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WHAT ELSE ? - Page 16

  • Renaud GARCIA-FONS ou la musique élégante

    C'est en regardant l'émission « Séquences jazz » sur la chaîne Mezzo en début de semaine – merci à toi, Mr Monstrueux d'avoir allumé le téléviseur au bon moment et d'avoir fait ce bon choix, c'est tout de même mieux que Comédie, non ? – qu'après avoir pu constater avec étonnement que le batteur jouant « Impressions » de John Coltrane aux côtés d'un Didier Lockwood pas très inspiré, à Vienne au mois d'août 2004, n'était autre qu'un certain Christian Vander, qu'une musique familière est venue chatouiller mes oreilles, celle d'un grand monsieur, le contrebassiste Renaud Garcia-Fons jouant avec les deux complices de son actuel trio, Kiko Ruiz (guitare) et Negrito Trasante (percussions).

    Avec cette note, je souhaite aussi adresser un clin d'oeil à mon ami Michel V., dont la passion pour la Musique (j'écris volontairement ce mot avec une majuscule) est intacte et toujours aussi débordante. C'est lui qui, voici pas mal d'années maintenant, m'a guidé sur les pas de nombreux artistes que je connaissais peu, voire pas du tout et qui tous, sans exception, se sont avérés pour moi de nouveaux compagnons de route. Je lui dois mes rencontres, entre autres, avec Henri Texier, Louis Sclavis ou le très grand Michel Portal. Renaud Garcia-Fons fut un beau jour l'objet d'une de nos conversations toujours enflammées...

    Il faut tout de même que vous imaginiez un peu la scène... Avec Michel V., on est dans une autre dimension, car la musique n'entre pas chez lui dans le cadre d'une simple distraction, c'est un univers dans lequel il faut pénétrer avec respect, c'est un art majeur. Pas étonnant que nous soyons faits pour nous entendre ; avec lui, il faudrait, en quelques minutes, pouvoir tout écouter d'un seul coup, car le temps nous semble toujours compté, alors on met un premier disque sur la platine, on s'en délecte, puis, forcément, on pense à un autre et on change, et ainsi de suite, jusqu'à en avoir comme un tournis sonore assez unique ! Ça n'arrête pas, le feu d'artifice a commencé. Mais ces enchaînements frénétiques sont encore moins redoutables que les batailles de « blind tests » que nous nous livrons de temps à autre, dont le principe très simple consiste à faire deviner à l'autre ce qu'il donne à écouter, en souhaitant sans le dire le piéger, bien sûr ! Ou bien, c'est le contraire et un certain recueillement est de mise : Michel V. nous convie chez lui, ordre nous est donné de nous asseoir sur le canapé, à la place centrale positionnée rigoureusement à mi-chemin entre les deux hauts-parleurs et là, après un minutieux réglage des basses et des aigus... on ne bouge plus, on écoute ! C'est exactement de cette façon que j'ai pu entendre pour la première fois Renaud Garcia-Fons, c'était le disque « Oriental Bass », pour être précis.

    Vous m'aurez pardonné, j'en suis certain, cette nouvelle parenthèse digressive, mais je la crois nécessaire pour vous faire vivre à mes côtés cette fièvre qui vous gagne dans ces instants de découverte. Oreilles grandes ouvertes, vous êtes disponible pour connaître – ce que j'oppose à reconnaître – et vous apprenez, vous ajoutez un nouveau livre à votre bibliothèque intérieure, s'il le faut, vous devez même créer un nouveau rayonnage. Vous mesurez avec bonheur l'étendue de votre ignorance, certes, mais vous avancez un peu, ces quelques pas vous aident à rester debout et vivant.

    Concernant Renaud Garcia-Fons, parlons de lui tout de même puisqu'il est le sujet de ce texte, je serais bien en peine de vous proposer une quelconque classification musicale. La manie des étiquettes, sport franco-français, n'est pas mon fort et je ne saurais vous fournir ici que quelques indications géographiques ! D'origine ibérique, notre contrebassiste à cinq cordes puise une très grande partie de son inspiration du côté des rivages de la Méditerranée. L'Espagne forcément, mais aussi le Maghreb et le reste de l'Afrique. A travers tous les voyages qu'il nous propose – et à cet égard l'album « Navigatore » publié en 2001 est une bonne initiation puisque Renaud Garcia-Fons nous emmène avec lui pour un tour du monde à bord de sa Caravelle et nous donne aussi à entendre des musiques d'origine celtique ou d'Amérique du Sud – nous sommes conviés à l'ouverture vers l'Autre, sans restriction. Nous sommes là au coeur d'une démarche artistique universelle, peut-être même sommes-nous en présence de ce que l'on devrait considérer comme cette « world music », ouverte à tous les brassages, dont on nous rebat les oreilles dès lors qu'un chanteur ou musicien occidental s'empare d'un instrument un tant soit peu exotique à nos tympans formatés. Il est toutefois une condition nécessaire à la musique de Renaud Garcia-Fons : il faut que le soleil brille ! Méditerranée, quand tu nous tiens...

    Mais le plus remarquable est ce sentiment qui vous gagne et vous fait croire que la musique de Renaud Garcia-Fons est accessible à toutes les oreilles, qu'elle ne nécessite aucune « initiation » particulière. Elle coule d'évidence, de simplicité et d'élégance, sans pour autant être dénuée d'une bonne dose de virtuosité. Un heureux mariage entre simplicité et créativité, sans complexe. Peut-être aussi une certaine définition de l'exigence.

    Il y a quelques années, j'avais eu la chance d'assister à un concert de Renaud Garcia-Fons dans la magnifique salle de l'Arsenal à Metz. Entouré de cinq ou six musiciens – ma mémoire me fait défaut, je me souviens seulement de la présence des deux actuels membres de son trio à la guitare et aux percussions – le contrebassiste avait déroulé son magnifique tapis musical durant 90 minutes qui sont passées à la vitesse de l'éclair. Sa présence physique discrète contrastait étrangement avec la force du propos et une certaine manière de se tenir bien droit, un peu fièrement – tel le toréador ? – et nous étions sortis comme hébétés après avoir reçu ce que j'appelle un peu religieusement une offrande. Pas une seconde de tricherie, un talent fou et toujours ce brassage harmonieux, partant d'une introduction en solo aux intonations classiques pour aller jusqu'aux sonorités rock d'une contrebasse électrifiée et gémissant un magnifique chorus à l'archet. Renaud Garcia-Fons, encore un passeur, un de ces artistes trans-courants dont nous avons tant besoin.

    Il n'y a rien à jeter dans la discographie de Renaud Garcia-Fons, c'est un parcours jusque-là sans faute et c'est avec bonheur que l'année 2006 a vu la publication d'un beau disque live, « Arcoluz », doublé d'un DVD. Peut-être pourrais-je vous recommander de commencer votre voyage avec lui en écoutant « Oriental Bass » ou « Navigatore » ? Mais si vous vous prenez au jeu, vous constaterez bien vite chez vous monter le besoin pressant d'en écouter un peu plus, et un peu plus encore.

    C'est donc le moment de commencer...

    Discographie :
    - Légendes (1993)
    - Alborea (1995)
    - Oriental Bass (1997)
    - Fuera (1999)
    - Navigatore(2001)
    - Entremundo (2004)
    - Arcoluz (2006)

    On peut se procurer directement tous ces beaux disques sur le label Enja

    On écoute ?
    Un petit bonus avec cet extrait de "Navigatore", que l'on trouve sur l'album éponyme.

  • Paraît que c'est à la mode dans la blogosphère...

    Des autoportraits façon South Park - à ce sujet, je ne supporte pas ce dessin animé, mais tout le monde s'en moque, n'est-ce pas ? -, on commence à en voir fleurir ici ou là...

    Donc, je cède à cette mode stupide et... voici le résultat :

    medium_dd_south_park.jpg

    Moi, j'ai trouvé cette adresse pour le faire : http://spstudio.linda.hosting-friends.de/spstudio.html, parce que les copains, ils friment tous avec leur joli minois, mais vous pensez qu'ils vous diraient où ils l'ont trouvée leur page magique ? Ben non...

    Petite précision supplémentaire : pour récupérer votre image, faites une impression d'écran et collez-la dans un logiciel de retouche d'images.

  • Deux minutes !

    Allez, j'avais envie de vous faire un petit cadeau puisqu'hier soir vers 19h30, nous sommes passés de l'hiver au printemps, et j'espère que Mr Monstrueux ne m'en voudra pas de vous proposer d'écouter deux minutes d'une petite session d'enregistrement qu'il avait faite à la fin de l'année 2004 avec l'un de ses amis. Un duo Fender Rhodes et saxophone soprano tout en nuances et surtout, la reprise d'un thème que vous connaissez tous, forcément. Mais il est ici complètement transfiguré. Personnellement, je pourrais l'écouter en boucle !

