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WHAT ELSE ? - Page 15

  • Mais que fait la police ?

    On a peut-être deviné en survolant mon blog que je reste un vieux nostalgique de la série télévisée «Les Brigades du Tigre», qui avaient distillé ses 36 épisodes pétaradants entre les années 1974 et 1982. Je reviens aujourd'hui encore très régulièrement avec un grand plaisir vers cette reconstitution historique et parfois faite de bric et de broc, animée par les personnages du flegmatique Commissaire Valentin flanqué de ses deux acolytes, les inspecteurs Pujol et Terrasson. Je m'y sens bien, j'ai l'impression qu'avant de me raconter une histoire policière on me rappelle l'Histoire tout court, celle du début du Xxe siècle et de la naissance de la police scientifique, sous l'impulsion de Georges Clémenceau, dit le Tigre. Aussi étais-je assez impatient de voir comment le réalisateur Jérôme Cornuau avait bien pu cuisiner cette délicieuse pâtisserie qu'était pour moi un « feuilleton Madeleine de Proust »...

    « M'sieur Clémenceau
    Vos flics maintenant sont dev'nus des cerveaux
    Incognito,
    Ils ont laissé leurs vélos, leurs chevaux.
    Pendant c'temps là dans les romans,
    Certains nous racontent comment
    Faire un casse tranquill'ment
    Pour tuer le temps,
    J'voudrais les y voir,
    A notre place pour n'pas en prendre pour vingt ans ».

    La chanson du générique a disparu... Il ne reste plus que la musique, signée Claude Bolling. Il paraît que le texte était daté, trop vieillot. Ah bon ? Pourtant, tout y était dit : l'obligation faite à la police de vivre avec ce nouveau siècle et d'employer des méthodes modernes pour rivaliser avec les gangsters de tous poils. Soit. Nous sommes en 2006, surtout ne pas bousculer le public en adoptant un style et un rythme un peu différents... Lui proposer le formatage contemporain.
    Qu'on me comprenne bien : les 127 minutes de cette édition cinématographique des « Brigades du Tigre » sont le fruit d'un beau travail, la réalisation est soignée, la distribution quasi parfaite. Quoique... Allez savoir pourquoi, j'aurais permuté les rôles de Clovis Cornillac, que j'aurais plutôt vu en Jules Bonnot et de Jacques Gamblin, qui aurait fait un excellent et impassible Commissaire Valentin. Edouard Baer est un très bon Pujol - même si très différent de l'original - et Olivier Gourmet nous propose une interprétation... gourmande de Terrasson. Gérard Jugnot fait un bon commissaire Faivre, bien qu'il lui manque à l'évidence une certaine présence paternelle que son prédécesseur François Maistre avait parfaitement restituée. Tout est en place pour une histoire dédoublée (était-ce vraiment utile ? n'aurait-on pas pu avec profit se concentrer sur l'histoire de Bonnot au lieu de fusionner ce qui, au départ, étaient deux épisodes distincts à la lisière desquels se trouve l'actrice Diane Kruger ?) mais... raah, je dois être un vieux con, ça ne passe qu'à moitié ce nouveau millésime... D'abord c'est un peu long – la scène de la mise à mort de Jules Bonnot est interminable, il y a également un match de boxe qui vient un peu comme un cheveur sur la soupe – et puis, concession à notre époque racoleuse, il faut que la crudité des images violentes vous saute à la figure aussi souvent que possible. Quand un mec est zigouillé, on a le temps d'admirer ses plaies béantes, on entend bien le couteau qui fait pchoui-gloup-bloumpf dans les entrailles, une bonne dose de vitriol laisse de belles purulence sur le visage des dames, le sang coule abondamment, les combats sont brutaux et les protagonistes s'échangent des ramponnauds d'une telle force que le premier d'entre eux aurait de quoi vous expédier ad patres en une fraction de seconde. Mais ils se relèvent souvent – beaucoup trop souvent, au point que l'on se demande si l'intrigue intéresse vraiment le réalisateur. On dirait aussi qu'il a fallu contourner au maximum l'aspect un peu cucul la praline qui faisait tout le charme de la série initiale : les poursuites en voiture sont quasi absentes du film, même si Jules Bonnot parvient à distancer à vélo le Commissaire Valentin au beau milieu d'un marché. Et puis, on aurait aimé que «Les Brigades du Tigre» nous replonge dans ce qui fut une époque charnière pour les policiers : l'apprentissage de nouvelles techniques de combat – ici évoquées par le biais d'une scène répétitive où Terrasson expédie mécaniquement ses adversaires au tapis – et de méthodes scientifiques passionnantes dont les techniques anthropométriques et le travail réalisé sur les empreintes digitales ainsi que la création d'un fichier central. Non, en 2006, ce n'est plus le problème, il faut que ça castagne, que ça tue... Même la complicité des trois personnages principaux est plutôt mal rendue : Pujol a perdu son humour, il est devenu un personnage plutôt cynique, Valentin est maintenant une sorte de Titi gouailleur derrière lequel on ne reconnaît plus le personnage un peu opaque qu'incarnait Jean-Claude Bouillon.

