... qui m'a redonné l'envie de me plonger à nouveau dans la discographie de Led Zeppelin, que je n'avais pas explorée depuis quelques années, faute de temps, mais aussi parce qu'il y a toujours tant de nouvelles aventures sonores à découvrir et que le temps passe si vite, malheureusement. Je suis donc sur le point de me ravitailler en « Black Dog », « Dancing Days », « Rock'n'Roll », « Stairway to Heaven », « Kashmir »... et tant d'autres inoubliables morceaux de bravoure ! J'imagine que vous ne m'en voudrez pas de délaisser un temps votre musique, persuadé au contraire que vous faites partie de ceux que l'on appelle les « passeurs », ces artistes qui ne cessent de jeter des ponts entre différents univers pour nous inciter, toujours, à rester en éveil. La meilleure preuve en est le second projet sur lequel vous travaillez avec l'ONJ et qui sera consacré... à la valse ! Je ne promets pas pour autant que je serai pris de l'envie irrépressible de me jeter sur « Le Beau Danube Bleu » après avoir découvert « Sentimental 3/4 », mais je sais que vous nous guiderez avec jubilation vers le monde du trois temps et que nous vous suivrons les yeux fermés... et les oreilles grandes ouvertes !
    Un grand merci à vous.

    Et pour en savoir plus : http://www.onj.org

    Sans oublier, bien sûr : http://www.led-zeppelin.com/

  • Carnet Rose

    Oh, je vous vois venir... Constatant la modification apportée au sous-titre de mon blog et l'apparition d'une phrase sentant bon l'autosatisfaction – Les parenthèses digressives de Maître Chronique – vous êtes déjà gagnés par la certitude que mes chevilles ont enflé, ou que, comme l'aurait dit mon grand-père dans ce langage fleuri qui parfois le submergeait, « je ne me sens plus pisser ». Maître Chronique... pourquoi pas « Chevalier de l'écrit », « Prince des Paragraphes » ou bien encore « Seigneur des Annotations », pendant que j'y suis ? C'est bien ce que vous pensez, n'est-ce pas ? Rassurez-vous, amis lecteurs, je ne fais qu'appliquer la vérité glaciale émise par un logiciel de reconnaissance vocale... Et je m'en vais vous expliquer d'où me vient ce nouveau titre de noblesse qui va, c'est un scoop, prendre la succession du désormais célèbre Y a K.A.

    Avant de commencer mon explication, je me dois de répondre aux nombreux courriers de mes milliers de lecteurs – qui me pardonneront de ne pas leur répondre individuellement, j'en suis certain, mais comment trouver le temps d'écrire à chacun ? – qui m'ont demandé de leur expliquer l'origine de mon nom : Y a K.A. La raison en est des plus simples : à l'automne 2004, le groupe Magma publiait pour la première fois depuis 20 ans un disque enregistré en studio appelé « Köhntarkösz Anteria » ou, plus simplement « K.A ». En tant que webmestre d'un site consacré à la planète Kobaïa, j'avais, comme beaucoup d'autres, pour mission de colporter la bonne nouvelle : Y a K.A ! Y a K.A ! Une invitation à l'achat et à la découverte de cette si belle musique, pas vraiment nouvelle toutefois puisque cette oeuvre fut en réalité composée en 1973 mais jamais enregistrée pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici. L'événement était là cependant ! Nous tenions là le premier disque studio de Magma depuis le très beau « Merci » en 1985 ! Il fallait bien l'annoncer et, à force d'incantations, cet appel m'est resté collé à l'identité pour de longs mois. Or nous sommes en février 2006, « K.A » est maintenant loin derrière nous et, en attendant son successeur « Emëhntëht-Rê », que l'on espère en 2007, il me faut désormais me réfugier sous une autre appellation. Partant de l'idée que « Y aura E.R » sonne plutôt mal, j'ai commencé mes recherches et j'ai failli adopter celle qu'a récemment inventée pour moi mon frère : Flying Stimulo Brother. Les initiés mélomanes comprendront l'allusion... Mais quelque chose me gêne dans ce nouveau nom : il est anglo-saxon ! Je n'ai rien contre la langue anglaise, loin s'en faut mais tout de même, tels les poulets de Bresse, confinons-nous en un espace protégé qui s'appelle France et optons pour un titre qui fleure bon notre terroir. Encore faut-il le trouver... Mais grâce à celui dont je vous fais partager les stimulantes aventures, mon Docteur D., la dénomination « Maître Chronique » m'est comme tombée du ciel. Laissez-moi vous expliquer, brièvement, comme d'habitude !

    J'ai compris maintenant que je suis pour le Docteur D. un vrai sujet d'études et qu'en m'implantant un pace maker de dernière génération, « intelligent » pour reprendre ses propres termes, il avait trouvé en moi le patient idéal, très atypique par comparaison avec sa clientèle habituelle, fort âgée et peu encline à lui fournir un compte-rendu détaillé de tous les symptômes observés à des fins d'études. Il est vrai que lorsque l'on a 90 ans, il est peu probable que les rafales de questions précises posées par le cardiologue trouvent souvent une réponse appropriée. Or, je suis un gamin, j'ai 48 ans, une espérance de vie de plusieurs pace maker devant moi, je suis donc à moi tout seul une inépuisable source d'informations. Ce que je vous explique est si vrai que mon cher Docteur D. m'a envoyé hier la première mouture d'un article consacré à mon cas et qui sera publié dans la revue spécialisée au nom très évocateur : « Stimucoeur ». La lecture de ces pages, écrites dans un style alerte malgré le nombre de détails techniques qui les parsèment, m'a notamment permis d'apprendre que je souffrais à l'origine d'une dysfonction sinusale avec insuffisance chronotrope sévère ! Vous m'en direz tant ! Depuis que je le sais, je me sens mieux. Mais je digresse, une fois encore. Or donc, j'étais ce matin une fois de plus à la clinique pour un énième réglage de ce miraculeux stimulateur, après avoir constaté que malgré la désactivation de tous les tests d'impédance deux jours plus tôt (c'est une façon de rendre le stimulateur plus bête qu'il n'est, comme dirait le Docteur D.), l'appareil avait une fois encore fait des siennes et s'était mis à tester comme un malade à 2h23 : 95 coups portés de l'intérieur et un réveil assuré en une fraction de seconde. Il m'avait déjà fait un gros clin d'oeil trois heures plus tôt en cognant 14 fois, une façon de me dire : « Tu vas voir mon gars, je vais bien m'amuser, je suis moins con que vous ne voulez l'admettre ».
    Ce matin donc, alors que le docteur D. m'avait relié à sa batterie bariolée de câbles électriques non sans avoir demandé à madame Y a K.A (qui ne savait pas qu'elle allait bientôt changer de nom et s'appeler très vite Madame Maître Chronique) de jouer les opératrices assistantes en lui confiant le soin d'appuyer sur un bouton vert puis un bouton rouge, nous évoquâmes cet article dont j'étais le héros (un peu involontaire quand même, hein ?) et qui n'en était qu'à sa version provisoire (au fait, on y verra ma belle radio, celle que je vous ai montrée avant-hier). Le docteur D. m'expliqua alors qu'il utilisait pour gagner du temps un logiciel de reconnaissance vocale et que, par conséquent, il lui suffisait de dicter nonchalamment à la machine un texte qui passait, miraculeusement, du stade oral au stade écrit... avec quelques surprises néanmoins ! Evidemment, on se doutera bien que les noms propres posent dans ce genre de situation quelques problèmes au logiciel qui va, très vite, s'égarer dans le monde merveilleux des propositions un peu absurdes. Ainsi en va-t-il de Medtronic, la marque de mon pace maker ! Mais oui, vous avez compris ! Quand le docteur D. dicte le mot « Medtronic » à son ordinateur, le logiciel s'obstine à écrire « Maître Chronique » ! Bingo ! Tope-là ! Adjugé ! Vendu ! C'est pour moi !
    Comment ne pas voir l'évidence ? Comment ne pas être frappé par l'intelligence de ce programme informatique qui, comme par magie, venait de relier mon cas médical rarissime et riche en surprises  avec l'écriture de ce blog ? Le doute n'était plus permis, j'allais devenir instantanément pour la blogosphère internationale celui qui, désormais, s'appelle : Maître Chronique ! Il ne faut jamais refuser les signes que la providence vous envoie.
    Bon ben, voilà, vous savez tout ! Vous voyez bien que j'ai fait court pour une fois.

