Et c’est bien le cas ! Car non seulement mon idée fut aussitôt approuvée par mes « chefs » (à ce sujet, je tiens à préciser que mon travail pour le magazine est bénévole… OK, vous ne me l’avez pas demandé, mais j’aime mieux que les choses soient claires entre nous), mais notre cher Henri en accepta lui-même le principe sans réserve. Car ce grand contrebassiste ne se contente pas d’être un musicien de premier plan, il est aussi un être humain adorable. Il me disait hier au téléphone que nous pourrions envisager notre entretien durant une heure, me fixant une heure et un lieu pour que tout se passe bien ! Vous imaginez déjà le boulot de retranscription ? Une heure à clavioter. Même que je songe à déléguer cette tâche à une certaine moitié de ma progéniture. Donc, tout va bien, je suis un petit veinard et je me réjouis déjà de cette rencontre, de ces retrouvailles devrais-je dire car non seulement j’ai déjà eu l’occasion de voir Henri Texier sur scène à de nombreuses reprises, mais il se trouve que je le connais un peu à titre personnel et qu’au minimum, nous nous adressons réciproquement un petit courrier au moment des vœux de nouvel an. Cerise sur le gâteau, mon pote Kangou viendra nous rejoindre, armé de son appareil photo de dernière génération et pourra jouer le rôle d’illustrateur. Pour finir, on nous annonce un temps ensoleillé et c’est probablement en terrasse, autour d’un verre, que nous allons pouvoir bavarder tranquillement aux alentours de 19 heures. Voilà.
Alors où est-il le problème ? Ben mon truc, c’est que j’ai une petite tendance au perfectionnisme, un grave défaut j’en conviens. J’angoisse, j’ai peur de ne pas y arriver, je pense systématiquement au grain de sable qui ne va pas manquer de se glisser dans la belle mécanique que je m’efforce d’huiler depuis plusieurs semaines. Déjà que la charmante personne grâce à laquelle nous avons la chance de nous loger facilement dans Paris depuis plusieurs années a commis la stupide erreur d’imaginer que les chauffards n’avaient pas droit de cité près de chez elle et qu’un abruti l’a expédié dans l’autre monde samedi dernier… j’en suis tout retourné. Voilà une personne qui ne faisait que du bien autour d’elle, intelligente de surcroît… Et hop, parce qu’un crétin à roues a confondu sa bagnole avec un char d’assaut… elle nous abandonne. La vie est injuste.
Revenons néanmoins à nos moutons journalistiques. Forcément, vous comprendrez que dans de telles conditions, je me dois de mettre en place une stratégie de limitation du trac, je prends des précautions, j’installe toute une batterie (c’est le cas de le dire, cf. supra) de mesures pour me rassurer. En voulez-vous quelques exemples ?
Voici déjà 24 heures que mon petit magnétophone numérique est branché sur secteur et bien que se chargeant en un court après-midi et disposant ensuite d’une autonomie de cinq heures, je pense d’ores et déjà à acheter quelques piles LR06 à glisser dans le petit boîtier externe destiné aux cas d’urgence (une batterie de secours en quelque sorte).
Allez savoir pourquoi, alors que jamais je n’ai commis la moindre fausse manœuvre, je vais réviser dès ce soir toutes les manipulations nécessaires au bon fonctionnement de l’appareil et de toutes les subtilités des techniques d’enregistrement. Réglage du niveau d’entrée, indexation automatique toutes les cinq minutes, pause, reprise, vitesse d’enregistrement.
J’ai beau savoir que sur un même mini-disc, je peux stocker 160 minutes d’enregistrement en stéréo (soit près de trois heures tout de même) et 320 en mono, je vais en embarquer trois ou quatre pour le cas où je rencontrerais un problème technique, comme par exemple le disque qui ne fonctionne pas. Ce qui ne m’est encore jamais arrivé, soit dit en passant. Tiens, je vais même en prendre cinq. On ne sait jamais.
Je me sens obligé de dire à l’ami Kangou : « Alors tu vois, ce serait bien si tu pouvais capter les expressions d’Henri Texier pendant qu’il parle, si tu parvenais à fixer son regard qui pétille… » Comme s’il ne connaissait pas son boulot alors que je sais, pour avoir parcouru son site en long et en large, qu’il réalise de magnifiques portraits.
Et puis, il y a les questions ! Je me connais, quand j’aurai fini de les noter noir sur blanc, il y en aura pour une semaine. Je crois que le sieur Texier risque de partir avant la fin, si je continue ainsi. Alors je les écris en vrac, je les classe par thèmes, je cherche un peu de documentation, je récupère une biographie synthétique, juste comme ça, une façon de me fabriquer des anti-sèches, je recopie sa discographie (que je pourrais pourtant presque réciter par cœur).
Puis je pense au moment où il faudra que je les imprime, toutes ces questions. Parce que je ne vais tout de même pas embarquer mon ordinateur portable. Je ne suis pas fou. Et dans quel format le papier ? Parce que ce n’est peut-être pas la peine de me pointer là-bas avec un classeur sous le bras, hein ? Alors A4 ? A5 pour que le document passe dans une poche et que je n’aie pas l’air d’un étudiant venu là pour passer un examen ? Ou plutôt un mec plus très jeune se présentant à un entretien d’embauche. Notez qu’il y a au moins un détail sympa : connaissant Henri Texier, je ne suis pas obligé de me pointer avec le déguisement requis dans ce genre de situation (vous savez, le truc qui tue : la chemisette avec une cravate, ouh la la, l’horreur…). L’homme est toujours élégant, arborant de belles chemises colorées impeccablement repassées, mais sans frime, avec beaucoup de simplicité.
Non, vraiment, y a des jours où je me dis que je suis quand même un peu con. Des centaines de personnes aimeraient être à ma place et je suis là à me tarabuster pour des peccadilles. Et je crois que j’en rigolerai enfin, samedi matin, sous un soleil plus que printanier, lorsque je commencerai ma petite balade dans les rues de Paris au bras de Madame Maître Chronique.