Maintenant que je suis propriétaire d'une maison, il est un rendez-vous télévisuel que je me dois de ne manquer sous aucun prétexte, l'émission « Question maison », diffusée sur France 5, la chaîne des profs (
euh, notez bien, je ne suis pas prof, mais par ici, il y en a une forte concentration, alors ça crée quelques obligations professionnelles...), le dimanche à 20 heures. Avant, je n'en avais pas le droit puisque ne possédant qu'un appartement, j'aurais eu l'impression de resquiller, de m'immiscer dans un univers dont je ne faisais pas partie. Et puis, j'avais beau chercher dans les programmes de mon magazine de télé favori (
enfin... il m'énerve quand même un peu celui-là, je l'achète parce que justement on n'y parle pas que de télé, mais des fois, ce serait bien si les journalistes voulaient bien se décoincer une fois de temps à autre... vous voyez duquel je veux parler ? Eh les copains, vous avez le droit de rigoler de temps en temps, c'est pas une maladie honteuse le rire...), nulle trace de « Réponse appartement » ou quelque chose dans ce genre-là. Donc, dès mon titre de propriété en poche, je me suis vautré dans mon canapé et là, j'ai savouré le bonheur d'être un possédant, j'ai pris mon calepin et mon stylo et n'ai pas perdu une miette d'une heure hebdomadaire qui est un bonheur sans égal !
Le seul truc qui me gêne, c'est que juste avant, y a un programme de jardinage avec un présentateur auquel j'ai envie de filer une paire de baffes tellement il est insupportable et une co-animatrice qui se croit obligée d'arborer des tenues adaptées à la situation, bref habillée comme un sac de compost. Et entre les deux, une séquence musicale et des chanteurs avec des guitares et des textes qui ont tendance à se la péter un peu, comme on dit de nos jours...
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre maison...
Il y a d'abord le présentateur, Stéphane je ne sais plus comment, qui nous dit avec conviction le sommaire tout en arpentant énergiquement les abords de la maison qu'il va nous proposer de découvrir. Lui, c'est un type simple, il prépare ses émissions à fond, ça ne fait aucun doute, mais il le fait tellement bien qu'il répond à ses propres questions à la place de ses interlocuteurs quand il les interroge. On voit qu'il a longuement discuté, qu'il s'intéresse vachement, il est bien documenté... sauf que ça nous donne un dialogue assez étrange, où le questionné n'a d'autre solution que de répéter platement dans le mode affirmatif ce qu'il vient d'entendre en mode interrogatif :
- Alors là, vous avez choisi une peinture bleu canard pour tous les murs du rez-de-chaussée ?
- Oui, j'ai choisi une peinture bleu canard pour tous les murs du rez-de-chaussée.
- C'est formidable, le revêtement de votre cuisine, on dirait du métal, mais en fait, c'est une imitation en plastique.
- Oui, c'est une imitation en plastique.
- C'est beaucoup plus facile à entretenir ?
- Oui, c'est beaucoup plus facile !
Et comme ça, pendant toute la visite des lieux... Car le fil rouge de l'émission, c'est la découverte d'une maison (en général de la taille d'un château, ou, plus modestement, un petit 250m2 en plein coeur de Paris avec jardin bien sûr), dont le prix de revient final n'est jamais évoqué. C'est la maîtresse de maison qui nous accueille (oui, pourquoi c'est toujours une madame ?), elle a la petite quarantaine, elle est toujours décoratrice d'intérieur ou exerce un métier prétendu artistique, elle a de jeunes enfants a qui elle a aménagé des chambres beaucoup plus exiguës que son dressing, et pour tout dire, elle est la plupart du temps fort antipathique, voire un tantinet condescendante. On la devine mariée, on subodore que l'époux n'est pas sans revenus, loin s'en faut, mais le conjoint est systématiquement invisible. Interdit de séjour et je soupçonne notre Stéphane d'entretenir avec ses hôtes de coupables relations aldutérines ! Le mari, il ramène les brouzoufs à la maison pendant que madame décore, ponce, repeint et... chine !
Attention, mesdames et messieurs, vous êtes là au coeur de l'émission !!! Oui, car ces dames de « Question Maison » ont toutes une passion dévorante : elles ne vont jamais taquiner le brocanteur pour marchander, elles n'usent pas leurs semelles aux puces, non non non ! Elles CHINENT ! C'est incroyable ce qu'elles peuvent chiner nos copines de Stéphane, y a pas un objet dans une pièce qui n'ai été chiné (sauf s'il est le résultat d'un de leurs spendides travaux personnels, il faut bien l'avouer ou, comme l'autre jour, le fruit d'une découverte via Internet. Notre hôte d'un soir s'était prise de folie pour des têtes d'animaux illuminées qu'elle avait installées en appliques et achetées à un créateur en Afrique du Sud. Faut aimer quand même...). D'ailleurs, si vous regardez un jour l'émission et que votre intérêt retombe petit à petit au fil des minutes, ce qui n'est pas impossible, vous pourrez toujours vous amuser à compter le nombre de fois où le verbe chiner (sous toutes ses déclinaisons) aura été prononcé (surtout que, comme je vous l'ai déjà expliqué, l'animateur aime énormément inclure les réponses dans ses questions... donc, faites gaffe parce que des fois, ça sort en rafales), vous verrez, ça occupe bien. Celui qui gagne a le droit de réciter le verbe chiner à l'imparfait du subjonctif !
