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WHAT ELSE ? - Page 26

  • Ferrov'hier (vies dédoublées)


    Trois petits textes notés fugitivement hier sur un carnet, dans le train qui m'emmenait de Nancy à Paris.

    Vendredi 10 mars 2005, 6h20, je suis dans le train qui m'emmène de Nancy à Paris. J'écoute "Moving", un CD du pianiste norvégien Bugge Wesseltoft : climats aux confins du jazz et de la musique électro, atmosphères délicates où quelques notes de piano semblent s'échapper d'un paysage brumeux. L'accompagnement idéal en cette nuit finissante. Et puis, c'est "Gare du Nord", une très belle composition qui me vaut cette étrange sensation d'entendre, à l'intérieur (car j'écoute cette musique avec des écouteurs) comme à l'extérieur le bruit du train, en un parfait dédoublement. Jusqu'à l'annonce vocale en français d'un contrôleur, dont je ne sais si elle est réelle ou enregistrée sur le disque. J'ôte alors mes écouteurs, la voix s'est tue... Elle provient de la musique de Bugge Wesseltoft, exactement synchronisée avec la situation que je vis réellement. Mais de là à dire que je mène une double vie...

    Je dois rédiger pour un magazine dédié à la musique de Magma la chronique d'un concert du groupe, en l'occurrence celui de l'Olympia, le 27 janvier dernier. Même si je garde un souvenir exact de ces trois heures passées dans la fosse de cette salle mythique (bien que reconstituée à l'identique), je ne me prive pas du plaisir de rédiger mon texte en écoutant ce concert, qu'une âme charitable a bien voulu enregistrer "sous le manteau" et m'envoyer quelque temps plus tard sous la forme d'un double CD. Cette fois, il ne s'agit pas de deux vies distinctes dont les échos sonores viennent se superposer comme par magie, mais de la même vie, qui se répète à quelques semaines d'intervalle.

    A quelques minutes de mon arrivée à Paris, ma voisine de train semble vouloir me demander quelque chose et me fait signe d'ôter les écouteurs qui diffusent la musique de Magma depuis près de deux heures. Elle ne veut pas rester sur la quasi certitude de me connaître et pense que, de mon côté, je ne l'ai pas reconnue lorsqu'elle m'avait salué sur le quai.
    Oh la... et dire que je me pique d'être plutôt physionomiste... là, honnêtement, je sèche !
    Elle pense m'avoir vu au Conservatoire ou peut-être à l'Ecole des Musiques Actuelles de Nancy. Tiens tiens, aurait-elle vu juste ? Je lui réponds donc et lui dis qui je suis, je lui explique que j'ai été Président de cette école, que mon fils en a été longtemps l'élève et qu'il y enseigne aujourd'hui le saxophone. Je la confirme donc dans son impression, elle m'avait bien identifié !
    "Et moi, vous ne me reconnaissez pas ?"
    Gasp... je la scrute un instant, je fouille dans mes souvenirs, je tente quelques rapprochements jusqu'au moment où une idée me vient à l'esprit : "Vous n'auriez pas été prof de piano à l'EMAN ?"
    Bingo ! Oui, sauf que... je ne suis plus en présence de la même personne ! La dernière fois que je l'avais vue, elle était obèse, quasiment difforme, les cheveux tristement attachés en une queue de cheval, elle était vêtué de façon terne et anonyme et là... je revois une jeune femme au mieux de sa forme, épanouie, mince, qui a le temps de me dire sa joie d'être la mère de deux enfants, qu'elle revit, qu'elle éprouve des sensations totalement nouvelles comme la séduction, notamment dans le regard des autres, dans la rue ou lorsqu'elle chante sur scène ! Elle me raconte l'anecdote d'un de ses anciens élèves qui demandait de ses nouvelles alors qu'elle était juste à côté de lui et qui refusait de la croire lorsqu'elle lui disait : "Mais votre prof de piano, c'est moi !". Elle ne cache pas son plaisir de vivre ce genre de situations un peu surréalistes.
    Décidément, ce voyage en train était vraiment placé sous le signe de la double vie : j'avais devant moi une personne qui me confiait qu'elle en vivait une deuxième, la seconde ayant chassé la première.

  • Où es-tu mon Gaillard ?