     

  • Has'Art ?

    medium_tableau.jpg

    Je suis tombé tout récemment sur le tableau d'un jeune peintre lorrain - attention, hein, ce n'est pas mon Babar, lui il est unique et pas à vendre ! - et je suis resté très intrigué, et séduit néanmoins... Il y a cette étrange correspondance des couleurs avec celles que nous venons d'installer dans notre salle de séjour (le rouge évoque le canapé, on retrouve également deux verts proches de ceux des murs...).

    On aime, on n'aime pas ! Et comme je le dis souvent, les ragoûts et les couleuvres, ça ne se discute pas. Moi, j'aurais plutôt tendance à bien aimer. D'autant que la chose, de surface respectable, est vendue à un prix très raisonnable. Ceci me fait d'ailleurs penser à un autre tableau, vu tout récemment dans une galerie du Boulevard Saint-Germain à Paris : imaginez une toile d'environ 80 centimètres de large sur une hauteur d'un peu plus d'un mètre. C'est bon, vous visualisez ? Le tableau était noir, intégralement. On y voyait juste un petit rectangle rouge, en bas à droite. Jusque-là, pas de problème, je suis ouvert à toutes les créations et personne n'est obligé d'aimer. Seulement, en me rapprochant du tableau, j'ai vu une petite étiquette sur laquelle était indiqué le prix : 4.000 € ! Nom de Dieu ! Faut oser quand même. A ce prix-là, je veux bien m'y mettre tout de suite, j'en peins deux ou trois par semaine, je laisse 30% à un galeriste à catogan, j'en prête de temps à autre quelques uns à des architectes d'intérieur qui les disposeront avec talent dans un beau loft parisien dont ils nous proposeront la visite dans l'émission "Question Maison" et, tope-là, le tour est joué. J'arrête de bosser, je me repose, je voyage et en plus... je m'auto-proclamerai artiste. Ouais, la vie est belle !!! Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt ?

    Trève de rêverie, mon tableau lorrain, je le verrais bien au-dessus du buffet de l'espace salle à manger, je l'imagine déjà éclairé par le soleil du matin, puis celui de midi et se déclinant lui-même en teintes variables... Raah, j'ai bien envie de me laisser tenter...

    Dommage qu'avant je doive changer ce satané Vélux du deuxième étage qui condense et qui fuit. Les premiers devis sont assez déprimants et je dois choisir entre modèle simple et modèle super confort. Si j'ai bien compris, ce dernier laisse entrer la chaleur du soleil en hiver mais la repousse en été, c'est super non ? Il doit y avoir une espèce de Patrice Drevet intégré... Il est là le Drevet en réalité - c'est sûrement pour ça que c'est si cher ces bestiaux - , tapi entre les deux vitrages, il guette avec son costume rayé, son gilet boudiné et son pantalon en jean et HOP ! Taratata, soleil d'été, on ne rentre pas, soleil d'hiver, je vous en prie, bienvenue à la Maison Rose ! M'est avis néanmoins que son boulot ne sera pas épuisant pour lui en Lorraine, parce que les jours de soleil sont assez rares par chez nous..., mais dans tous les cas, je crois que mon budget va encore subir une sévère secousse. Au train où c'est parti, je crois qu'on peut sans se tromper diganostiquer une maladie de Parkinson du porte-monnaie.

    Mais je crois vraiment que je vais me laisser tenter. De toutes façons, plus le temps passe, moins je crois au hasard et ce tableau, je subodore qu'il a été peint pour nous. Sa place est ici, et nulle part ailleurs. Je vous tiendrai au courant, de toutes façons.

  • Haut et fort... en couleurs !

    Il me faut vous raconter, en quelques lignes comme d'habitude, avec la brièveté et le style direct qui me caractérisent, sans parenthèses ni digressions, mes récentes aventures en compagnie d'un personnage haut en couleurs, mon peintre ! Je tiens également à préciser qu'à l'exception d'une chronologie légèrement remaniée et d'une transformation des noms propres, les dialogues et les faits de cette note reproduisent au mieux la réalité. Rien n'a été inventé, promis, juré, craché.

    Mais au risque de vous décevoir et en guise de préambule, je suis dans l'impossibilité de vous révéler l'identité de celui qui depuis deux semaines manie avec dextérité pinceaux, brosses, ciseaux, colle et pots de peinture dans notre belle Maison Rose. Même sous la torture, je ne parlerai pas ! Un bon peintre, c'est comme un chewing-gum, ça ne se partage pas, on le garde pour soi, s'il le faut, on le colle sous la table de chevet pour le retrouver le lendemain, mais jamais on ne dévoile son nom. On n'a pas envie de le savoir indisponible le jour où on a besoin de lui. Néanmoins, il me faut lui trouver une appellation pour la commodité de mon récit... Nous l'appellerons Babar, non pas en raison d'une quelconque ressemblance avec ce beau petit éléphant, ni même parce qu'il arborerait de belles et grandes oreilles ou qu'une excroissance nasale ou génitale prêterait à confusion. Non, rien de tout cela, Babar, c'est bien, c'est un nom qui lui convient et ceux qui le connaissent comprendront les raisons de mon choix.

    Pour commencer, je dois aussi vous faire part d'une difficulté à laquelle notre ami Babar se trouve très souvent confronté : la prononciation du nom de ses clients ! J'ai beau le connaître depuis de nombreuses années, rien n'y fait, il ne parvient toujours pas à dire correctement mon patronyme. Pour vous donner une idée du résultat, imaginez un tirage du mot le plus long, pendant les 45 secondes de réflexion du candidat. Essayez de prononcer les lettres qui se présentent, sans chercher à les ordonner. Vous savez maintenant de quoi je parle. Mais le plus spectaculaire, c'est aussi cette fraction de seconde, ce moment d'indicible vertige, juste avant le temps de l'épreuve fatidique, où l'on perçoit chez Babar, comme en déséquilibre au bord du gouffre, une montée d'angoisse quand il doit aborder le franchissement de ce redoutable obstacle, votre nom. Va-t-il y parvenir ? Oui ? Non ? Oui ? Ben... non, toujours pas, encore tombé à côté. Raah, c'est rageant, on voudrait l'encourager, lui dire de recommencer mais c'est un peu gênant aussi, on ne voudrait pas être blessant. Parce que Babar, c'est quelqu'un qu'on aime bien, avant tout, c'est un gentil peintre. Euh, à ce sujet... je me permets de vous rappeler que si je garde jalousement mon peintre pour moi, il va de soi que j'ai toujours en stock un chauffagiste « Défaut Brûleur » disponible à tout instant pour vous dépanner. En cas de nécessité, n'hésitez pas à me contacter, je serai heureux de vous venir en aide.

    La situation de ces derniers jours n'était pas simple, cependant, pour Babar ! Elle allait même le plonger dans de vrais moments d'angoisse, source d'insomnies à répétition. Car il avait affaire à des clients – Madame Maître Chronique et moi-même – qui avaient décidé de... comment dire, conceptualiser la mise en couleurs de la vaste pièce composée d'un salon, d'une salle à manger et d'un bureau depuis lequel s'élève avec élégance un bel escalier en frêne aux parements de métal et de verre. Une idée en effet nous avait traversé l'esprit : puisque nous habitons la ville qui a vu la naissance de ce beau mouvement pictural qu'on appelle « L'école de Nancy », pourquoi ne pas revenir aux fondamentaux de cette dernière et nous inspirer de ce que nous offre à voir Dame Nature ? Raisonnement imparable et très gratifiant pour nous qui, derechef, nous auto-transformions en architectes d'intérieur et qui nous conduisit illico à considérer que nos tommettes de couleur marron tirant vers le rouge symbolisaient la terre, le sol, l'humus. Et que nos meubles, ainsi que notre escalier, jouaient alors le rôle des arbres, puisque de bois ! Nous étions donc mis en demeure de trouver à nos murs un rôle complémentaire, en belle harmonie avec ces fonctions naturelles : sachant que l'exposition sud de la pièce offre une belle vision du bleu du ciel (gris de temps à autre, je vous l'accorde, mais jamais plus de sept jours sur six...), nous pouvions oublier cette couleur omniprésente et offerte comme un don de Dieu. Alors pourquoi ne pas les envisager comme notre feuillage et opter pour un camaïeu de vert ? Aussitôt dit, nous nous ruâmes sur quelques feuilles issues de notre jardin de poche et les observâmes avec minutie. Nous étions fort séduits par cette alliance d'un vert pâle ici, là, niché au creux des nervures et d'un vert beaucoup plus soutenu, assez foncé même, qu'on voyait mieux en considérant ces fruits de la nature de plus loin. Pas de doute, l'idée était là, très bonne même, excellente ajouterais-je, et nous décidâmes d'une couleur foncée pour trois pans de murs (dont les deux sur lesquels est fixé notre escalier, celui-ci devenant comme un bel arbre ceint d'une printanière verdure) et d'un vert très pâle pour tous les autres. Quant à notre canapé tout de cuir rouge, il était – comment ne pas l'avoir imaginé plus tôt – une sorte de cerise sur le gâteau, ou plus exactement une grappe de cerises nichée au milieu des feuilles de  leur cerisier. Oh la la... qu'est-ce que ça fait du bien d'être intelligent et de se sentir artiste... Oui, en effet... mais c'est là que les difficultés commencèrent...

