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MusiChronique - Page 5

  • Traque au trac

    C’est bête. Je commence à être gagné par la trouille. Oh, je vous rassure, pas la trouille du résultat des prochaines élections. Je vais faire tout ce que je peux pour barrer la route au minicolas, et j’espère que nous serons au moins 50,1 % d’électeurs dans ce cas. Non, j’ai un peu la pétoche en raison d’un prochain rendez-vous parisien. Tout cela parce qu’il m’est venu l’idée, voici quelque temps déjà, de profiter d’une semaine de concerts d’Henri Texier au Sunset (Paris) pour lui demander s’il serait d’accord pour m’accorder une interview. Ayant entamé depuis peu une collaboration avec le magazine Citizen Jazz, j’imaginais qu’il s’agissait là d’une initiative qui contenterait tout le monde.

    medium_ht.jpgEt c’est bien le cas ! Car non seulement mon idée fut aussitôt approuvée par mes « chefs » (à ce sujet, je tiens à préciser que mon travail pour le magazine est bénévole… OK, vous ne me l’avez pas demandé, mais j’aime mieux que les choses soient claires entre nous), mais notre cher Henri en accepta lui-même le principe sans réserve. Car ce grand contrebassiste ne se contente pas d’être un musicien de premier plan, il est aussi un être humain adorable. Il me disait hier au téléphone que nous pourrions envisager notre entretien durant une heure, me fixant une heure et un lieu pour que tout se passe bien ! Vous imaginez déjà le boulot de retranscription ? Une heure à clavioter. Même que je songe à déléguer cette tâche à une certaine moitié de ma progéniture. Donc, tout va bien, je suis un petit veinard et je me réjouis déjà de cette rencontre, de ces retrouvailles devrais-je dire car non seulement j’ai déjà eu l’occasion de voir Henri Texier sur scène à de nombreuses reprises, mais il se trouve que je le connais un peu à titre personnel et qu’au minimum, nous nous adressons réciproquement un petit courrier au moment des vœux de nouvel an. Cerise sur le gâteau, mon pote Kangou viendra nous rejoindre, armé de son appareil photo de dernière génération et pourra jouer le rôle d’illustrateur. Pour finir, on nous annonce un temps ensoleillé et c’est probablement en terrasse, autour d’un verre, que nous allons pouvoir bavarder tranquillement aux alentours de 19 heures. Voilà.

    Alors où est-il le problème ? Ben mon truc, c’est que j’ai une petite tendance au perfectionnisme, un grave défaut j’en conviens. J’angoisse, j’ai peur de ne pas y arriver, je pense systématiquement au grain de sable qui ne va pas manquer de se glisser dans la belle mécanique que je m’efforce d’huiler depuis plusieurs semaines. Déjà que la charmante personne grâce à laquelle nous avons la chance de nous loger facilement dans Paris depuis plusieurs années a commis la stupide erreur d’imaginer que les chauffards n’avaient pas droit de cité près de chez elle et qu’un abruti l’a expédié dans l’autre monde samedi dernier… j’en suis tout retourné. Voilà une personne qui ne faisait que du bien autour d’elle, intelligente de surcroît… Et hop, parce qu’un crétin à roues a confondu sa bagnole avec un char d’assaut… elle nous abandonne. La vie est injuste.

    Revenons néanmoins à nos moutons journalistiques. Forcément, vous comprendrez que dans de telles conditions, je me dois de mettre en place une stratégie de limitation du trac, je prends des précautions, j’installe toute une batterie (c’est le cas de le dire, cf. supra) de mesures pour me rassurer. En voulez-vous quelques exemples ?

    Voici déjà 24 heures que mon petit magnétophone numérique est branché sur secteur et bien que se chargeant en un court après-midi et disposant ensuite d’une autonomie de cinq heures, je pense d’ores et déjà à acheter quelques piles LR06 à glisser dans le petit boîtier externe destiné aux cas d’urgence (une batterie de secours en quelque sorte).

    Allez savoir pourquoi, alors que jamais je n’ai commis la moindre fausse manœuvre, je vais réviser dès ce soir toutes les manipulations nécessaires au bon fonctionnement de l’appareil et de toutes les subtilités des techniques d’enregistrement. Réglage du niveau d’entrée, indexation automatique toutes les cinq minutes, pause, reprise, vitesse d’enregistrement.

    J’ai beau savoir que sur un même mini-disc, je peux stocker 160 minutes d’enregistrement en stéréo (soit près de trois heures tout de même) et 320 en mono, je vais en embarquer trois ou quatre pour le cas où je rencontrerais un problème technique, comme par exemple le disque qui ne fonctionne pas. Ce qui ne m’est encore jamais arrivé, soit dit en passant. Tiens, je vais même en prendre cinq. On ne sait jamais.

    Je me sens obligé de dire à l’ami Kangou : « Alors tu vois, ce serait bien si tu pouvais capter les expressions d’Henri Texier pendant qu’il parle, si tu parvenais à fixer son regard qui pétille… » Comme s’il ne connaissait pas son boulot alors que je sais, pour avoir parcouru son site en long et en large, qu’il réalise de magnifiques portraits.

    Et puis, il y a les questions ! Je me connais, quand j’aurai fini de les noter noir sur blanc, il y en aura pour une semaine. Je crois que le sieur Texier risque de partir avant la fin, si je continue ainsi. Alors je les écris en vrac, je les classe par thèmes, je cherche un peu de documentation, je récupère une biographie synthétique, juste comme ça, une façon de me fabriquer des anti-sèches, je recopie sa discographie (que je pourrais pourtant presque réciter par cœur).

    Puis je pense au moment où il faudra que je les imprime, toutes ces questions. Parce que je ne vais tout de même pas embarquer mon ordinateur portable. Je ne suis pas fou. Et dans quel format le papier ? Parce que ce n’est peut-être pas la peine de me pointer là-bas avec un classeur sous le bras, hein ? Alors A4 ? A5 pour que le document passe dans une poche et que je n’aie pas l’air d’un étudiant venu là pour passer un examen ? Ou plutôt un mec plus très jeune se présentant à un entretien d’embauche. Notez qu’il y a au moins un détail sympa : connaissant Henri Texier, je ne suis pas obligé de me pointer avec le déguisement requis dans ce genre de situation (vous savez, le truc qui tue : la chemisette avec une cravate, ouh la la, l’horreur…). L’homme est toujours élégant, arborant de belles chemises colorées impeccablement repassées, mais sans frime, avec beaucoup de simplicité.

    Non, vraiment, y a des jours où je me dis que je suis quand même un peu con. Des centaines de personnes aimeraient être à ma place et je suis là à me tarabuster pour des peccadilles. Et je crois que j’en rigolerai enfin, samedi matin, sous un soleil plus que printanier, lorsque je commencerai ma petite balade dans les rues de Paris au bras de Madame Maître Chronique.
     
    Zut, où est-ce que j’ai rangé mon micro ?