    Ce matin, comme chaque matin d'ailleurs, j'essaie péniblement de m'extraire des limbes nocturnes devant un bon gros mug plein d'un non moins bon café, et la radio (France Inter en l'occurrence) fait défiler tout doucement son cortège d'informations plus ou moins catastrophiques (au menu du jour notamment : les prévenus du procès des pédophiles qui tombent dans les pommes à la lecture des faits, les treize morts dans une maison de retraite près de Nancy et, le plus important, la défaite de l'A.S. Monaco en coupe d'Europe de baballe), histoire de bien vous mettre en forme pour la journée. Un oeil à moitié fermé, l'autre à peine ouvert, je scrute le paysage, j'observe la grisaille qui nous entoure, bref je me motive.
    Heureusement, il est 7h25, l'heure du bonheur, le moment tant attendu de la chronique économique d'un dénommé Jean-Marc Sylvestre ! Ah, le brave homme pour qui la planète n'est qu'une vaste et unique entreprise, avec de gentils actionnaires qu'il faut bichonner, l'oeil rivé sans interruption sur le thermomètre de leurs dividendes. Ce type-là nous brosse le portrait d'un monde où, finalement, l'humain est avant tout un empêcheur de tourner en rond, avec ses revendications sociales, ses grèves à répétition, ses exigences, sa prétention à penser qu'il pourrait peut-être encore occuper une place au sein du grand échiquier de la mondialisation. En d'autres termes, qui ne fait rien qu'à embêter les pauvres détenteurs du capital, qui ont pourtant déjà tant de mal à consolider leurs profits... Alors que l'être humain, le vrai, le seul, c'est celui qui se vend au prix le plus bas (ah, nom d'un chien, pourquoi ne sommes-nous pas tous Chinois ? on bosserait en silence, pour pas cher, la France serait le pays de la croissance), qui ne râle pas, qui jamais ne se met en grève, qui VEUT travailler plus, toujours et encore. Au lieu de quoi, nous, méchants Français, sommes d'incurables paresseux, des hédonistes qui privilégieraient leur plaisir avant tout.
    Chaque semaine cependant, le vendredi, la chronique de JMS devient un débat, parce qu'un contradicteur vient opposer au gourou de l'ultra-libéralisme quelques arguments post-universitaires qui, jamais, n'ébranlent les convictions de notre bonhomme. Vaine tentative, inutile diversion, pourquoi donc chercher ailleurs puisque nous sommes en présence de LA vérité ?
    Pfff... c'est d'un cynisme, d'une tristesse ! Ce mec-là est dans sa bulle dorée, il vit un monde virtuel fait de bilans comptables et de budgets prévisionnels dans lequel la France est, on s'en doute, le plus mauvais des élèves.
    Tiens, j'en viendrais presque à regretter les chroniques boursières d'un autre personnage de notre radio dite de service public, Jean-Pierre Gaillard : celui-là, à force d'être pathétique, il nous devenait presque sympathique. Quel bonheur de l'entendre débiter les cours de la bourse comme d'autres liraient leur bréviaire ou égreneraient leur chapelet ! C'était comme une étrange mélopée, envoûtante, mystérieuse. Et puis, ce Gaillard était à l'évidence un être humain sensible : on le sentait personnellement affecté lorsque le CAC 40 était orienté à la baisse ou, au contraire, joyeux quand il évoluait à la hausse. Ses souffrances, ses douleurs transpiraient à travers les ondes, on aurait voulu venir à son aide ou lui taper sur l'épaule. La Bourse, c'était comme son jouet et on l'admirait de pouvoir tout nous expliquer, avec les mêmes arguments : les prises de bénéfices, les inquiétudes des marchés (qui semblaient vivre leur existence propre, comme s'ils avaient acquis leur autonomie), les attentes de résultats de l'économie américaine ou des analyses de la Réserve Fédérale, la parité dollar / euro. Cerise sur la gâteau, un même argument pouvait nous expliquer un jour une hausse et quelque temps plus tard une baisse ! Qu'importe, l'essentiel était de vivre avec passion ce monde qui, pour le coup, n'était plus celui de la sinistre et austère Entreprise de Monsieur Sylvestre mais au contraire l'univers ludique d'un gigantesque Casino, promesse du bonheur éternel pour qui savait en franchir les portes.
    Oui, mais Jean-Pierre Gaillard n'est plus là, c'est aujourd'hui un retraité... son silence est trop cruel, et moi je veux qu'on me rende mon Casino quotidien, ma roue de la fortune boursière.
    Ah, ces maudits Français qui veulent partir en retraite ! Dire que sans eux et leurs exigences stupides, mon Gaillard serait peut-être encore là à me sussurer doucement au creux de l'oreille le doux chapelet de ses valeurs boursières...

  • La stratégie de l'arbre à disques


    Où placer cette note ? Dans la catégorie "Cool memories" ou "Musique" ? Les deux mon capitaine, sauf qu'ici, ce n'est pas autorisé, alors je tranche dans le vif, rangeons ces quelques phrases dans le vaste bazar de mes souvenirs, dont on verra qu'ils sont néanmoins très reliés à mon présent.