    Babar nous parut illico très dubitatif. Je crois même que notre génial concept lui échappait totalement, ce qui à l'évidence le faisait souffrir, lui qui, comme tout bon peintre, s'investit à ce point dans son travail qu'il souhaite participer au choix des teintes avec ses clients.
    « - Monsieur Trique Mornette, vous pensez vraiment peindre votre pièce en vert ?
    - Oui oui, monsieur Babar, nous y avons beaucoup réfléchi, ma femme et moi et nous pensons que le rendu sera très beau et que les couleurs vont venir comme dialoguer entre elles et créer des jeux de lumières quand il y aura du soleil. Vous verrez, ce sera magnifique ! Nous y avons longtemps réfléchi et, pour ne rien vous cacher, tout cela nous paraît tellement lumineux que le doute n'est plus permis !
    - Rooh, monsieur Morne Triquette, franchement, je ne suis pas convaincu, vous savez... Oh, ça m'embête, je ne voudrais pas rater mon coup... mais je veux bien essayer quand même. Je mettrai d'abord une couche vert pâle sur tous les murs et ensuite, on verra pour la partie plus foncée.
    Parfait monsieur Babar, on fait comme ça et demain matin, on en discute. A vous de jouer ! »

    Après une très pénible journée de travail – initiée par une réunion d'anthologie dont le thème général fut ainsi présenté par notre chef : « C'est pas compliqué, ça va aller vite, je n'ai rien à dire ! » – je regagnai la maison rose, impatient de découvrir la première transformation du centre névralgique de notre nid douillet. Ooooops ! Où es-tu Babar ? Mais qu'as-tu donc fait ? Instantanément, j'étais comme revenu un mois en arrière, j'en étais même à chercher des yeux mon Docteur D. ! Notre peintrounet nous avait reproduit très exactement les murs d'une clinique ! Un beau vert fortement teinté de bleu, bien glacial, que je qualifierais paradoxalement d'inhospitalier ! J'essayai alors de me convaincre : oui, c'est bien, c'est vert, c'est ce que nous voulons... Un petit tour dans la cuisine et hop, retour sur les lieux du massacre : nom de Dieu, c'est 'achement vert comme ambiance. Je me regardai dans le miroir de la salle de bains, pour m'apercevoir que moi aussi, j'avais viré au vert pas très engageant. Pffff, j'aime pas ce genre de situations, j'aime pas... Bon, pas de panique, attendons l'avis de Madame Maître Chronique, qui ne va pas tarder à rentrer du boulot...
    « - Alors, chère Madame, votre avis ?
    - Euh, c'est pas un peu trop vert, on se croirait à l'hôpital, non ?
    - Ben si, c'est exact ! Je crois que la négociation sera rude demain matin, parce que je connais un peu Babar, je le soupçonne même de trouver le résultat joli. Tu sais, notre idée « Ecole de Nancy », je crois que ça ne l'a pas convaincu... »

    Le lendemain matin, dès 8h30, notre Babar préféré fit son entrée, presque triomphale, en la Maison Rose pour parachever son oeuvre. Il avait le sourire.

    « - Bonjour monsieur Monique Traître ! Alors, c'est pas mal, hein ? me demanda notre artisan.
    - Ben... c'est-à-dire... euh... pfff... vous savez... bon... en fait... ma femme et moi, on aime pas du tout, on se croirait dans une clinique, lui répondis-je, un peu gêné, en tortillant compulsivement mes orteils dans mes espadrilles rouges achetées pour la modique somme de 9 Euros à Biarritz.
    - Ah ? Bon, vous savez quoi, Monsieur Chrono Métrique, c'était juste une base... la couleur, il faut que nous la fassions ensemble... On va repartir de zéro et on fera des essais avant que vous ne partiez au travail. Et puis, pour le vert foncé, il faut que vous choisissiez sur le nuancier !
    - Bonne idée monsieur Babar ! On y va ! »

    Et voilà mon Babar en action, heureux de me montrer tout son savoir-faire, persuadé qu'il était de me faire changer d'avis et de me rallier à sa cause vert de glace !
    « - Attention, monsieur Mine Croquette, on va commencer par un pot de peinture blanche et ensuite, on ajoute les couleurs. Ce sera à vous de me donner vos instructions !
    - Sans problème monsieur Babar, comptez sur moi, je suis tout émoustillé à l'idée de jouer au petit chimiste. Faites gaffe quand même à tourner votre brosse aussi vite dans le seau, je porte des vêtements normaux, moi ! Bon... euh, une larme de vert pour commencer, tout de même ? »
    Babar empoigne une première fiole et, avec une délicatesse insoupçonnée de la part de ses papattes rondouillardes, laisse tomber dans le seau un petit filet vert tirant sur le noir. Pas trop sombre ce machin ?
    « - Ne vous inquiétez pas, monsieur Croque Minette ! On va déjà en mettre un peu sur le mur d'en face pour que vous voyiez mieux. Mais attention ! Le résultat final sera plus foncé ! Faut en tenir compte...
    - Bon, ben ça m'arrange pas votre histoire, là... M'enfin, ça reste froid comme teinte, c'est mieux qu'avant parce que c'est beaucoup plus clair, mais ça manque d'une nuance imperceptible de jaune ou de brun.
    - Alors, dans ce cas, monsieur Mitre Croquet, je me permets de vous suggérer une pointe de Terre de Sienne et un peu d'ocre.
    - Ah, oui, c'est bien ça, la couleur sera plus chaude, hein ? »
    C'était reparti pour un nouveau mélange, la brosse tournant frénétiquement en vrille dans le seau sous l'impulsion d'un Babar visiblement inspiré et heureux de se sentir un peu le papa de mes couleurs. Parce que ces couleurs, je les voyais en fermant les yeux, je savais exactement ce que je voulais, mais je finissais par avoir peur d'être victime de je ne sais quel maléfice chimique, un peu comme si mon peintre devenait un envoûteur du pinceau, cherchant à m'hypnotiser pour m'imposer ses choix.

    « - Ah ! Oui ! Parfait ! Topez-là monsieur Babar ! La voilà ma couleur, on ne change plus rien. Voyez donc ce petit reflet anisé qui donne à la teinte toute la chaleur qui manquait !
    - On y va comme ça, monsieur Morte Cranique ? Pas de regret ?
    - Non, c'est impeccable, je sais que nous y sommes. »

    Quel soulagement ! J'avais atteint mon but, j'avais même convaincu monsieur Babar qui semblait en effet rallié à ma cause. Sauf que le bestiau, jamais en manque d'un nouveau tour dans son sac, exhiba un horrible nuancier épais d'au moins dix centimètres, dans lequel il me demanda de choisir sans attendre la couleur complémentaire, mon vert plus foncé, celui qui allait donner au beau volume de la pièce toute la profondeur et l'élégance qu'il attendait. Mais comment veux-tu que je choisisse, m'sieur Babar, y en a beaucoup trop des couleurs... Bon, on élimine toute cette série, celle-là aussi, le bleu on a dit que c'était pas nécessaire puisqu'on a le ciel dehors... alors les verts... tu parles, y en a au moins deux cents... hum hum hum... VERT FLAMBOYANT ! C'est celui-là, je le veux ! Alors on ne change plus rien, on fait le mélange ?

    « - Ah non, monsieur Métro Nique (NDLR : oui, pour une fois, il arrivait presque à prononcer mon nom...), ce n'est pas moi qui fait le mélange, c'est l'ORDINATEUR !
    - Ah ben si c'est l'ordinateur... monsieur Babar, je m'incline, laissons-le mélanger avec ses petits doigts informatiques, il fera ça mieux que nous, c'est certain !!!  Bon, je vous aime bien, mais moi aussi j'ai un travail, je vous laisse. On fait le point demain ! »

    Rentrant le soir chez moi, je dus bien constater avec émerveillement que la négociation, âpre j'en conviens, avait porté ses fruits : j'avais exactement sous les yeux les deux teintes que Madame Maître Chronique et moi-même avions imaginées. Chapeau mon Babar ! Quelque chose me dit que tu dois être content du résultat. Et ce n'est pas sans une certaine fièvre que j'attendis le lendemain matin pour entendre mon peintre s'enthousiasmer sur l'harmonie qui régnait désormais la pièce...