    Mouais... Oh, je dois vraiment être un vieux con mais je peux vous avouer qu'en sortant du cinéma, je n'avais qu'une seule envie : regarder n'importe lequel des épisodes de ce feuilleton mythique déjà disponibles en DVD. Parce que je ne reconnais pas mes «Brigades du Tigre» dans ce film. Les miennes étaient plutôt bon enfant, un peu plus instructives aussi... Ah, s'instruire... encore un vilain gros mot à ne pas mettre entre toutes les mains... Et le premier qui me dit que je suis un «nostalgique régressif» se prend une baffe... car il se trouvera bien un magazine branchouille bobo pour le penser...

  • Te stresse pas !

    C'est ainsi que selon ma fille on pourrait traduire en bon français «Take it easy», le titre de cette magnifique chanson du groupe Eagles – co-signée par Glenn Frey et par un grand monsieur, qui n'appartenait pas à la formation, Jackson Browne, qui l'avait lui-même interprétée sur son deuxième album «For everyman». Nous étions au début des années 1970 et le groupe américain entamait une longue carrière dont les plus belles pépites discographiques se trouvent concentrées, selon moi, dans ses quatre premiers disques, même si l'un de ses plus grands succès, «Hotel California» était venu un peu plus tard. Oui... bon, je vous parle d'Eagles, mais en réalité, ce n'est pas vraiment le sujet de cette note, juste un prétexte.

    Tout récemment, j'ai copié sur un CD, que j'écoute en voiture, quelques disques «madeleines de Proust», dont la simple évocation me renvoie une vingtaine – voire plus – d'années en arrière. Parmi ceux-ci se trouvent le premier album du groupe américain Eagles, publié je crois en 1972, vers lequel je me suis souvent retourné, ravi d'en constater les bienfaits. Nous sommes là dans un univers musical qu'on pourrait hâtivement classer de «country rock», où le chant des guitares et les harmonies vocales tissent une toile enchantée aux vertus énergétiques incontestables. Il n'y a rien de révolutionnaire dans cette musique, seulement le résultat d'une étonnante complicité entre musiciens déjà aguerris et débordants de vitalité. On y devine aussi que la voie tracée par Crosby, Stills, Nash and Young avait fait quelques émules : même travail soigné du chant, des arrangements ciselés, une roue tellement bien huilée qu'on en finit par oublier la virtuosité qui sous-tend l'ensemble. Quelque chose qui ressemble à s'y méprendre à un «petit bonheur».

    Well I'm a runnin' down the road tryin' to loosen my load,
    I've got seven women on my mind
    Four that wanna own me, two that wanna stone me,
    One says she's a friend of mine.
    Take it easy, take it easy.
    Don't let the sound of your own wheels drive you crazy.
    Lighten up while you still can, don't even try to understand,
    Just find a place to make your satnd and take it easy.


