En quelques lignes, ma rencontre récente avec un musicien en tous points remarquable. Hommage.
Vendredi 17 juin 2005, vers 19h30, aux abords du Triton, une salle de concert située aux Lilas, où se produit ce soir-là le groupe Bruxellois Présent. Je me remémore ce 33 tours étrangement intitulé "Triskaidécaphobie", que j'avais acheté en 1981, parce que le fondateur du groupe, Roger Trigaux, venait de donner naissance à cette nouvelle formation après avoir été l'un des membres fondateurs d'une autre expérience musicale belge qui me passionnait par son cousinage avéré avec Magma, Univers Zero, né de sa complicité avec le très grand batteur Daniel Denis. Il y avait dans ce disque une longue et intrigante composition qui s'appelait "Promenade au fond d'un canal", qui peut vous situer grossièrement l'atmosphère dans laquelle évolue Présent : noirceur et profondeur, une certaine complexité des structures, beaucoup de virtuosité aussi. On classe volontiers ce groupe dans la famille du "RIO" (Rock In Opposition) et lorsqu'on aime bien les étiquettes, on le rattache au grand mouvement du rock progressif, comme on le ferait par exemple pour le légendaire King Crimson.
Mais la semaine dernière, le contexte était très particulier parce qu'après de longs mois de silence, le groupe reprenait la route pour une série de concerts passant par le sud de la France, Lyon, Paris, Bruxelles, Wurzburg avant de s'attaquer au continent nord-américain durant la première quinzaine de juillet. Le plus étrange dans cette reformation étant, pour moi, la présence d'un jeune saxophoniste français de 20 ans... qui n'est autre que mon propre fils Pierre.
Franchement, je peux vous le confier, et pour parler trivialement, ça fait bizarre ! Je ne me sens pas trop en mesure de vous raconter le concert si ce n'est pour dire que durant près de 2 heures, je suis resté en état de stress continu, sidéré de voir à quel point l'intégration de la nouvelle recrue était si bien réussie que bon nombre de mes amis présents ce soir-là sont venus me trouver pour me dire à quel point sa performance avait été remarquée ! Je ne ferai que suggérer la drôle de sensation qui m'a gagné quand j'ai vu que ma propre femme, ci-devant maman du musicien, fondait en larmes durant les premières secondes, comme pétrifiée de constater à quel point son rejeton avait encore franchi une nouvelle étape. Notre étonnement enfin de le voir occuper une place prépondérante dans la coloration musicale actuelle du groupe... et même visuelle du fait d'une gestuelle intense que l'on remarque dès les premiers instants en ce qu'elle traduit un engagement total dans l'interprétation.
Cette soirée fut d'une intensité inouïe, après une ouverture pleine de toute l'emphase que l'on n'osait même pas espérer quand le groupe a entamé les premières mesures de "Jack the Ripper" et un final démoniaque sur "Promenade..." où un drôle de guerrier maquillé est venu frapper comme une brute sur un long tube métallique avec une massue.
Je ne peux oublier personne : Dave et Keith, les deux américains qui forment la rythmique, Pierre le pianiste, Réginald (fils de Roger) à la guitare, Mathieu au violoncelle et Roger, le boss, le chef d'orchestre à la démarche mal assurée pour qui on tremble à chaque instant, craignant de le voir s'écrouler sur scène, même lorsqu'il frappe sa guitare au sol. Il faut aussi évoquer Martine Trigaux, femme et mère débordante d'énergie, d'un enthousiasme communicatif dans les bras de laquelle on tombe après le concert pour lui dire tout le bonheur de ces instants qu'on vient de vivre et que, peut-être, on ne connaîtra plus jamais.
Ah... et puis, si j'osais : une certaine fierté tout de même lorsque, l'un après l'autre, chacun des membres du clan Présent est venu nous trouver avant le concert pour nous dire leur joie d'avoir accueilli dans cette drôle de tribu notre fils. Je n'oublierai jamais cette conversation avec Roger Trigaux (au physique, une sorte d'Ozzy Osbourne ; à la diction, plus proche du chanteur Arno) qui semblait lui-même ému de cette jeune présence dans son groupe, m'expliquant qu'il avait "tout compris, tout de suite", qu'il était pour lui une vraie sécurité dans l'exécution de son répertoire pourtant tiré au cordeau.
Pendant ces minutes précieuses, j'ai pu avoir la chance de percevoir au moment même où ils se produisaient la rareté de ces échanges. Et comme par un grand mouvement de balancier, alors que je la savais en excellente compagnie, j'ai eu une pensée très forte pour ma fille (on croise les doigts, on croise les doigts) en espérant qu'elle pourrait peut-être capter une petite parcelle de l'énergie qui s'était répandue autour de nous.
Parce que ma fille Tagada, c'est encore une autre belle histoire, à cette différence près qu'elle est bien plus douée que moi pour vous la raconter elle-même.
Alors merci monsieur Roger, prenez surtout grand soin de vous et continuez à nous éblouir.
Merci à mon ami Fabrice Journo pour ses très belles photos du concert de Présent au Triton.