    « - Ah, monsieur Trique Mornette, si vous saviez... je n'en ai pas dormi de la nuit ! Quand j'ai vu ce vert foncé, je me suis dit : faut que je l'appelle, ça ne va pas lui plaire !
    - M'enfin, monsieur Babar, mais c'est magnifique, c'est exactement ce que nous voulions !
    - Ah mais quand j'ai vu ce vert Empire, j'ai eu peur...
    - Mais non, monsieur Babar, regardez nos fauteuils, c'est le même vert, c'est fait exprès ! Non... détendez-vous ! Tout va bien.
    - Mais vous verrez, ce sera encore plus beau après la deuxième couche..
    - Hein ? La deuxième couche ? C'est pas fini, je trouvais ça très beau.
    - Mais enfin, monsieur Corne Miquette, et le pouvoir couvrant ? Vous avez pensé au pouvoir couvrant ? Vous voyez bien qu'on aperçoit encore la sous-couche !
    - Ah ben oui, j'suis con moi ! J'avais rien vu, ah je suis bête tout de même ! Ah monsieur Babar, chacun son métier, n'est-ce pas ? Moi, je suis un intello, tandis que vous, vous couvrez ! »

    Ouais... autant vous dire que le pouvoir couvrant de cette peinture miracle fut à l'origine d'un début de catastrophe ! Une fois posée la deuxième couche, nous fûmes victimes d'une attaque de traces et taches en tous genre : on voyait les mouvements du rouleau, les raccords dans les coins, tiens, c'est bien simple, on aurait un mur tel qu'il est fini quand c'est moi qui le repeins ! Mon pauvre Babar était effondré, mais il allait trouver la solution, rencontrer des spécialistes, donner des coups de téléphone au laboratoire, pour savoir de quoi il retournait. Bref, il voulait une explication, ce mystère ne pouvait demeurer non résolu. Tel le limier des pots de peintures et des pinceaux multicolores, il mena l'enquête et apprit finalement que la dégradation avait pour origine une réaction chimique des colorants et que rien ne serait arrivé si nous avions opté pour une peinture mate et non laquée. Comment ça, opté pour une peinture mate ? Mais j'ai rien choisi, moi, j'ai choisi une couleur, un point c'est tout ! Et comment on fait maintenant, avec nos taches ?

    « Ne vous inquiétez pas, monsieur Morte Croquis, je vais rajouter une couche et tout ira bien. »

    Ainsi donc se termina l'aventure de la mise en couleurs d'une belle pièce à vivre dans laquelle il ne nous resterait plus qu'à faire un petit ménage et y rapatrier le mobilier temporairement en exil au deuxième étage. Madame Maître Chronique s'extasiait devant le résultat, visiblement heureuse d'avoir pu concrétiser un projet tel que nous l'avions imaginé. De mon côté, j'avais le sentiment qu'une atmosphère de paix allait régner dans cet espace que nous nous promettions de ne pas surcharger inutilement d'objets décoratifs et ramasse-poussière. Mais je voyais bien que monsieur Babar, qui avait déjà entrepris la rénovation du plafond de notre cuisine, aurait volontiers mis un bémol à notre joie commune. Oh, certes, il nous donnait raison en tous points : nos deux verts se mariaient parfaitement, l'équilibre entre les deux teintes, bien que fragile, relevait du miracle et nous ne nous lassions pas de nous déplacer d'un point à l'autre de la pièce pour constater que les changements de point de vue provoquaient des variations dans la perception des couleurs. Un bonheur ! Sauf que...

    « - Monsieur Croque Matine, vous voyez les deux portes ? Elles sont blanches, nous sommes bien d'accord. Vous m'avez demandé de peindre autour de la vitre une petite bordure vert pâle, n'est-ce pas ?
    - Oui oui... Ah, monsieur Babar, je vous devance : vous trouvez ça pâlichon ? Vous êtes en train de me suggérer l'autre vert. Je ne me trompe pas ?
    - C'est que je n'osais pas vous le dire. On ne la voit pas votre bordure, c'est tristounet. Fade même. Il faudrait essayer l'autre vert.
    - Essayons monsieur Babar, essayons, je crois que nous sommes bien d'accord aussi sur ce point. »

    D'un geste délicat d'une main guidant comme par magie les mouvements de son pinceau, mon Babar mit la touche finale à son oeuvre en donnant aux deux portes le relief qui leur manquait. Il recula, passa de l'une à l'autre, il jubilait. On y était. Voilà pourquoi il ne parvenait pas à s'enthousiasmer jusqu'à présent. Mais là, on frisait la perfection, Babar, l'amiral enfin aux commandes du paquebot dont jusqu'à présent je n'avais pas voulu lui laisser le gouvernail, était comme seul maître à bord. Cette pièce, c'était sa création, encore un peu, j'aurais dû le remercier d'avoir choisi de si belles couleurs. Il avait – c'est là tout le talent du professionnel – rétabli une situation menacée d'enlisement.

    « Franchement, monsieur Craque Mitonne, c'est très beau, vous ne trouvez pas ? »

    Si, si mon Babar, je me tue à te le dire depuis le début. Et tu sais bien qu'à la prochaine occasion, je te téléphonerai pour un nouveau chantier, nous aurons nos idées, tu auras les tiennes, nous discuterons tranquillement, nous regarderons le bébé venir à la vie sous nos yeux et le monde nous semblera merveilleux... On a tous besoin d'un Babar chez soi, j'ai compris cela depuis longtemps.

    PS : je ne suis pas chien, je devine à votre impatience que vous aimeriez avoir une petite idée du résultat, alors, rien que pour vous, une petite photo !

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  • Le voyageur sédentaire

    Je ne dois pas avoir l'âme d'un baroudeur ou d'un aventurier. Aucun doute à ce sujet. Quand je pense à tous ceux que je connais, de près ou de loin, amis, parents, qui ont déjà sillonné notre planète bleue en tous sens, en avion, par bateau, en train, en voiture même... Quand je pense à ma progéniture qui connaît je ne sais combien de pays, dont certains finalement assez lointains... je me dis que, par comparaison, je fais vraiment figure d'amateur, moi le touriste vacancier dont les expéditions les plus lointaines m'ont conduit, assez récemment de surcroît, quelque part du côté de la Toscane ou de la côte Basque !

    Je peux me trouver néanmoins quelques circonstances atténuantes : il y a d'abord le fait que le corps médical qui m'entoure reste assez réservé quant à l'opportunité pour moi de monter dans un avion – ce que je n'ai encore jamais fait, du reste –, surtout s'il s'agit d'envisager un long trajet. Pour parler clair, personne ne sait exactement ce qu'il adviendrait de ma personne une fois celle-ci embarquée dans les hautes altitudes et soumise à la pressurisation... Parce que je présente, reconnaissons-le, quelques inconvénients qui pourraient me valoir d'imploser de l'intérieur ou, hypothèse plus plausible, de gonfler un peu et de me mettre ici où là à dégouliner comme une bonne vieille tartine de confiture à la fraise ou, encore plus réjouissant, comme un délicieux coulis de framboise. C'est ennuyeux, je l'admets, et salissant. Alors j'hésite un peu tout de même, chacun ici sera en mesure de me comprendre.

    Je pourrais également me réfugier derrière l'argument d'une certaine sagesse m'ayant conduit à dépenser mon argent à d'autres fins que la seule découverte de pâturages inédits et lointains, l'assouvissement d'une soif de connaissance et d'échange avec d'autres humains supposés enrichir mon histoire personnelle, ce dont je ne doute pas un seul instant, même si je reste dubitatif quant à la possibilité pour eux d'approfondir leur savoir sur la nature humaine rien qu'à me fréquenter. Un motif de « raison » visant en particulier à assurer à mon quotidien de père / mari cette dose minimale de confort qui assure à votre entourage une illusoire sécurité que notre vie matérielle et incertaine peut rendre nécessaire. J'entends par là qu'il faut parfois faire des choix et que pour tout une série de raisons liées à la gestion économique du quotidien, j'aurais ainsi préféré repousser à plus tard les projets de voyage.
    Je crois également que parmi toutes les raisons possibles, je ne suis attiré – a priori, ce qui est une erreur, je le sais – que par un nombre limité de pays. Je ressens des bouffées de Rome, d'Irlande, d'Algarve, de fjords, de Vienne, de San Francisco ou New York... mais je ne respire guère l'atmosphère de la Thaïlande, des îles enchantées nichées quelque part dans l'Océan Indien, de la République Dominicaine ou encore de la Turquie.

