Lorsqu'au début des années 80, Christian Vander - leader charismatique du groupe Magma - sentit germer en lui le projet très coltranien et acoustique baptisé Offering, il ressentit aussi le besoin de se ressourcer en se produisant sur scène dans le cadre d'un trio de jazz au sein duquel évoluèrent de brillants musiciens tels que Michel Graillier au piano et Alby Cullaz à la contrebasse. Deux grands messieurs qui, depuis, nous ont malheureusement quittés. Cette formation vit aussi à une époque la participation de Francis Lockwood et connut plus tard, à partir de la fin des années 80, une période au cours de laquelle les compagnons de Zebëhn s'appelaient Emmanuel Borghi et Philippe Dardelle. Le trio existe toujours (en témoignent ses récentes et belles prestations), et c'est maintenant Manu Grimonprez qui officie à la contrebasse et continue de célébrer avec intensité la musique de John Coltrane. Tout récemment, quelques concerts furent donnés au Triton (Les Lilas) avec en invité spécial le saxophoniste américain Ricky Ford. Qui veut admirer dans toute sa générosité et son charisme Vander le batteur serait bien inspiré de guetter l'agenda des concerts du Trio et de se précipiter à la rencontre d'une musique dont la densité vous laisse un peu abasourdi et vous fait ressentir ensuite une bizarre sensation de manque. C'est une sorte d'irradiation aux effets retard que bien d'autres que moi ont connu depuis longtemps et sauraient vous décrire en termes cliniques plus précis que je ne pourrai jamais le faire. Attention cependant et là je m'adresse aux élèves batteurs : regardez-y à deux fois avant de tenter l'expérience car vous pourriez ensuite être tentés, par humilité, d'apprendre un autre instrument. Ni'mporte quel autre... sauf la batterie !
Mais dès cette époque de mutation, il y a 25 ans maintenant - rappelons que durant une bonne dizaine d'années, Magma se mit comme en sommeil et se retira tout doucement de la scène musicale pour ne revenir qu'en 1996 - Christian Vander avait aussi mis sur pied une formation plus électrique à la coloration jazz-rock appelée Alien. Sur la base d'une rythmique composée de deux claviers, une basse et une batterie auxquels pouvaient s'ajouter une guitare électrique, Alien puisait dans le répertoire d'autres géants de la musique : Tony Williams, McCoy Tyner, Billy Cobham, Jan Hammer pour n'en citer que quelques uns... Musique débordante d'énergie, instrumentistes virtuoses et habités par leur propos, nous étions là en présence d'un nouvel espace qui malheureusement pour nous ne laissa derrière lui aucun souvenir discographique. Pourtant, quelques concerts mémorables restent dans le souvenir de pas mal d'entre nous qui se souviennent de ces heures intenses en compagnie de Benoît Widemann, Jean-Pierre Fouquey, Dominique Bertram ou encore Jean-Luc Chevalier. Alien était passé telle une brillante et fulgurante comète, beaucoup de nous rêvaient de son retour un jour ou l'autre... sans y croire vraiment, tout en sachant qu'avec Christian Vander, aucune histoire commencée n'est jamais terminée.
Et puis... et puis... fut annoncé pour le mois de décembre 2004 une série de concerts au Sunset ! Alien Quintet était à nouveau en chemin ! Construit autour du coeur d'acier de Magma (Christian Vander : batterie ; Emmanuel Borghi : piano Fender ; James Mac Gaw : guitare ; Philippe Bussonnet : basse) avec comme 5e élément l'élégant Benoît Widemann (lui-même pianiste de Magma durant de longues années) au moog, il y avait fort à parier que ce gang possédait tous les atouts pour mettre le feu sur scène ! Et ce fut bien le cas... au sens propre comme au sens figuré d'ailleurs puisque cette épopée parisienne tourna plus court que prévu un beau soir du fait d'un... incendie, qui entraîna la fermeture de cette salle si prisée des amateurs de jazz pour plusieurs semaines !
Tous ceux qui eurent la chance d'assister à ces quelques concerts en ont gardé une fois encore de magnifiques souvenirs : plus de 2h30 de musique dont l'intensité ne faiblit à aucun moment, une joie de jouer évidente, des sourires complices qui s'échangent sur la scène, Christian Vander poussant plus que jamais la machine à haut régime, véritable catalyseur d'une communion chaque jour renouvelée. Sans tricherie. Offrant au public sa générosité et sa foi. Comme aux premiers jours.
J'ai pu voir Alien en novembre 2005 sur la scène du Triton et, comme chaque personne présente ce soir-là dans la salle, j'ai reçu une fois de plus une telle claque que c'est avec beaucoup de légèreté et de flegme que j'ai dû regagner Paris avec les plus grandes difficultés du fait de l'heure très tardive, des travaux du côté de Belleville et du passage du dernier métro à Châtelet. Quelle importance, nous étions sous le charme, rejouant en silence ce concert trop rare, espérant que l'expérience aurait des lendemains. Hébétés, comme d'habitude...
Alien, c'est un peu comme un soleil qui illuminerait la planète Kobaïa, c'est la célébration d'une lumière intemporelle, c'est aussi et surtout une véritable offrande. Je ne saurai jamais assez remercier de tels musiciens, je leur dois tellement depuis si longtemps que les superlatifs sont devenus inutiles. Si ces cinq garçons croisent votre chemin, n'ayez surtout aucune hésitation : toutes affaires cessantes, précipitez-vous et venez vous faire irradier, jamais vous n'aurez à le regretter. Ces heures-là sont si rares qu'il serait coupable de ne pas les vivre !!!