  • Belin est du multiple

    medium_la_perdue.jpgC'est un peu par hasard que j'ai rencontré, tout récemment, Bertrand Belin. Il ne m'a pas vu, forcément, mais je l'ai tout de suite entendu... Et quand j'évoque l'idée du hasard, suis-je bien certain que c'est ce dernier qui m'a conduit à découvrir sa musique ? Car il y a dans ses mélodies, ses arrangements, ses choix instrumentaux, son interprétation et ses textes tout ce qui peut me réconcilier durablement avec ce que, communément, on appelle la "chanson française", dont je me suis depuis longtemps, à quelques notables exceptions près, éloigné par ennui et par manque de surprise, lassé du conformisme et du manque d'audace de cette prétendue nouvelle scène dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années. Au point qu'il me plaît de penser que la découverte de l'univers si particulier de ce musicien était programmée, quelque part, comme si je n'avais aucune chance d'y échapper. J'étais donc au volant de ma voiture, voici quelque temps, écoutant distraitement France Inter, quand mon attention fut attirée par une chanson à la tonalité un peu folk, une drôle de ballade habitée de guitare, d'un violon et d'une voix un peu étrange, grave, presque mal assurée. Le sens des paroles m'échappait parfois : "Je songe, comme je me livre aux grands arbres tranquilles / A l'oubli, vilaine vague vile, qui voudrait tout saisir / Comme est vain de vouloir songer moins au plus beau de ces fables / Choses inoubliables...". Chance pour moi, la présentatrice de l'émission eut la bonne idée de fournir l'information essentielle que j'attendais, le nom du chanteur. Bertrand Belin, donc, qui venait de publier son deuxième album, "La Perdue". Dès que possible, j'entrepris quelques recherches sur Internet pour tenter d'en savoir un peu plus sur cet artiste et je fus heureux de m'apercevoir que ce qui m'avait intrigué en quelques fractions de seconde n'était pas le fruit de mon imagination : il était bien question, ici ou là, d'un certain Bertrand Belin, qu'on présentait comme "un auteur compositeur arrangeur atypique, chanteur envoûtant et guitariste nomade, un de ces grands extravagants qui savent décoiffer la chanson". On évoquait ailleurs son "mystère", son "élégance décalée" et l'on saluait son "ascension poétique" ou bien encore son "style musical à part", son "interprétation épurée".
     
    Il n'était pas besoin de me le dire deux fois et c'est sans attendre que je fis l'acquisition - pour un prix très modique, je tiens à le préciser pour le cas où, parmi vous, sommeilleraient quelques vilains spécialistes du téléchargement frauduleux, ce qui, j'en suis persuadé, ne saurait être le cas de mes innombrables et fidèles lecteurs qui ont compris depuis longtemps à quel point mon attachement à la musique et ma défense des musiciens allait de pair avec la volonté forcenée de ne pas me laisser aspirer par ce courant irresponsable dans lequel s'engouffrent désormais tellement d'entre nous et qui les pousse à télécharger, télécharger, télécharger... au point que je finis par me demander si la motivation première de ces gloutons "donwloaders" est la musique ou la satisfaction un peu malsaine et inconséquente du pirate bravant les interdits et jouissant en solitaire de l'illusion de la gratuité... Et qu'on ne me réponde pas qu'il s'agit de faire la nique aux "majors" et à leurs actionnaires ! Il est tellement d'autres moyens de résister et de ne pas contribuer au formatage ambiant : notamment en n'achetant pas n'importe quoi et, surtout, en achetant des disques dignes d'intérêt... Car il en existe toujours, et beaucoup. La preuve, j'en rencontre chaque jour, encore faut-il faire cet effort minimum qui consiste à être un peu curieux de ce qui sort des sentiers battus d'une bande FM sinistre et conservatrice...
     
    Euh, j'en étais où, moi ? Ah oui, Bertrand Belin et son deuxième disque : "La perdue".

    Je ne sais même pas si je vais savoir en parler correctement et vous donner l'envie de vous précipiter dessus. Comment commencer ? Peut-être en vous disant que, spontanément, à l'écoute des premières notes, celle de la chanson "Le trou dans ta poitrine", j'ai pensé un peu à un autre grand monsieur mystérieux, Gérard Manset. Probablement en raison d'une démarche poétique où le travail des mots nous emmène vers un univers parfois austère, sensuel souvent, chargé de mystère et où le sens des phrases - desquelles disparaissent parfois le pronom personnel - nous échappe dans un premier temps. Il faut y revenir pour mieux apprécier les personnages dont Bertrand Belin nous suggère les histoires, celle d'un ami perdu à la guerre dans "La tranchée" ou celle d'une veuve dans "Des os de seiche". Et puis... il y a ces textures sonores élégantes et aériennes : guitare, piano, basse, batterie légère sur lesquels viennent se poser cordes, clarinette, violon, trombone, trompette, flûte... il y a, constamment, ces arrangements subtils et jamais prévisibles dont on goûte les subtilités au fil des écoutes, on devine assez facilement certaines influences, comme celle, par exemple, de Gabriel Fauré dans la chanson finale, "Les orchidées", que l'on croirait volontiers extirpée d'un répertoire du début du XXe siècle : "Et les orchidées, nouvelles venues / Seront des blasons à nos coeurs déçus". Car "La perdue" est bien, en effet, le travail d'un musicien accompli et protéiforme, aux facettes et influences revendiquées multiples, mais caractérisé par une remarquable homogénéité. Les douze pièces qui composent cet album sont autant de petits mondes, elles nous réservent chacune leur suprise : le glissement du thème initial vers un autre, qui s'envole ; les notes d'un piano, décalé, surgi comme de nulle part sur une rythmique lancinante ("La perdue") ; un violoncelle qui devient frénétique, comme à bout de cordes ; la voix magnifique de Barbara Carlotti ("L'aube posée") ; un menuet interprété en solo à la guitare (ne jamais oublier que Bertrand Belin est un excellent guitariste). On ne ressent aucun décalage entre les mots et les mélodies, c'est une fusion parfaitement réussie. Bertrand Belin s'accommode aisément du rythme de notre langue pour la faire chanter naturellement, il dilate les mots, contracte les phrases, au gré de ses inspirations. J'ai lu le mot "crooner" au sujet de sa manière de chanter. Oui, peut-être, mais selon moi sans cette forme de superficialité qui entoure généralement ce mot, auquel je préférerais volontiers celui de dandy dont la doctrine se définit par "l'élégance, la finesse et l'originalité", ce qui, il faut bien le dire, convient parfaitement à Bertrand Belin. Et qui me rappelle un peu le Jean-Claude Vannier des années 70, celui qui était l'arrangeur de "Melody Nelson" ou le compositeur de "Diva Divine".
     
    Inutile, je crois, d'accumuler les superlatifs. Peut-être conviendrait-il tout simplement de vous faire écouter les premières minutes de ce très beau disque avant que, comme moi, vous ne vous ruiez chez votre disquaire le plus proche afin d'ajouter cette pépite à votre discothèque !


    Et pour aller plus loin...
     
    Post scriptum : à peine avais-je rédigé cette note que je découvris, tout à l'heure, une chronique enthousiaste de "La perdue" dans le dernier numéro de Télérama. Encore le hasard ?

  • Elull Noomi est là !

    Amis lecteurs de ce modeste espace d'expression, prenez quelques minutes pour lire ces lignes. J'aimerais en effet vous parler d'une formation vocale, Elull Noomi, dont le premier disque vient de paraître sous la bannière d'Ex-Tension Records. Ce beau disque intitulé "Uléella" est une surprise enthousiasmante, loin de toutes les modes et à même de conquérir de nombreux publics.

     medium_elull_noomi.jpg

    Pourquoi inventer ce qui existe déjà ? Soyons volontiers paresseux et lisons plutôt attentivement ce que l'on nous dit d'Elull Noomi : "Une lumineuse création a capella, véritable transe féérique, obsessionnelle et magique, chantée dans une langue imaginaire par six chanteurs au sommet de leur technique vocale !"