    Tous les motifs que je viens d'exposer sont probablement valables, chacun à sa manière. Mais personne n'est parfait, il n'y a aucune raison que je fasse exception à cette règle. J'aimerais être doté d'une curiosité universelle, d'une soif inextinguible de découverte, jusqu'à mon dernier jour et guidé toujours par un besoin d'ailleurs. Ce n'est pas exactement le cas. En réalité, j'en viens enfin à la raison profonde de cette chronique qui confine à la justification, car je sais que je présente une forme de handicap dont j'aimerais vous dessiner en quelques lignes les contours. Je ne saurais le nommer, je peux juste tenter de vous en décrire les symptômes. Il s'apparente à une drôle de sentiment d'enracinement qui me gagne alors que je découvre un lieu que j'ignorais jusque là. Et qui explique que, jusqu'à présent, j'ai privilégié des destinations plutôt proches pour me persuader que, si le besoin devenait un jour trop pressant, je pourrais facilement les rejoindre et trouver la paix intérieure supposée me gagner en m'y installant. Oui, je sais, tout cela peut paraître un peu étrange, mais j'essaie vraiment d'écrire le plus clairement possible ce qui, jusqu'à présent, demeurait un peu confus dans mon esprit.

    Comment vous faire comprendre ? Comment vous convaincre que, le plus sincèrement du monde, j'ai souvent voulu arrêter le temps et :
    - poser mes valises quelque part dans les environs de Sarlat, afin de disposer de tout le temps nécessaire à la visite d'innombrables châteaux et de villages perchés, surplombant un paysage charmeur, afin aussi de gambader comme un enfant parmi les troupeaux d'oies et de canards ;
    - vivre en altitude, devenir un randonneur permanent et ne jamais redescendre respirer l'air vicié de nos villes, habiter un chalet tout en bois et m'habiller d'une grosse chemise à carreaux rouges et d'un pantalon de velours et confectionner en quelques secondes un feu de bois qui ne s'éteindrait pas au bout de trois ou quatre minutes ;
    - m'installer pour toujours dans ce beau village de Castellina in Chianti, d'où les collines toscanes couvertes d'oliviers distillent le poison de leur beauté printanière et intemporelle, puis devenir Italien et maîtriser enfin cette langue apprise voici plus de 30 ans ;
    - contempler pour toujours l'Océan Atlantique, à Biarritz, Pornichet ou à Roscanvel, et me noyer dans le silence de sa tourmente, me sentir humble ;
    - me retirer définitivement dans le Berry, du côté d'une petite ville préservée des attaques de la modernité, où la vie semble s'être arrêtée et les habitants vivre plus lentement.

    Je pourrais ainsi multiplier les exemples, car j'ai vraiment toujours souhaité m'arrêter, m'enraciner là où des choix de vacances nous guidaient pour quelques jours seulement.

    Et puis... et puis... je m'imagine aussi, à défaut d'être doué de ce don d'ubiquité dont je rêve, sautillant de lieu en lieu, au gré de mes humeurs, pilotant je ne sais quel petit avion magique : un jour assis sur un rocher, respirant l'air du large et contemplant le spectacle de l'océan, du côté de Saint-Jean de Luz ou de la Presqu'Île de Crozon ; le lendemain, perdu au beau milieu de la campagne creusoise ou périgourdine, niché dans une maison à l'abri des regards indiscrets, revenant d'une longue promenade et lisant au coin du feu ; un autre jour, faisant une pause en altitude sous la protection bienveillante d'un sommet alpin m'invitant au silence après une randonnée propice à la méditation...

    Ici donc, dans la quiétude d'une maison rose que nous continuons à apprivoiser, je me laisse parfois bercer par cette drôle de navigation, cet appel que nous lancent nos souvenirs lointains ou proches et je m'efforce de graver en moi des lieux que, probablement, je n'aurai pas le temps de visiter une seconde fois. Je ferme les yeux et me déplace sans bouger, j'emprunte mes propres pas et me laisse guider sur ces chemins du passé, pour ne pas oublier. Je garde à l'esprit cependant que ma Lorraine natale peut très vite me manquer, qu'il me tarde d'y revenir dès lors que je m'en suis éloigné... pour mieux la retrouver puis repartir et inscrire en moi de nouveaux futurs voyages intérieurs.

  • On ne change pas une équipe qui stimule !

    Décidément, mon bon docteur D. est un personnage vraiment à part. Car, non content d'assurer ma maintenance électronique avec brio (« Ah ! Avec brio !... », ça me rappelle quelque chose...) et de faire de moi un sujet d'étude pour une revue spécialisée dans la stimulation cardiaque (à ce sujet, cher Docteur D., vous écrivez au sujet de mon pace maker, dans l'article qui est consacré à mon cas que, je vous cite, « le patient n'a pas souhaité changer de marque » ! C'est un comble ! Comme si, quelque part, ça vous arrangeait de me prêter ces intentions... mais bon, passons, si une telle attitude de ma part vous est utile, j'accepte de jouer le rôle du malade psycho-rigide...), une étude dont je ne me lasse pas depuis que j'y ai appris que je souffrais d'une « dysfonction sinusale avec insuffisance chronotrope sévère », ce qui, on en conviendra, a de la gueule et fait de moi un cas médical précieux, beaucoup plus finalement que l'objet qu'on vient de m'implanter. Oui, parce que je viens de recevoir une copie de la facture de mon hospitalisation et, après lecture attentive, je me suis aperçu que mon nouveau stimulateur n'était, finalement, pas si cher que ça, le prix affiché étant à peine supérieur à 3.000 € ! Bof... je suis déçu parce que je me rappelle qu'en 1991, le modèle qu'on m'avait choisi valait plus de 35.000 francs. J'espérais donc une belle poussée inflationniste, je m'étais déjà imaginé que – à l'instar de la folie immobilière – je serais équipé d'une électronique de dernière génération certes, mais dont le prix aurait honteusement flambé, pour abriter finalement un bel objet avoisinant les 10.000 €. Ben non, rien de tout cela en fait, c'est à se demander si la main d'oeuvre ne provient pas de Chine, d'Inde ou de Corée... Je me sens un peu victime d'une mondialisation sauvage qui va désormais se nicher au plus intime de moi-même, mon espace privé subdermique.
    Oh là ! C'est parti dans tous les sens, je viens d'être à nouveau victime d'une attaque de parenthèses digressives... Pardonnez-moi ! J'en étais à – je résume – non content de s'occuper de mes affaires cardiaques et des les raconter dans une revue spécialisée, mon cher Docteur D. entretient désormais avec moi des relations très automobiles ! Vous avez appris grâce à moi qu'il circulait régulièrement dans une vieille Panhard dont la carte grise est datée du 16 décembre 1957. Mais vous ne savez pas encore qu'il a voulu m'aider à trouver un client pour mon ancienne voiture, un jeune médecin roumain avec lequel je suis entré en contact par e-mail. Manque de chance, ce potentiel acheteur a été attiré par les charmes d'une vieille Ford sous le fallacieux prétexte que, contrairement à ma Renault, elle disposait d'un système de climatisation. Pfff... sont fous ces roumains ! Le docteur D., qui m'a annoncé cette piteuse décision, était presque plus ennuyé que moi, d'autant que je n'avais pas eu la moindre difficulté à revendre mon véhicule au garage voisin de ma maison rose, celui qui m'a vendu une belle navette spatiale, avec plein de trucs automatiques, des informations qui s'affichent en transparence sur le tableau de bord, des boutons partout et même une sixième vitesse... Tant pis pour mon « roumain difficile » (je cite une fois encore le docteur D.), il ne sait pas ce qu'il a perdu, c'est son problème ! Mais vous ignorez aussi que non content de rouler dans une antiquité à la direction hasardeuse, mon bienfaiteur stimulant s'est entiché d'une vieille Jaguar à la conduite anglaise, repérée quelque part du côté de Luxembourg ! Et qu'il se l'est offerte, en allant la chercher par temps de verglas au volant de sa Panhard ! Vous imaginez un peu le spectacle ? Sept heures pour une trajet de deux fois 110 kilomètres, une nouvelle version de la croisière jaune, aux ambitions plus modestes j'en conviens, mais au résultat tout aussi incertain. Raah, je l'imagine agrippé à son nouveau volant, se tordant le cou pour tenter un dépassement, sur ce maudit axe routier infesté de milliards de camions pilotés par des chauffeurs dont on se demande s'ils ne sont pas aveugles, lorsqu'on les observe attentivement, déboîtant brutalement comme si vous n'existiez pas. Vous rigolez ? Essayez un jour le trajet Metz-Nancy en pleine semaine... vous m'en direz des nouvelles...
    Non, vraiment, j'ai de la chance d'avoir pour protecteur un personnage aussi atypique ! Que je soupçonne désormais d'être venu faire un petit tour sur ce blog, parce que... quand il m'écrit : « Je pense à vous en relisant vos aventures frappantes », peut-être fait-il allusion à une énième version de l'article qu'il rédige à mon sujet, mais peut-être évoque-t-il mes propres comptes-rendus ici même ? Du coup, je viens de relire rapidement les notes que j'ai rédigées autour de mes aventures cardio-stimulantes, afin de m'assurer que je n'avais pas écrit trop de stupidités... Ouf, non, ça va... Je trouve même qu'il s'en tire avec un portrait finalement assez flatteur, n'est-ce pas ? Il faut dire aussi que le bonhomme est bien loin de l'image stéréotypée du médecin hospitalier, blouse blanche ouverte, stéthoscope arboré à la façon de la cravate lors de la campagne du RPR dans les années 80, petites infirmières émerveillées, enfin, vous voyez le genre, ... Quoique... pour avoir vécu de longues, bien longues semaines à l'hôpital voici maintenant 27 ans, je ne suis pas si certain que cette image véhicule autant de stéréotypes qu'on l'imagine... Mais je digresse encore ! Non, le docteur D., c'est un autre univers, à lui tout seul : pas de blouse blanche, pas de rôle surjoué, de la compétence de la simplicité et puis, surtout, un zeste de ce quelque chose qui rend le personnage si attachant, on sent chez lui comme une part d'irrationnel, on devine très vite que l'enfant n'est pas totalement éteint en lui (oui, au fait, pourquoi, sous prétexte que nous sommes adultes, devrions-nous oublier que nous avons été et que nous sommes toujours des enfants ? Je ramasse les copies dans deux heures, merci, on travaille en silence...). Et puis chez lui, on bosse en famille : c'est madame Docteur D. qui est son assistante et quand elle n'est pas là, on utilise la main d'oeuvre disponible, y compris madame Maître Chronique que l'on invite à jouer les presse boutons !
    Y a juste un truc qui me gêne, c'est cette phrase que le docteur D. a glissée discrètement l'autre jour, quand il m'a dit qu'il cesserait son activité dans deux ans. Alors là, pas drôle ! J'ai toute confiance en ce médecin qu'il m'a présenté l'autre jour comme son successeur mais... taratata ! Je ne mange pas de ce pain là. Et je veux croire que lorsqu'il me racontait l'histoire de ce chirurgien qui continuait, très très vieux, à opérer chez lui, il me suggérait qu'il ferait une exception pour moi. Qu'il continuerait à veiller sur moi avec toute l'attention que je mérite. Ben oui, j'ai bien compté, il me reste au moins deux pace maker à vivre et depuis quinze ans, j'ai pris des habitudes : alors OK, j'accepte de dire que je ne veux pas changer de marque, je suis prêt à me compromettre avec un gros mensonge, mais en échange, je ne change pas non plus de médecin. Non mais ! A bon entendeur...

