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MusiChronique - Page 7

  • Au-delà de Kenny

    Comment résumer en quelques lignes le bonheur qui vous gagne à l’écoute de « Beyond the Wall », le nouveau disque du saxophoniste alto Kenny Garrett ?
    Comment vous faire comprendre que ses 76 minutes sont comme une sorte de fil tendu sur lequel on évolue avec jouissance, persuadé qu’on a enfin rejoint pour un temps les cieux Coltraniens, qui nous manquent tellement depuis près de 40 ans ?

    medium_garrett_beyond.jpgKenny Garrett, que j’avais vu sur scène il y a une bonne vingtaine d’années, lorsqu’il jouait dans la formation de Miles Davis. Ce même Kenny Garrett qui nous offrait voici 10 ans un magnifique hommage à John Coltrane intitulé « Pursuance », qu’on pourra toujours ré-écouter avec profit. Et le voici aujourd’hui qui rend un hommage explicite à McCoy Tyner, dont il est probablement inutile de rappeler qu’il fut le compagnon de route de Coltrane de 1960 à 1966, et donc à ce titre l’une des quatre pierres angulaires d’un quartet toujours inégalé (avec Elvin Jones et Jimmy Garrison). Un quartet qui, régulièrement et surtout sur la fin, s’étoffait en faisant appel à quelques musiciens habités, tel Pharoah Sanders, dont la musique n’a jamais pu vraiment s’émanciper – ce que nul ne saurait lui reprocher d’ailleurs – de celle du maître. Un Pharoah Sanders dont on retrouve aujourd’hui le saxophone inspiré sur « Beyond the Wall », pour notre bonheur le plus complet. Sans oublier un autre très grand monsieur, le vibraphoniste Bobby Hutcherson (cf. sa participation en 1963 à « Out to Lunch », le disque de Eric Dolphy, aujourd’hui entré dans la légende), ni même le pianiste Mulgrew Miller ou bien encore le batteur Brian Blade.
    John Coltrane aurait eu 80 ans le 23 septembre. Je suis certain que, tout là-haut, il a longuement vibré à cet hommage permanent rendu à sa musique. D’autant que Kenny Garrett, lorsqu’il évoque la genèse de son nouveau disque, nous explique qu’il a tenté d’opérer une jonction entre certains aspects spirituels de la Chine et de l’Afrique. Ce qu’aurait probablement revendiqué son héros qui avait lui-même célébré l’Afrique, mais aussi l’Inde et que l’on savait passionné par le Japon.
    Oui, comment vous dire tout cela ? Tout simplement, peut-être, en vous proposant d’en écouter un fragment qui devrait vous donner l’envie irrépressible de vous ruer sur le bac de votre disquaire le plus proche.
    Quant à moi, j’y retourne, c’est trop beau !

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    Nonesuch Records

  • La belle musique de Patrick Gauthier

    J’ai reçu ce matin un coup de fil sympa d’un musicien que j’apprécie énormément… et depuis fort longtemps maintenant. Pianiste de Magma durant les années 70, homme des claviers de Weidorje, le groupe post-magmaïen formé par le bassiste Bernard Paganotti, membre émérite de Heldon, la belle aventure musicale dirigée par le très Deleuzien et néanmoins frippien guitariste Richard Pinhas, Patrick Gauthier a également publié plusieurs albums sous son propre nom et participe aujourd’hui à « La Cage », un projet conjoint avec la poétesse Agnès Cazorla. Une bonne raison de lui rendre ici hommage.

    Je me rappelle très bien ce concert de Magma à Nancy, le 18 juin 1976. Je voyais la bande à Christian Vander sur scène pour la première fois, après avoir consacré un incroyable nombre d’heures à écouter, seul dans ma chambre, la discographie du groupe, en particulier « Köhntarkösz » et « Magma Hhaï ». Mais ce jour-là, la formation avait une composition toute particulière : Vander à la batterie bien sûr, Klaus Blasquiz au chant, Bernard Paganotti à la basse, Didier Lockwood au violon, et deux claviers, Benoît Widemann et Patrick Gauthier. Une formation resserrée, sans chœurs ni guitare pour un répertoire dense et sombre : « Theusz Hamtaahk », « Hhaï », « De Futura » et « Mekanïk Destruktïw Kommandoh ». Un groupe temporaire, semble-t-il, puisqu’à la fin du concert, Klaus Blasquiz nous annonçait pour l’automne le retour (qui ne fut que de courte durée) de Jannick Top, dans le cadre d’une association appelée VanderTop. Dès ce jour, j’ai pu apprécier la sensibilité du jeu de Patrick Gauthier et j’eus l’occasion de me régaler quelques mois plus tard de son jeu si particulier au mini-moog sur « Üdü Wüdü ».

    Puis il y eut l’expérience Weidorje, dont le disque fit une entrée fracassante dans ma discothèque, en particulier ses premières secondes et l’introduction majestueuse de « Elohims Voyage ». Patrick Gauthier y allait lui-même de sa composition, intitulée « Booldemug ».

    A cette même époque, Patrick Gauthier était déjà largement impliqué dans le groupe Heldon, auquel il collabora si ma mémoire est bonne depuis l’origine. Je serais bien tenté de vous conseiller deux magnifiques galettes où son talent explose : « Interface » en 1978, et « Stand By » en 1979. J’entretiens une relation toute particulière avec ce dernier puisque, coincé sur mon lit d’hôpital pour de longues semaines, j’avais demandé à celle qui allait devenir ma femme de m’acheter la précieuse galette et de me l’apporter dans ma chambre. J’ai donc pu contempler la pochette pendant bien longtemps avant de pouvoir écouter ce disque et je me rappelle très précisément ce moment où, à peine rentré à la maison, j’ai pu – enfin ! – l’écouter ! Fort heureusement, il était splendide et je considérai alors mon attente comme largement récompensée.