    Avant toute chose et histoire de ne pas taire une réelle filiation, évoquons une inévitable parentèle entre le remarquable travail des musiciens d'Elull Noomi et la musique de Magma. En effet, nous ne saurions échapper à une certaine tendance au rapprochement entre ces deux univers musicaux. Du côté d'Elull Noomi comme chez les kobaïens de Christian Vander, on s'exprime dans un langage inventé (ici l'Elull Noomi justement). C'est la co-fondatrice du sextuor qui s'y est collé, puisque tous les textes ont été écrits par Odile Fargère, qui réalise ainsi un vieux rêve : "Un vrai langage, avec du sens, avec lequel on peut vraiment communiquer..." Mais autant la langue organique de Magma est gutturale, virile même et propice aux incantations, quand ces dernières ne sont pas des commandements, autant les couleurs sonores d'Elull Noomi ne sont que fluidité et féminité, conférant à l'ensemble une impression de douceur quasi liquide qui nous éloigne très fortement des chants martiaux de la Trilogie Theusz Hamtaahk de Magma. Et nous rapproche du même coup de musiques plus minimalistes et plus sérielles, comme celle de Steve Reich par exemple.

    Et pour corser un peu l'affaire, on notera aussi avec intérêt que l'une des trois voix masculines d'Elull Noomi est celle d'Antoine Paganotti, chanteur de Magma depuis maintenant presque dix ans et fils d'un autre musicien historique de Magma, le bassiste Bernard Paganotti. Et puis, le label Ex-Tension n'est-il pas le résultat de la volonté conjointe de Francis Linon et son épouse, une certaine Stella Vander, elle-même éternelle voix de Magma... et beaucoup plus en réalité ?

    Il serait néanmoins injuste de ne présenter Elull Noomi qu'à la lumière de cet auguste parainnage. Car "Uléella", le projet présenté par le groupe, dont toutes les musiques ont été composées par Hervé Aknin, se révèle d'une profonde originalité et se démarque avec élégance de toutes les modes et de toutes les vulgarités déversées à longueur de journées sur nos ondes qualifiées un peu hâtivement de libres voici plus de 20 ans. On devine très vite, au bout que quelques instants d'une écoute ravie, qu'Elull Noomi signe là une oeuvre d'emblée intemporelle et aboutie, sans équivalent dans la production de ces dernières années. Et pour le coup, tous les formatages médiatiques de notre époque en deviennent encore plus grotesques. Ah, qu'elles sont loin d'Elull Noomi toutes ces prétendues nouvelles étoiles fabriquées dans je ne sais quelles drôles d'académies, après lesquelles courent frénétiquement les dirigeants des empires télévisuels, l'oeil rivé aux indices boursiers du CAC 40 !!! Juste avant de les pressurer en un temps record et de les faire passer à la trappe où sont engloutis tous les rebuts de la consommation des cerveaux, comment dites-vous déjà ? Ah oui : disponibles !

    Autant vous le dire tout de suite : nous sommes ici à des années-lumière de la vulgarité commerciale qui emplit jusqu'à les faire déborder  les mémoires de tellement de téléphones portables ou autres baladeurs !

    Elull Noomi ne vous caresse pas dans le sens du poil, Elull Noomi ne cherche pas à savoir ce que vous avez envie d'entendre, Elull Noomi ne vous méprise pas, c'est tout le contraire. Le groupe vous invite, en toute simplicité, mais avec la plus grande exigence dans l'exécution de son travail, à partager son acte de création et réussit magnifiquement à INVENTER un monde onirique très bien résumé par cette phrase : "L'enfant assis au bord du monde, qui regarde." Ce disque enchanteur s'adresse en effet à tous les coeurs d'enfant qui continuent de battre en nous et nous aident à garder une certaine part d'innocence.

    Alors... pour une cure de jouvence, un bon remède : les 56 minutes d'Uléella !

    Pour en savoir plus, écouter d'autres extraits et commander ce CD, voici la bonne adresse :
    http://www.ex-tensionrecords.com/ex05. Avec de ma part une petite propositon : jetez un coup d'oeil à la page anglaise et découvrez la belle traduction commise par une personne que certains d'entre vous connaissent très bien !

    Cadeau de la maison... un petit extrait du disque avec les premières minutes du titre introductif : "Aborimis"

     

  • American Beauty

    Il est des moments, comme ça, dans la vie... Cette impression que les nuages s'amoncellent, petit à petit, dans le ciel de votre quotidien et que, malgré tous les efforts que vous prodiguez ou que d'autres prodiguent pour vous, ceux-ci vont inéluctablement tomber en une pluie bien serrée sur votre tête qui n'en demandait pas tant... C'est un peu ce qui se passe pour moi en ce moment. Alors, je gère au mieux le quotidien, j'essaie d'engranger de l'énergie avec seul objectif : repartir de plus belle. Et dans cette idée qu'il faut en permanence chercher ce qui, niché au plus profond d'une difficulté, peut nous permettre de rebondir, je m'aperçois que ces périodes grises font resurgir chez moi le besoin de me replonger dans des espaces sonores appartenant à la fois à l'histoire de la musique et à ma vie. Il y a ainsi des disques qui comptent pour toujours et qui, par leur faculté de se présenter - 30 ou 40 ans plus tard - comme de véritables cures de jouvence, sont une source d'énergie dont il serait stupide de se priver. Laissez-moi, par exemple, vous parler de "American Beauty", enregistré en septembre 1970 par le Grateful Dead.

    medium_american_beauty.jpgAvant d'en évoquer les splendeurs, il est un souvenir très précis qui me revient à chaque fois que j'écoute ce disque, que j'avais acheté à Paris au mois d'août 1972. Cet été là, j'avais passé quelque temps à Saint Germain en Laye chez ma sœur aînée qui venait d'être maman d'un petit garçon – mon neveu par conséquent. Une expérience positive pour elle, semble-t-il, puisque sans tarder, elle avait décidé de mettre sans plus attendre en chantier la suite de sa progéniture, déjà bien avancée en cet été. Mon autre sœur et moi-même nous étions par conséquent vus confier la lourde responsabilité de garder le marmot pendant que sa mère allait travailler. Cette mission estivale nous laissait cependant quelques libertés et notamment celle de rallier la capitale à des fins de promenade, mais aussi pour y dépenser quelques précieux francs, glanés ici et là, essentiellement dans le cadre de la rémunération que nous octroyaient nos parents au titre de l'argent dit de poche – quoique, personnellement, je répugne à placer directement la petite monnaie dans ma poche et rien ne m'énerve plus que ces types qui extraient nonchalamment de leur pantalon une vingtaine de pièces en les faisant sonner avec assurance, tout cela pour payer un café ou un journal. Or, ceux qui ont pris le temps de musarder un peu tout au long des pages de mon blog savent que 1972 est l'année durant laquelle j'ai acquis la quasi-totalité de la discographie du Grateful Dead (soit à l'époque une petite dizaine d'albums), groupe californien dont je m'étais entiché depuis le 27 janvier. Oui, je sais, c'est précis ! Mais exact. Au mois d'août, je n'en étais qu'au stade de l'acquisition partielle de ce qui, pour mes maigres revenus mensuels, était une somme et je lorgnais depuis quelque semaines déjà sur un 33 tours atypique dans l'histoire du groupe, parce qu'il constituait une sorte de pause entre les délires des années qui venaient de s'écouler (marquées par d'interminables concerts et le recours à un grand nombre de substances hallucinogènes pour mener à bien l'expérience d'un rock dit psychédélique, tout là-bas, du côté de San Francisco) et l'évolution de la formation jusqu'à sa disparition en 1995 vers un blues rock électrique plus structuré laissant toutefois une place non négligeable aux longues envolées sur scène.