    Sur ce bel album, les titres se suivent dans une jubilation sans pause de quarante minutes : après «Take It Easy» vient «Witchy woman» puis «Chug all night», «Most of us are sad», «Nightingale», «Train leaves here this morning», «Take the devil», «Earlybird», «Peaceful easy feeling» et pour finir «Tryin'». Pas besoin d'un gros exercice de mémoire pour réciter tous ces titres, ces chansons sont tellement ancrées dans ma propre histoire que leur enchaînement est automatique. Il me suffit de fermer les yeux et d'écouter intérieurement cette musique... qu'il m'est impossible de me remémorer sans être parcouru par un léger frisson de nostalgie, je regarde dans le rétroviseur des années passées et je m'imagine que le temps s'est arrêté.

    C'est si vrai que pendant longtemps – à cette époque, il fallait se contenter de cassettes dont la bande magnétique finissait par se détendre au bout de longues heures de voyage, surtout, lorsque dans l'habitacle sans climatisation, la chaleur qui régnait finissait par devenir insupportable – j'ai proposé à ma petite famille – quand je dis petite, c'est aussi parce que nos enfants n'étaient... que des enfants, l'aînée dormant du sommeil du juste au bout de quelques kilomètres pendant que son petit frère ouvrait des yeux écarquillés sur le paysage défilant – de dérouler le ruban de la route des vacances en écoutant souvent ce disque qui est aujourd'hui pour moi totalement associé à ces heures matinales – le jour commençant à se lever, chassant la nuit source de toutes les inquiétudes – où la circulation est encore fluide, quelque part sur l'autoroute, en direction du Plateau de Langres ou, après Orange, lorsque nous abordions les deux dernières heures d'un voyage nous menant au bord de mer... Nîmes, Montpellier, Agde...

    Mais ce disque, et tout particulièrement «Take it easy» m'a longtemps été d'un grand secours à l'époque où j'avais décidé de suivre un entraînement de natation – tiens, il faudra que je vous en parle un jour, c'était à la fin des années 80... Parce que nager, ça fait du bien au dos, c'est bon pour la circulation, les muscles, le souffle mais quand vous devez enchaîner des dizaines de longueurs de bassin sous l'oeil narquois d'un moniteur qui guette vos allers-retours avec une certaine condescendance, ravi de vous annoncer qu'il ne vous reste plus que 500 mètres à parcourir avant de conclure par un 50 mètres au sprint, tous poumons dehors, alors que vous pensiez déjà regagner les douches et vous frotter énergiquement avec une serviette de bain parfumée à la lavande avant de vous ruer sur deux ou trois pâtés lorrains exigés par un estomac criant famine après une telle débauche physique, obligation vous est faite de penser à des choses agréables et de tromper l'ennui généré par la répétitivité de l'exercice. Devinez quoi ? Coincé sous mon bonnet gris et derrière mes lunettes jaunes estampillées Arena, je ne trouvais à l'époque rien de mieux que d'écouter de mémoire un certain nombre de disques fétiches dont celui d'Eagles. Et croyez-moi, une bonne dose de «Take it easy» était plus que nécessaire aux moments les plus critiques. Je m'étais ainsi constitué un répertoire aquatique, sorte de play list de piscine où se côtoyaient selon les besoins le Grateful Dead (allez savoir pourquoi, j'avais naturellement opté pour le bel enchaînement de «China Cat Sunflower» et de «I Know You Rider» qu'on trouve sur le disque «Europe '72» que j'ai déjà évoqué dans ma note «La stratégie de l'arbre à disques», Magma bien sûr («Köhntarkösz» me permettant de résister fortement à la fatigue musculaire, c'était donc pour moi comme un E.P.O. Sonore) ou bien encore le très tonique (et sombre) «Red» de King Crimson aux commandes duquel régnait l'imperturbable Robert Fripp. Ainsi que quelques autres extraits variables... les idées ne manquant jamais en ces minutes éprouvantes. Je disposais ainsi d'un stock musical dépassant largement l'heure et pouvais y puiser abondamment sans jamais risquer la pénurie. Sans lui, jamais je n'aurais pu parvenir à ce résultat qui me laisse toujours pantois : sans être le moins du monde sportif, nager 3.000 mètres en une heure ! Autant vous dire que ces années sont bien loin maintenant et qu'à l'occasion d'une visite très irrégulière à la piscine, je suis bien satisfait aujourd'hui lorsque, sans le moindre entraînement et avec beaucoup de difficultés, je peux accumuler 60 longueurs d'un bassin de 25 mètres, soit au total 1500 mètres !