    Alors donc, j'aimerais remonter un peu le temps et... attention, je vous parle d'un temps que les moins de... 40 ans ?, ne peuvent pas connaître ! Bref, nous sommes le mercredi 13 décembre 1972 et me voici en possession d'un précieux billet de 100 francs (somme considérable si l'on veut bien la rapporter à mes émoluments mensuels d'alors, en d'autres termes mon argent de poche, soit 5 francs), prêt à une dépense dont je rêve depuis plusieurs semaines déjà. Mais je vais un peu vite...
    Revenons d'abord à un autre jour, un jeudi celui-là, le 27 janvier de cette même année 1972 (tiens, les gamins, je vous rappelle qu'à cette époque - et c'était la dernière année scolaire sous ce régime - on n'allait pas au collège le jeudi après-midi), qui fut en quelque sorte ma déclaration d'indépendance, le jour où je me suis affranchi de ma fraternelle et néanmoins bienveillante tutelle musicale. En effet, je n'avais vécu jusque là que dans l'ombre de mon frère aîné qui, en matière de musique, m'avait tout appris, à commencer par les Beatles, les Rolling Stones, puis en passant par les premiers disques de King Crimson, et bien d'autres encore. Tout ce que je connaissais, je l'avais appris de lui qui, patiemment, avait accepté sans renâcler ma présence à ses côtés dans sa chambre. Mais je n'existais pas par moi-même (d'ailleurs, mes soeurs ne manquaient jamais de me rappeler que je faisais "tout comme mon frère", raah, les vilaines...). Or donc, ce jour célèbre, je fis l'acquisition d'un double LP du Grateful Dead, dont j'avais lu tant d'échos flatteurs dans Best et Rock & Folk qu'il m'avait semblé inévitable d'aller à sa rencontre, alors même que mon propre frère ne m'en avait jamais parlé !!!
    Et là, ce fut le choc : cette musique était pour moi, elle me parlait, elle m'était destinée, Jerry Garcia (leader charismatique du groupe disparu le 9 août 1995) se confiait à moi ! Je tenais enfin MON univers, je ne le devais à personne !
    1972 fut donc l'année de toutes les acquisitions : une semaine plus tard, l'album solo de Jerry Garcia tout frais dans les bacs, puis le premier album du Grateful Dead, puis "Anthem of the Sun", puis "Aoxomoxoa", puis "Live Dead", puis "Workingman's Dead", puis "American Beauty"... autant vous dire qu'en ces mois fiévreux, je menais une vie quasi monacale eu égard à l'affectation obsessionnelle de l'intégralité mon budget. Et je me dois aussi de vous confier mes émois en lisant dans la presse musicale les comptes-rendus de la tournée européenne et printanière du groupe en France (à l'Olympia, salle dont j'ai fait tout récemment la connaissance pour un concert de Magma dont je vous parlerai très prochainement), en Angleterre, en Allemagne...
    Je suis trop long ? Vous ne voyez pas le rapport avec mon billet de 100 francs ? J'y viens et pour cela, avançons un peu dans le temps pour arriver au mois de novembre : j'apprends la publication de "Europe '72", triple album du Grateful Dead enregistré durant sa tournée européenne du printemps !!! Arrgh... J'ai plus un centime dans mes popoches... et la chose coûte une fortune... Inutile de vous dire que dès cet instant, j'ai cessé de vivre, d'autant que j'avais pu entendre des extraits plus que prometteurs de ce disque à la radio.
    Pas un sou, obligé de contempler la belle pochette en rendant une visite quasi quotidenne à mon disquaire (au moins, de ce côté-là, j'étais tranquille, je devais être le seul verdunois à m'intéresser au Grateful Dead, je ne risquais pas de voir disparaître ce bel objet...)... et de rentrer à la maison les mains vides !!!
    Mais en ce beau jour de décembre, le mercredi 13, le miracle arriva : mon parrain et sa femme vinrent rendre visite à notre famille, ce qui me combla de joie car - n'hésitez pas à me trouver vénal, j'avoue - je savais qu'à son départ, je serais en possession d'un billet promu au rang d'étrennes ! Bingo !!! 100 francs, pile poil ce qu'il me fallait... et il n'était que 17 heures !!!
    Sans attendre, je mis le cap vers le centre ville et échangeai ma précieuse image contre le disque du miracle !!! Mais là... désolé de vous infliger cette cocasse péripétie, le plus dur restait à faire : rentrer chez moi sans faire savoir que j'étais en possession d'un disque d'une telle valeur et que j'avais dépensé en quelques minutes l'intégralité de mes étrennes... Car mes parents avaient beau connaître ma passion pour la musique, ils n'aimaient pas vraiment apprendre que tout argent liquide faisait chez moi l'objet d'une conversion intégrale sous forme de disques... Heureusement, j'avais dans l'affaire un précieux allié : l'un des deux grands marronniers se dressant fièrement à l'entrée du jardin (vous allez bientôt comprendre le sens du titre de cette note). Il me fallait dans un premier temps vérifier que personne n'était en vue au moment de mon retour, puis ouvrir le moins bruyamment possible la grille de l'entrée (toujours rouillée, jamais silencieuse) et déposer furtivement le disque derrière le marronnier complice avant de rentrer, les mains dans les poches, arborant la mine réjouie de celui qui se sentait tout heureux d'avoir été faire "un tour en ville". Ensuite, je devais guetter le moment où je pouvais très rapidement sortir dans le jardin, récupérer mon bien, filer dans ma chambre, ranger le disque (sa place était déjà réservée dans le premier rayon de mon armoire), respirer un grand coup, me débarrasser du sac en plastique qui le contenait et... enfin, en déposer la première galette sur l'électrophone (euh, les jeunots, ça vous dit quelque chose ce mot ou je dois expliquer ?).
    Et là... le bonheur, je me souviens parfaitement de cette longue et douce dégustation : "Cumberland Blues", "Jack's Straw", "He's Gone", "China Cat Sunflower / I Know You Rider", "Truckin'",... et ce livret dont je contemplais les photos avidement, encore et encore... et cette belle pochette : une jambe marchant au-dessus de la Terre, surmontée d'un arc-en-ciel !
    Je n'avais pas encore 15 ans, tout cela semble si loin... et si proche malgré tout. Pas plus tard qu'hier, je me suis acheté en téléchargement (je donne cette précision parce que je tiens à faire savoir que je ne pirate pas, moi !) pour une somme modique, 16 €... tiens, c'est bizarre, aujourd'hui je trouve la somme modique alors que si mes comptes sont exacts, elle équivaut à un peu plus de 100 F, c'est-à-dire le coût exorbitant de l'année 1972, mais bon, je m'égare... sur le site Internet du Grateful Dead un magnifique quadruple CD live, enregistré en février 1973. Cinq heures de musique, inaltérable, goûteuse, comme aux plus beaux jours. Et moi j'ai toujours 15 ans !

  • Rébellion chorale

    J'apprends ce matin que la famille d'un des enfants ayant chanté dans la chorale du film "Les Choristes (9 millions d'entrées en salle à ce jour) veut intenter un procès aux producteurs (en l'occurrence la société de Jacques Perrin) car elle s'estime lésée dans cette histoire. Jacques Perrin ne semble pas en cause dans ce possible imbroglio, mais il aurait, aux dires de l'avocat de la famille plaignante, commis l'erreur de signer un contrat avec la chorale en tant qu'entité (pour la modique somme de 150000 €) au lieu de le faire avec chaque enfant (ou précisément sa famille) individuellement... Arrrhhh, comme l'argent aiguise les appétits ! On nous referait le coup de "Être et avoir", ce film documentaire supposé confidentiel et artisanal qui avait si bien cartonné que le personnage principal, l'instituteur, avait lui aussi voulu récupérer sa part du gâteau ?
    Pour être franc, tout cela m'indiffère, sauf que, avec cette bagarre qui s'annonce... peut-être qu'un jour ON NE NOUS HARCELERA PLUS AVEC CETTE P... DE CHANSON DES "CHORISTES" QU'ON NOUS INFLIGE DEPUIS DES MOIS !!! Je croise les doigts, je touche du bois... Euh non, c'est faux, je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur. Non, tout simplement, j'espère !
    Et pour le reste, je crois me souvenir qu'ayant vu "Les Choristes" plusieurs semaines avant sa sortie officielle en salle, je m'étais dit que nous tenions là un gentil film digne des soirées du samedi sur France 3, vous savez, le style "terroir", la nostalgie, l'idée qu'avant c'était mieux... Ce qui, inexorablement, nous ramène à mon récent "Café du commerce". CQFD !