  • Chiche !

    A travers ce blog, j'essaie de fabriquer de manière artisanale un savant mélange de souvenirs, de chroniques à teneur musicale et de quelques réflexions diverses sans autre ambition que, parfois, de susciter des échanges à travers lesquels nos personnalités acceptent de se dévoiler un peu. Or, il se trouve que mon propre frère tient lui-même son journal du web, dans une optique très proche. Il y parle beaucoup de musique (chance pour moi, les artistes dont ils parlent ne sont pas les mêmes qu'ici, cette complémentarité n'étant pas pour me déplaire, loin s'en faut), il travaille également à fixer sur le papier virtuel des souvenirs remontant à l'enfance. Je crois que tout cela est très important pour nous (pardonnez-moi de vous dire ces choses-là, mais après tout, vous faites aussi un peu partie de la famille), mais aussi pour nos enfants qui disposeront là d'une sorte de grenier-mémoire dans lequel ils pourront puiser, s'ils en ont envie.
    Nos chemins aujourd'hui parallèles – dont les directions s'étaient un peu trop éloignées à mon goût depuis fort longtemps – sont la marque d'une vraie « essence fraternelle » qui me réjouit et me fait aborder ma vie de quasi-quinquagénaire avec un sentiment de « respiration » que notre éloignement avait un peu étouffé...
    Tout ceci m'a donné une idée que je lui soumets ici, en votre présence à tous, parce que je suis persuadé que l'exercice pourrait bien s'avérer jubilatoire : nous lancer, régulièrement, un petit défi d'écriture (en nous accordant un délai pour le réaliser, car lui, tout comme moi, a la mauvaise habitude de travailler, ce qui nuit fortement à la pratique de nos loisirs, ce que nous déplorons depuis des décennies...) dont le principe est très simple. L'un de nous détermine un sujet à évoquer et nous travaillons chacun de notre côté à la rédaction du texte en planifiant la date de publication. Ainsi, au jour J, nous découvrons (et vous découvrez) le résultat ! Voir comment chacun a modelé la pâte de ses propres souvenirs, comment chacun a vécu ces moments communs, constater les différences, observer les rapprochements, les similitudes. J'avoue que je suis d'ores et déjà très impatient d'en découvrir les richesses.
    Par conséquent, j'appelle sans plus tarder mon Ô Brother ! à nous raconter la pratique d'un jeu qu'il avait inventé et auquel nous nous sommes adonnés durant de très longs mois d'été. Je n'en dis pas plus, le seul indice supplémentaire que je lui fournirai sera le suivant : « petits coureurs » ! Mais je sais qu'il avait déjà compris.
    Nous sommes le vendredi 10 mars 2006, je nous accorde trois semaines pour écrire ce texte et je nous (vous) donne rendez-vous au... 1er avril 2006 pour le mettre en ligne. Non, non, non, ce n'est pas un poisson, même si la date et la ligne pourraient vous inciter à le penser.
    Bon, frangin, prêt à relever le défi ? Et si je ne sens pas un enthousiasme total dans ta réponse, j'en appelle à nos millions de lecteurs assidus pour t'encourager, tel le public du marathon de Paris que tu finiras bien par courir quand tu seras remis sur pieds !
    C'est parti !

  • Sur le chemin d'Eric

    Profitant du nouvel aménagement de mon grenier, je m'attelle à un classement un tant soit peu rigoureux de mes disques et des magazines de musique qu'il m'arrive d'acheter. Et c'est en mettant un peu d'ordre dans ma collection de Jazzman que j'ai relu la chronique d'un disque qui m'avait, pour parler trivialement, mis en pétard au moment où je l'avais découverte. Chronique d'une humeur annoncée, comme disent les journalistes quand ils ne parviennent pas à trouver un titre à leur article. Ce qui démontre également que j'aurais tout aussi bien pu ranger cette note dans la catégorie « Humeurs » au lieu de « Musique »...

    C'est dans le numéro 111 de Jazzman, daté de mars 2005, qu'on trouve sous la plume de Franck Bergerot la critique de « My favorite songs », le CD live tout juste publié par le saxophoniste Éric Barret. Je cite : « Est-ce la prise de son ? L'imperfection des arrangements ? Le manque de répétitions ? Une distribution inadéquate ? Ça swingue, ça respire, ça sonne comme un brouillon encore très inabouti. A-t-on voulu garder le souvenir d'une aventure sans lendemain ? Il y a comme un aveu de semi-échec dans cette livraison prématurée. »

    Et puis quoi encore ? Soyons clairs... Tous les goûts sont dans la nature, tout chroniqueur a le droit d'aimer ou non tel ou tel disque et de le faire savoir. Mais pourquoi un tel acharnement à démolir un travail qui est très probablement un témoignage signifiant dans le déjà long parcours d'un musicien exemplaire ? Et de quel droit juger de l'imperfection des arrangements et de la qualité de la distribution ? Ce journaliste a-t-il mieux à nous proposer ? Peut-être cet enregistrement n'est-il pas le « Kind of Blue » de l'année 2005, peut-être aussi doit-on se souvenir du proverbe : « Qui aime bien châtie bien », mais cette façon de balayer en quelques lignes le travail d'un artiste que l'on ne peut soupçonner de la moindre compromission avec je ne sais quel système laisse un goût plutôt amer. D'où cette impression, désagréable, que les croche-pieds les plus inattendus vous viennent parfois de ceux qui se disent vos amis.