    "American Beauty", disque de perfection, principalement acoustique, sans solo de guitare de Jerry Garcia, leader du groupe, sans le moindre moment d'improvisation mais avec un magnifique travail des harmonies vocales. Dix chansons parfaitement abouties dont certaines l'étaient tellement d'ailleurs qu'elles ne furent quasiment jamais interprétées sur scène par la suite ("Attics of my life" ou "Till the morning comes" par exemple). Une période douloureuse aussi pour le groupe car plusieurs de ses membres connaissaient de difficiles moments : Bob Weir (chant, guitare) venait de perdre ses parents, le père de Phil Lesh (chant, basse) et la mère de Jerry Garcia étaient mourants ; quant à Ron McKernan (piano, harmonica, chant), sa santé déclinante l'éloignait petit à petit du rôle de premier plan qu'il avait pu tenir dans les premières années de la vie du groupe, lorsque celui-ci s'appelait encore les Warlocks notamment. Voici rapidement résumées les raisons pour lesquelles, sans avoir entendu au préalable la moindre seconde de "American Beauty", j'étais magnétiquement attiré par ce disque dont je savais qu'il serait un compagnon de ma vie. Vous êtes par conséquent capable de comprendre quelle frénésie put ma gagner lorsqu'après en avoir fait l'acquisition, dans un magasin dont j'ai oublié le nom, vint pour moi le moment d'écouter ces 40 minutes de bonheur…
     
    Imaginez la scène… Je résidais chez ma sœur - appelons donc ce pays la Sorellie - une contrée par forcément favorable à mes choix musicaux anglo-saxons jugés quelquefois un peu trop éloignés de ses préférences quand ils n'étaient pas qualifiés de bruyants, qui l'inclinaient plutôt à se tourner vers la chanson française (ce que nul ne saurait lui reprocher d'ailleurs…). Chez moi, dans ma chambre, je régnais en maître, je recouvrais les papiers peints défraîchis des posters que l'on détachait des pages centrales de Best ou Rock'n'Folk, et bien sûr, j'écoutais la musique que j'aimais, sans rendre de comptes à qui que ce soit. Mais là, en terre étrangère, le contexte était différent et je n'avais pas particulièrement envie de constituer une gêne pour mes voisins de séjour. J'eus donc recours à une technique savante qui me permit de profiter à plein de cette musique tant attendue sans créer le moindre trouble auditif pour les non initiés et les rétifs de tout poil. Allongé à plat ventre sur un matelas gonflable, je me calai la tête entre les deux haut-parleurs de l'électrophone (jeunes lecteurs, je vous expliquerai plus tard ce qu'était un électrophone, désolé, je n'ai pas le temps aujourd'hui) posés à même le sol et posai le bras articulé sur la rondelle de vinyle. Et là, ce fut un enchantement. A gauche, au milieu, à droite, tout autour de moi, le carrousel des instruments et des vois défilait comme par magie… "American Beauty" !

    D'emblée, "Box of rain", lumineuse ballade chantée par Phil Lesh (ce qui, les spécialistes vous le confirmeront, fut assez rare dans l'histoire du groupe dont le bassiste assurait essentiellement les "backing vocals") annonce la couleur et vous fait savoir que vous êtes en possession d'un disque majeur : une rythmique légère (il est à noter que le batteur Bill Kreutzmann n'a jamais abusé de l'usage de la grosse caisse, préférant de très loin le chant des cymbales et de la peau de sa caisse claire et qu'avec son complice Mickey Hart aux percussions, le Grateful Dead avait une réelle identité à cet égard – et à bien d'autres d'ailleurs), un court solo de guitare électrique par l'ami David Nelson venu faire un tour pour l'occasion, des harmonies vocales d'une richesse et d'une beauté à couper le souffle, un texte splendide signé Robert Hunter, le parolier / poète du groupe : Look out of any window / Any morning, any evening, any day / Maybe the sun is shining / Birds are winging, no rain is falling from a heavy sky / What do you want me to do / To do for you to see you through? / For this is all a dream we dreamed one afternoon long ago. Cette musique coule, limpide, évidente. C'est peut-être l'une des chansons que, de toute ma vie, j'aurai le plus écoutée. La perfection. Et pour l'anecdote, je ne vous cacherai pas que lorsque Madame Maître Chronique m'appelle de son téléphone portable, c'est cette musique qui s'annonce. Elle seule a droit à cette personnalisation, c'est bien normal, j'aime cette association dont je souhaite qu'elle soit la traduction la plus fidèle possible du caractère intemporel de mes passions. Et d'une certaine évolution technologique également…

    La fête continue avec "Friend of the Devil", chanté cette fois par Jerry Garcia, dont la voix frêle est un étonnant contraste avec un physique qui évoquait plutôt celui d'un bon gros nounours barbu. Petite cerise sur le gâteau, la mandoline d'un autre ami du groupe, David Grisman. Et toujours la même recherche dans les harmonies, le même souci de concision. Ici, les plages sont plutôt courtes – entre deux et six minutes – l'efficacité est maximale.

    Avec "Sugar Magnolia", c'est au tour du guitariste rythmique Bob Weir de se mettre en avant : un rock souple, élégant, qui préfigure déjà ce que sera "Ace", son futur album solo quelques mois plus tard. Et toujours ces voix, éblouissantes.

    "Operator" est la contribution de Ron "Pig Pen" McKernan, au chant et à l'harmonica. D'une extrême brièveté, à peine plus de deux minutes, cette chanson, un peu décalée par rapport à l'ensemble du disque, ressemble aussi à un chant du cygne. On devine que l'homme n'est pas vraiment en phase avec l'orientation musicale de "American Beauty", dont la coloration rock-folk est finalement assez éloignée de la tonalité nettement plus bluesy qui était sa marque de fabrique. Une composition que le groupe ne jouera d'ailleurs jamais sur scène jusqu'à la mort de son compositeur en 1973. On ressent vraiment quelque chose de poignant en écoutant cette voix devenue presque fragile, cette diction parfois incertaine.

    Et c'est là qu'une sorte de magie dans la magie vient à opérer : une quinte royale composée et déposée sur la table de ce grand jeu par Jerry Garcia et Robert Hunter ! Cinq compositions toutes plus belles que les autres qu'on écoute en retenant son souffle, 23 minutes enchanteresses dont on ne sait ce qu'il faut le plus admirer : perfection des arrangements, précision des voix, évidence (j'insiste sur ce mot qui vient vraiment à l'esprit quand on écoute "American Beauty") des mélodies, tout y est : "Candyman", "Ripple" (ah, cette mandoline !), "Brokedown Palace", "Till the morning comes", "Attics of my life" (nom d'un chien, ces voix !). On ressort de cette beauté qui vous gifle langoureusement comme une brise de printemps avec le sentiment qu'une somptueuse offrande vient de vous être faite. Et on en redemande !!!

    Jerry Garcia est ses acolytes n'étant pas de mauvais bougres, le groupe conclut cet incomparable album avec "Truckin'", chanté par Bob Weir, une chanson qui raconte la vie du groupe en tournée et deviendra l'une de ses compositions phares les plus jouées sur scène (les versions sont innombrables, celle de "Europe '72" étant tout simplement époustouflante) : Sometimes the lights all shinin' on me / Other times I can barely see / Lately it occurs to me / What a long strange trip it's been.