  • Café du commerce

    Mes collègues de bureau sont parfois... désolantes ! Ho la, je vous arrête, aucune teneur machiste dans mes propos mais, ne nous le cachons pas, je suis entouré de personnes vraiment indécrottables.
    Imaginez le lieu stratégique des conversations essentielles : la cafet ! Soit un tout petit local bas de plafond, aux murs jaune citron, habité de façon quasi permanente par la horde des fumeurs invétérés, dont les pauses pluri-horaires créent en ce lieu un nuage épais et nauséabond. Il y a bien aussi deux fenêtres et une porte-fenêtre, mais non... à quoi bon les ouvrir puisqu'il est si drôle d'enfumer à tout va et de répandre le puant fumet.
    Euh, là, je m'égare, j'en étais à mes collègues désarmantes, qui ont toujours un avis définitif sur tout, qui détiennent une Vérité absolue, dont elles eu confirmation par "ILS"... Ah, ce fameux "ILS", très médiatique. J'y reviendrai.
    Revenons donc à nos moutons et, plus spécialement pour ce qui nous concerne aujourd'hui, aux appareils photo numériques ! Aïe aïe aïe, les appareils photos numériques : "Oh, de toutes façons, depuis que mon mari en a un, jamais plus je ne vois une seule photo, c'est bien simple, il en prend tout le temps, mais on n'en voit jamais la couleur..."
    Là, sur la pointe des pieds, j'essaie de m'immiscer dans cette passionnante conversation en disant que, peut-être, en copiant une sélection de photos sur un CD qu'on appporte au tirage dans l'un des innombrables magasins dédiés à ce genre d'activités... eh bien, des photos, c'est hyper simple d'en avoir et, cerise sur le gâteau, c'est plutôt moins cher, sans oublier qu'on n'apporte au tirage que des photos réussies. Pas de mauvaise surprise, c'est juste une question d'organisation.
    Ouh la... j'aurais mieux fait de me taire : sans m'en rendre compte, j'avais convoqué "ILS"...
    "D'ailleurs, ILS l'ont dit à la télé... Depuis que les gens prennent des photos avec leurs appareils numériques...", euh, oui, eh bien quoi ? On saura jamais, ILS l'ont dit, j'imagine qu'ILS ont dit à la télévision que le mari de la dite collègue ne développait jamais ses photos numériques ? Qu'il n'était pas fichu de mettre un peu d'ordre dans ses affaires ? Que peut-être, il n'en avait rien à tamponner des désiderata de son épouse aigrie? Impossible de vous le dire... ILS l'ont dit, là est bien l'essentiel.
    Cette intrusion stratégique des ILS vaut à ma chère collègue le soutien de quelques autres congénères, qui opinent, encouragent : "Oh oui, c'est vrai qu'avant..." C'est vrai qu'avant quoi ? Que tout était mieux ? Ah oui, j'oubliais mesdames : où donc avez-vous garé vos diligences en arrivant de votre campagne environnnante ? Et les machines à écrire, elles sont prêtes ?
    Bon, j'arrête sinon je vais m'emporter, mais ce café du commerce matinal a le don de m'exaspérer. Et surtout, je me dis que la technologie a bon dos, qui permet à certain(e) de se défausser à bon compte de leurs propres frustrations.
    De toutes façons, tout ça, c'est la faute à Internet... y a qu'à voir tous ces pédophiles...ILS en ont encore parlé ce matin à la radio !

  • STIMULO

    Quelques notes écrites voici près de 14 ans, au printemps 1991. Elles racontent l’intrusion dans ma vie d’un appareil électronique subdermique chargé de régulier le fonctionnement de notre muscle vital, le cœur. J’ai expurgé ces écrits de quelques passages hors propos (il est vrai qu’à cette époque, étant souvent contraint de rester inactif, j’écrivais beaucoup…) et rendu anonymes les quelques personnages qui en sont les acteurs volontaires ou involontaires.

    Lundi 25 mars
    Retour au boulot après une longue absence. Je me retrouve dans ces lieux sans véritable déplaisir mais sans les sensations "d'énergie" que j'aurais pu espérer après un repos de près de quatre semaines. Je réserve ma première visite au Service Statistique où les nouvelles professionnelles sont dans l'ensemble favorables : il y aura du pain sur la planche… Du côté du moral, je parle un peu avec certains, dont la plupart avaient bien ressenti mon entrée dans un cycle dépressionnaire. S'exprimer fait plutôt du bien mais c'est à moi de prendre des décisions concrètes pour revenir totalement à la surface. Je dois absolument faire tout mon possible pour trouver un véritable équilibre entre le travail et ma famille, et j'ai vraiment envie de réserver à cette dernière le meilleur de mes journées. C'est un pari plus difficile qu'il n'y paraît.