    Car enfin, quelle faute impardonnable Eric Barret a-t-il bien pu commettre pour voir le compte de sa dernière production ainsi réglé en quelques phrases ? Se serait-il lié les pieds et les poings avec des médias qui nous auraient conséquemment abreuvé de sa musique jusqu'à plus soif et écoeurement, moyennant je ne sais quelle transaction financière avec une « major » complice ? Serait-il le chouchou de ces radios FM dont la programmation dégouline dans les tympans d'une foule consommatrice cible des dernières trouvailles du marketing le plus cynique ? Aurait-il forcé la porte de nos grandes chaînes de télévision "populaires" pour devenir le membre attitré d'un jury chargé de fabriquer le prochain génie chantant de la décennie, juste avant son inexorable plongeon dans l'oubli ? Aurait-il reçu une récompense injustifiée et médiatique lors d'un palmarès annuel ? Se serait-il, ne fût-ce qu'une seule fois, laissé abuser par un courant musical à la mode, au détriment de la cohérence de sa démarche personnelle ? Rien de tout cela. La musique d'Eric Barret évolue dans une certaine confidentialité – inhérente à ses choix artistiques, probablement – au point que la plupart d'entre vous n'ont jamais entendu parler de lui. J'ai la chance de connaître un peu ce monsieur. D'abord parce que je l'ai déjà vu sur scène (j'ai le souvenir d'un très bon concert en trio avec le guitariste Serge Lazarévitch et le batteur Joël Allouche), ensuite parce que je possède quelques uns de ses disques, dont le magnifique « New Shapes » ou encore « Linkage », très beau duo avec le batteur Simon Goubert dans ce qui ressemble fort à un hommage à un autre duo, celui formé par John Coltrane et Rashied Ali en 1967 pour la session « Intersellar Space ». Enfin, parce qu'ayant été le professeur de saxophone de mon Saxoman de fils durant plusieurs années, j'ai ouï dire de ses qualités de pédagogue et pour l'avoir rapidement côtoyé, je sais que l'homme est discret, sincère et... bourré de talent, toujours en recherche ! Et puis, pour l'histoire, souvenons-nous qu'en 1985, alors qu'il n'était âgé que de 26 ans, Éric Barret enregistrait un disque en trio avec Henri Texier et Aldo Romano, excusez du peu. C'est aussi à cette époque qu'on pouvait l'écouter au Sunset comme invité du très coltranien trio de Christian Vander (avec Michel Graillier et Alby Cullaz). Alors si « My favorite songs » (un titre clin d'oeil à Coltrane, une fois encore, car qui n'a jamais entendu parler de « My favorite things », l'un de ses disques les plus célèbres ? Vous, là, au fond de la classe ? C'est bon, passez me voir à la fin de l'heure, merci.) n'a pas l'heur de recueillir l'adhésion totale d'un chroniqueur musical, pourquoi passer ainsi sous silence ce qui fait l'intérêt de ce disque et appuyer sur ce qui semble à première vue une série de faiblesses ? Je l'ignore et j'éprouve ici le besoin de redresser une barre que j'estime injustement tordue !

    Avec ce disque, Éric Barret voulait d'une certaine manière nous raconter le début de son éducation musicale et s'en explique d'ailleurs très simplement sur la pochette. Il reprend à son compte des chansons ou compositions qui ont bercé son enfance et son adolescence : chansons de Léo Ferré (La vieille pèlerine, L'amour fou, E.P. Love, ...) mais aussi de Jacques Brel (Quand maman reviendra), d'Henri Salvador (Syracuse) ou de Léonard Cohen (Suzanne) ; aux côtés desquelles on peut trouver une reprise du splendide « Islands » de King Crimson et de « O Caroline » de Matching Mole, le groupe fondé par Robert Wyatt après son départ de Soft Machine. Entouré de six complices (parmi lesquels figurent les excellents Pierre-Olivier Govin aux saxophones, Éric Löhrer à la guitare et Benjamin Moussay au piano), Éric Barret se livre à nous sans fard, sans affectation, et surtout sans tricherie dans la simplicité d'une salle qu'on devine petite en écoutant les maigres applaudissements. On est là dans un cercle intime, Éric Barret nous raconte son histoire comme d'autres, autrefois, évoquaient leurs souvenirs d'enfance au coin du feu. Un point c'est tout. Pas d'effets de manches, pas de surproduction cache-misère d'un manque d'inspiration, juste une heure de musique sincère et chaleureuse. Il faut, parfois, savoir ne pas demander plus à un artiste et considérer chacun de ses actes pour ce qu'il est : un caillou supplémentaire sur un chemin dont les contours ne sont pas forcément dessinés à l'avance.

    En lisant les notes du CD, j'ai été intrigué par la conclusion du texte écrit par Éric Barret et certaines phrases dont, fugitivement, j'ai cru qu'elle m'appartenaient : « Je découvris au début de l'adolescence la musique pop anglaise et ses passionnants musiciens tels Robert Wyatt et Robert Fripp. Là encore, j'appréciai leurs talents de mélodistes. C'est la musique anglaise, en pleine explosion dans le milieu des années 1970, qui m'amena sans que je m'en rende compte au jazz. Ce furent les groupes anglais Yes, King Crimson, Soft Machine, ensuite la fusion, Mc Laughlin, Weather Report, Zappa puis le jazz, Miles, Coltrane... ». Hé ! Ho ! Mais c'est moi ça !!! C'est mon histoire. Oui, euh... sauf que la conclusion est assez différente, ma foi, et pas à mon avantage : « Et finalement le saxophone pour moi, le début d'un autre apprentissage... ». Oui, parce que là... je suis plus à la hauteur du tout, mais plus du tout ! Tout au plus capable d'extirper deux notes d'un harmonica lorsque j'avais cinq ans. Et depuis, silence radio, passez votre chemin, messieurs dames... Heureusement que ma descendance a relevé le niveau, parce que là, j'étais définitivement écrabouillé, ridiculisé.

    Il me reste cependant une toute petite arme pacifique dont j'essaie de me servir au mieux pour aborder deux ou trois sujets qui me tiennent à coeur et raconter ici ou là quelques histoires anodines. Et je crois qu'Éric Barret méritait bien que je la dégaine pour défendre sa cause !

  • Retour à la vie normale...