    Par la suite, Patrick Gauthier a enregistré des disques sous son nom. Attention chers amis, sachez sans attendre que les trois disques en question sont absolument splendides et méritent d’être placés bien haut dans votre discothèque : « Bébé Godzilla » tout d’abord en 1980, où l’on note la présence de Richard Pinhas, mais aussi de quelques magmaïens pur jus tel Benoît Widemann, Bernard Paganotti, Jean-Pierre Fouquey ou Dominique Bertram mais aussi un certain Christian Vander (dont les participations extra-Magma se comptent sur les doigts d’une seule main) dans un titre hommage, « Le Grand Maître Orient ». Treize ans plus tard (entre temps, Patrick Gauthier est revenu faire un petit tour du côté de Kobaïa pour participer au projet « Les Voix de Magma » en 1992), deuxième album, deuxième splendeur. Ce disque, « Sur les flots verticaux », m’a tellement ému que pendant deux ans, j’ai emprunté l'un de ses titres, « Des pygmées dans la ville », pour en faire le générique d’une émission de musique que j’animais alors sur une radio locale. Et je vous recommande aussi l’écoute attentive de « Zawinul », en hommage au grand monsieur de Weather Report. Trois ans plus tard, troisième album avec « Le Morse », où les voix de Magma (Stella Vander, Julie Vander, Bénédicte Ragu, Himiko Paganotti) sont de retour. Patrick ouvre même la porte à une composition de Philippe Bussonnet (qui allait devenir le bassiste de Magma. Vous me suivez toujours ?), « Le chant des océans », petite merveille (en)chantée en français par Stella. Ecoutez également « The Good Book » (qui à l’origine devait figurer sur « Merci », de Magma mais qui ne fut pas finalement retenue), une sorte de gospel chanté par un certain Pascal Maunoury, que beaucoup d’autres connaissent mieux aujourd’hui après sa récente participation à une émission de télévision dite « populaire ».

    Je serais bien incapable de vous proposer une « analyse musicale » de la production de Patrick Gauthier. D’ailleurs, je n’en ressens ni l’envie ni le besoin. L’homme est attachant, sensible, on devine une vraie et belle fragilité et sa musique lui ressemble énormément. C’est dire qu’elle est source de bonheur et que je m’en repais à doses très régulières. Et le fait de savoir qu’il travaille sur un nouveau disque m’enchante par avance.
    Patrick Gauthier sera également de l’aventure « Hamtaï ! », hommage à la musique de Christian Vander, dans lequel il interprète « Theusz Hamtaahk », seul aux claviers.

    Il sera également à l'affiche du nouveau disque de Richard Pinhas, annoncé pour le 15 septembre prochain et intitulé « Metatron ». Deux heures de musique dans lesquelles on retrouvera d'autres membres de Heldon, comme Didier Batard ou Alain Renaud.

    Ah… j’oubliais… Patrick me téléphonait ce matin pour m’annoncer la parution d’un livre / CD réalisé en collaboration avec la poétesse Agnès Cazorla. Je n’ai pas encore pu écouter ce travail, intitulé « La cage », mais ça ne saurait tarder. Et puis de toutes façons, j’ai confiance !

    Alors voilà, c’est dit. Ce monsieur est un grand et c’est un plaisir infini pour moi de lui dédier ces quelques lignes. Et pour une bonne soirée autour d’une table sympa la prochaine fois que j’irai à Paris, c’est OK pour moi, mon cher Patrick ! Et si j'ai oublié quoi que ce soit d'important... n'hésite pas à venir le dire ici, tu es le bienvenu !

    Pour en savoir plus sur la discographie :
    - Heldon / Richard Pinhas : Cuneiform Records
    - Weidorje : disques Musea
    - Patrick Gauthier (trois premiers albums solo) : Seventh Records
    - Hamtaï ! Welcome Records

    Sans oublier le blog de Patrick Gauthier

  • Miles ahead

    medium_miles_davis.jpgJe n'aurai pas la prétention de résumer la somme artistique que fut la carrière de Miles Davis. Trop énorme... trop de génie dans une démarche allant toujours de l'avant, en recherche perpétuelle. On peut se gausser de l'extravagance du personnage, on peut aussi être irrité par ce qui ressemblait chez lui à une certaine forme d'arrogance, rien n'y fera : l'Artiste était au-dessus de la mêlée, et le temps parlera pour lui. En témoigne d'ailleurs l'ultime enregistrement du trompettiste, "Doo Bop", tellement critiqué au moment de sa sortie et qui démontrait pourtant que, plus que jamais, Miles ouvrait de nouvelles pistes sur lesquelles s'engouffrèrent bien des musiciens depuis les années 90.
    Dans ma propre histoire et dans ma relation avec l'univers musical, je serai éternellement redevable à Miles Davis d'avoir su "inventer" un nouveau langage à la fin des années 60, qu'on baptisa, pour d'évidentes raisons de commodité, "jazz-rock". C'est grâce à Miles Davis et aux innovations de sa formation de l'époque (au sein de laquelle évoluaient quelques musiciens ayant pour nom John McLaughlin, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Tony Williams ou bien encore Joe Zawinul...) que j'ai pu ouvrir mes oreilles à de nouveaux espaces sonores qui, depuis, constituent pour moi une source inépuisable de bonheurs musicaux. Mahavishnu Orchestra ? Weather Report ? Tony William's Lifetime ? Si ces noms évoquent quelque chose pour vous, alors vous me comprendrez aisément...
    Je ne répondrai pas non plus à la question que se posent souvent les Davisologues : quel fut sa plus grande formation ? Les spécialistes balancent entre deux quintettes, celui des années 60 avec Wayne Shorter (saxophone), Herbie Hancock (piano), Tony Williams (batterie) et Ron Carter (contrebasse) et l'un de ses prédécesseurs, au cours des années 50, avec Red Garland (piano), Paul Chambers (contrebasse), Philly Jones (batterie) et John Coltrane (saxophone).
    Je me régale souvent du coffret "Quintet 1965-1968 Complete Recorings" qui met en scène la première de ces deux formations et j'apprends avec bonheur la publication d'une intégrale "The legendary Prestige quintet sessions" pour ne pas avoir à trancher. Ce "nouveau coffret" (dont on trouvait la quasi totatlité du contenu dans "Chronicle", une autre intégrale rassemblant les enregistrements de Miles Davis pour le label Prestige entre 1951 et 1956) rassemble des enregistrements appartenant à la période 1955-1958 et ravira aussi bien les afficonados de Miles Davis que les Coltraniens dont je fais partie.
    Musique libre, inspirée - et pourtant, on doit se souvenir qu'à l'époque, Miles Davis avait des engagements contractuels à tenir avec le label Prestige alors même qu'il avait déjà signé un autre contrat avec Columbia et qu'il enregistrait donc aussi pour des raisons très matérielles - dont la hauteur est telle qu'elle paraît souvent inégalée.
    Je suis certain que si le Paradis existe, c'est cette musique-là qu'on doit y écouter en boucle, le soir, tranquillement assis sur un nuage en buvant une pinte avec Saint-Pierre. Autour de vous, soyez certains qu'il doit y avoir foule mais après tout, quelle importance, le ciel est si grand. Il y aura de la place pour tout le monde. Enfin, pour ceux qui l'auront mérité, uniquement !
    En plus - soyons aussi mesquins de temps à autre - ce coffret de 4 CD (augmenté d'un livret d'une quarantaine de pages) nous est proposé à un prix qui vaut tout de même le détour : moins de 50 €.
    A 48 heures de cet exaspérant passage obligé qu'est devenu aujourd'hui la fête de l'alcool... euh, de la musique voulais-je dire, ce petit cadeau musical arrive à point nommé. Avec son air d'éternité, il est un excellent remède à la médiocrité ambiante et remet les pendules à l'heure dès les premières minutes. Tout est dit, dans un souffle, c'est magique !