  • Medtronic... ta mère !

    Aujourd'hui est jour de repos, après tous les efforts que je vous ai laborieusement décrits hier. Néanmoins, je ne pouvais laisser passer l'occasion de vous faire un petit cadeau. Enfin, sous vos yeux, l'objet mystérieux...

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    Voici donc, mesdames et messieurs, photographié deux fois la semaine dernière, celui qui m'a soutenu chaque jour depuis 15 ans maintenant et dont je vous ai - trop ? - longuement parlé : non non non, ce n'est pas une clé USB, vous avez bel et bien devant vous el señor Stimulo I, niché quelque part sous ma peau et dont vous admirerez, j'en suis certain, la belle ramification appelée sonde qui me stimule ventricule et oreillettes.

    Je n'ai malheureusement pas pour l'heure le droit de vous présenter Stimulo II, fruit des plus récentes recherches de la technologie médicale et dont les ressources électroniques internes sont toujours classées "Secret Défense" par les plus hautes autorités nationales dont je suis le cobaye consentant. Il n'est pas impossible que d'ici à une dizaine d'années, on me donne l'autorisation de vous en proposer une reproduction, bien que rien ne soit sûr à l'heure actuelle. Les pourparlers sont en cours, mais la négociation est âpre. D'autant qu'un phénomène mystérieux continue à se présenter sous la forme de 3 coups frappés toutes les heures, signifiant peut-être - oui, j'y crois vraiment - qu'en réalité, ce pace maker de dernière génération a déjà été implanté chez un acteur de théâtre qui serait brutalement décédé et qui souhaiterait ainsi se venger. Malgré les dénégations des ingénieurs de Medtronic, je reste convaincu de la forte probabilité de cette hypothèse.

    On vit vraiment une drôle d'époque...

  • Digressions... onze au grand maximum !

    Vivement que je reprenne le boulot. Ma convalescence est épuisante et je compte bien l'enchaîner avec une semaine de vacances durant laquelle le repos ne sera pas de mise... Je mène une vie harassante.

    Voilà plusieurs jours que je suis taraudé par l'idée de vous expliquer en quoi les heures que je vis actuellement sont, à mon grand désespoir, la source d'une fatigue que seule une reprise durable de mes activités professionnelles pourra peut-être éteindre. Prenons l'exemple de ce mardi 21 février 2006.
    Tout d'abord, un lever en pleine nuit, à 8 heures du matin, avec  tout juste assez de forces pour ramper jusqu'à la cuisine et m'écrouler sur une chaise, face à un petit déjeuner préparé par madame Y a K.A. Ben oui, je l'aurais bien fait moi-même mais pour cela, il aurait fallu que je prenne la décision de me lever en premier et donc, risquer de réveiller brutalement la même madame Y a K.A. Inconcevable...
    Les événements se sont ensuite enchaînés avec une brutalité que seule un vrai temps de repos en début d'après-midi me permet de vous faire partager. Il y a ces deux menuisiers, qui suent sang et eau – enfin, n'exagérons pas, de l'eau seulement – pour mettre en place un escalier intérieur que nous appelons de tous nos voeux depuis des semaines. Pendant qu'ils triment, je dois les encourager, mais aussi leur poser d'insidieuses questions pour savoir s'ils auront assez de leur journée de travail pour mener à bien cette tâche ingrate. Oui, parce que je me vois difficilement renouveler cette expérience demain, hein ? Trop fatigant... Surtout que lorsque je les sens faiblir, je m'empresse de leur préparer un café, dont on connaît les vertus stimulantes. Ils ne connaissent pas leur chance d'être ainsi assistés, bichonnés tandis que moi, je m'inquiète pour eux et m'épuise à petit feu.
    Je n'étais pas au bout de mon calvaire, loin s'en faut car il m'a fallu me faire conduire à la clinique pour un contrôle général du pace maker dont vous connaissez désormais les aventures depuis une semaine. Là encore, on n'imagine pas quelles ressources il faut mobiliser pour que le docteur D. – dont la Panhard noire de décembre 1957 trônait fièrement devant l'entrée, même que madame Y a K.A l'a prise en photo avec son téléphone et que, si je parviens à rapatrier la chose sur mon ordinateur, je vous la montrerai. La Panhard, pas madame Y a K.A ! – parvienne au réglage optimum. Il faut rester allonger, bavarder nonchalamment (allez savoir pourquoi je me sens moins idiot depuis que mon médecin préféré m'a appris pourquoi les têtes pensantes de Renault, avaient baptisé Vel Satis leur voiture « haut de gamme ». Je serais bien tenté de vous en expliquer la raison si vous l'ignorez, mais ce serait hors sujet, non ?), répondre à des questions sans bouger, surtout ne pas s'agiter. Le plus éprouvant étant de parvenir à un haut niveau d'abstraction dans la discussion et d'atteindre un stade de concentration que m'envieraient les champions français du biathlon (cf. plus loin):
    « - Ca vous fait mal comment ?
    - Beuh, 'fin, comme ça quoi... »,
    « - Le test d'impédance, c'était souvent ? La nuit ? Le jour ?
    - Oarf... oui, assez... même qu'hier soir, j'ai compté 86 secousses à 23h23... et 14 ce matin à 5h23».
    « - L'ingénieur de chez Medtronic, il dit que ça ne doit pas vous gêner la nuit...
    - Oh l'aut ! Même qu'une fois, vers 5 heures du matin, ça tapait tellement fort que ça a réveillé ma femme et il croit qu'on sent rien. L'a qu'à s'en faire implanter un s'il veut vérifier... De toutes façons, çui-là, il me plaît pas, même que mardi dernier, il a pas dit bonjour quand je suis arrivé ici pour le premier réglage».
    Tout cela en fait pour qu'au final, le docteur D. décide de désactiver la plupart des tests automatisés et, semble-t-il, parfaitement inutiles, puis décide de me priver d'une « stimulation ventriculaire superflue ». J'ai pas tout compris, mais c'est pas grave... Bon, vous voyez bien en quoi ce fut pénible, ce genre de choses... dont on attend qu'elles se terminent avec impatience. Trop d'engagement personnel, en fait...
    Mais aujourd'hui, je crois qu'une mauvaise étoile me narguait, malgré l'épaisseur des nuages lorrains (nuages lorrains, nuages lorrains... c'est peut-être un pléonasme, faut que je vérifie). Parce qu'à peine rentré chez moi, dans la désormais célèbre petite maison rose, madame Y a K.A, encore elle, se rua en cuisine pour me priver du plaisir de préparer le repas et me contraindre à allumer le poste de télévision et à encourager l'équipe de France de biathlon qui visait une possible médaille au relais 4 X 7,5 km. Je ne recommencerai jamais, ça je peux vous le jurer... Non mais sont complètement fous ces skieurs ! Ils tournent comme des malades sur une piste avec des côtes qui ont l'air assez raides, d'un seul coup, ils se couchent par terre et – bingo ! – ils visent à 50 mètres dans des cibles minuscules... Moi, à ce rythme-là, je ne tiens pas... Complètement crispé dans le canapé, hésitant même à déguster l'excellent plat de poisson qui m'était servi, haletant jusqu'à la dernière seconde. Oui, j'ai bien dit à la dernière seconde parce que justement, le français a arraché la médaille de bronze avec une avance d'environ un quart de demi-bout de spatule. J'ai vraiment cru que mon pace maker allait lâcher prise et que j'allais devoir rendre une deuxième visite à Panhardoman !!!
    Et pour finir, il y avait ce courrier glissé sous la porte... Raah... j'avais oublié... Deux places pour le théâtre Marigny, pour voir une pièce de Strindberg (va savoir pourquoi, quand j'écris ce mot, mon correcteur d'orthographe me propose : d'aubergines ! Il va pas s'y mettre aussi lui... à me fatiguer), « Mademoiselle Julie », le vendredi 2 mars. En plein pendant mes vacances et 24 heures seulement avant l'Olympia où j'ai promis d'emmener Madame qui n'a jamais vu cette salle.
    Franchement, je ne sais pas si je vais tenir le coup. Il va falloir que je fasse un break, et un sérieux. Je pense même que je vais renoncer à regarder cette semaine la saison 2 des « Brigades du Tigre », je peux difficilement puiser dans mes réserves et prendre le risque de prolonger cette inactivité dont j'ai de plus en plus de mal à m'extraire. C'est un peu contradictoire avec mon mot d'ordre d'hier, mais j'ai décidé, pour une fois, de m'adonner aux bienfaits de la procrastination !