    Toute bonne chose ayant une fin, me voici de retour au travail. Rien n'a changé depuis mon absence, les mêmes personnes au même endroit, la même drôle d'ambiance, il flotte ici comme un air un peu désabusé. Mes collègues se répartissent toujours en deux catégories : les gentils et les pas gentils. Les premiers, tout de même, m'ont demandé si j'allais mieux, si j'avais enfin pu obtenir les bons réglages pour mon pace maker. J'ai eu l'impression d'exister pour eux, c'est agréable. Les seconds (minoritaires, je tiens à le préciser) se sont contentés au mieux de me dire bonjour. Pour eux, c'est exactement comme si j'étais encore là vendredi, comme si je revenais de week-end. Je suis un meuble, probablement. Ceux-là, finalement, je les emmerde, voilà ce que j'appelle une bonne résolution de rentrée. Après tout, c'est un peu comme une rentrée pour moi. C'est vrai qu'il est extrêmement difficile de se remettre au travail, dans le bon rythme, je dois prendre le temps de réfléchir et de faire le point sur mes dossiers en cours. Mais où en étais-je donc ? Tiens, pourquoi avais-je écrit cela sur ce bout de papier ? Ah, et puis quelqu'un est venu fouiner dans les documents rangés sur mon bureau, et ça... j'aime pas du tout. Nom d'un chien... je ne pige plus rien à cette requête sous Access... Il faut que je note noir sur blanc tout ce que j'ai à faire pour les trois prochains mois, que je me fixe des dates et que je commence dans le bon ordre. Bon, ben... je vais commencer par trier mes papiers, enfin, quand je dis trier, je vais en jeter les trois quarts, comme d'habitude... J'ai soif... Hop ! Direction la fontaine à eau, je remplis une petite bouteille que je vais boire en deux ou trois gorgées seulement. Jusqu'à la suivante. J'ai toujours soif ici.
    Et puis j'ai encore un peu la tête à mes trois journées parisiennes, à ce temps un peu trop froid pour déambuler comme je l'aurais souhaité, à observer les façades, à deviner les intérieurs, à inventer des histoires. A cette promenade réfrigérante sur l'allée des Cygnes, au milieu de la Seine, entre le Pont Mirabeau et le Pont Bir-Hakeim.
    Je suis toujours sous le charme de « Mademoiselle Julie », très belle pièce de Strindberg interprété avec un incroyable talent par Emilie Dequenne, Bruno Wolkowitch et Christine Citti. Trois acteurs dont l'engagement physique est absolument étourdissant. Depuis le quatrième rang où nous étions installés, nous avons ressenti la puissance de leur jeu, ce combat qu'ils menaient et qui prenait à la gorge jusqu'au dernier mot. Aujourd'hui encore, j'ai du mal à en parler tellement c'était intense, très pur. Si vous pouvez, allez vite voir cette pièce magnifique.
    Je pense aussi à Alain Souchon, un type que j'aime bien (oui, je sais, ça peut en surprendre certains...) parce qu'il fait partie de cette poignée de chanteurs qui ont réussi à s'inventer un univers qui n'appartient qu'à eux. Souchon, c'est quelqu'un qui possède son langage, et dont la vision du monde est beaucoup moins légère que ne peuvent le laisser supposer ses déhanchements innocents et ses propos badins sur la scène de l'Olympia. Il est aujourd'hui dans la situation de celui qui n'a rien à attendre de personne, qui peut prendre tout le temps qu'il souhaite pour enregistrer un nouveau disque et dont les tournées font toujours salle comble. Ma seule réserve concerne ses musiciens (parmi lesquels, forcément, figure un ancien membre de Magma. C'est incroyable le nombre d'anciens musiciens de Magma qui jouent aux côtés des chanteurs. Cette fois, c'était le bassiste Guy Delacroix) qui sont tous très talentueux, mais qui font leur boulot, sans plus. Ils accompagnent. Peut-être est-ce que l'on leur demande après tout, mais c'est bien dommage. Ah, et puis ce batteur, il faudrait qu'un jazzman lui fasse une bonne formation continue et lui apprenne à oublier de temps en temps la pédale de sa grosse caisse pour se consacrer un peu plus à sa caisse claire qu'il délaisse... c'est bête, on peut dire tellement de belles choses rien qu'avec un petit frisé sur une caisse claire... L'a dû être batteur de rock, lui... Oh, et puis le public de Souchon, il est amusant aussi, très diversifié en réalité, c'est presque comme pour Tintin, de 7 à 77 ans. Il a un point commun avec tous les publics de tous les chanteurs de France cependant : il faut qu'il tape dans ses mains – ce qui en soi n'est pas condamnable – à la première occasion, moi ça m'énerve parce que je n'ai pas payé ma place pour entendre le public et surtout, je me demande pourquoi il faut toujours que ce soit n'importe comment ! Pour finir sur le sujet, je ne peux passer sous silence cette chanteuse dont j'ai oublié le nom et qui nous a infligé quatre ou cinq chansons en première partie : un concentré exact de tout ce que je déteste en matière de chanson. D'abord, je n'aime pas qu'on se décrète drôle, surtout quand on ne l'est pas. Ensuite, moi, les textes plan plan sur deux accords de guitare, ça me crispe énormément, même avec le recours d'un petit séquenceur pour enregistrer « en direct » des boucles et les rediffuser comme son propre accompagnement. Ce genre d'effets, j'aime beaucoup quand c'est un type comme Richard Bona ou comme John McLaughlin qui s'en sert, mais là, ça faisait vraiment gadget, vous savez, le genre je viens de découvrir ce petit appareil magique, c'est géniaaal ! Oui, mais une couche de merde sur une couche de merde... comme dirait l'autre, ça reste de la merde. Déjà, la miss, elle avait commencé en se faisant passer pour une chanteuse canadienne, pour avoir du succès auprès du public. Vous voyez un peu le genre, j'avais l'impression qu'on allait nous obliger à écouter des chansons de Linda Lemay... Heureusement, ça n'a duré que vingt minutes et j'étais effondré de voir qu'en insistant un peu... elle aurait eu droit à un rappel... Non mais ça va pas la tête.
    Ah oui ! La collection Duncan Phillips au Musée du Luxembourg ! Splendide ! Ce collectionneur américain, mort dans les années 60, avait amassé depuis le début du vingtième siècle un nombre de trésors absolument sublime. J'ai vu du Manet, du Cézanne, du Van Gogh, du Hopper, du Braque, du Bacon, du Kandinsky... et plein d'autres chefs d'oeuvre. Un peu plus d'une heure à s'immerger dans le génie pictural, c'est un excellent remontant, le remède est efficace, vous pouvez m'en croire. En revanche, j'ai dû batailler ferme pour contrer les attaques de plein de vieilles filles moches et armées d'un audiophone qui, sous prétexte de visite guidée par leurs écouteurs, vous marchent sur les pieds sans s'excuser. Vieille pomme !
    Je me suis bien amusé aussi à déambuler parmi les pingouins du Bon Marché, tous pareils, avec leur mine blasée, leur regard condescendant et leurs mémés impolies qui vous balancent leur panier à provisions dans les genoux lorsque vous avez le malheur d'empiéter sur leur terrain de chasse, entre le rayons des fromages et celui de la charcuterie. Ils me font bien rigoler les pingouins quand ils vont acheter à prix d'or des babioles en tous genres au magasin d'à côté, le Conran Shop, comme ça, ils ne risquent pas de rencontrer les blaireaux dans mon genre qui préfèrent se les procurer ailleurs pour un prix nettement inférieur... sauf le jour où je vais y flâner pour m'amuser ! Du coup, je me dis qu'ils sont à notre époque ce qu'étaient il y a un siècle les acteurs des années dites « folles », vivant sur leur nuage, inconscients (ou aveugles) de l'état du monde... Une bien triste caste, qui se pense supérieure, probablement.
    Avec madame Maître Chronique, nous nous sommes bien amusés aussi dans un grand magasin parisien dont la directrice arpentait les rayons plutôt déserts du prêt-à-porter masculin de luxe. Elle s'étonnait avec ostentation du fait que les clients étaient rares... Euh, ben moi, si elle m'avait demandé mon avis, je lui aurais volontiers donné. Parce que si elle voulait bien prendre le temps d'observer les vendeurs locaux, elle s'apercevrait vite que ces braves messieurs sont assez doués pour jouer le rôle de repoussoir. Ils arborent tous la même mine hautaine, ricanent dans le dos des clients, voire de leurs chefs, et comme dirait l'autre, ils se croient sortis de la cuisine de Jupiter. Et puis cette zone, franchement, elle est assez glaciale, esthétique austère, faussement branchée et prix façon racket. OK, je ne suis pas la cible mais n'empêche, on doit être assez nombreux dans mon genre à se contenter de passer. M'enfin, si elle veut destiner son magasin aux seuls riches américains et japonais, c'est son problème, je ne sais même pas pourquoi je vous dis tout cela.
    Il y a quelques mois, je vous avais expliqué que je scrutais toujours la foule lors de mes virées parisiennes pour détecter les célébrités croisées. Cette fois, mon tableau de chasse n'est pas à la hauteur de mes espérances, bien que de qualité infiniment supérieure au précédent (Christine Deviers-Joncour pour toute récolte, c'était quand même bien maigre) : Jean-Claude Brialy, Luis Rego et Antoine Wechter. Un butin assez hétérogène, mais décevant.
    J'ai profité de mon aller retour en train pour prendre un bon gros bain de musique sous mon iPod... Au menu principalement, Robert Wyatt, le grand monsieur. En solo ou avec son groupe Matching Mole. Ce musicien de génie qui en 1974 a enregistré ce que je considère comme un disque majeur de la musique du XXe siècle, « Rock Bottom »... et dont je vais vous parler dans un avenir très proche, parce que je trouve inadmissible de n'avoir pas encore consacré un vrai texte à ce monument. Et puis, en écoutant « O Caroline », mes pensées ont dérivé vers le saxophoniste Eric Barret qui en fait une reprise émouvante, l'an passé. Et dont le disque a été méchamment critiqué dans Jazzman... Alors, d'idée en idée, j'ai commencé à réfléchir à un autre texte à vous proposer. Mais j'en dis trop.
    Et puis, pendant que je je m'immergeais dans la musique, j'ai continué l'exploration des aventures de l'Inspecteur Resnick dont j'ai acheté les trois volumes qui me manquaient. Mais c'est bizarre aussi, cette impression mitigée de savoir qu'on va tout connaître de l'histoire du personnage, il y a le plaisir d'arriver au bout de l'aventure et, en même temps, cette petite angoisse qui vous gagne à l'idée que bientôt, cette relation avec lui sera terminée. Après, on se sent comme vide et on a besoin de respirer avant d'attaquer un autre bouquin.
    Voilà, en quelques mots, l'histoire de ma reprise d'une vie normale. Autant vous l'avouer, ma tête est encore dans les nuages.