    Tiens, j'ai bien envie de vous en proposer un court extrait. La composition s'appelle "Tune up" et je n'ai pas pu résister au plaisir de vous laisser écouter un chorus de John Coltrane, qui, déjà, habitait sur une autre planète.


  • La résurrection d'Alien

    Lorsqu'au début des années 80, Christian Vander - leader charismatique du groupe Magma - sentit germer en lui le projet très coltranien et acoustique baptisé Offering, il ressentit aussi le besoin de se ressourcer en se produisant sur scène dans le cadre d'un trio de jazz au sein duquel évoluèrent de brillants musiciens tels que Michel Graillier au piano et Alby Cullaz à la contrebasse. Deux grands messieurs qui, depuis, nous ont malheureusement quittés. Cette formation vit aussi à une époque la participation de Francis Lockwood et connut plus tard, à partir de la fin des années 80, une période au cours de laquelle les compagnons de Zebëhn s'appelaient Emmanuel Borghi et Philippe Dardelle. Le trio existe toujours (en témoignent ses récentes et belles prestations), et c'est maintenant Manu Grimonprez qui officie à la contrebasse et continue de célébrer avec intensité la musique de John Coltrane. Tout récemment, quelques concerts furent donnés au Triton (Les Lilas) avec en invité spécial le saxophoniste américain Ricky Ford. Qui veut admirer dans toute sa générosité et son charisme Vander le batteur serait bien inspiré de guetter l'agenda des concerts du Trio et de se précipiter à la rencontre d'une musique dont la densité vous laisse un peu abasourdi et vous fait ressentir ensuite une bizarre sensation de manque. C'est une sorte d'irradiation aux effets retard que bien d'autres que moi ont connu depuis longtemps et sauraient vous décrire en termes cliniques plus précis que je ne pourrai jamais le faire. Attention cependant et là je m'adresse aux élèves batteurs : regardez-y à deux fois avant de tenter l'expérience car vous pourriez ensuite être tentés, par humilité, d'apprendre un autre instrument. Ni'mporte quel autre... sauf la batterie !

    Mais dès cette époque de mutation, il y a 25 ans maintenant - rappelons que durant une bonne dizaine d'années, Magma se mit comme en sommeil et se retira tout doucement de la scène musicale pour ne revenir qu'en 1996 - Christian Vander avait aussi mis sur pied une formation plus électrique à la coloration jazz-rock appelée Alien. Sur la base d'une rythmique composée de deux claviers, une basse et une batterie auxquels pouvaient s'ajouter une guitare électrique, Alien puisait dans le répertoire d'autres géants de la musique : Tony Williams, McCoy Tyner, Billy Cobham, Jan Hammer pour n'en citer que quelques uns... Musique débordante d'énergie, instrumentistes virtuoses et habités par leur propos, nous étions là en présence d'un nouvel espace qui malheureusement pour nous ne laissa derrière lui aucun souvenir discographique. Pourtant, quelques concerts mémorables restent dans le souvenir de pas mal d'entre nous qui se souviennent de ces heures intenses en compagnie de Benoît Widemann, Jean-Pierre Fouquey, Dominique Bertram ou encore Jean-Luc Chevalier. Alien était passé telle une brillante et fulgurante comète, beaucoup de nous rêvaient de son retour un jour ou l'autre... sans y croire vraiment, tout en sachant qu'avec Christian Vander, aucune histoire commencée n'est jamais terminée.

    Et puis... et puis... fut annoncé pour le mois de décembre 2004 une série de concerts au Sunset ! Alien Quintet était à nouveau en chemin ! Construit autour du coeur d'acier de Magma (Christian Vander : batterie ; Emmanuel Borghi : piano Fender ; James Mac Gaw : guitare ; Philippe Bussonnet : basse) avec comme 5e élément l'élégant Benoît Widemann (lui-même pianiste de Magma durant de longues années) au moog, il y avait fort à parier que ce gang possédait tous les atouts pour mettre le feu sur scène ! Et ce fut bien le cas... au sens propre comme au sens figuré d'ailleurs puisque cette épopée parisienne tourna plus court que prévu un beau soir du fait d'un... incendie, qui entraîna la fermeture de cette salle si prisée des amateurs de jazz pour plusieurs semaines !

    Tous ceux qui eurent la chance d'assister à ces quelques concerts en ont gardé une fois encore de magnifiques souvenirs : plus de 2h30 de musique dont l'intensité ne faiblit à aucun moment, une joie de jouer évidente, des sourires complices qui s'échangent sur la scène, Christian Vander poussant plus que jamais la machine à haut régime, véritable catalyseur d'une communion chaque jour renouvelée. Sans tricherie. Offrant au public sa générosité et sa foi. Comme aux premiers jours.

    J'ai pu voir Alien en novembre 2005 sur la scène du Triton et, comme chaque personne présente ce soir-là dans la salle, j'ai reçu une fois de plus une telle claque que c'est avec beaucoup de légèreté et de flegme que j'ai dû regagner Paris avec les plus grandes difficultés du fait de l'heure très tardive, des travaux du côté de Belleville et du passage du dernier métro à Châtelet. Quelle importance, nous étions sous le charme, rejouant en silence ce concert trop rare, espérant que l'expérience aurait des lendemains. Hébétés, comme d'habitude...

    Alien, c'est un peu comme un soleil qui illuminerait la planète Kobaïa, c'est la célébration d'une lumière intemporelle, c'est aussi et surtout une véritable offrande. Je ne saurai jamais assez remercier de tels musiciens, je leur dois tellement depuis si longtemps que les superlatifs sont devenus inutiles. Si ces cinq garçons croisent votre chemin, n'ayez surtout aucune hésitation : toutes affaires cessantes, précipitez-vous et venez vous faire irradier, jamais vous n'aurez à le regretter. Ces heures-là sont si rares qu'il serait coupable de ne pas les vivre !!!

    medium_alien_triton_0511.jpg
    [Merci à l'ami Fabrice pour ses belles photos d'Alien Quintet au Triton, en novembre 2005]
     
    Ecoutons quelques instants Alien Quintet, dans un court extrait de "Dear Mac", cette belle composition du regretté Michel Graillier... Cet enregistrement n'a rien officiel, je vous le propose uniquement pour vous donner envie d'aller un jour à la rencontre de cette si belle musique...