    Et c'est bizarre, le fait d'écouter à nouveau «Take it easy» m'a glissé quelque part dans un recoin du cerveau l'idée de pratiquer à nouveau le crawl et la respiration sur trois ou cinq temps. Sans moniteur, je me débrouillerai tout seul et d'ailleurs, je n'ai plus l'âge ni la patience d'accepter de telles humiliations. Je ne stresse plus, comme dirait l'autre je «take it easy».

    J'ai rappelé en introduction que Jackson Browne avait co-composé cette chanson : c'est une façon discrète de suggérer à mon frère de nous en dire un peu plus sur ce bonhomme très attachant, dont l'oeuvre est empreinte non seulement d'un grand talent mais aussi d'une vraie élégance : rien de clinquant chez lui, des mélodies et des textes harmonieusement imbriqués, une voix chaleureuse mais non sans une certaine fragilité. «It's coming from so far away / It's hard to say for sure / Whether what I hear is music / Or the wind through an open door / There's a fire high in the empty sky / Where the sound meets the shore / There's a long distance loneliness rolling out over the desert floor»... Quiet Man, c'est quand tu veux...

    Et pour finir, je reviens sur cette histoire de titre en français : je voulais tout simplement donner à cette note le titre de la chanson dont il est question aujourd'hui mais, butant sur la traduction fidèle de l'expression «Take it easy», je finis par demander de l'aide à ma fille qui, après deux ou trois secondes de réflexion, évoqua subitement l'idée, je la cite, d'une «modulation par la négation du contraire». C'est une agrégée d'anglais qui le dit, je ne conteste pas, je ne suis pas certain d'avoir tout compris mais je reste interloqué par ma prouesse, celle par laquelle j'ai contribué à engendrer un être humain capable, très spontanément, de recourir à une phraséologie qui m'est, il faut le reconnaître humblement, un peu obscure. Une fois détricoté le fil de sa pensée, je compris néanmoins qu'il s'agissait par là de retourner le sens de la phrase en passant du positif au négatif, pour aboutir à un résultat de signification équivalente et cependant exprimé en français courant. M'enfin, il est des moments où on se sent un peu nigaud, ravi toutefois de constater une véritable progression dans l'évolution de mon espèce familiale.

    Et puis tiens, tant qu'on y est, un petit lien si Eagles vous intéresse : http://www.eaglesmusic.com. Et un autre encore, pour monsieur Browne : http://www.jacksonbrowne.com

  • L'égoût et les cool heures

    Je tiens par cette courte note à remercier les manifestants anti-CPE qui ont eu la bienheureuse idée de bloquer tous les accès au boulevard par lequel on accède à la rue où la Maison Rose s'est établie voici maintenant cinquante ans environ. Ils m'ont grandement facailité la tâche... et permis de passer quelques moments tranquilles en la compagnie de deux charmants messieurs.