  • Olivier Greif, in memoriam

    Je crois que jusqu'à mon dernier jour, je regretterai de n'avoir pas osé entrer en contact avec ce musicien découvert un peu par hasard et dont l'oeuvre est tout aussi atypique que magnifique. Pourtant, rien ne m'interdisait de le faire, je savais à quelle adresse lui écrire et s'il ne devait y avoir qu'un seul enseignement à tirer de ces quelques lignes – au-delà du désir que je souhaiterais susciter chez le lecteur d'en savoir un peu plus sur ce pianiste / compositeur hors normes – il tiendrait en seul mot d'ordre : halte à la procrastination !

    Durant plusieurs étés consécutifs, pendant la deuxième quinzaine de juillet plus exactement, j'ai eu la chance d'assister, chaque soir ou presque, à un concert de musique dite « classique » sous un chapiteau bondé de monde. Car en effet, la station alpine des Arcs organise depuis trois décennies une académie dont le principe consiste à réunir bon nombre de musiciens issus des différents conservatoires de notre belle France et de leur proposer de travailler durant la journée sous la férule d'un enseignant chevronné. Et pour les estivants qui choisissent d'aller s'oxygéner là-haut, entre 1600 et 1800 mètres d'altitude, un rendez-vous presque incontournable leur est proposé à partir de 20h30, sous la forme d'une soirée musicale gratuite où viennent se produire la plupart des musiciens chargés d'enseigner pendant la journée, mais aussi d'autres solistes invités pour l'occasion. Ce festival est une excellente manière de ne pas « marcher idiot » et d'aller à la rencontre d'une expression artisitique dont le répertoire allie un vrai classicisme à de nombreuses échappées vers des univers musicaux plus avant-gardistes, au grand dam d'une partie de l'auditoire, dont la curiosité semble s'être arrêtée au stade de la reconnaissance rassurante, alors qu'il est pourtant si essentiel de chercher à connaître.

    C'est dans ce contexte que j'avais pu découvrir le pianiste compositeur Olivier Greif. Né en 1950, ce musicien habité était non seulement un instrumentiste exceptionnel mais aussi un incroyable déchiffreur de partitions doublé d'un compositeur fascinant, dont la musique était très empreinte du mysticisme qui le caractérisait lui-même, aux dires de ceux qui l'avaient approché. D'apparence très simple, tout en rondeurs, Olivier Greif affichait une sérénité qui lui était parfois nécessaire lorsqu'il lui fallait surmonter les rumeurs émises par un auditoire souvent très conservateur et peu enclin à se faire bousculer par les envolées imprévisibles, hypnotiques, parfois dissonnantes de ses compositions. J'ai pu personnellement constater le phénomène la première fois où j'ai écouté l'une de ses oeuvres : « Veni Creator » ou, lorsqu'un beau soir, l'anné suivante je crois, Olivier Greif interpréta au piano sa splendide « Sonate de Guerre », un hymne déchirant d'une demi-heure en mémoire des martyrs de l'holocauste et des camps de concentration. On est loin, certes, du confort de velours qui vous enveloppe à l'écoute de Brahms, Mozart ou Schubert, car cette musique fait plutôt partie de celles qui vous serrent à la gorge et ne vous relâchent pas si facilement, cette sonate vous happe et vous laisse comme étourdi, un peu hébété, en particulier lorsque la dernière note de la Toccata s'est éteinte. Ou lorsque sont évoqués dans le premier mouvement le bruit des canons et des chants allemands.
    Olivier Greif a composé cette « Sonate de Guerre » en 1975 et il la présentait ainsi : « Elle est un vigoureux plaidoyer en faveur de la paix. En décrivant l'épouvante de la guerre, j'ai essentiellement voulu dénoncer la barbarie des hommes et rendre hommage à ses victimes. C'est ainsi que l'oeuvre est divisée en trois mouvements, qui, outre qu'ils retrouvent le schéma de la sonate classique, évoquent trois étapes fondamentales du processus guerrier : le combat lui-même, la mort et sa déploration, enfin l'espoir et la victoire ». Bien difficile de classifier Olivier Greif... Musicien classique ? Musicien contemporain ? Peu importe, sa musique est de toute beauté, fulgurante, et le musicien est par trop méconnu.

    Un beau soir de juillet 1999, Olivier Greif, présent une fois encore au Festival des Arcs, était venu assister à l'interpréation d'une autre de ses compositions, pour deux violoncelles : « La bataille d'Agincourt ». Même tension, même hypnose, même incroyable beauté... et mêmes réactions toujours aussi stupides d'un public décidément confit dans ses certitudes embourgeoisées. En sortant du chapiteau, j'ai pu apercevoir Olivier Greif parlant avec quelques uns de ses élèves et je n'ai pas osé l'aborder. Pourtant, dès le lendemain, je me suis rendu au secrétariat du Festival pour demander s'il serait possible de le rencontrer et de lui dire ce que je ressentais à l'écoute de sa musique. Trop tard, Olivier Greif avait quitté Les Arcs pour rejoindre la capitale qu'il habitait, quelque part du côté de la rue de Seine. Je ne repartis cependant pas les mains vides puisqu'un des responsables de l'organisation me donna son adresse et je me promis de lui écrire dès mon retour en Lorraine. Et les premiers mots de la lettre que je voulais lui adresser commencèrent à s'écrire en moi, petit à petit. Je n'aurais plus qu'à écrire tout ce que je voulais communiquer au plus près de mes émotions.

    Mais la vie est ainsi faite qu'alors qu'il m'aurait suffi de quelques minutes seulement pour coucher noir sur blanc des mots de passion, j'ai attendu, remis à plus tard ce courrier, par timidité peut-être, pensant que je n'avais pas encore trouvé les bons mots pour dire ce que cette musique provoquait en moi. Je commettais là une grossière erreur.

    Un matin de mai 2000, je feuilletais chez un marchand de journaux un magazine que pourtant je n'avais absolument pas l'habitude de lire (j'ai oublié lequel, peut-être était-ce L'Express ou Le Point) quand, l'ouvrant au hasard – j'ai toujours vu un signe étrange dans cette manière d'apprendre la triste nouvelle, comme si je devais d'une manière ou d'une autre, le savoir au plus vite – je lus qu'Olivier Greif venait de nous quitter et qu'il était mort chez lui, assis à son piano. Je pouvais oublier ma lettre à l'artiste et me confondre en remords. C'est idiot n'est-ce pas, mais c'est dans ces moments-là qu'on se dit que, peut-être, le moindre petit geste peut avoir une influence déterminante sur le cours des événements. Est-ce que la trajectoire de la vie d'Olivier Greif n'aurait pas été légèrement déviée s'il avait pu recevoir et lire ma lettre ? Il n'y a là aucune prétention de ma part, mais tout jusque-là semblait comme le fruit d'un étrange agencement des faits qui devait me conduire à lui faire part du choc que j'avais reçu en l'écoutant sur scène. Et moi, j'avais par mon inaction comme rompu le fil de ces événements.