    La discographie d'Alien est réduite à sa plus simple expression puisqu'aucun disque n'existe mais... sait-on jamais ? Un jour peut-être sur Seventh Records ?

  • Manassas ou une certaine idée de la perfection

    En 1972, Stephen Stills n'avait plus rien à prouver. Après l'aventure du Buffalo Springfield de 1966 à 1968 – avec entre autres complices un certain Neil Young – et celle, plus durable, entreprise avec Graham Nash et David Crosby (puis... Neil Young), notre homme était déjà au sommet de son art. Pourtant, c'est peut-être cette année-là qu'il commit, entouré d'un combo de luxe, un album qui reste, par-delà les années, un sommet dans l'histoire du rock américain.

    Comment définir ce disque – à l'origine un double 33 tours aujourd'hui réédité sous la forme d'un CD – autrement qu'en multipliant les superlatifs ?
    Virtuose.
    Indémodable.
    Habité.
    Chaleureux.
    Flamboyant.

    Pas besoin d'en ajouter... nous sommes immergés au cœur de 72 minutes inspirées dont jamais la tension ne retombe. Avec Manassas, Stephen Stills nous convie à un voyage qu'il a décomposé en quatre phases (à l'origine, une par face du double album) : The Raven, The Wilderness, Consider et Rock & Roll Is Here To Stay. Un périple au cours duquel le guitariste a su inventer un savant cocktail alliant blues, rock, folk et country rock, sans que jamais l'impression d'harmonie de l'ensemble ne soit rompue.
     
    Les titres s'enchaînent naturellement, souvent sans pause, enluminés par une chorale de guitares et de voix qui semble survoler une rythmique foisonnante. Les sept musiciens du projet Manassas, outre Stephen Stills lui-même, ont pour nom Chris Hillman (ex-Byrds), Al Perkins, Dallas Taylor, Paul Harris, Fuzzy Samuels, et Joe Lala, auxquels viennent s'ajouter ici ou là quelques invités, dont un certain Bill Wyman à la basse, sont au service d'une musique qui n'a pas pris la moindre ride, peut-être tout simplement parce qu'elle refusait d'emblée toute concession aux modes de son époque. Certains musiciens disent qu'ils ne composent pas la musique qu'ils jouent mais qu'ils en sont plutôt les récepteurs et les vecteurs. Si tel fut le cas pour Stephen Stills en cette année 1972, alors nul doute qu'il eut ce talent fou d'être un véritable medium. On ne le remerciera jamais assez pour ce ce cadeau ! Dédié à Jimi Hendrix, Al Wilson et Duane Allman, Manassas continue de livrer, un à un, tous ses secrets près de 35 ans après sa sortie et ne cesse d'enchanter. J'ai beau chercher... je ne parviens pas à lui trouver un défaut :  il ne faudra pas voir dans cette admiration une quelconque nostalgie du paradis perdu des années adolescentes. Déjà, au moment de sa sortie, ce disque me semblait magique et je serais incapable de compter le nombre de fois où, bien plus tard, au volant de ma voiture, j'ai pu l'écouter au petit matin, savourant avec gourmandise les bienfaits de cette drôle de médecine sonore. Il y avait comme une concordance parfaite entre mon esprit disponible et la sérénité de cette musique à la fois humble et riche.
     
    A bien réfléchir, on se rend compte aussi que cette expérience fut, d'une certaine façon, sans lendemain. En 1973, le groupe repartait en studio pour ajouter un second épisode à son histoire. Mais allez savoir pourquoi, ce nouveau disque appelé Down the road fut ressenti comme une vraie déception. L'équipe était pourtant là, au complet, mais quelque chose semblait s'être cassé entre temps, non que le disque pût être qualifié de «mauvais», loin de là, mais plutôt parce qu'encore pris dans la tenaille magique de son prédécesseur, chacun d'entre nous était comme surpris de s'apercevoir que le résultat n'était pas à la hauteur des espérances qu'il avait fait naître. Quel que soit le talent de l'artiste, celui-ci ne peut prétendre tutoyer les sommets en permanence. Nous avions tellement reçu qu'il eut été ingrat de nourrir le moindre ressentiment à l'égard de Stephen Stills. Manassas était à nos côtés, sa présence rassurante nous suffisait et nous n'avions pas à nous forcer pour le remettre sur la platine au gré de nos envies. Ce qu'à titre personnel il m'arrive de faire encore bien souvent...

    Allez, juste pour le plaisir, un petit extrait de «Anyway»... choisi un peu hasard car j'aurais pu vous proposer n'importe laquelle des 21 compositions de ce disque !
     