    Et là… on reste sans voix (c'est un comble, non ?), heureux de ce qui vient de nous arriver. "American Beauty" est un disque majeur et je ne me priverai certainement pas du plaisir de vous citer un récent numéro de l'excellent magazine Crossroads, qui l'inclut tout naturellement dans ses 50 albums mythiques : "En dix morceaux exceptionnels, le Grateful Dead signe là un chef d'œuvre, non pas uniquement de musique américaine (ou californienne), mais de musique rock, tout simplement !".

    A quoi j'ajouterai que cette musique me semble aujourd'hui totalement intemporelle et qu'elle peut unir sous sa bannière de nombreux publics, au-delà de toutes les étiquettes. "American Beauty", que la typographie de la pochette permet astucieusement de lire "American Reality", n'a pas pris une seule ride en 36 ans et semble paré de toutes les vertus de l'éternelle jeunesse. C'est incontestablement l'un de mes disques de cœur, dont je sais dès à présent qu'il tournera avec la régularité qu'il mérite jusqu'à mon dernier souffle.

    Pour en savoir plus :
    - le site du Grateful Dead : http://dead.net
    - toutes les paroles de toutes les chansons : http://www3.clearlight.com/~acsa/intro.htm

    NB : la réédition de "American Beauty" comporte plus de 30 minutes de "bonus tracks", l'essentiel d'entre eux étant composés d'enregistrements live, à l'exception d'une version alternative de "Truckin'". Si ce matériau supplémentaire est passionnant (justement parce qu'il permet d'écouter l'une de rares versions live de "Attics of my life" ou "Till the morning comes"), on se gardera de l'écouter dans la continuité des 10 compositions qui forment l'album original, afin de préserver l'équilibre miraculeux qui caractérisait ce dernier. Je vous suggère d'écouter tout cela en deux temps… mais vous êtes libres après tout !

  • Chasse nocturne

    Je me dois de vous confesser mon inquiétude... Imaginez qu'au sortir du très beau concert des frères Moutin que j'évoquais l'autre jour, je me suis trouvé fort dépourvu lorsque je me rendis compte que nos chers amis musiciens avaient oublié d'emporter avec eux leur petit stock de CD destiné à la vente et, pourquoi pas, à la dédicace. Zut, moi qui avais attendu ce soir-là pour acheter "Something Like Now", je n'avais plus qu'à me faire voir ailleurs. C'est là que de drôles de phénomènes, a priori sans rapport les uns avec les autres, ont commencé à se manifester. Récit de 48 heures un peu spéciales.

    A peine avais-je quitté mon bureau lundi dernier que je me précipitai chez l'un des principaux disquaires de ma chère cité. Je ne dois pas le nommer, disons qu'il est une institution, en particulier du fait de son ouverture dominicale qui en fait un véritable lieu de promenade et un salon de lecture où il est de bon ton de s'installer tout en feignant d'ignorer les  clients qui aimeraient se frayer un passage. Le seul hic, c'est que le magasin a récemment été racheté par un groupe plus puissant dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne laisse guère espérer de sa part une forte propension à nous proposer des articles culturels un tant soit peu hors des sentiers battus. Wait and see... C'est donc un peu le foutoir dans ce vaste espace, y a des bouquins partout, sur plusieurs étages, une salle entière consacrée aux DVD et un rayon disques plutôt bien fourni au sous-sol. Sauf que... parmi les milliers de galettes rangées selon un ordre dont la logique peut parfois échapper aux esprits trop cartésiens, y a pas mon disque ! Mais c'est fou, ça ! Des musiciens viennent ici, tout près, pour donner un concert magnifique et c'est un complot pour que personne n'achète le disque dont ils ont joué une grande partie deux jours plus tôt.
     
    Puisqu'il en est ainsi, je fis abstraction de toutes mes habituelles réserves et me rendis vers une autre destination, un vaste supermarché de la culture qui, il y a bien longtemps, se prétendait un agitateur. Qui ne semble plus agiter grand chose, sinon le chiffon rouge de régulières restructurations économiques visant à s'attirer la clémence de je ne sais quelle caisse de retraite pour milliardaires de Floride, dont on dit régulièrement qu'elle pourrait en faire l'acquisition, à condition toutefois que l'agitateur en question veuille bien se décarcasser pour agiter au minimum ses dividendes. A moins que l'acheteur supposé ne soit une banque internationale. Inutile de vous laisser plus longtemps dans une insupportable attente : chez l'agité, y a pas de Moutin non plus ! Un peu déçu tout de même et espérant n'avoir pas vu le CD pourtant présent dans les bacs, j'avisai un vendeur et lui fis part de mon problème : "Euh... le dernier disques du Moutin Réunion Quartet", vous ne l'avez plus ?" Notez que je dis "plus", ce qui signifie que, dans ma grande innocence, j'espérais à ce moment précis qu'il eût pu (bien le subjonctif passé, bien...) auparavant l'avoir en stock. Mine désappointée du responsable du responsable du rayon, qui me dit (attention, c'est un grand moment) : "Oaaaarf... Naaaan... On n'en a pas, on en commande plus, ça se vend pas..." Vous pouvez répéter ? On n'en a pas, parce que ça ne se vend pas ! Ah oui, c'est vachement logique comme truc : on le met pas dans le magasin, comme ça on n'est sûr de pas en vendre. C'est grosso modo ce que je répondis à notre homme qui, j'en suis persuadé, n'a pas décelé à ce moment précis chez moi la moindre esquisse de soupçon de début de trace d'ironie. Et je fais comment, moi, pour m'acheter le disque des Moutin, moi, je fais comment ? "Ben... euarh... si vous voulez, on vous le commande !". C'est sûr, tu m'as bien regardé. T'es pas bien toi, tu viens de me dire que tu les commandais pas et tu veux bien maintenant ? Rien du tout, j'agiterai pas les dividendes de ton patron encore breton pour l'instant et j'irai me faire voir ailleurs. Non mais des fois...
     
    Il me restait alors une ultime solution : la commande en ligne. Je renonçai à mon fournisseur favori (ah ! ma zone !), qui m'annonçait je ne sais combien de semaines de délai. Pas le temps d'attendre, une Moutinite aiguë, faut la soigner assez vite, sinon, ça vous démange de partout. Donc là, c'est pas possible, désolé. Alors je me rendis sur le site de mes musiciens chouchous (www.moutin.com) et je pris connaissance du nom de leur label, en l'occurrence Nocturne. Ni une ni deux, je claviotais www.nocturne.fr et, en quelques clics, mis la main (enfin, pas exactement la main, c'est une image, arrêtez de croire tout ce que je vous dis) sur le disque tellement convoité : DISPONIBLE ! Et pour un prix tout à fait correct, frais de port inclus. Je n'avais plus qu'à accéder à la boutique en ligne et valider mon achat. Sauf que... gagné par l'impatience qu'avaient fait naître en moi tous ces virages commerciaux, je fus pour ainsi dire victime d'une glissade de souris et bouclai mon achat avant même d'avoir spécifié mon moyen de paiement. Un complot vous dis-je ! Il y a quelqu'un qui ne veut pas que j'achète le disque des frères Moutin, je le sais ! Il me fallut subir les assauts de mon client de messagerie qui m'expliqua que ma commande était bien validée... Comment ça, validée ? J'ai pas payé !!! Pfff... Là, je ne vous le cache pas, j'ai failli tout abandonner. Je n'étais même plus certain d'avoir bien assisté au concert dont je vous ai proposé le compte rendu voici quelques jours. Durant quelques instants, j'eus même quelques doutes quant à ma propre identité, c'est vous dire...
     