    Depuis, je reste un peu comme orphelin de cette musique, et j'écoute souvent la « Sonate de Guerre » dans une version enregistrée en 2000 par le pianiste Pascal Amoyel. En effectuant quelques recherches, je viens aussi de découvrir un label (http://www.disques-triton.com/) sur lequel on peut trouver quelques trop rares oeuvres d'Olivier Greif enregistrées avec ou sans lui : Requiem, Chants de l'Âme, Le Tombeau de Ravel, Sonate de Requiem. C'est une bien mince consolation car à 50 ans, ce musicien avait encore tellement de choses à nous dire, tellement d'émotions à susciter en nous.

    Il fallait au moins que je lui rende ce modeste hommage.

    Pour en savoir plus : http://www.oliviergreif.free.fr/

    Ecouter un extrait de la Sonate de Guerre

  • Circuits parallèles

    Je viens de constater que la maison que j'habite avait subi cette semaine un sort très proche du mien, au moment où les spécialistes de la médecine moderne ont décidé de remplacer mon stimulateur cardiaque, vieux de 15 ans et depuis peu hors d'usage. Analyse comparée.

    Ayant récemment acheté une demeure, j'ai rapidement – comme tout propriétaire raisonnable – fait avec ma femme le tour des nécessaires aménagements à envisager dans un avenir proche. Parmi ceux-ci, citons : la création d'un escalier intérieur pour faciliter l'accès au second étage, la pose de grilles de sécurité devant les fenêtres du rez-de-chaussée et la rénovation progressive du circuit électrique dont l'état nous laissait deviner qu'un investissement assez important allait s'imposer d'emblée. Avec ses fils de coton tressé certifiés 50 ans d'âge, nous pensions sans trop nous tromper que l'état de l'installation de la demeure justifiait une vraie rénovation. Ce que nous décidâmes sans trop réfléchir... Devis en poche, planification des travaux, priorités à établir entre le travail des menuisiers, du peintre et des électriciens... ou comment assembler les pièces d'un petit puzzle dont on a hâte qu'il soit un jour terminé... avant d'attaquer la phase suivante ! Qu'elle est difficile la vie des possédants...

    Alors que lundi, j'étais en train de mollement remplir mon sac avant de me rendre en clinique, mes deux électriciens firent leur apparition chez moi. Au menu : mise aux normes de l'installation de la vaste pièce qui sera notre salon – séjour – bureau ! Autant dire qu'après une demi-journée de réflexion et d'analyse du système existant, preuve que les compères ne sont tout de même pas les brutes qu'ils souhaitent paraître, le chantier était lancé... En quelques minutes, des lés complets du vieux papier peint orné d'oiseaux (en ces temps de grippe aviaire, je n'y vais pas par quatre chemins, je ne confine pas, j'éradique) étaient sacrifiés, pendouillant tristement en attendant leur arrachage complet, de nombreuses saignées avaient fait leur apparition sur la plupart des murs, une bonne dizaine d'orifices étaient créés en vue de l'installation de nouvelles prises. On entendait d'étranges dialogues entre les deux professionnels : « Tu l'as ? », « Tu m'entends ? », « C'est bon, là ? »... Je comprenais que ma maison avait un peu mal, mais qu'elle souffrait en silence, elle savait qu'on la violentait pour son bien, sa sécurité. Quatre ou cinq jours plus tard, abandonnée à son triste sort, je la retrouvai là, un peu fatiguée par tant de coups assénés sans ménagement, mais avec un professionnalisme de bon aloi, comme l'aurait dit Maître Capello. Nous lui prodiguâmes les premiers soins dès que possible : dépoussiérage, lavage, bref, ce  que l'on appelle l'entretien courant. Elle ne dit rien, mais retrouva très vite l'esquisse d'un sourire. Elle savait qu'elle allait retrouver une bonne forme, bien qu'il lui faille subir prochainement de nouveaux assauts, ceux de notre peintre... Nous, en bons parents, lui promîmes une récompense et lui achetèrent de jolis rideaux blancs qui seront un peu à ses fenêtres ce qu'une injection de botox est au visage d'un(e) sexagénaire fripé(e). Les boiseries n'en seront pas rajeunies, mais elles seront masquées, l'illusion sera créée pour quelque temps.

    La maison... Un peu comme moi en fait ? Jusqu'à lundi, je vivais normalement, bien qu'un peu au ralenti. Et puis on est venu me chercher, le docteur D. a pris lui aussi le temps de réfléchir à la bonne décision à prendre, il a envisagé différentes hypothèses avant de trancher, puis il a commencé son boulot. Il n'a pas arraché le papier peint, mais a demandé qu'on me rase. Il n'a pas fait de saignée, mais une belle incision tout de même. Et pendant que les électriciens installaient des boîtiers de dérivation et faisaient glisser des gaines et des câbles multicolores d'une pièce à l'autre, lui, raccordait un boîtier électronique à une sonde elle-même identifiée par différents fils. Et si personne n'est venu me dépoussiérer ni même me laver, il a tout de même bien fallu qu'on nettoie ma blessure et qu'on la protège d'un gros pansement.

    Aujourd'hui, ma maison et moi sommes tous les deux convalescents. Pour elle comme pour moi, ce n'est plus qu'une question de temps. Quelque chose nous dit que le printemps arrive !

  • Mets le son moins fort !

    La convalescence a ceci de bon qu'elle vous plonge très vite dans un état mental propice aux aventures humaines les plus inattendues. Votre esprit s'étant libéré des attaques quotidiennes que vous fait subir un environnement professionnel pas toujours réjouissant, vous l'avez aussitôt badigeonné de quelques onguents bénéfiques comme la musique ou la lecture. Au besoin, vous lui avez imposé un repos intégral en vous consacrant à de menues tâches domestiques mineures comme la vaisselle ou le torchon à poussière. Constatant que votre cerveau est encore soumis à quelques soubresauts intempestifs, vous devinez qu'il n'existe plus qu'un seul moyen pour l'affranchir durablement d'une activité incontrôlée : la télévision ! Et par chance, vous, petit verni, avez eu la bonne idée d'être confiné en vos murs au moment même ou quelques centaines de sportifs venus du monde entier gambader comme de jeunes fous sur les cimes neigeuse de la région de Turin vous offrent un spectacle à nul autre pareil : les Jeux Olympiques d'hiver.