    Confronté à l'urgence nauséabonde d'un égoût visiblement plein à ras-bord, j'avais pris rendez-vous avec une entreprise spécialisée en curages, débouchages et assainissements divers. Vous voyez un peu le tableau ? Le gros camion et sa citerne devant l'entrée, le moteur qui tourne bruyamment, le pépé voisin qui se demande s'il faut vite se rendre aux abris, les automo(dé)bilistes énervés pas la présence de l'engin au beau milieu de la rue, qui zigzaguent avec leurs voitures diesel de société entre deux places de stationnement, démontrant ainsi une habileté virile propre à impressionner un pilote de Formule 1 - oui, parce que ces braves gens, on dirait qu'ils n'ont pas le temps... le temps de quoi, je l'ignore, mais il faut qu'ils foncent, puis qu'ils freinent avant le virage, là, cinquante mètres plus bas, en affichant une mine patibulaire par laquelle ils vous expliquent qu'ils vous maudissent de leur faire prendre ce risque insensé... et les priver de je ne sais quelles précieuses secondes qu'ils auront tôt fait de gaspiller le soir même devant la télévision - et puis mes deux ouvriers, affables, rompus à cet exercice consistant à aspirer l'égoût avec un gros tuyau et force glou-glous pas très ragoûtants puis à projeter dans les conduits de l'eau avec un jet à haute pression. J'en reviens encore pas... mes deux types, qui ont pourtant toutes raisons d'arborer une mine de circonstance, car on ne saurait trouver ce boulot autrement que franchement emmerdant, sont les plus adorables qui soient. Et je te serre la main, et je te dis un mot gentil, et je t'explique comment on travaille. Et pis tiens, la plaque qui est dans votre garage, elle est cassée, je peux vous montrer comment on fait pour la changer. Sympa et psychologue, le copain nettoyeur, parce qu'en quelques secondes seulement, il m'a jaugé avec beaucoup de finesse, il a deviné le grand bricoleur qui sommeille en moi, il a tout de suite compris que même avec deux ou trois mains supplémentaires, le perçage de trou dans le mur serait toujours pour moi un exercice à l'issue incertaine, voire même un supplice. Même qu'on a l'impression qu'ils ne sont pas plus pressés que ça, ces gars-là... Ah, ça donne envie, en fait, vraiment, pendant quelques dixièmes de secondes, je me suis vu à leur place et sonner chez l'habitant pour lui annoncer la bonne nouvelle : "Vous êtes bouché ? Pas de problème, je vais m'occuper de vos conduits !". On doit se sentir utile, au moins, on voit le résultat du boulot qu'on est en train de faire... Et c'est vrai que j'ai toujours rêvé d'être capable de déboucher mes concitoyens. Un beau boulot, pas de risque de chômage et encore moins de CPE, je vous le garantis.

    Bon, pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça, moi ? Ah oui ! Le boulevard bloqué par les manifestants anti-CPE. Euh, soyons honnêtes : il faisait un soleil magnifique cet après-midi et la température avait suffisamment grimpé pour nous laisser croire que nous étions au printemps. Or donc, quelques grappes d'étudiants venus de l'Université toute proche avaient décidé l'action ultime : après l'autoroute jouxtant la Faculté de Médecine, le bloquage du boulevard, l'un de ceux par lesquels on entre en notre belle ville. Et voilà que ce beau petit monde se met à ramasser toutes les poubelles du quartier, on plante des grillages au bout de la rue et on s'installe au beau milieu de la circulation pour chanter un slogan avec de jolis rimes : "Police Nationale, milice du capital ! Police Nationale, milice du capital !". Le truc vachement élaboré, un beau niveau de raisonnement. Bonne humeur et, cerise sur notre gâteau, peloton de CRS qui encadrent l'aréopage, semble-t-il aussi pas mal préoccupé par la circulation des canettes de bière pour étancher une soif née d'une marche forcée d'au moins trois cents mètres. Cela dit, à cet endroit, le boulevard suit une trajectoire parallèle à celle de leur gosier, légèrement en pente, et l'on était là un peu comme au point de ravitaillement. Je parle des manifestants, hein, pas des CRS. M'enfin, tout cela pour vous dire que nous avons passé un petit moment plutôt agréable, un peu pour nous comme l'arrivée d'une étape du Tour de France. On détaille le peloton, on cherche qui va gagner, on penche la tête pour reconnaître les sportifs. Mais j'ai reconnu personne : pas de Besancenot, pas de président de l'UNEF, pas le monsieur de FO, ni même celui de la CGT qui me fait des fois penser à Jacques Dutronc. On doit pas être médiatiques, nous les Lorrains, on les intéresse pas. Pas grave, on s'en fout, nous on a dans le coeur le soleil qu'on n'a pas dehors. Tiens, c'est pas mal comme phrase... Comment ? Y a une chanson qui dit ça ? Oh, pardon, je ne recommencerai plus. Surtout que pour une fois, on avait du soleil, du beau, du jaune sur un ciel bleu.