    Et comme toujours, pour en savoir plus...
  • Jazz cramoisi

    Voilà un disque pour le moins inattendu, mais totalement réjouissant, qui nous propose une relecture jazz du répertoire de King Crimson, le légendaire groupe du guitariste Robert Fripp. Une nouvelle d'autant plus formidable que le titre de cet album : "The King Crimson Songbook Volume 1", publié à l'automne 2005, nous laisse espérer une suite qu'on attend déjà avec la plus grande impatience ! On en parle pour 2006...
    Lorsqu'en 1969 fut publié "In the Court of the Crimson King", nous étions en train de découvrir ce que l'on a pu appeler par la suite un mouvement musical baptisé "rock progressif". Celui-ci se démarquait du "rock tout court" par l'assimilation dans une musique électrifiée de nombreuses influences, jazz mais aussi classiques avec un grand soin apporté à la richesse des arrangements et des orchestrations. Cette musique affichait des ambitions créatrices fortes et allait connaître un développement foudroyant durant la première moitié des années 70. Les ramifications de cette nouvelle branche furent très nombreuses et souvent en provenance de l'Angleterre : pour mémoire, on évoquera des formations telles que Genesis (celui de Peter Gabriel, avant son départ en 1975 et surtout avant la main mise du groupe par Phil Collins pour un projet plus banal), Emerson, Lake & Palmer, Yes, Pink Floyd, sans oublier ce que l'on appelait l'école de Canterbury initiée par Soft Machine. King Crimson occupait une place assez particulière, en raison principalement de son leader, personnage plutôt austère dont la présence scénique était aussi minimaliste que sa rigueur était grande. On n'imaginait pas vraiment taper sur l'épaule de Robert Fripp, cet homme là distillait sa part de mystère qu'il a toujours conservée au fil des années.
    La discographie de King Crimson est abondante, on pourra en juger en se reportant au site Internet consacré au groupe : http://www.disciplineglobalmobile.com, j'y reviendrai d'ailleurs un jour car je reste persuadé que l'oeuvre de Robert Fripp représente une somme impressionnante, bouillonnante et diversifiée qu'on n'a pas fini d'explorer, qu'il s'agisse de son travail en groupe, en solo, voire en duo.
    Et justement, il s'agit bien d'une véritable exploration que nous proposent de découvrir Ian Wallace (premier batteur de King Crimson) et ses complices Jody Nardone (piano) et Tim Landers (basse fretless). Pour utiliser un terme savant, on pourrait dire que le travail du Crimson Jazz Trio est un véritable palimpseste de la musique de King Crimson. Adoptant une couleur résolument jazz, mais avec un profond respect des thèmes originaux que l'on identifie instantanément, cette formation virtuose - adoubée par Maître Fripp qui y va sur les notes de pochette de son commentaire flatteur à propos de l'enregistrement réalisé, ce qui ne constitue pas une mince performance - réussit brillamment ce qui aurait pu s'avérer un laborieux et vain exercice de style.
    Or, il n'en est rien ! La musique jouée par le trio coule aussi naturellement que l'eau d'une source de montagne, et celui qui ignore sa provenance aurait beaucoup de mal à imaginer qu'il s'agit là d'une savante et belle adaptation. Les choix opérés par le groupe concernent toute la période qui va du premier album (avec de magnifiques versions de "21st Century Shizoid Man" et de "I Talk to the Wind") jusqu'à "Three of a Perfect Pair" en 1984, en passant par une reprise surprenante du sombre et somptueux "Red" en 1974. Voilà une galette parfaite, sans temps mort ni faute de goût, regorgeant d'une heure de musique humble et respectueuse. Une réappropriation magistrale qu'on recommandera à tous les mélomanes gourmets et gourmands.
    Un petit extrait de "Red"... pour vous donner envie d'aller plus loin avec le Crimson Jazz Trio !

    Vivement le volume 2 !
    Pour en savoir plus : http://www.crimsonjazztrio.com/
  • Te stresse pas !

    C'est ainsi que selon ma fille on pourrait traduire en bon français «Take it easy», le titre de cette magnifique chanson du groupe Eagles – co-signée par Glenn Frey et par un grand monsieur, qui n'appartenait pas à la formation, Jackson Browne, qui l'avait lui-même interprétée sur son deuxième album «For everyman». Nous étions au début des années 1970 et le groupe américain entamait une longue carrière dont les plus belles pépites discographiques se trouvent concentrées, selon moi, dans ses quatre premiers disques, même si l'un de ses plus grands succès, «Hotel California» était venu un peu plus tard. Oui... bon, je vous parle d'Eagles, mais en réalité, ce n'est pas vraiment le sujet de cette note, juste un prétexte.

    Tout récemment, j'ai copié sur un CD, que j'écoute en voiture, quelques disques «madeleines de Proust», dont la simple évocation me renvoie une vingtaine – voire plus – d'années en arrière. Parmi ceux-ci se trouvent le premier album du groupe américain Eagles, publié je crois en 1972, vers lequel je me suis souvent retourné, ravi d'en constater les bienfaits. Nous sommes là dans un univers musical qu'on pourrait hâtivement classer de «country rock», où le chant des guitares et les harmonies vocales tissent une toile enchantée aux vertus énergétiques incontestables. Il n'y a rien de révolutionnaire dans cette musique, seulement le résultat d'une étonnante complicité entre musiciens déjà aguerris et débordants de vitalité. On y devine aussi que la voie tracée par Crosby, Stills, Nash and Young avait fait quelques émules : même travail soigné du chant, des arrangements ciselés, une roue tellement bien huilée qu'on en finit par oublier la virtuosité qui sous-tend l'ensemble. Quelque chose qui ressemble à s'y méprendre à un «petit bonheur».

    Well I'm a runnin' down the road tryin' to loosen my load,
    I've got seven women on my mind
    Four that wanna own me, two that wanna stone me,
    One says she's a friend of mine.
    Take it easy, take it easy.
    Don't let the sound of your own wheels drive you crazy.
    Lighten up while you still can, don't even try to understand,
    Just find a place to make your satnd and take it easy.


    Sur ce bel album, les titres se suivent dans une jubilation sans pause de quarante minutes : après «Take It Easy» vient «Witchy woman» puis «Chug all night», «Most of us are sad», «Nightingale», «Train leaves here this morning», «Take the devil», «Earlybird», «Peaceful easy feeling» et pour finir «Tryin'». Pas besoin d'un gros exercice de mémoire pour réciter tous ces titres, ces chansons sont tellement ancrées dans ma propre histoire que leur enchaînement est automatique. Il me suffit de fermer les yeux et d'écouter intérieurement cette musique... qu'il m'est impossible de me remémorer sans être parcouru par un léger frisson de nostalgie, je regarde dans le rétroviseur des années passées et je m'imagine que le temps s'est arrêté.

    C'est si vrai que pendant longtemps – à cette époque, il fallait se contenter de cassettes dont la bande magnétique finissait par se détendre au bout de longues heures de voyage, surtout, lorsque dans l'habitacle sans climatisation, la chaleur qui régnait finissait par devenir insupportable – j'ai proposé à ma petite famille – quand je dis petite, c'est aussi parce que nos enfants n'étaient... que des enfants, l'aînée dormant du sommeil du juste au bout de quelques kilomètres pendant que son petit frère ouvrait des yeux écarquillés sur le paysage défilant – de dérouler le ruban de la route des vacances en écoutant souvent ce disque qui est aujourd'hui pour moi totalement associé à ces heures matinales – le jour commençant à se lever, chassant la nuit source de toutes les inquiétudes – où la circulation est encore fluide, quelque part sur l'autoroute, en direction du Plateau de Langres ou, après Orange, lorsque nous abordions les deux dernières heures d'un voyage nous menant au bord de mer... Nîmes, Montpellier, Agde...