    Oh, je vous vois venir ! Vous m'imaginez en train de m'agiter tel le supporter de je ne sais quel club de football : bière et chips à la main, les pieds sur la table du salon ? Que nenni, ici, on a de la tenue et le sport altier. On fait face à l'écran, correctement assis, dans l'élégance discrète d'un canapé de cuir rouge. Je passerai volontiers sur tous ces skieurs qui prennent des risques inconsidérés à dévaler des pentes à une vitesse qui démontre leur irresponsabilité alors qu'en modérant leur allure, ils pourraient envisager de rallier la ligne d'arrivée sans dommage. J'ai déjà oublié tous ces sports exotiques dont on ne parle qu'une fois tous les quatre ans avant de les replonger dans le formol de l'indifférence médiatique (y a ce truc avec plein de gens qui passent le balai comme des malades, feraient mieux de venir me donner un coup de main, parce que deux électriciens sadiques viennent de dévaster ma salle de séjour et mon salon après leur avoir fait subir des outrages dont je ne veux même pas parler ici...), le seul spectacle qui me réjouisse porte un nom : le patinage artistique (à ne pas confondre avec le tapinage arthritique, cette discipline antique étant réservée aux seuls vétérans) !
    Attention toutefois ! N'essayez pas de me prendre en défaut de raillerie de ces sportifs accomplis que sont les patineurs (ou patineuses, cela va de soi). J'ai pour eux le plus profond respect, rien qu'à imaginer le nombre d'heures qu'ils ont dû passer à tenter d'impossibles figures dont les noms m'échappent souvent : triple Lutz, double boucle piquée, tourniquet... j'en passe et des meilleurs. Une torture qui leur est infligée depuis leur plus tendre enfance, et pour certains sous les ordres de je ne sais quelle entraîneuse bulgare moustachue et ventripotente leur vociférant une bordée d'injures lorsque, par malheur, leur patin gauche n'a pas eu la présence d'esprit de se poser délicatement au sol, sans trembler, après une quadruple vrille exécutée pour la dix-huitième fois en vingt minutes. J'éprouve pour eux un respect total et je suis à leurs côtés, je les soutiens de toutes les forces que mon statut officiel de malade peut mobiliser quand, affûtés comme le coupe-chou du coiffeur de mon enfance, ils se présentent sur la glace dans un déguisement qu'on n'oserait même pas imposer à ses propres enfants un soir de Mardi Gras. Une tenue vestimentaire qui allierait la discrétion des habits de lumière du toréador au bon goût parisien des transformistes de chez Michou. Et pour couronner le tout, une ambiance musicale qu'on dirait la plupart du temps imposée par la direction artistique d'André Rieu. Non, vous perdez votre temps, ma passion pour le patinage artistique est guidée par le bonheur de retrouver celui qui, en 2006, est probablement au journalisme sportif ce que Léon Zitrone fut à Intervilles : un must. J'ai nommé, mesdames et messieurs, le sémillant, le réjouissant, l'imprévisible Nelson Monfort.

    Ah, l'admirable Nelson ! Il est probablement, au-delà de ses indéniables talents de journaliste multi-langues, l'unique exemplaire d'un interviewer qu'il me soit arrivé de retrouver seul face à son micro alors qu'un sprinter noir américain à peine remis d'un violent effort venait de prendre la poudre d'escampette et ainsi l'abandonner, n'en pouvant plus d'attendre la fin d'une question qui ne venait jamais ! Avec Nelson, on entre en quelques fractions de seconde dans un monde où tout est merveilleux, il est un peu notre rêve éveillé, le baume humain qui vous indique d'un doigt émerveillé le paradis si accessible que votre oeil méfiant n'entrevoit même pas.

    C'est dire si hier soir, j'étais au comble de la joie lorsque, prenant en main mon magazine de télévision favori (vous savez, celui qui n'aime pas trop rire... oui, vous savez, nous en avons déjà parlé), je me rendis compte qu'une soirée patinage s'offrait à moi ! J'allais pouvoir me régaler, savourer l'emphase et les propos toujours débordants d'enthousiasme de mon Nelson. Un Nelson qui, cerise sur le gâteau, nous fit comprendre qu'il avait à son arc une corde encore jamais révélée : la divination ! Oui, du balai Elisabeth Tessier, laisse la place à Monsieur Nelson ! Notre Nelson nous confia en effet d'emblée qu'il « sentait que quelque chose allait se passer ce soir », au grand étonnement de son complice d'un soir, l'ex-patineur Philippe Candeloro, promu au rang de consultant et dont la prestation fut, reconnaissons-le, de bonne tenue : technicité et concision. A ceci près qu'à chaque fois qu'il prenait la parole, il nous privait des commentaires extatiques de notre frisé et sémillant linguiste. Mais qu'allait-il donc se passer ? Rien de bien important en fait à l'échelle cosmique : un patineur français, arrivé quatrième au terme des épreuves imposées, allait tout balayer sur son passage et gravir la plus haute marche du podium. Nelson l'avait lu dans sa boule de cristal et en était tout tremblant d'une incroyable fièvre supportrice. Il nous annonçait crânement que notre petit gaulois allait nous réserver une belle surprise. Sa joie, son impatience étaient telles qu'en attendant la venue du messie tricolore, il nous gratifia, pour notre plus grand bonheur, d'un continuum sonore de belle facture et de superlatifs à la pelle. Nelson était heureux, il nous avait fait ce cadeau de nous offrir par avance la joie qui allait nous transpercer, aux alentours de 23 heures.

    Les candidats au titre défilèrent les uns après les autres, les membres du jury firent leur boulot de notation (j'entends par là que je ne comprends toujours rien à la notation), les chutes, les glissades se succédèrent ainsi que de splendides figures, reconnaissons-le tout de même. A ce niveau d'ailleurs, ne pas prendre de risque équivaut à une quasi-élimination d'office. Philippe Candeloro eut beau, subrepticement, glisser une remarque pertinente sur la tension qui montait et sur un début d'inquiétude qui germait en lui, rien n'y fit, notre chroniqueur enchanté ne voulut rien entendre et ne tenait plus en place, persuadé plus que jamais que son favori allait s'imposer.

    Oui mais voilà... entre rêve et réalité existe parfois une petite marge douloureuse sur allait immanquablement se fracasser les illusions monfortiennes. Ce qui devait arriver arriva : notre compatriote fut, comme bien d'autres, obligé de repousser certaines limites et, sans trop attendre, s'écrasa au sol, manqua deux autres figures à l'issue desquelles il ne dut son équilibre qu'à un rattrapage de la main. Toute sa prestation fut visiblement contrariée par ces ratés et l'on put voir très vite à sa mine déconfite qu'il ne ne faisait plus la moindre illusion. Mais Nelson continuait d'y croire, lui ! L'attente des notes fut un  long supplice durant lequel on le devinait, sortant sa calculette – je pose mon neuf et je retiens 2 – envisageant une victoire à laquelle il se raccrochait encore. Mais l'impitoybable verdict tomba et là, comme on dit dans les productions Tony Comiti sur M6 : c'est le drame ! Les notes étaient catastrophiques, le poulain hexagonal était repoussé à la sixième place. Subitement, on n'entendit plus rien. Nelson était sans voix, on craignit le pire pour lui, un évanouissement au minimum, plus grave peut-être. De mon côté, j'imaginai volontiers à ses côtés une baronne vieillissante et mamelue lui prodiguer les premiers soins en le ventilant de son éventail et en demandant haut et fort (ben oui, c'est mon sponsor) qu'on lui apporte des sels. L'angoisse était à son comble... Rendez-nous vite notre Nelson, par pitié, ranimez-le, comment va-t-il ? Au bout d'une attente interminable, ouf, merci, notre si cher ami était revenu parmi nous, pas tout à fait remis de ses émotions cependant. Le coeur n'y était plus...

    Autant vous dire que le plaisir de la fête fut très contrarié par ce fâcheux incident... ah oui, j'y pense, je crois que c'est un russe qui a gagné, il était déjà largement en tête au début de l'épreuve et considéré comme le favori imbattable.

    Seul notre Nelson croyait à l'impossible, comme si personne n'avait osé lui suggérer qu'il rêvait. Ah, je l'aime bien, mon Nelson. Allez mon gars, reprends des forces, je suis sûr qu'un jour, tes prédictions finiront par se réaliser !

  • Stimulo 2, unis pour la vie !