    Jeudi 28 mars
    Patatras ! Après trois jours de travail, c'est à nouveau l'arrêt. Il faut dire que j'ai connu un mercredi assez pénible, qui a commencé dès mon lever par une sensation générale de lassitude. Au bureau, j'avais pourtant bien fait avancer mon travail en cours… J'ai tout de même décidé de retourner voir le Dr C. car je ne peux pas rester ainsi : avec un pouls atteignant royalement 44, la première des solutions est évidemment un nouvel arrêt de travail (je ne reprendrai que le 8 avril) ainsi qu'une série d'analyses de sang, y compris la sérologie HIV ! Ne me dites pas que je suis séro-positif, car cela signifierait un mode de transmission encore inconnu du virus et je ne tiens pas à être à nouveau un cas médical… Monsieur H. est ensuite venu me voir et m'a proposé un test d'effort à la polyclinique de Gentilly : puisqu'il faut pédaler, pédalons. En revanche, il a évoqué une solution qui me plaît beaucoup moins ; si les analyses révèlent un problème du côté cardiaque, il envisage la pose d'un Pace Maker (en français, stimulateur cardiaque). Tout cela a un peu tourné dans ma tête (et ailleurs car j'ai l'estomac noué) et j'ai eu pas mal de difficultés à m'endormir.

    Le test d'effort porte bien son nom : assis sur un vélo d'intérieur, relié de la poitrine et du dos par des électrodes à une machine électronique, j'ai pédalé, pédalé jusqu'à ce que j'en arrive au moment fatidique, celui où je commence à me sentir un peu "vaporeux". Résultat : une chute de tension à 8 et un cœur qui redescend de 130 à 70 pulsations par minute en un temps très rapide. Tout cela intrigue bien Monsieur H. qui continue de me parler de la pose d'une pile. Affaire à suivre …

    Vendredi 29 mars
    Il est curieux de constater qu'au moment où les diagnostics se précisent tout doucement, où des débuts de réponse à certaines questions surgissent (soyons honnêtes, pour l'instant, il s'agit d'hypothèses), le moral est reparti à la hausse. Ce phénomène n'est pas si simple à analyser qu'il n'y paraît : pour l'instant, je suis convaincu qu'en ce domaine, une certitude vaut mieux qu'un doute et évite déjà de se poser d'inutiles questions. Mais il n'empêche qu'il peut s'avérer difficile de se trouver confronté à des ennuis réels. Il faut alors faire le tri et se concentrer ; je m'aperçois notamment que depuis deux jours, et même si je tiens mes collègues au courant des dernières nouvelles, j'ai dû faire passer le boulot au second plan, et j'arrive même à ne pas y penser. On ne peut être au four et au moulin et pour l'instant, je pense égoïstement à moi et à mon entourage.

    Samedi 30 mars
    Jusqu'à 17 heures, il faut que je porte, accrochés en bandoulière, deux appareils ressemblant à des walkman - des Holter - auxquels je suis relié par des électrodes et un mesureur de tension. Je laisse deviner le côté pratique de cet examen, en particulier la nuit. Je n'ai dormi que d'un œil, sur le dos et en ayant soin de ne rien débrancher. L'un des deux a en outre la particularité de se mettre "en route" tous les quarts d'heure en sonnant puis il prend tout seul ma tension. Mais il a tout de même la gentillesse de devenir silencieux et plus paresseux la nuit (il ne fonctionne alors qu'une fois par heure). Vivement ce soir !

    Mardi 2 avril
    J'en ai marre de ces cheveux qui me donnent l'air malade. Aux grands maux les grands remèdes : je n'hésite pas à les faire couper en brosse. Ce n'est pas avec de tels moyens que le pèse-personne voudra bien afficher plus de 60 kilos !!!

    Jeudi 4 avril
    16 heures 45 : j'ai appris il y trois quarts d'heure environ par un coup de téléphone de Monsieur H. que les résultats de mon holter étaient sans équivoque : il faut poser un pacemaker. Je choisis de ne pas retarder le cours des choses et je rentre à la polyclinique dès ce soir. Il faut tout de suite s'organiser : prévenir ma femme (voilà le téléphone qui tombe en panne !), préparer mon sac. J'ai déjà hâte de revenir à la maison. Madame H. m'a confirmé il y a quelques minutes que je serais entre les mains d'un des grands spécialistes internationaux de cet appareil ; je décide de prendre cette information comme une bonne nouvelle. Voilà : j'attends le retour des miens.

    Vendredi 5 avril
    9 heures : tout va décidément très vite. Je suis entré dans ma chambre hier soir vers 18 heures 15 et depuis, on s'occupe de moi selon un rythme (rite ?) que je n'ai pas pu oublier depuis douze ans. Tout de suite, nous avons prévenu mes parents, qui vont venir rapidement. Ma femme avait la gorge nouée et c'est à moi de lui redonner confiance. Tout se passera bien. J'ai eu très vite la première visite de mon chirurgien, le docteur D. : c'est un personnage très agréable à côtoyer qui a, outre ses qualités médicales, l'avantage de s'intéresser aux Macintosh. Ce matin, il est venu m'apporter le Pace Maker mais notre conversation a vite dévié : nous avons alors parlé de Page Maker !!! Je connais maintenant l'heure de l'intervention : ce sera pour ce soir, 17 heures 30. Je préviens tout de suite à l'école, n'ayant pas pu téléphoner chez nous pour cause de panne. Et puis, il y aune autre bonne nouvelle : les vacances redeviennent probables et je décompte à nouveau : - 19.

    On m'a rasé la poitrine, piqué dans la fesse, pris du sang, mesuré, contrôlé. Tout cela dans une atmosphère de calme, d'apaisement. Entrer en clinique (ou à l'hôpital) dans un but précis en étant - il faut le reconnaître - bichonné, n'a rien de traumatisant. Aujourd'hui, je souffre plus de n'avoir pu embrasser les trois miens que de la perspective de l'intervention chirurgicale.

    Françoise E. a trouvé que j'avais un "moral d'enfer" quand je lui ai dit que, tous comptes faits, j'avais encore beaucoup de chance, que je me sentais privilégié. C'est vrai que je préfère être ici plutôt que réfugié kurde, en exode aux portes de l'Iran. Dans ce genre de moments, il y a des vérités qu'il faut constamment se marteler !