La discographie d'Alien est réduite à sa plus simple expression puisqu'aucun disque n'existe mais... sait-on jamais ? Un jour peut-être sur Seventh Records ?
Pas besoin d'en ajouter... nous sommes immergés au cœur de 72 minutes inspirées dont jamais la tension ne retombe. Avec Manassas, Stephen Stills nous convie à un voyage qu'il a décomposé en quatre phases (à l'origine, une par face du double album) : The Raven, The Wilderness, Consider et Rock & Roll Is Here To Stay. Un périple au cours duquel le guitariste a su inventer un savant cocktail alliant blues, rock, folk et country rock, sans que jamais l'impression d'harmonie de l'ensemble ne soit rompue.
Lorsqu'en 1969 fut publié "In the Court of the Crimson King", nous étions en train de découvrir ce que l'on a pu appeler par la suite un mouvement musical baptisé "rock progressif". Celui-ci se démarquait du "rock tout court" par l'assimilation dans une musique électrifiée de nombreuses influences, jazz mais aussi classiques avec un grand soin apporté à la richesse des arrangements et des orchestrations. Cette musique affichait des ambitions créatrices fortes et allait connaître un développement foudroyant durant la première moitié des années 70. Les ramifications de cette nouvelle branche furent très nombreuses et souvent en provenance de l'Angleterre : pour mémoire, on évoquera des formations telles que Genesis (celui de Peter Gabriel, avant son départ en 1975 et surtout avant la main mise du groupe par Phil Collins pour un projet plus banal), Emerson, Lake & Palmer, Yes, Pink Floyd, sans oublier ce que l'on appelait l'école de Canterbury initiée par Soft Machine. King Crimson occupait une place assez particulière, en raison principalement de son leader, personnage plutôt austère dont la présence scénique était aussi minimaliste que sa rigueur était grande. On n'imaginait pas vraiment taper sur l'épaule de Robert Fripp, cet homme là distillait sa part de mystère qu'il a toujours conservée au fil des années.

La chanson du générique a disparu... Il ne reste plus que la musique, signée Claude Bolling. Il paraît que le texte était daté, trop vieillot. Ah bon ? Pourtant, tout y était dit : l'obligation faite à la police de vivre avec ce nouveau siècle et d'employer des méthodes modernes pour rivaliser avec les gangsters de tous poils. Soit. Nous sommes en 2006, surtout ne pas bousculer le public en adoptant un style et un rythme un peu différents... Lui proposer le formatage contemporain.
Sur ce bel album, les titres se suivent dans une jubilation sans pause de quarante minutes : après «Take It Easy» vient «Witchy woman» puis «Chug all night», «Most of us are sad», «Nightingale», «Train leaves here this morning», «Take the devil», «Earlybird», «Peaceful easy feeling» et pour finir «Tryin'». Pas besoin d'un gros exercice de mémoire pour réciter tous ces titres, ces chansons sont tellement ancrées dans ma propre histoire que leur enchaînement est automatique. Il me suffit de fermer les yeux et d'écouter intérieurement cette musique... qu'il m'est impossible de me remémorer sans être parcouru par un léger frisson de nostalgie, je regarde dans le rétroviseur des années passées et je m'imagine que le temps s'est arrêté.
J'essaie de vous situer le personnage – que Quiet Man saurait vous présenter mieux que moi, étant donné que c'est lui qui me l'a fait écouter voici tellement longtemps maintenant. A ce sujet, vous allez finir par vous dire que durant de longues années, j'ai vécu sous sa totale dépendance. Ce n'est pas totalement faux, pas totalement vrai non plus, mais il faut bien rendre à César ce qui appartient à César, surtout, n'est-ce pas, lorsqu'on évoque Gérard Manset. Car ce dernier est un personnage, sans équivalent dans le paysage musical français. Il ressemble à un grand solitaire – d'ailleurs, il voyage en solitaire –, amoureux des voyages, créateur d'un univers sonore et poétique très particulier qu'il chante d'une voix absolument inimitable. Un peu frêle, un peu nasillarde, pas vraiment assurée. Un timbre unique, reconnaissable instantanément. Il est un peu à la chanson française ce qu'un Neil Young serait au rock : « The loner ». Depuis bientôt quatre décennies maintenant – Gérard Manset fêtera cette années ses 61 ans, le temps passe – notre homme aligne des galettes incomparables imprégnées d'une étrange tristesse et tissées de paroles vagabondes, souvent nostalgiques et mystérieuses. C'est vrai qu'on ne «rigole» guère en la compagnie d'un tel monsieur qui, entouré de quelques musiciens fidèles, compose, arrange et joue de beaucoup d'instruments. Dès qu'il sort un nouveau disque, on dit que ses fidèles – dont le nombre serait compris entre 50 et 70.000 se ruent vers les bacs des disquaires et ajoutent un nouveau chapitre au grand roman que Gérard Manset leur propose. Car il faut le dire aussi : il n'y a rien qui ressemble plus à un disque de Gérard Manset qu'un autre disque de Gérard Manset. On aime ou on n'aime pas, comme on dit, ça passe ou ça casse mais si vous acceptez de glisser ne serait-ce qu'un bout d'orteil dans son engrenage, alors c'en est fait de vous, vous serez contaminé.