    Il y a maintenant quasiment 15 ans, j'avais écrit quelques notes avant et après la pose de mon premier pace maker. Par je ne sais quel miracle, alors qu'elles étaient stockées sur une disquette (vous savez, les trucs plats qu'on insérait autrefois dans les ordinateurs) méticuleusement cachée par mes soins là où elle n'aurait jamais dû se trouver, j'avais pu les retrouver dans leur format d'origine et les livrer ici-même à votre intraitable lecture. Enfin, quand je dis miracle, peut-être aurais-je pu également les détruire...
    Aujourd'hui, en février 2006, l'assassin revient sur les lieux du crime et vous propose un petit compte-rendu de ces 24 heures que je viens de passer en clinique. Et bien conscient du caractère bénin de l'intervention chirurgicale que j'ai subie, je ne me laisserai pas aller à quelque apitoiement que ce soit sur un sort que, finalement, des centaines de millions d'individus de par le monde envieraient probablement à juste titre.
    Et puis... il a dû encore se passer tout un tas de choses horribles ici et là depuis lundi... Alors, oui je sais, tout cela est certainement très égocentrique. Tant pis, j'assume ! J'écris aussi pour ne pas oublier.
    Selon toute probabilité et si j'en crois les éminents spécialistes qui se sont penchés sur mon cas, la durée de vie de ce nouveau stimulateur est estimée à 15 ans, tandis qu'il faudra envisager un changement de la sonde dans 10 ans. Je vous donne dès à présent rendez-vous en 2016 pour le troisième volet de ces aventures, que je rassemblerai probablement dans un somptueux coffret avec bonus et textes inédits. J'en ouvrirai la souscription vers 2012.
    Enfin, je vous avertis que le style de ces notes sera plus concis qu'à l'habitude, car j'ai privilégié le témoignage en quasi « direct live ». Point trop de parenthèses, peu de digressions, mais plutôt une suite d'impressions et de faits reproduits au plus près de leur vérité.
    Et je dédie ce texte modeste à ma petite femme qui, nonobstant un emploi du temps surchargé et une importante réunion, a réussi le tour de force d'être présente lundi après-midi et une bonne partie de la journée de mardi, adoucissant ainsi ces heures grises comme le mur de ma chambre d'hôpital. Miracle de la Saint-Valentin ?
    A vous Cognacq-Jay, à vous les studios.

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    Salle d'attente au service des entrées de la polyclinique. Je regarde mes voisins. Que des vieux. Je n'ai rien contre les personnes âgées, notez-le bien, sauf quand elles vont dépenser leur retraite dans les casinos, mais ça, c'est une autre histoire. Mais ce qui m'étonne toujours, c'est cette impression d'être arrivé là un peu en avance, comme quand j'étais gamin, à l'école ou au collège, plus jeune que les autres. Puis vient mon tour. Questions rituelles posées par une opératrice qui ne quitte pas son écran des yeux. Et lorsqu'elle édite les planches d'étiquettes qu'elle ira coller un peu partout et qui me suivront pendant 24 heures, elle s'aperçoit qu'elle a fait une grosse erreur d'orthographe sur mon nom. C'est bien, je ne suis même plus sûr que c'est de moi qu'on va s'occuper. Je vais devoir expliquer à chaque fois que nécessaire que : non, je ne suis pas monsieur Untel, oui l'erreur a été signalée et corrigée malgré les ratures manuscrites sur les documents. Et puis qu'est-ce j'y peux moi, c'est pas mon problème après tout.

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    Etonnement général quand j'annonce que je ne veux pas de télévision dans ma chambre, comme si j'étais un être anormal. Et pour achever mon portrait de gars bizarre, non, je ne veux pas de téléphone non plus.

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    Deux amis sont là dans la salle d'attente, Jean-Philippe et Gilles. Ce dernier doit lui aussi passer sur le billard car il souffre de calculs rénaux. Quand j'étais à l'école primaire, j'avais la réputation d'un as du calcul mental. Je découvre ainsi que d'autres voies sont ouvertes aux mathématiciens.

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    Une hôtesse nous guide dans ma chambre, au numéro 435. Propreté, murs gris, vue sur un paysage plutôt sinistre – au loin, la zone commerciale dite du Champ-le-Boeuf – froideur du mobilier, température ambiante élevée. Finalement, rien n'a vraiment changé depuis mes dernières incursions dans l'univers hospitalier.

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    A peine installé, deux infirmières me rendent une première visite. Elles promènent avec elles un matériel roulant dont je ne tarderai pas à m'apercevoir qu'elles ne peuvent plus se passer. Je glisse mon doigt dans une sorte de pince à linge électronique, on me plante quelque chose dans l'oreille et on emballe mon biceps (enfin, ce qu'il en reste) dans le gros coussin gonflable servant à mesurer la tension. Tout le reste est automatique, l'intervention humaine n'est plus requise et je peux lire non seulement ma tension, mais aussi la température de mon corps et mon pouls (52 pour la première mesure). Mais j'ai surtout la nostalgie de cette époque où l'infirmière prenait le temps de s'asseoir au bord du lit, de vous enserrer délicatement votre poignet de sa main en regardant sa montre, avant qu'elle ne vous dépose délicatement un thermomètre sur votre table de chevet. Tout est désormais plus calibré, un peu froid tout de même. Je m'efforce de plaisanter avec ces charmantes dames qui exercent leur métier avec application et simplicité...

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    Une autre infirmière, itinérante celle-là, entre dans la chambre pour un prélèvement sanguin à des fins d'analyse. Elle a la voix rauque, elle empeste le tabac quand elle parle. Une fois ses trois flacons étiquetés et rangés dans un sac, elle repart. Le rationalisme appliqué au domaine de la santé limite considérablement les échanges humains.

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    Beurk ! Le repas qu'on me propose est innommable... Une purée au goût de plastique dans laquelle baigne un morceau de viande insipide dont on peut supposer qu'il s'agit d'une sorte de jambon cuit et coupé assez épais. Et pour finir, un petit pot d'un flan industriel très sucré. Malgré la faim qui me tenaille, j'ai du mal à terminer. Une cuisine beaucoup moins avenante que le nom de la société qui la commercialise... Et dire que ne pourrai rien avaler avant demain midi.

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    Le docteur D. me rend une première visite durant mon repas et, voyant ma mine déconfite devant la torture qu'on m'inflige, me raconte ses démêlés avec une saumonette tout aussi immangeable, voici quelques années, ici même lorsqu'à son tour il était temporairement devenu un patient. Et puisque j'en ai terminé avec mon festin, il m'invite à le suivre dans son service pour quelques menus contrôles.

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    Malgré toutes ses tentatives, le docteur D. ne parvient pas à ramener à la vie mon stimulateur définitivement hors service. Il m'explique qu'il lui est déjà arrivé de vérifier qu'après une interruption, la batterie d'un pace maker peut se recharger un peu, permettant à ce dernier de se remettre en route. Mais non, rien n'y fait, le mien est mort, bien mort. Et pour disposer du maximum d'informations, il demande qu'on me fasse deux radios dans la pièce voisine. Poitrine collée à la vitre – toujours trop froide – je me tords le cou pour adhérer au mieux. Très obéissant, j'arrête de respirer quand on m'en intime l'ordre et je pense à ce petit papy qui me racontait il y a bien longtemps qu'il avait failli imploser en attendant que le manipulateur en radiologie l'autorise à respirer une fois son cliché en boîte. Autorisation qu'il attend peut-être toujours, si par bonheur il est toujours en vie.

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    En attendant le développement des clichés, je m'assois dans la salle d'attente et, soucieux de ne pas perdre mon temps, me plonge dans une revue qui m'annonce que je vais tout savoir sur le nouveau système de la Bill Gates Company. Quelle n'est pas ma déception lorsque je me rends compte que le canard est certifié 5 ans d'âge et me présente en fait les grandes lignes de... Windows XP. C'est bon, je connais ! J'aurais dû faire attention aussi, c'était vraiment pas normal cette publicité en quatrième de couverture proposant un ordinateur dont le prix était annoncé en francs...

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    Le docteur D. est en admiration devant les deux radios qu'il scrute avec un plaisir non dissimulé. Il me promet de les scanner et de me les envoyer au plus vite par e-mail. Aurait-il deviné que j'ai des lecteurs, avides de tout savoir sur les charmes de la stimulation électrique ? Et que j'allais m'empresser de leur donner à voir ce beau spectacle ?

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    Remonté dans ma chambre, je passe une soirée très calme, à l'abri de mon iPod. Je commence par deux émissions que j'ai « podcastées » sur France Culture et France Inter : Répliques et Le masque et la plume. Cette dernière est consacrée au cinéma et, plus exactement, au palmarès des auditeurs de l'émission qui couronne cette année le réalisateur Jacques Audiard pour son film... non, ce n'est pas une blague : « De battre mon coeur s'est arrêté ». C'est malin, ça...