    J'ai reçu un coup de téléphone qui a engendré l'hilarité de mes parents, arrivés peu de temps auparavant : rivé à son Macintosh, le docteur D. cherche à comprendre le fonctionnement d'Apple File Exchange, utilitaire destiné aux transferts de fichiers entre MS-DOS et Mac-OS. Et me voici, assis dans mon lit, en train de prodiguer des conseils techniques à celui qui, dans une heure, va poser mon Pace Maker ! Echange de services ?

    17 heures 30 : je descends au bloc opératoire, emballé dans un grand drap blanc, serrant mon Pace Maker dans mes bras. Je demande à visiter la morgue car si je dois y aller, je ne serai plus en état de voir les locaux. Il paraît que nous ne sommes pas dans la bonne direction.

    C'est la première fois que j'entre dans un bloc opératoire et pourtant je ne suis pas dépaysé. Il faut dire que la télévision nous en montre assez souvent. Je n'ai aucune sensation de peur et nous entamons, l'infirmier et moi, une tranquille discussion sur la préparation du matériel. Il fait froid dans cette salle. Progressivement, tous les acteurs entrent et l'anesthésiste me parle, lui aussi, de Macintosh. Décidément, Gentilly doit être contaminé par le virus. Ensuite, et jusqu'à mon retour au quatrième étage, les souvenirs sont tantôt précis, tantôt embrouillés mais tout me paraît s'être déroulé rapidement. Je me souviens qu'à 18 heures 45, mon pansement était terminé. Je me souviens également d'avoir vu messieurs D. et H. dans la chambre et presque aussitôt ma femme qui arrive. Je suis content d'être en mesure de lui parler, même si tout n'est pas exactement clair dans ma tête.

    Samedi 6 avril
    Toute la nuit, j'ai ressenti une douleur dans le creux de l'épaule et sur le côté gauche de la poitrine. Je suppose que tout cela est normal. Je perçois un battement discret, au rythme de mon cœur, probablement à l'endroit où sont posées les sondes. Au début, on est gêné mais, paradoxalement, rassuré aussi. C'est la preuve que tout fonctionne là-dedans. Pour le reste, il faudra attendre encore un peu avant de mesurer les effets bénéfiques de mon appareillage.

    La douleur m'a empêché de m'endormir vite et je prends le temps de réfléchir : l'an passé, je me disais que mes problèmes de santé, ceux de l’année 1979, bien que toujours présents au quotidien, étaient tout juste assimilés. Je ressentais comme un vrai redémarrage. 1991 : c'est le deuxième coup de boutoir. Malgré tous les avantages annoncés du Pace Maker, je suis certain qu'il me faudra beaucoup de temps pour l'intégrer, mais je refuse de recevoir de façon négative cette nouvelle épreuve qui m'est donnée. D'abord parce que je n'ai pas le choix, ensuite parce qu'il y en a de bien plus terribles et enfin, parce que je n'en ai pas le droit : je dois être fort pour rester auprès des miens et je le serai.

    Malgré la douleur persistante, je sens me gagner une certaine sérénité. Plus que jamais, j'ai envie d'aller à l'essentiel et cet essentiel est assez facile à cerner : ma petite tribu. Je devine que j'observerai avec plus d'acuité encore ceux qui s'agitent dans le vide, qui n'ont rien compris. Il faudra que je sois, malgré tout, mesuré dans mes remarques pour ne blesser personne. Je ne suis pas un juge.

    A la neuvième reprise, le boxeur Christophe Tiozzo s'est fait battre par le panaméen Cordoba. Le pauvre, il n'était guère en meilleur état que moi !

    Vers 10 heures 45, le docteur D. a commencé les premiers réglages de mon Pace Maker, en m'obligeant même à trottiner dans les couloirs. Quelle n'était pas la surprise des autres patients en salle d'attente lorsqu'ils ont vu un malade courir en pyjama tout en prenant son pouls et en consultant son chronomètre !!! Mais le plus étrange a été cette sensation d'être "télécommandé" : tout en restant tranquillement assis sur une chaise, je peux sentir mon cœur battre à 110 coups par minute, simplement parce qu'un ordinateur lui en a donné l'ordre.

    L'évocation de ces phénomènes un peu particuliers a bien troublé Emilie - qui me rend une petite visite avec Pierre et ses grands-parents - tout près de défaillir sur mon lit.

    Hier, j'ai terminé "Les anneaux de Bicêtre" de Simenon. C'est vraiment le hasard qui m'a fait lire un roman - passionnant - dont le décor unique est celui d'une chambre d'hôpital.

    M. m'a téléphoné tout à l'heure. S'il peut, il me rendra demain, avec E., une petite visite à la clinique. Je n'ai toujours aucune nouvelle de mon frère. Au fait, qui est mon frère dans cette histoire ?

    Ce samedi aura finalement été celui de la solidarité : celui des coups de téléphone (V., F., C., A., S.… et même mon frère qui fait enfin un signe), celui des visites. Ce qui me manque le plus, c'est un peu d'intimité avec B. Nous sommes tout de même restés une demi-heure seuls tous les deux en fin d'après-midi. Il faudra rattraper ce temps perdu.

    Le docteur D. est vraiment un type sympa : il est passé me voir cet après-midi pour m'apporter un exemplaire de sa revue médicale, mais aussi le dernier numéro de Mac User.

    Dimanche 7 avril
    Une curieuse journée que ce dimanche, marqué par le contraste entre les premières heures, calmes, lisses, des heures que l'on peut supporter parce qu'on sait qu'elles ne dureront pas, et toutes les visites qui font tant de bien : les enfants et les grands-parents suivis une heure après par ma femme ; R. et B. en début d'après-midi, M. et E., M. et R. venus en compagnie de C. et G. Tous ces témoignages commencent à préciser dans nos têtes l'idée d'une petite fête que nous ferons dans quelques semaines. Et puis des coups de téléphone : M., F., ma tante A. Jamais je ne dirai assez merci à tous ceux - intimes, parents, proches, amis, copains - qui ont rendu ces quelques journées moins longues.