    Alors, mon général, on fait quoi maintenant ? Ben, on prend ses petits doigts, caporal, et on écrit à Monsieur Nocturne pour lui expliquer le problème et lui demander comment procéder ! A vos ordres mon général ! J'ai donc écrit à Monsieur Nocturne, qui s'est avérée dans un premier temps être une madame Nocturne, ce qui, vous en serez d'accord, ne change absolument rien. Voici sa réponse, très exactement :
     
    "Bonjour. Il faut procéder au paiement par carte bancaire pour que votre commande soit validée. La commande est envoyée automatiquement à nos clients, même si cette dernière n’est pas payée. Quand une commande n’est pas réglée par carte bancaire, elle est automatiquement annulée.
    Question PERSO : Êtes-vous gendarme ?? Si oui , quelqu’un de notre société souhaite vous parler.
    Très cordialement
    Nocturne."

    J'avais donc ma réponse puisque Madame Nocturne me conseillait finalement de renouveler ma commande et de ne pas me mélanger les crayons informatiques à nouveau. Mais la suite du message, vous y comprenez quelque chose, vous ? "Êtes-vous gendarme ?" A ce moment précis, j'ai commencé à avoir très peur : aurais-je mis le pied dans une boutique obscure dont les responsables auraient craint de ma part, enfin, la révélation de leurs activités illégales ? Pourquoi moi ? Je veux acheter le disque des frères Moutin, un point c'est tout ! Je ne suis pas gendarme, je ne l'ai jamais été et à supposer que j'ai envie de le devenir un jour, ça ne m'arrivera jamais, je suis bien trop vieux pour ça ! Alors pourquoi toutes ces questions ? Et puis, cette façon de me dire "question PERSO" écrit en majuscules, au cas où je comprendrais mal. Je respirai un grand coup et répondis avec ce ton affable (à fables ?) qui me caractérise : "Non, je ne suis pas gendarme, désolé !". Je ne sais même pas pour quoi je tins à leur faire savoir que j'étais désolé, parce qu'en réalité je ne l'étais pas. Intrigué, oui, désolé, non !

    La réponse à tout ce mystère ne se fit pas attendre, car deux heures plus tard, je reçus cet ultime message, accompagné de la validation de ma commande qui, cette fois, n'avait donné lieu à aucun ratage : " Un ami que je n’ai pas vu depuis longtemps est Gendarme, il se nomme Maître Chronique, voilà la raison de ma question."

    QUOI ? Un autre Maître Chronique ici-bas ? On se moque de qui ? Il n'a qu'un seul Maître Chronique sur Terre et c'est moi. Cet autre n'est qu'un usurpateur. J'écrivis donc une ultime réponse par laquelle je fis savoir que je n'étais pas ce Maître Chronique là et paraphai mon message d'un "Maître Chronique, le seul, l'unique, le vrai", vengeur.

    Depuis, Monsieur Nocturne ne m'a jamais plus donné de nouvelles, je crois qu'il a compris son erreur et se morfond dans la pénombre de la pièce où sont entreposés tous les disques dont ne veulent plus les grandes surfaces de la culture.

    Ah si, tout de même : dès le lendemain, un petit paquet m'attendait en la Maison Rose. Avec une remarquable célérité, Monsieur Nocturne m'avait fait parvenir ce disque Graal qui m'avait, durant toute une soirée, valu tant d'aventures.

    Mais je suis certain, certain, toutefois, qu'il s'agit d'un complot !

    NB : en réalité, Monsieur Nocturne n'évoquait pas Maître Chronique dans son message mais les prénom et nom sous lesquels je me cache au quotidien. Que je ne peux vous dévoiler, malheureusement. Ce qui ne change absolument rien à l'histoire, vous l'admettrez.

  • Les frères Moutin, on y revient !

    Quelque dix minutes avant le début du concert du Moutin Réunion Quartet à la MJC Pichon de Nancy, le public très clairsemé - une petite quarantaine de personnes, dont pas mal d'habitués qui se retrouvent là et bavardent dans le hall d'entrée - témoignerait-il, avec un certaine cruauté, de l'indifférence de nos concitoyens face à un panorama musical dont l'indigence télévisuelle est aujourd'hui la marque ? Pourtant, une si belle affiche, un prix d'entrée somme toute raisonnable (12 €), une salle confortable... autant d'atouts qui auraient dû produire leurs effets à plein. Mais tel ne fut pas le cas, malheureusement. Une fois encore, les absents ont eu tort et les présents, dont l'enthousiasme a crû de minute en minute au fil d'un très beau concert, se sont félicités d'avoir eu raison. Les frères Moutin ont déployé leur jazz tout en énergie et générosité, ce fut pour nous un moment privilégié dont nous eûmes bien du mal à nous extraire une fois sortis de la salle.

    medium_moutin.jpg Que dire des frères Moutin ? Ces deux jumeaux, François à la contrebasse et Louis à la batterie, font partie de ce que l'on pourrait appeler la crème de la scène jazz française. Musiciens surdoués, ils ont déjà côtoyé depuis vingt ans un nombre incalculable de musiciens de haut vol et se sont également illustrés dans bon nombre d'enregistrements mémorables. Pour ma part, je dois remonter au début des années 90 pour retrouver la trace du patronyme Moutin dans ma discothèque. François est en effet à l'affiche du splendide "Headgames" du MegaOctet d'Andy Emler et du non moins magnifique "Anyway" de Michel Portal. En outre, j'ai eu l'occasion de me délecter, voici cinq ans maintenant, de la participation des deux frères au très beau "Summertime" en trio d'Antoine Hervé. Et j'avais prêté une oreille à une précédente mouture de leur quartet (avec Baptiste Trotignon au piano et Sylvain Beuf au saxophone) ; de plus, j'étais depuis quelque temps très sensible à un extrait de leur dernier CD, "Something Loke Now", régulièrement entendu sur la chaîne Mezzo. C'est dire que leur venue, ici à Nancy, fut pour moi le moment idéal pour venir à leur rencontre et apprécier toute la force d'une formation qui repose non seulement sur l'étonnante complicité, preque surnaturelle, entre les deux frères, mais aussi sur le talent du pianiste Pierre de Bethmann et les enluminures du saxophoniste américain Rick Margitza.

    Dès les premières secondes de "M.R.C.", le ton est donné : c'est un concert à haute énergie qui nous est offert. Pulsion constante de la batterie - Louis Moutin, pour notre plus grand plaisir, se tient de profil par rapport à la scène, ce qui nous permet d'admirer son jeu de pieds, soutien mélodique et rythmique sans faille de la contrebasse, dont les unissons avec la main gauche de Pierre De Bethmann vont faire merveille de même que ses échappées dans le registre aigu, lyrisme de Rick Margitza (qui, disons-le en passant, fut l'un des derniers saxophonistes de Miles Davis). On est d'emblée émerveillé par les regards complices que s'échangent François et Louis Moutin et leur complicité gémellaire est tout simplement fascinante ! Ces deux-là jouent ensemble, inventent ensemble, vibrent ensemble, transpirent ensemble. Cette communion des notes sera comme idéalisée dans un "duo de jumeaux" appelé "Bird's Medley", suite de thèmes de Charlie Parker que nos deux hommes interprètent avec un évident bonheur (Louis Moutin délaissant baguettes et balais pour jouer à mains nues). Malgré les années de travail en commun, les sourires échangés par ces deux extra-terrestres sont ceux de musiciens qui redécouvriraient à chaque concert le bonheur d'un dialogue jubilatoire et réinventé. Le public ne s'y trompe pas et compense son petit nombre par une chaleur et un enthousiasme qui toucheront le coeur de nos quatre héros d'un soir, visiblement émus jusqu'à la dernière seconde du rappel ("Africa", torride).