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    Je consacre la deuxième partie de ma soirée à un exercice dont j'ai largement abusé lorsque j'étais adolescent : lecture et musique. Devant mes yeux, le bouquin de Denys Podalydès, « Scènes de la vie d'acteur ». Une écriture remarquable, concise, inventive et la narration de tous les doutes d'un acteur, sur scène, dans les coulisses, pendant le tournage d'un film. Un vrai plaisir de lecture – le livre est agréable au toucher, ce qui ne gâte rien – même si l'atmosphère finalement assez étouffante qui se dégage de ces pages peut facilement vous dissuader de vous lancer dans le métier d'acteur... Dans les oreilles, deux albums de Traffic : « The low spark of high-heeled boys » (1971) et « Shoot out at the fantasy factory » (1973). Deux disques où la voix magnifique de Stevie Winwood est comme l'illumination permanente d'une musique chaleureuse où se mêlent avec bonheur la scansion du piano, les effets sonores appliqués à un saxophone ténor et une guitare presque douloureuse. A l'écoute de ces deux disques, je suis comme pris d'un vertige. Je me retrouve instantanément à l'époque où je les avais découverts – grâce à mon frère, une fois encore, j'avais 13/15 ans – et j'ai instantanément la perception du temps qui a filé à la vitesse de l'éclair, je suis plongé 35 ans en arrière, j'ai l'impression de n'avoir rien vu passer. Je suis redevenu l'enfant ayant revêtu un costume d'adulte et je me projette en avant, je me vois déjà au seuil de ma vie, trop tard, trop vite, rien qu'en fermant les yeux. Alors je me dis que chaque seconde compte, qu'il faut demeurer très attentif à ceux qui nous entourent, il faut écouter, goûter chaque instant.

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    22h30 : l'infirmière de nuit entre assez brusquement dans ma chambre, comme elle doit le faire dans toutes les chambres. Elle est souriante et me dit qu'elle est l'infirmière de nuit. Surtout, elle me confirme que mon opération est bien planifiée demain matin à 8h30 et qu'à partir de minuit, je ne dois plus ni boire ni manger. Elle m'inflige le même traitement que ses collègues, note tout scrupuleusement sur la feuille à mon nom, avec la faute d'orthographe. Bonne nuit !

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    Juste avant que j'éteigne la lumière, Saxoman m'envoie un SMS pour me souhaiter bonne nuit et bon courage pour demain.

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    6h30 : l'infirmière de nuit entre en trombe dans ma chambre. Elle va quitter bientôt son service et me demande si j'ai bien dormi. Oui, bof, pas trop, il fait trop chaud ici. Tension, température, pouls, l'appareil clignote, émet une série de bips. Comme hier. Elle me donne les consignes essentielles : prendre une douche (ah bon ? Mais j'en ai déjà pris une hier soir ! Oui, mais, il faut prendre une douche...), enfiler cette redoutable chemise longue fendue à l'arrière qui vous donne un air absolument ridicule, les fesses à l'air, quand, après moult efforts, vous avez péniblement réussi à l'attacher au moyen du bouton pression. Et puis... je dois attendre qu'on vienne me chercher.

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    Je patiente en musique : « Deja vu all over again » de John Fogerty et, dans un registre totalement différent, « Momentum » du saxophoniste Joshua Redman. Une bonne cure énergétique, très contrastée. D'un côté, un rock simple et éternel, de l'autre, un jazz qui se tourne vers des atmosphères plus avant-gardistes en proposant un répertoire qui mélange les genres : Led Zeppelin côtoie Ornette Coleman !

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    8h10 : c'est un brancardier qui, cette fois, s'annonce dans ma chambre ! Fini de rigoler, cette fois, faut y aller. Nous voilà partis pour une petite promenade, moi confortablement installé dans mon lit, lui pilotant l'engin et pestant contre les différents obstacles qui ne manquent pas de se présenter. Il y a là, par exemple, un fauteuil roulant vide de tout occupant. N'importe quoi ! Un fauteuil roulant, on en a besoin et on est assis dessus, sinon, ça ne sert à rien ! Nous descendons quatre étages et là, nous arrivons en un lieu qui évoque un peu un garage dont je serais la voiture amenée là pour une petite révision. Je suis très intrigué par la bonne douzaine de lits vides qui attendent. Je suis le seul être humain et, bien que livide moi aussi, je m'amuse à m'imaginer que ces couchages abandonnés ont été déposés là après quelques interventions chirurgicales manquées. C'est vrai, on ne peut pas gagner à tous les coups. La musique de John Fogerty trotte dans ma tête et va m'accompagner jusqu'au bout. Thank ya John !

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    Je suis maintenant dans un couloir où circulent un grand nombre de Schtroumpfs mâles et femelles : ils sont habillés de bleu, portent des chapeaux et des chaussures en papier blanc. Ils sont souriants et me disent tous bonjour, arborant un franc sourire. Je suis leur gagne-pain.

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    Un Schtroumpf différent vient me parler. C'est mon anesthésiste. Il m'explique qu'il va m'injecter je ne sais trop quoi mais que tout ceci est anodin, que l'intervention sera de courte durée. Il se lance aussi dans une longue explication visant à me faire comprendre que le docteur D. ne changera pas ma sonde et que, par conséquent, sa charge anesthésique sera moins puissante. Je suis d'accord avec lui, n'ayant pas la possibilité de penser quoi que ce soit d'autre.

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    Ah ! La salle d'opération ! Enfin ! Comme toujours, l'air ambiant est frisquet et les deux charmantes dames qui vont s'occuper de moi avancent masquées (tandis que moi, mesdames, je vous rappelle qu'on m'a contraint à me promener les fesses à l'air...) et me posent quelques questions d'usage : est-ce que je fais des allergies ? Spontanément, je réponds : « au travail... » mais cette information leur étant de peu d'utilité, je me vois dans l'obligation de leur confesser que, non, je ne me connais pas vraiment d'allergie. Et pour se venger, les garces me rasent la moitié de la poitrine.

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    Panique à bord ! Le docteur D., qui vient de faire son entrée, ne parvient pas à mettre la main sur LE pace maker qu'il a mis de côté pour moi, en prenant soin de bien le ranger non sans avoir écrit sur la boîte mon patronyme en toutes lettres. D'un seul coup, la ruche s'agite, l'une téléphone pour savoir où peut bien avoir été caché le précieux objet, l'autre se remémore le prénom de celle qui, hier, était sensée l'avoir rangé. Le docteur D. s'esquive, visiblement contrarié, avant de revenir, triomphant, une boîte à la main : « Je l'ai !!! ». C'est bon les amis, vous pouvez me piquer. N'empêche, j'ai beau fanfaronner... je sens qu'un début de stress me gagne !

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    L'intervention aura duré un peu plus d'une demi-heure, et bien que n'ayant jamais fermé les yeux, je soupçonne mon Schtroumpf endormeur de ne pas seulement m'avoir injecté un antibiotique et un anti-douleur !!! J'ai probablement perdu un tantinet la conscience exacte de ce qui m'arrivait. Je me souviens d'avoir entendu le Docteur D. dire que le nouveau pace maker était légèrement plus petit que le précédent, je l'entends expliquer à ses assistantes le raccordement à la sonde, je suis certain de lui avoir demandé s'il n'était pas en train de me recoudre. Mais tout s'est passé pour moi dans un flou cotonneux, avant que l'on ne me parque dans un autre grand garage appelé « Salle de réveil ».

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    Des bips en permanence, des malades qui toussent, d'autres auxquels on retire un tube enfoncé dans la gorge, le chant des infirmières qui essaient de les réveiller. Voilà ce qu'est une salle de réveil... dans laquelle je suis arrivé, très bien réveillé, mais où je commence tout doucement à m'endormir. On m'a branché un tube d'oxygène dans le nez, on me le retire un peu plus tard avant de déplacer mon lit qui va partir pour le voyage de retour dans ma chambre (tiens, c'est bizarre, je suis certain que le docteur D. voulait me voir juste après...). J'aperçois Gilles qui, lui aussi, se réveille. Je l'appelle mais, sans lunettes, il ne voit rien et ne me reconnaît pas. Une des infirmières pousse un coup de gueule contre un médecin, je l'entends dire : « Je vais me le faire, s'il continue... ». Pas contente, la demoiselle, vraiment pas !