    C'est sûr, certain, définitif : après quelques dernières vérifications, je sors demain en début d'après-midi.

    Comme les animaux allant chez le vétérinaire, je suis désormais titulaire d'un petit livret qui m'identifiera immédiatement comme porteur d'un "stimulateur cardiaque électrique intracorporel".

    Lundi 8 avril
    La sortie de clinique s'est faite en douceur : en fait, tous mes bagages étaient prêts de bonne heure et c'est habillé que le docteur D. m'a trouvé dans ma chambre. Après les formalités et une ultime visite (dans le hall d'entrée) de monsieur C., j'ai retrouvé notre maison, ses bruits (ou plutôt son absence de bruit), ses odeurs.

    Mardi 9 avril
    Est-ce l'effet du retour qui peut provoquer l'anxiété (je n'ai pas ici de soin immédiat en cas de besoin) ou du départ de ma femme à Paris ? Je me sens moins en forme ce matin et je ressens une douleur tout le long du bras, comme si quelque chose appuyait sur un nerf. Au quatrième jour, on ne peut pas simplement parler de gêne.

    D'après le docteur C., un stimulateur cardiaque vaut environ 10000 francs, soit le prix de ce cher Macintosh. Fort heureusement pour moi, il est de taille plus réduite.

    Mercredi 10 avril
    Les choses s'organisent doucement : il faut deux infirmiers pour s'occuper de moi. Le premier pique et la seconde panse. Heureusement, tout ceci ne durera qu'une semaine car il y a un aspect "grand malade" dans ces visites qui par moments est désagréable. Pour nous changer les idées et grâce au temps magnifique qui règne au dehors, nous allons nous promener (sans Emilie qui est chez une copine) dans le quartier. Cette petite sortie nous fait espérer un soleil aussi radieux dans deux semaines, lorsque nous aurons rejoint le Cap d'Agde. Il va de soit que le décompte continue : - 14.

    Jeudi 11 avril
    Nous avons tendance, B. et moi, à nous insurger quelque peu contre tous ceux qui considèrent que la pose d'un Pacemaker est de peu d'importance. S'il est vrai qu'au plan strictement chirurgical, il s'agit d'un acte assez peu traumatisant - l'intervention est courte, ne nécessite pas d'anesthésie générale et en quelques jours les douleurs s'effacent - il ne faut pas nier que pour une personne de 33 ans, c'est aussi et surtout l'occasion d'être assez fort mentalement pour accepter la dépendance à un appareillage externe. Il y a une perte réelle d'autonomie, que l'on accepte facilement du fait des améliorations que l'on attend de cette aide. Croire cependant que cette acceptation se fait de manière automatique est une erreur que certains médecins ou personnes bien intentionnées seraient avisés de corriger.

    Vendredi 12 avril
    J'ai de plus en plus envie d'aller me promener. Demain après-midi, nous ferons une petite sortie en ville tous les quatre. Ce sera en quelque sorte un petit test d'effort.

    Samedi 13 avril
    Première vraie sortie aujourd'hui. Les enfants étant invités tout l'après-midi chez des copains, c'est finalement dans le cadre d'une petite promenade à deux, baignée de soleil, que nous avons déambulé dans les rues du centre ville. J'ai un peu perdu l'habitude de certains bruits qui me font sursauter et je sens qu'il me faudra encore quelques jours pour trouver un vrai appui sur mes jambes. Mais que tout ceci paraît si agréable comparé aux longues heures solitaires des semaines précédentes !

    J'avais pensé qu'à cette occasion, j'achèterais le nouveau disque de Gérard Manset, "Revivre". Au dernier moment, j'ai eu un peu peur de me confronter à sa musique, à ses textes dont la douleur permanente ne me tentaient guère à ce moment précis. J'en ai donc reporté l'achat à une date future et je me suis tourné vers "Real Life" des Simple Minds. Après tout, ce choix est plus logique : "Real Life", cela signifie "la vraie vie", qui est peut-être celle à laquelle on aspire après les heures difficiles et qui correspond mieux à mon état d'esprit que le mot "revivre", qui sous-entend, lui, qu'à un certain moment, on a cessé de vivre.

    Lundi 15 avril
    Mon collègue et pote L. est venu me rendre une petite visite en fin d'après-midi, un peu pour le boulot, surtout pour prendre de mes nouvelles. En l'entendant évoquer l'ambiance surchauffée du bureau, j'ai ressenti une impression étrange, comparable à celle que l'on éprouve lorsque l'on se réveille brutalement au beau milieu d'un rêve. Le retour à la réalité et à son quotidien est alors souvent désagréable et il vous faut en général un temps assez long pour y reprendre pied. Là, c'était la même chose : en réservant toute mon énergie mentale à l'assimilation de mes problèmes, j'étais parvenu à "sortir" complètement le boulot de mes préoccupations, avec le risque non négligeable d'éprouver un vrai sentiment de décalage lors de mon retour au début du mois de mai. Mais les choses sont claires dans mon esprit : il est aujourd'hui hors de question que je m'investisse dans le travail au rythme de certains. On n'est pas près de me voir au boulot le dimanche à 6 heures du matin.