    Il serait injuste toutefois de n'évoquer que François et Louis Moutin et de ne pas souligner le travail remarquable de leurs deux acolytes. Le jeu de Pierre De Bethmann (souvenous-nous du si beau trio Prysm, redécouvrons également son Ilium Quintet ou sa collaboration avec le saxophoniste David El Malek) est empreint de frénésie et de lyrisme, ses doigts courent littéralement sur le clavier, véritables marathoniens de la musique. Il est à lui seul une source intarissable d'où coulent avec une remarquable fluidité des rivières de notes. Rick Margitza quant à lui, presque discret dans la première demi-heure du concert, montera progressivement en puissance et nous gratifiera de quelques moments de bravoure dont un duo / duel avec Louis Moutin à la batterie, dans le plus pur esprit de ce que nous proposèrent voici 40 ans John Coltrane et Rashied Ali sur le disque "Interstellar Space" ainsi qu'une cadence - merci à mon musicien de fils de m'avoir rappelé que l'interprétation en solo de la fin d'un morceau s'appelait ainsi, j'avoue ici humblement mon inculture - pour conclure, seul, la très belle ballade appelée "Surrendering". On ne peut s'empêcher de penser au regrettté Michael Brecker, quelques années plus tôt, qui interprétait seul le "Naima" de John Coltrane.
     
    Deux heures de musique, deux heures de générosité, une belle offrande. Merci à vous messieurs ! Nous reviendrons, c'est promis.
     
    Pour en savoir plus : http://www.moutin.com, avec en écoute des extraits du dernier CD "Something Like Now", des biographies des musiciens, des liens, bref... tout ce qu'il faut savoir !

  • Conjonctions

    Il y a comme ça des moments où l'on se dit que la fièvre musicale va monter ! En tous les cas, celle d'une certaine scène jazz hexagonale qui va frémir à l'annonce de trois nouveaux disques qui, par avance, me réjouissent au plus haut point. Pensez-donc, trois grands messieurs : Henri Texier, Louis Sclavis et Michel Portal annoncent la sortie de leur nouveau disque !!! C'est un évènement qu'il faut saluer avant même d'avoir prêté le début d'une oreille à leurs nouvelles productions qui seront, à n'en pas douter, de très belle facture. Depuis des années et des années, ces musiciens de très grand talent ont su "élever le débat" musical à un tel niveau que la déception est impossible à envisager.

    Je prends ici la pari - guère risqué - de la qualité et j'en profite pour saluer en toute amitié celui qui me les a fait connaître voici maintenant 17 ans bientôt. Il se reconnaitra aisément, puisqu'hier soir encore, nous avons longuement parlé de musique (et de bien d'autres choses) autour d'une bonne table locale. Nous avons également lancé l'idée d'un projet commun : unir nos modestes forces pour imaginer une conjonction originale sous la forme d'un travail commun d'écriture, de musique et de vidéo. Cette petite aventure n'en est qu'au stade de la germination, tout cela est encore un peu flou mais, promis, vous serez tenus au courant de son avancement...

    Mais revenons plutôt à nos... musiciens du jour !

    Avec son Strada Sextet, le contrebassiste Henri Texier nous annonce "Alerte à l'eau". Un titre qui ne nous surprendra pas puisqu'il est bien connu que notre homme est depuis très longtemps très sensible aux soubresauts écologiques qui menacent la planète. Après le magnifique "(V)Ivre publié à l'automne 2004, nous allons retrouver son équipe en grande forme : Gueorgui Kornazov au trombone, Sébastien Texier (le fiston) au saxophone et à la clarinette, François Corneloup au saxophone baryton, Manu Codjia à la guitare et Christophe Marguet à la batterie. L'énergie sera au rendez-vous, à n'en pas douter !
    En savoir plus et en écouter quelques extraits...

    Louis Sclavis est un autre aventurier de la musique, jamais là où on pourrait l'attendre et toujours prêt à nous surprendre. Son dernier disque "Napoli's Walls" était une pure merveille d'invention et d'originalité, dédié au travail du plasticien Ernest Pignon Ernest. Sur ce disque, la clarinette de Sclavis, enchanteresse et imprévisible comme à chaque fois, s'entourait des textures sonores du violoncelle de Vincent Courtois, des délires vocaux et des effets sonores du trublion Médéric Collignon et de la guitare dissonnante de Hasse Poulsen. C'est dire que son tout prochain disque, "L'imparfait des langues", constitue à lui-seul un vrai défi car la succession de "Napoli's Walls" ne sera pas aisée ! Louis Sclavis retrouve pour l'occasion son vieux complice François Merville à la batterie et, pour le reste, a choisi de nouveaux compagnons - dont je ne sais rien ou pas grand chose à dire vrai : Marc Baron au saxophone, Maxime Delpierre à la guitare et Paul Brousseau aux... bidouillages ?, c'est-à-dire l'utilisation d'un certain nombre d'outils électroniques et de samples... ma foi toujours prometteurs ! D'autant qu'on nous annone aussi que ce disque a été enregistré "one shot", en une journée, au mois de mai dernier.

    Que dire de Michel Portal ? Clarinettiste qui interprète Brahms un soir, que l'on retrouvera le lendemain avec un combo jazz nerveux comme il a en le secret et le surlendemain en train d'expérimenter de nouveaux espaces sonores avec des musiciens de Minneapolis ayant travaillé avec Prince... Sans oublier les très nombreuses musiques de films qu'il a composées... Le personnage est impossible à cerner tellement le spectre de sa production est large et dense. Mais l'homme est passionnant, le musicien d'un intégrité absolue et la publication de "Birdwatcher" sur le label Emarcy va en réjouir plus d'un. Ceux qui ont pu écouter ce disque nous disent qu'on se trouve là dans un environnement musical où "l'ombre de Miles Davis plane indubitablement". On en salive d'avance. Michel Portal poursuit là son aventure américaine et nous, nous sommes dans les starting blocks, comme à chaque fois.
    En savoir plus...

    Alors, une fois encore, chapeau messieurs. Je suis à vos côtés, et je vous dis : MERCI !

  • Des étoiles disparaissent...

    Allez savoir pourquoi ces deux-là ont décidé de faire le grand saut à deux jours d'intervalle : le grand, très grand, saxophoniste Mickael Brecker est parti rejoindre l'au-delà à l'âge de 57 ans, vaincu par une leucémie contre laquelle il se battait depuis quelque temps.
    Quant à Alice Coltrane, 69 ans, elle vient aussi de rejoindre son John de mari, qui nous avait tous laissé tomber le 17 juillet 1967, à l'âge de 40 ans. Alice était aussi harpiste, pianiste, compositeur, elle laisse derrière elle un bien bel héritage.
    Difficile d'écrire après deux tels chocs.
    Je veux juste leur rendre hommage, comme ça, sans abuser des mots.
    Leur dire qu'ils vont nous manquer.
    Qu'ils sont deux belles étoiles qui viennent de s'éteindre. 