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    A peine remonté dans ma chambre, mes infirmières viennent s'occuper de moi, suivies par leur appareillage de contrôle. Il y a cette fois une nouveauté : je dois noter ma douleur de 0 à 10. Ah bon ? « Oui, 0 c'est pas de douleur, 10 c'est une douleur insupportable ! ». Bon, ben, disons... 1,596 alors ! Evidemment, ma réponse ne leur convient pas. « Bon, je note 2 alors. Comme ça, quand je reviendrai tout à l'heure, je saurai que si vous me dites 3, c'est que votre douleur sera plus forte tandis que si vous me dites 1, c'est que vous aurez moins mal ». Voui voui voui... ça sent la norme ISO 9002 à plein nez, votre calcul d'intensité du bobo... C'est incroyable ce que les relations sont simplifiées de nos jours : avant, les personnels vous parlaient à la troisième personne du singulier, maintenant, elles vous lisent un questionnaire !

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    Ma petite femme fait son entrée dans la chambre en compagnie d'un brancardier ! La pauvre, elle était arrivée depuis un bout de temps quand on lui a dit que j'étais déjà parti pour un contrôle chez le Docteur D. chez lequel elle s'est rendue aussitôt sans m'y trouver puisque j'étais en salle de réveil avant que, par erreur, on me remonte directement au numéro 435. Vous me suivez ? Non ? Pas grave, j'ai moi-même mis un bon bout de temps avant de comprendre les mystères de la communication hospitalière. Tout ce que je sais, c'est que je dois effectuer une nouvelle promenade dans mon lit, car mon médecin préféré veut procéder aux premiers contrôles. En voiture, Simone !

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    Je retrouve le docteur D., qui se trouve en compagnie de deux commerciaux de l'entreprise Medtronic qui a fabriqué mon pace maker. J'ai à peine droit à un bonjour, mais je comprends bien que je ne suis pas leur centre d'intérêt. Ils sont là pour vendre leur matériel, en expliquer tous les avantages et surtout, montrer le fonctionnement du logiciel de pilotage et de contrôle de mon stimulateur. Cette drôle d'impression, soudain, de ne plus exister. Elle, tailleur rose bonbon, genre Bimbo des claviers ; lui, en retrait, les mains dans les poches, genre vivement qu'on aille manger.
    Heureusement, le docteur D. est un être humain pas comme les autres et, lorsqu'il apprend que ma femme ne pourra pas venir me chercher et que j'envisage de rentrer chez moi en taxi, il m'annonce comme un cycliste victorieux qu'il se fera un plaisir d'être mon chauffeur en fin d'après-midi et que, cerise sur le gâteau, il me conduira dans un véhicule de 50 ans !!!

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    Coup de téléphone à ma mère car je sais qu'elle doit se ronger les sangs. Un autre à La Fraise qui pensait venir me voir dans l'après-midi au cas où je ne pourrais pas quitter la clinique ce soir. Mais tout se déroule comme prévu, je rentrerai bien en fin d'après-midi. Un échange de SMS avec mon frère aussi, nous parlons de musique, pour ne rien changer aux bonnes habitudes.

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    Je redoute le repas qu'on va me servir et, en attendant, j'écoute « Ca se bouffe pas, ça se mange », l'émission de Jean-Pierre Coffe sur France Inter consacrée cette semaine aux fours à micro-ondes. Ou pourquoi il vaut mieux être ingénieur en génie des particules et spécialiste des champs électro-magnétiques pour bien comprendre tout ce qui se passe quand on n'a pas trouvé mieux pour réchauffer son bol de café...

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    J'espère qu'en plus, mon plateau-repas n'a pas été réchauffé au four à micro-ondes, après tout ce que je viens d'entendre... Taboulé à l'Orientale, Sauté de porc à la Flamande... Une invitation au voyage qui ne vaut que sur le petit menu imprimé. Car pour le reste, tout cela est d'une tristesse... Je mange sans conviction, j'attends d'être chez moi pour retrouver le vrai goût de la nourriture.

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    Ma cicatrice me fait mal, et depuis que j'ai essayé de me lever, un mal de crâne s'est agrippé à mes tempes. Je me déplace avec une certaine prudence car les premiers mouvements me font un peu vaciller. J'attends mon second contrôle.

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    Le téléphone sonne, je dois descendre pour l'ultime vérification avant ma sortie de clinique. Cette fois, j'y vais par mes propres moyens, et comme j'ai mémorisé le parcours depuis ce matin, je n'ai aucun mal à trouver mon chemin. Le docteur D. m'attend avec l'un de ses collègues, le docteur K. Tous deux s'exercent au pilotage de mon pace maker avec le logiciel qui leur a été présenté quelques heures plus tôt par les deux joyeux drilles entrevus quelque temps plus tôt. Je devine, aux vibrations que je ressens, que tous deux testent différents modes de stimulation, dont certains sont franchement désagréables. Mais une fois les réglages effectués, en guise de récompense, j'ai droit à un nouveau carnet de « porteur de pace maker ». Plus fort encore : étant le premier porteur de ce modèle de pace maker, j'assiste à sa naissance informatique. Le voici désormais intégré à la base de données de la clinique.

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    L'heure de la sortie est maintenant proche, il ne me reste plus qu'à me soumettre à quelques formalités administratives avant de rejoindre celui qui s'est désigné comme mon chauffeur. Une fois réglés les 11€ exigés en contrepartie du privilège de la chambre seule, la secrétaire me fait remarquer que je suis entré à 16h44 et que je sors à 16h43 !!! Je quitte les lieux et rejoins mon bienfaiteur. Sur mon chemin, j'ai cru deviner que la vieille Panhard noire qui trône fièrement sur un emplacement réservé aux médecins serait le véhicule dans lequel je rentrerai chez moi. Très impressionnant !

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    La fenêtre du conducteur est restée ouverte, mais les portes sont bien fermées à clé. Le Docteur D. me présente son carrosse – c'est bien la Panhard noire ! – dont il exhibe fièrement la carte grise sur laquelle je peux lire que la première immatriculation remonte au 16 décembre 1957. Cette voiture, banquette à l'avant, sans ceintures de sécurité, qui empeste l'essence, est plus âgée que moi ! Je taquine son conducteur en lui faisant remarquer que, décidément, il aime les records de longévité. Après avoir maintenu en vie mon premier pace maker durant 15 ans (âge très respectable pour un stimulateur), chercherait-il à battre un autre record en pilotant ce véhicule qui tousse, crache, cale mais roule quand même ? Je me demande à quoi nous pouvons ressembler, lui et moi, vus de loin... Un improbable attelage, unis par une complicité réelle.

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    Je rentre chez moi, j'ai mal à la tête, mal à la poitrine. Je me couche très vite en me disant qu'une fois la douleur effacée, une fois la cicatrice bien refermée, je serai en route pour de nouvelles aventures, prêt à tourner une page de 15 ans, mon pace maker et moi ! J'ai envie de courir, de nager, de passer de bons moments avec les miens et de m'efforcer de les goûter au mieux quand ils se présenteront. La vie quoi... trop courte pour ne pas la savourer.

  • Même pas mort !

    Oui, bio-ionique de nouveau, mais bordel de nom d'un chien, j'ai vachement mal : à la tête depuis que je me suis mis debout, et aussi sous le pansement.
    Promis, je vous raconterai tout ça, j'ai pris des notes, y a pas mal de choses cocasses à partager avec vous... La moindre n'étant pas mon retour dans une Panhard de 1957 empestant l'essence et pilotée par mon chirurgien.
    Mais bon, là... dodo !