    Mercredi 17 avril
    En douze ans, l'hôpital a très peu changé : même dédale de couloirs dans lesquels déambulent un nombre incalculables de "blouses blanches" dont toutes ne dégagent pas les mêmes impressions. Je suis toujours aussi surpris par ces externes qui passent, repassent et passent encore à vos côtés pendant que vous attendez, avec de moins en moins de patience, que quelqu'un veuille bien s'occuper de vous. Et encore, je suis probablement privilégié car mon arrivée n'a pas été anonyme. Mon patronyme est connu là-bas, pas seulement parce qu'il concerne un jeune porteur de Pacemaker mais aussi (et surtout) parce qu'il est celui d'un professeur du Cours Notre Dame. Grâce à cet avantage certain, Pierre a pu bénéficier d'une consultation ophtalmologique gratuite d'où il est ressorti qu'il lui faudrait probablement porter quelque temps des lunettes pour corriger une légère hypermétropie. Voilà un exemple typique de ce que j'appelle les "faits autoportés" : ce sont des événements, non accidentels, qui vous arrivent de manière incontrôlable, et qui au final s'avèrent assez importants quant à leurs conséquences concrètes. Ici, on distingue très bien la chaîne des faits : un service, celui des pacemakers, voisin du service ophtalmologique dans lequel travaille une personne dont le fils est en classe de sixième à Notre Dame et dont le mari est originaire de Sivry-sur-Meuse, le village natal de ma mère, et qui connaissait parfaitement mon grand-père. Je pense que la démonstration est éloquente !!!

    J'ai couru dans les escaliers de l’hôpital de Brabois, en montée comme en descente : aucun malaise, le pacemaker joue parfaitement son rôle de régulateur et mon pouls ("rate" comme dirait le docteur D. à son collègue américain) ne s'écroule plus après l'effort. Je vais donc pouvoir "rentrer en activité" dans les meilleures conditions, d'autant que les vacances au Cap d'Agde continuent de s'approcher. Il me reste une cicatrice et une belle bosse sous la clavicule. Cette trace m'a valu une conversation assez amusante avec l'aide-soignante qui m'ôtait les fils. Elle s'extasiait devant ma cicatrice qu'elle trouvait belle ; c'est là une question d'appréciation et de position par rapport à cette dernière. En tant que propriétaire de la dite cicatrice, j'éprouve quelques difficultés à la trouver belle. Je veux bien admettre qu'elle soit réussie, mais belle, non !

    Vendredi 19 avril
    Il y a 12 ans, jour pour jour, je ressentais les premiers signes d'un mal qui était déjà en moi et qui allait transformer ma vie pour de nombreuses années. Il y a des anniversaires que l'on fête et il y a ceux que l'on voudrait oublier. Ce n'est pas toujours aussi simple qu'il y paraît.

    Samedi 20 avril
    Je viens de recevoir - pour information heureusement - la facture détaillée de mon hospitalisation à la Clinique de Gentilly. Comme je suis content de n'avoir eu à débourser que 181 francs pour frais divers tels que télévision ou téléphone ! Et je sous-estimais de beaucoup le prix d'un pacemaker, ici facturé à plus de 35500 francs !

    Vendredi 26 avril
    "Le tam-tam de mon cœur est rythmé par le tic-tac de ton pacemaker". Une phrase relevée dans un sketch par Emilie, à la télévision, me confirme que nos enfants ne sont pas vraiment traumatisés par mon nouvel appareillage.

    Lundi 6 mai
    Normalement, je devrais parler de mon retour au boulot, de la reprise des différentes activités que j'avais laissées en plan au mois de février. Outre le fait que j'ai consacré la plupart de mes heures de travail à des activités relevant d'abord du dépannage informatique, je dois bien avouer que pour l'heure, je n'en retire rien de particulier qui me donne envie de le noter.

  • IPodmania

    Stocker plus de 300 CD dans un objet d'à peine 160 grammes... L'idée peut paraître curieuse et pourtant, cette écoute de la musique un tantinet personnelle (qui peut vous amener, dans votre propre appartement, à vivre comme déconnecté des autres, la tête entre les écouteurs... mais attention, ce n'est qu'une apparence, j'entends tout ce qui se dit autour de moi) me ramène plus de 30 ans en arrière lorsqu'adolescent, je consacrais une grande partie de mes soirées à lire en écoutant de la musique au casque. Par un phénomène que je ne saurais pas forcément expliquer, les deux activités sont chez moi totalement compatibles, elle se stimulent même l'une l'autre. Je parviens ainsi à mieux me plonger dans les histoires que je lis tout en m'immergeant complètement dans la musique. Une synergie inattendue entre l'image et le son...

  • Simon GOUBERT : et après

    Le nouveau disque du batteur, pianiste, compositeur Simon Goubert est... presque sorti !!! Ayant la chance d'avoir pu l'écouter en avant-première (forcément, je dois réaliser une page de présentation du disque pour le compte du label qui le produit, Ex-Tension Records), j'aimerais ici le recommander chaudement à tous ceux qui, de près ou de loin, ont un intérêt pour les musiques allant du jazz aux atmosphères évoquant l'univers d'Offering (dont Simon Goubert fut le pianiste).
    Avec ce nouvel opus (le sixième sous son nom), Simon Goubert n'hésite pas à opter pour une direction musicale qui pourrait dérouter les amateurs d'un jazz plus classique. Ici, tout est affaire de climats, de couleurs sonores variées, avec l'appui de musiciens qui, tous, sont des complices : Jean-Philippe Viret, Sophia Domancich, Stella Vander...
    Dans une interview que Simon Goubert m'a accordée, ce musicien très attachant me confiait que peut-être, il ne s'était jamais exposé autant comme lui-même dans un disque. Sa musique est vivante, chaleureuse et j'aime énormément la réponse qu'il a faite à ma dernière question, lorsque je lui ai demandé quels étaient ses projets pour l'avenir : "Etre sur scène".
    Rendez-vous donc au 4 avril 2005, date de sa sortie officielle. En attendant, vous pouvez en écouter quelques courts extraits à l'adresse suivante :

    http://muzihk.free.fr/simon