Et puis, et puis... la séquence culte de l'émission, la rubrique que vous connaissez tous... mesdames et messieurs, j'ai nommé « Le SOS maison » ! Alors là, silence dans les rangs, c'est un must. Le principe est simple : vous, modeste propriétaire d'un appartement de 13m2 dans lequels vous circulez difficilement, vous, votre mari et vos enfants, vous souhaitez qu'un magicien de l'aménagement intérieur, trouve LA solution à tous vos problèmes de rangement. C'est très simple, vous écrivez aux responsables de l'émission et, moyennant une chance sur 2500 que votre dossier soit retenu, vous avez le plaisir d'entendre votre carillon sonner : « Bonjour, Philippe Demougeot, SOS Maison » et tatata, c'est parti ! Le monsieur, comme ça, en deux secondes, vous fait un sublime croquis de votre intérieur (il m'énerve celui-là, à dessiner aussi bien, j'ai même remarqué un truc, il arrive toujours à bien gommer, jamais le papier ne se froisse...), avant et après les transformations (bon, faut être honnête, on voit bien que le type est déjà venu faire un sérieux repérage et que son entrée est un peu bidon, mais le moyen de faire autrement ? L'émission, elle peut pas durer trois semaines, hein ?) et vous demande ce que vous en pensez. Là, c'est l'unanimité : « Roooh ! C'est fantastique ! ». Moi, j'attends toujours la réaction de celui ou celle qui va dire : « Beuh non, c'est nul ton truc ! J'veux pas de mini-bar derrière le frigo et pis, les murs en placo peints en violet avec les spots qui nous brûlent les cheveux, ben j'aime pas trop. Et t'as vu où tu me fais dormir les mômes ? Dans notre chambre (hé, ducon, y a qu'une chambre... tu veux qu'on les mette où, tes mômes ?), même pas caché derrière un voile mauve, on voit tout à travers. Tu parles, dans un an, il va nous mater, on fera quoi à ce moment-là ? ». Faut dire que c'est l'émission qui paie, ou plutôt c'est le sponsor, une grande chaîne de bricolage dont le nom évoque un enchanteur, alors ça limite quand même les critiques ! « Ah bon, ça vous plaît pas, mon rangement coulissant sous la table du salon qui sert de bureau pour votre ordinateur ? Ben t'as qu'a te payer les travaux toi-même, banane ! ». Nous, on a bien essayé de proposer des travaux pour notre nouvelle maison, mais on attend toujours la réponse et puis, je crois bien qu'il est trop tard. Peut-être aussi qu'on était un peu gourmands, z'ont sûrement pas voulu financer 15.000 € de travaux... Faut dire que comme c'était gratuit, on avait mis le paquet : escalier intérieur, rénovation de l'électricité, papiers peints, portes de placards et tout le toutim... J'espère qu'ilsvont pas se réveiller maintenant, parce que c'est trop tard, on a commencé le chantier...
Voilà, vous savez l'essentiel de « Question maison ». A la fin de l'émission, assis à côté de son hôte qui a du mal à réprimer un baillement, notre Stéphane nous fait un peu de publicité pour quelques gros livres, très chers et avec beaucoup d'images, vous savez, ceux qu'on feuillette une fois et qu'on n'ouvre plus jamais et puis... raah, c'est fini ! Il faut attendre la semaine suivante.
Vous ne me croyez pas ? Rendez-vous ICI, on peut même regarder l'émission sur Internet !
PS : comme en écho à cette note que j'avais écrite depuis quelque temps déjà, France 2 nous proposait hier soir dans son journal de 20h un reportage consacré à quatre jeunes salariés en CDD qui ne parviennent pas à se loger. Trop cher, les bailleurs veulent du CDI, bref la galère. La seule solution qu'ils aient trouvé pour l'instant consiste à louer une caravane qu'ils ont aménagée avec les moyens du bord. Pas de chauffage, pas d'eau courante, tout cela dans un hangar sinistre. Ce serait bien si madame Chineuse et monsieur SOS maison venaient leur donner un petit coup de main, non ?