    Mais ce disque, et tout particulièrement «Take it easy» m'a longtemps été d'un grand secours à l'époque où j'avais décidé de suivre un entraînement de natation – tiens, il faudra que je vous en parle un jour, c'était à la fin des années 80... Parce que nager, ça fait du bien au dos, c'est bon pour la circulation, les muscles, le souffle mais quand vous devez enchaîner des dizaines de longueurs de bassin sous l'oeil narquois d'un moniteur qui guette vos allers-retours avec une certaine condescendance, ravi de vous annoncer qu'il ne vous reste plus que 500 mètres à parcourir avant de conclure par un 50 mètres au sprint, tous poumons dehors, alors que vous pensiez déjà regagner les douches et vous frotter énergiquement avec une serviette de bain parfumée à la lavande avant de vous ruer sur deux ou trois pâtés lorrains exigés par un estomac criant famine après une telle débauche physique, obligation vous est faite de penser à des choses agréables et de tromper l'ennui généré par la répétitivité de l'exercice. Devinez quoi ? Coincé sous mon bonnet gris et derrière mes lunettes jaunes estampillées Arena, je ne trouvais à l'époque rien de mieux que d'écouter de mémoire un certain nombre de disques fétiches dont celui d'Eagles. Et croyez-moi, une bonne dose de «Take it easy» était plus que nécessaire aux moments les plus critiques. Je m'étais ainsi constitué un répertoire aquatique, sorte de play list de piscine où se côtoyaient selon les besoins le Grateful Dead (allez savoir pourquoi, j'avais naturellement opté pour le bel enchaînement de «China Cat Sunflower» et de «I Know You Rider» qu'on trouve sur le disque «Europe '72» que j'ai déjà évoqué dans ma note «La stratégie de l'arbre à disques», Magma bien sûr («Köhntarkösz» me permettant de résister fortement à la fatigue musculaire, c'était donc pour moi comme un E.P.O. Sonore) ou bien encore le très tonique (et sombre) «Red» de King Crimson aux commandes duquel régnait l'imperturbable Robert Fripp. Ainsi que quelques autres extraits variables... les idées ne manquant jamais en ces minutes éprouvantes. Je disposais ainsi d'un stock musical dépassant largement l'heure et pouvais y puiser abondamment sans jamais risquer la pénurie. Sans lui, jamais je n'aurais pu parvenir à ce résultat qui me laisse toujours pantois : sans être le moins du monde sportif, nager 3.000 mètres en une heure ! Autant vous dire que ces années sont bien loin maintenant et qu'à l'occasion d'une visite très irrégulière à la piscine, je suis bien satisfait aujourd'hui lorsque, sans le moindre entraînement et avec beaucoup de difficultés, je peux accumuler 60 longueurs d'un bassin de 25 mètres, soit au total 1500 mètres !

    Et c'est bizarre, le fait d'écouter à nouveau «Take it easy» m'a glissé quelque part dans un recoin du cerveau l'idée de pratiquer à nouveau le crawl et la respiration sur trois ou cinq temps. Sans moniteur, je me débrouillerai tout seul et d'ailleurs, je n'ai plus l'âge ni la patience d'accepter de telles humiliations. Je ne stresse plus, comme dirait l'autre je «take it easy».

    J'ai rappelé en introduction que Jackson Browne avait co-composé cette chanson : c'est une façon discrète de suggérer à mon frère de nous en dire un peu plus sur ce bonhomme très attachant, dont l'oeuvre est empreinte non seulement d'un grand talent mais aussi d'une vraie élégance : rien de clinquant chez lui, des mélodies et des textes harmonieusement imbriqués, une voix chaleureuse mais non sans une certaine fragilité. «It's coming from so far away / It's hard to say for sure / Whether what I hear is music / Or the wind through an open door / There's a fire high in the empty sky / Where the sound meets the shore / There's a long distance loneliness rolling out over the desert floor»... Quiet Man, c'est quand tu veux...

    Et pour finir, je reviens sur cette histoire de titre en français : je voulais tout simplement donner à cette note le titre de la chanson dont il est question aujourd'hui mais, butant sur la traduction fidèle de l'expression «Take it easy», je finis par demander de l'aide à ma fille qui, après deux ou trois secondes de réflexion, évoqua subitement l'idée, je la cite, d'une «modulation par la négation du contraire». C'est une agrégée d'anglais qui le dit, je ne conteste pas, je ne suis pas certain d'avoir tout compris mais je reste interloqué par ma prouesse, celle par laquelle j'ai contribué à engendrer un être humain capable, très spontanément, de recourir à une phraséologie qui m'est, il faut le reconnaître humblement, un peu obscure. Une fois détricoté le fil de sa pensée, je compris néanmoins qu'il s'agissait par là de retourner le sens de la phrase en passant du positif au négatif, pour aboutir à un résultat de signification équivalente et cependant exprimé en français courant. M'enfin, il est des moments où on se sent un peu nigaud, ravi toutefois de constater une véritable progression dans l'évolution de mon espèce familiale.

    Et puis tiens, tant qu'on y est, un petit lien si Eagles vous intéresse : http://www.eaglesmusic.com. Et un autre encore, pour monsieur Browne : http://www.jacksonbrowne.com

  • Manset... vachement bien !

    J'ai d'abord maudit le téléphone de Madame Maître Chronique qui s'est mis à émettre un très désagréable et discret «tic tac tic tac tic tac» - le téléphone, pas Madame Maître Chronique – vers trois heures du matin pour une raison qui m'échappe encore. Réveil immédiat. Et me voilà reparti pour une fin de nuit sans sommeil, à tenter de retrouver au plus vite le pays des songes en écoutant la radio. Fort heureusement, je crois que l'objet incriminé était animé envers moi de très bonnes intentions.

    La radio, en pleine nuit, ce sont souvent des rediffusions d'émissions que l'on a pu écouter la veille, voire la semaine précédente. Et sur Europe 1, à trois heures, on ne recule devant aucune audace en vous proposant un débat sur la sexualité féminine à 50 ans. Ah messieurs, si comme moi vous êtes concernés par le phénomène – précision utile : je ne suis pas une femme de 50 ans, juste le mari – il est grand temps de numéroter vos abattis ! Car vous allez en voir de toutes les couleurs, vous pouvez m'en croire. Ou plutôt, croyez-en les analyses de cette journaliste – dont j'ai oublié le nom, mais quelle importance, c'était le genre bobo magazines féminins, vous voyez ce que je veux dire ? – qui a étudié la question et ne voit en ces dames qu'une horde de furies prêtes aux assauts libidineux les plus assoiffés ! Ouh la la la la ! A en croire cette spécialiste, la femme de 50 ans est une bombe à retardement érotique, une centrale nucléaire du sexe : elle n'a plus d'enfants à élever, sa «carrière» est derrière elle, elle est libérée ou presque de toutes les servitudes corporelles qui ne font qu'empoisonner son existence depuis qu'elle est adolescente. Bref, elle peut enfin laisser libre cours à ses instincts les plus animaux... Ça va barder ! Je crois me souvenir également de la présence d'une psychologue qui a un peu vainement cherché à nuancer le propos de la première intervenante... mais embarqué à nouveau dans un demi-sommeil, j'ai perdu le fil, un peu angoissé à l'idée de ce qui m'attendait désormais. M'enfin, pas de panique, on verra bien, restons calme et gérons le quotidien sereinement. N'empêche, la défaillance ne sera pas permise.