  • Le temps de la galette

    Je me suis récemment installé devant les étagères sur lesquelles j'ai tenté de ranger l'ensemble de mes disques. Et j'ai contemplé l'ensemble : il y a là le coin des 33 tours (environ 600), celui - ou ceux devrais-je dire - des CD, que je ne compte plus vraiment même si je sais que leur comptage s'exprimera au moyen d'un nombre à quatre chiffres. Il a aussi une petite unité de stockage numérique (500 giga-octets, pas plus) sur laquelle j'engrange une partie de mes vieux vyniles au format mp3, histoire, de temps à autre, de me livrer à une petite plongée dans le passé en ré-écoutant de vieux trésors avec mon baladeur. Je passerai sous silence ce gros carton dans lequel j'ai stocké des dizaines et des dizaines de concerts du groupe Magma, offerts sans que je les ai demandés par des fans qui voulaient me témoigner leur reconnaissance après que j'aie mis en place sur Internet le "Web Press Book" du groupe. Tiens, il faudra bien qu'un jour je les écoute ces enregistrements "sous le manteau", comme on dit. Aurais-je le temps ? Pas sûr...
    A côté de mon frère, je suis, certes, un amateur, un discophile à la petite semaine, mais tout de même, il y a là tellement de bonheurs accumulés depuis la fin des années 60 que je suis tout heureux d'avoir pu offrir à ces disques un écrin digne de la joie qu'ils ont pu me procurer en près de 40 ans. Nichés au deuxième étage de la Maison Rose, dans cette grande pièce sous les toits que nous avons baptisée le Chalet Suisse - murs de pierre, belle cheminée, poutres, lambris, atmosphère presque montagnarde. Ils sont là, régis par un ordre qui me semble logique même si souvent hermétique à la plupart de ceux qui viennent faire un tour dans ce refuge : s'il est facile de débusquer le rayon de la musique dite classique, si l'on repère sans difficulté l'étage de la chanson française, si jazz et rock ont eux aussi leurs espaces propres (je précise qu'à l'intérieur de ces catégories, j'ai opté pour un classement alphabétique), il me faut fourbir des arguments un peu tirés par les cheveux pour expliquer que tout un rayon est dédié à John Coltrane (plus de 120 CD), qu'un autre rassemble l'ensemble de la collection de Seventh Records (Magma et associés), je dois également expliquer qu'il m'a aussi fallu utiliser certains coffrets comme "serre-CD", prenant parfois la décision de les sortir de leur famille naturelle. Et puis, ici une collection consacrée à l'histoire du jazz, et puis une autre encore...
    Est-ce parce que nous venons tout récemment de fêter l'Epiphanie que je me penche sur le cas de toutes mes galettes ? En réalité, il n'est pas un jour sans que je me pose une question cruciale (vous constaterez que pendant que certains cherchent un logement, je suis habité par des préoccupations fondamentales...) : pourquoi continué-je à acheter régulièrement des disques alors que je sais pertinemment que la plupart d'entre eux ne tourneront qu'un nombre très limité de fois sur mes platines ou lecteurs ? En parcourant le rayon des vyniles, je fus pris l'autre jour d'un vrai vertige en m'apercevant que ces beaux objets, chargés de mon histoire personnelle, auxquels tant de souvenirs sont associés, étaient sagement rangés là, sans réel espoir de revenir à la vie sous le passage d'une pointe de diamant en leur sillon ou l'effet d'un rayon laser gobeur de 0 et de 1. Aurais-je un jour l'occasion de les écouter une nouvelle fois ? Impossible de le dire. Je préfère même ne pas chercher à répondre vraiment à la question.
    Je me rappelle qu'en 1976 - j'avais 18 ans, j'étais encore un peu crétin parfois - j'ai revendu un nombre incroyable de 33 tours parce qu'à cette époque, je vouais un culte absolu à la musique de Christian Vander et que je lui avais comme "obéi" après avoir lu des interviews dans lesquelles il donnait son opinion sur tel ou tel musicien. Des jugements souvent tranchés et des arguments assez forts... Du coup, certains de mes disques ne trouvèrent plus grâce à mes oreilles et c'est sans complexe que je partis un beau jour chez mon disquaire pour lui donner en dépôt tous ces disques à revendre. Mal m'en prit, car à peine la vente réalisée, je fus envahi par les remords et pris par le désir total de les écouter sans attendre. Ils n'avaient pas quitté leur nid depuis vingt-quatre heures qu'ils me manquaient déjà. Et je dois confesser qu'au fil des années qui se sont écoulées depuis cette erreur fatidique, j'ai racheté une bonne partie de ces vieux trésors. Ils sont là, tout près de moi, je ne les ai jamais beaucoup écoutés, mais je sens leur présence. Elle me rassure.
    Je crois que ce phénomène s'apparente à celui d'une sorte d'amputation : ces disques sont le reflet de ma propre histoire, ils sont en quelque sorte le témoignage d'une longue et lente construction et leur absence est toujours cruelle. D'une certaine façon, ils permettent au passé d'être moins lointain que lorsqu'on ne peut se raccrocher à ce dernier qu'au moyen des souvenirs qui s'effilochent au gré des caprices de notre mémoire. Eux sont là, bien présents, ils prouvent notre passé.
    Prenons un exemple concret : si je regarde la pochette du premier 33 tours de Jerry Garcia (guitariste leader du Grateful Dead), aussitôt, je remonte le temps, je fais un grand saut de 35 ans en arrière et me retrouve en ce vendredi 4 février 1972, très important pour moi. J'habitais Verdun et je mettais les pieds pour la première fois dans un magasin de disques appelé "Card Shop", petite embarcation commerciale dont la vendeuse - notre chère Gaby - allait être le commandant de bord durant de longues longues années, avant de rejoindre la grande librairie de cette même ville... où elle exerce encore, à quelques mois aujourd'hui de sa retraite ! J'ai eu l'occasion de bavarder avec elle il y a quelques semaines et, comme vous l'imaginez, nous avons évoqué le passé non sans avoir mesuré son défilement vertigineux en nous donnant des nouvelles réciproques de nos enfants devenus adultes... Voilà, c'est aussi simple que ça : les 12762 jours qui se sont écoulés entre aujourd'hui et le 4 février 1972 n'en forment qu'un seul. J'ai à nouveau 14 ans, ma vie commence seulement, mon passé existe à peine et mon énergie est intacte.
    Ainsi vous l'aurez compris... le sablier du temps qui passe me nargue, m'angoisse parfois. Il m'arrive d'opérer un décompte un peu macabre pour m'apercevoir que le temps qui me reste à vivre est forcément bien plus court que celui que j'ai déjà vécu. Alors je ma fabrique des armes - toutes pacifiques - pour rester fort et prêt à affronter avec la plus belle énergie les années à venir. Et tous ces disques constituent mon arsenal, ma force de construction massive !
    Tiens, à ce sujet, je viens d'apprendre que dès la fin du mois, Henri Texier allait sortir un nouveau disque (je le sais parce que c'est lui qui me l'a écrit). Un tel événement, ça ne se manque pas, car Henri Texier, contrebassiste, est un grand monsieur du jazz, qui possède un sens merveilleux de la mélodie ; je possède quasiment tous ses disques et le prochain, dès le jour de sa sortie, trouvera la place qui lui est déjà réservée sur son rayon, là-haut, dans le Chalet Suisse.
    Et puis zut, il y a le prochain Louis Sclavis, aussi, au début du mois de février, sur le label ECM.
    Ah, et dire qu'on trouve en ce moment, à des prix défiant toute concurrence, deux ou trois vieux disques de Bob Dylan qui me manquent...
    J'en finirai jamais...

  • Mutation textuelle

    Merci à mon ami Kangou et à Hélène Collon - qui, soit dit en passant, est LA grande traductrice des romans de Philip K. Dick - d'avoir contribué à la mutation d'une note de ce blog (John le Fou) devenu article dans l'excellent Citizen Jazz.
    A lire par ici...