    Et puis... et puis... réveillé à nouveau car pas totalement endormi, j'ai cru reconnaître la voix d'un chanteur pourtant rarissime sur les ondes. Il n'arrive pas souvent qu'on diffuse ses chansons et il est encore beaucoup plus rare qu'il donne des interviews. Alors, entre quatre et cinq heures du matin, passer quelques instants en la compagnie de Gérard Manset n'est pas chose banale, non ?

    J'essaie de vous situer le personnage – que Quiet Man saurait vous présenter mieux que moi, étant donné que c'est lui qui me l'a fait écouter voici tellement longtemps maintenant. A ce sujet, vous allez finir par vous dire que durant de longues années, j'ai vécu sous sa totale dépendance. Ce n'est pas totalement faux, pas totalement vrai non plus, mais il faut bien rendre à César ce qui appartient à César, surtout, n'est-ce pas, lorsqu'on évoque Gérard Manset. Car ce dernier est un personnage, sans équivalent dans le paysage musical français. Il ressemble à un grand solitaire – d'ailleurs, il voyage en solitaire –, amoureux des voyages, créateur d'un univers sonore et poétique très particulier qu'il chante d'une voix absolument inimitable. Un peu frêle, un peu nasillarde, pas vraiment assurée. Un timbre unique, reconnaissable instantanément. Il est un peu à la chanson française ce qu'un Neil Young serait au rock : « The loner ». Depuis bientôt quatre décennies maintenant – Gérard Manset fêtera cette années ses 61 ans, le temps passe – notre homme aligne des galettes incomparables imprégnées d'une étrange tristesse et tissées de paroles vagabondes, souvent nostalgiques et mystérieuses. C'est vrai qu'on ne «rigole» guère en la compagnie d'un tel monsieur qui, entouré de quelques musiciens fidèles, compose, arrange et joue de beaucoup d'instruments. Dès qu'il sort un nouveau disque, on dit que ses fidèles – dont le nombre serait compris entre 50 et 70.000 se ruent vers les bacs des disquaires et ajoutent un nouveau chapitre au grand roman que Gérard Manset leur propose. Car il faut le dire aussi : il n'y a rien qui ressemble plus à un disque de Gérard Manset qu'un autre disque de Gérard Manset. On aime ou on n'aime pas, comme on dit, ça passe ou ça casse mais si vous acceptez de glisser ne serait-ce qu'un bout d'orteil dans son engrenage, alors c'en est fait de vous, vous serez contaminé.

    Concernant la discographie de Gérard Manset (que vous trouverez au bas de cette note), sachez qu'elle est aujourd'hui un peu compliquée à délimiter. En effet, les 33 tours publiés entre 1972 et 1984 n'ont jamais fait l'objet d'une réédition en CD à l'identique. Pour des raisons qui relèvent du choix artistique de leur auteur – c'est sa liberté la plus absolue – Gérard Manset a opté pour une solution consistant en une sorte de sélection / mélange de la dizaine de disques originaux concernés en quelques CD. Bref, rien d'exhaustif, certains titres ayant également changé de disque, et les seuls possesseurs des 33 tours originaux peuvent s'y retrouver en conservant avec un soin maniaque leur vinyle chéri. Dont je fais partie...

    La bonne nouvelle du moment, c'est la publication en ce mois d'avril du dix-huitième opus de Gérard Manset : «Obok». C'est aussi la raison pour laquelle on a pu l'entendre longuement interviewé sur les ondes ! Je n'en ai écouté qu'un extrait, mais comme vous l'avez compris, je vais me ruer chez mon disquaire pour en faire l'acquisition et partager une fois encore l'univers si particulier de son créateur. Qui dit d'ailleurs, avec ce disque, avoir souhaité être «plus positif». Je doute fort cependant que le millésime 2006 de Manset soit marqué du sceau de la franche rigolade, mais j'accepte volontiers de le comparer aux précédents, en souhaitant implicitement toutefois qu'il soit dans la parfaite continuité de ses aînés. Car le Manset que j'aime, c'est celui de toujours...

    Si vous êtes totalement étranger à l'univers de Gérard Manset, peut-être serait-il utile de vous proposer quelques secondes extraites d'un de ses plus beaux disques, appelé «Lumières» et publié voici plus de vingt ans maintenant, en 1984. «Un jour être pauvre» est une chanson qui nous invite à nous libérer du mieux que possible de notre monde matériel et de nous contenter de l'essentiel. Une mélodie simple, un texte épuré... c'est Manset !
     
    Laissez-moi, en toute simplicité, vous inviter à ce beau voyage et vous donner envie d'en savoir beaucoup plus sur ce grand monsieur...


    Discographie de Gérard MANSET
    - Gérard Manset (1968)
    - La mort d'Orion (1970)
    - Manset (1972)
    - Y a une route (1975)
    - Rien à raconter (1976)
    - 2870 (1978)
    - Royaume de Siam (1979)
    - L'atelier du crabe (1981)
    - Le train du soir (1981)
    - Comme un guerrier (1982)
    - Lumières (1984)
    - Prisonnier de l'inutile (1985)
    - Matrice (1989)
    - Revivre (1991)
    - La vallée de la Paix (1994)
    - Jadis et Naguère (1998)
    - Le langage oublié (2004)
    - Obok (2006)
  • Faut que je m'y mette...

    Je viens de faire le point avec Stella et nous sommes tombés d'accord pour dire qu'il était largement temps de commencer le rafraîchissement du site Internet de Magma. D'autant que le premier DVD d'une série de quatre enregistrés l'année dernière dans l'ambiance chaleureuse du Triton, aux Lilas, n'est pas loin de voir le jour. Cette tétralogie sera intitulée "Mythes et légendes" et déclinée en quatre époques correspondant aux quatre semaines de concerts donnés par le groupe, chacune proposant un répertoire différent. L'ensemble se veut donc un magnifique passage en revue des grandes compositions de Christian Vander depuis les origines jusqu'à nos jours. En attendant que commence l'enregistrement du prochain disque, le très attendu "Emëhntëht-Rê".

    J'ai la chance de travailler en très bonne entente avec celle qui est la voix féminine du groupe depuis maintenant plus de trente ans et d'avoir toute sa confiance. Nous sommes progressivement devenus amis grâce au travail que j'ai entrepris avec le Press Book Magma en 1999 - un peu en sommeil actuellement car on ne peut être au four et au moulin - et aussi parce que je crois n'avoir jamais cherché à revendiquer quoi que ce soit vis-à-vis du groupe. Je ne fais partie d'aucun rassemblement de "courtisans", je n'arbore jamais la tenue des "kobaïens" (habillé de noir et portant la griffe Magma autour du cou), je ne défends pas d'autre cause que celle de la musique de Magma et je pense compter parmi les quelques personnes qui savent ne pas adopter la posture consistant à révérer un peu béatement un musicien sans prendre un minimum de recul. Je ne prends pas chaque mot de Christian Vander pour parole d'évangile, car s'il a une vision du monde assez tragique que l'on peut comprendre assez aisément en ce début de XXIe siècle, il vit aussi dans une sorte de déchirement permanent entre ce désespoir "face à l'incompréhension entre les hommes" et un amour sans bornes pour la musique de John Coltrane dont il se nourrit depuis sa plus tendre enfance. Christian Vander vit sa propre histoire, j'ai la mienne, ce n'est pas plus compliqué que cela. Et par conséquent, je ne me sens pas forcément en phase avec toute une mythologie qu'il a créée - dont le symbole est la planète Kobaïa - qui l'a parfois poussé à des attitudes et des propos assez intransigeants vis-à-vis de ceux qui l'entourent ou qui le questionnent. Je respecte cette philosophie, mais elle n'est pas mienne. Il m'est arrivé d'ailleurs d'avoir avec lui quelques conversations - houleuses parfois - à ce sujet et nous nous en sommes toujours tenus là, dans le respect mutuel de nos personnalités. Ce qui m'est essentiel est la petite pierre que je peux apporter à l'édifice bâti jour après jour par un musicien à nul autre pareil (je suis tombé dans la musique de Magma voici bien longtemps déjà, il y a plus de trente ans), compositeur habité (qui d'ailleurs ne revendique pas pour lui-même la musique qu'il compose mais considère qu'il en est le récepteur et qu'il a pour mission de l'offrir) et batteur absolument exceptionnel. J'irai même jusqu'à dire qu'il est pour moi le meilleur batteur actuellement en exercice et je suis toujours tenté de conseiller à ceux qui ne l'ont jamais vu sur scène d'aller le voir au moins une fois, même si la musique de Magma ne les passionne pas a priori. Surtout que l'homme a 58 ans aujourd'hui et que le temps passe très vite. Alors n'hésitez pas ! J'ai la chance de l'avoir vu plusieurs dizaines de fois à l'oeuvre en concert et à chaque fois, le résultat fut le même : cette sensation d'avoir reçu une dose vitale d'énergie qui vous plonge ensuite pendant longtemps dans une sorte d'apathie, comme si vous aviez été vidé, lessivé de l'intérieur. Un drôle de nettoyage neuronal en fait...

    Alors autant dire que la perspective de ma contribution me réjouit au plus haut point. Je n'en tire aucune fierté, uniquement un plaisir. Mon après-midi à la maison sera donc studieux, je vais jongler entre code HTML, traitement des images pour le Web, feuilles de style en cascade et les premiers résultats seront bientôt en ligne.

    Et merci à toi Stella pour ta "carte blanche".

    Pour en savoir plus, voyez ici : www.seventhrecords.com

  • Renaud Garcia-Fons : épilogue provisoire

    Je n'avais pas initialement prévu de rédiger un complément à ma note consacrée au contrebassiste Renaud Garcia-Fons mais la lecture toute récente - postérieure à mon texte - du dernier numéro de Jazzman (mars 2006) appelle de ma part un rapide commentaire.

    Sous la plume de Pascal Crozat, qui dit tout de même pas mal de bien de la dernière production live de Renaud Garcia-Fons («Arcoluz», une édition composée d'un CD audio et d'un DVD audio pour la somme raisonnable de 19 €), je lis le propos suivant (pardonnez-moi, je cite de mémoire) : «Pour intenses qu'elles soient, les performances du contrebassiste ne sont pas dénuées de ce caractère démonstratif qui rappellerait les dérives sportives d'un jazz-rock d'antan».
    Ah bon ? Outre le fait que ce genre de phrase me ramène plus de trente ans en arrière et me rappelle les attaques frontales et totalement stériles menées contre la virtuosité de certains musiciens – tel John McLaughlin et son Mahavishnu Orchestra – dont on s'aperçoit aujourd'hui que leur contribution à l'évolution de la musique du XXe siècle fut déterminante, dans la foulée de la période électrique de Miles Davis, je reste un peu surpris de constater à quel point cette remarque me semble en décalage avec mon propre ressenti à l'écoute d'«Arcoluz» ! On peut être plus ou moins sensible à la démarche artistique de Renaud Garcia-Fons et ses complices et à leur volonté de fusionner musique classique, jazz et flamenco, mais comment ne pas percevoir la sensibilité, la retenue et la concision de leur propos ! Oui, Renaud Garcia-Fons et ses deux complices Kiko Ruiz et Negrito Trasante sont des virtuoses, mais non, leur musique n'est ni démonstrative ni sportive ! C'est tout le contraire ! Et du point de vue humain, nous sommes là en présence de personnes d'une grande sensibilité et d'une vraie simplicité, dont les interviews disponibles sur le DVD nous donnent un aperçu éloquent.
    On dirait que notre journaliste a été obligé de tenir un étrange pari et de glisser dans l'une de ses chroniques une phrase obligatoire très surchargée en clichés éculés !!! Charge à ses collègues de la débusquer... Dérives sportives, je t'en foutrai des dérives sportives... Tiens, à un moment, je crois me souvenir qu'il dit aussi qu'il y a quelque chose de «prévisible» dans cette musique... Pfff...
    Pour vous convaincre, je m'autorise un second extrait de la musique de Renaud Garcia-Fons. Vous pouvez ici l'écouter dans extrait de «Berimbass», extrait d'«Arcoluz», avec un chorus joué à l'archet qui fait merveille. Et si après cela vous n'avez pas envie de vous précipiter chez votre disquaire favori ou sur le site www.enjarecords.com pour vous procurer cette belle double galette, c'est à n'y rien comprendre. J'imagine que Renaud Garcia-Fons ne m'en voudra pas de cette diffusion, il comprendra aisément que je me propose ici de jouer fugitivement le rôle d'un modeste attaché de presse ! Ce que je fais avec le plus grand plaisir, nul n'en aura douté un instant...