    Qu'on ne se méprenne pas, hein ? Je ne porte aucun jugement sur les manifestants ! Moi, j'avais autre chose à faire, puisque j'étais missionné par mes deux copains pour aller chercher un outil, vider une chasse d'eau, faire couler un peu le lavabo du rez-de-chaussée, pendant que Madame Maître Chronique fourbissait son carnet de chèques pour alléger vite fait bien fait notre compte en banque de 124€... Non, non, elle était pas partie faire du lèche-vitrines, 124€, c'est le prix du jet d'eau à haute pression... Pas mal, vous ne trouvez pas ? En réalité, j'ai surtout apprécié la collaboration des étudiants qui par leur barrage bienvenu, nous ont donné l'occasion de travailler tranquillement. Comme aucune voiture ne pouvait passer, jamais le camion n'a gêné qui que ce soit, les pilotes chevronnés étaient confinés en d'autres axes où ils ont pu s'exciter en toute liberté. Le vrai bonheur... celui des heures tranquilles et la satisfaction béate du propriétaire.

    D'ailleurs, nettoyage pour nettoyage, il faut avouer que nous avons été beaucoup plus efficaces que nos amis de la police. Alors que chez moi tout était rentré dans l'ordre en trois quarts d'heure - notez bien, ça puait encore pas mal, mais il paraît que c'est normal et qu'il y en a toujours pour plusieurs heures après le nettoyage - les hommes en bleu marine avaient encore un sacré boulot. Il restait pas mal de monde à traîner bruyamment sur le boulevard. Je n'ai pas osé leur proposer les outils de mes deux camarades, ne voulant pas prendre le risque de rendre la situation explosive. N'empêche, chez moi, c'était bouclé ! Tout le monde ne peut pas en dire autant...

  • Manset... vachement bien !

    J'ai d'abord maudit le téléphone de Madame Maître Chronique qui s'est mis à émettre un très désagréable et discret «tic tac tic tac tic tac» - le téléphone, pas Madame Maître Chronique – vers trois heures du matin pour une raison qui m'échappe encore. Réveil immédiat. Et me voilà reparti pour une fin de nuit sans sommeil, à tenter de retrouver au plus vite le pays des songes en écoutant la radio. Fort heureusement, je crois que l'objet incriminé était animé envers moi de très bonnes intentions.

    La radio, en pleine nuit, ce sont souvent des rediffusions d'émissions que l'on a pu écouter la veille, voire la semaine précédente. Et sur Europe 1, à trois heures, on ne recule devant aucune audace en vous proposant un débat sur la sexualité féminine à 50 ans. Ah messieurs, si comme moi vous êtes concernés par le phénomène – précision utile : je ne suis pas une femme de 50 ans, juste le mari – il est grand temps de numéroter vos abattis ! Car vous allez en voir de toutes les couleurs, vous pouvez m'en croire. Ou plutôt, croyez-en les analyses de cette journaliste – dont j'ai oublié le nom, mais quelle importance, c'était le genre bobo magazines féminins, vous voyez ce que je veux dire ? – qui a étudié la question et ne voit en ces dames qu'une horde de furies prêtes aux assauts libidineux les plus assoiffés ! Ouh la la la la ! A en croire cette spécialiste, la femme de 50 ans est une bombe à retardement érotique, une centrale nucléaire du sexe : elle n'a plus d'enfants à élever, sa «carrière» est derrière elle, elle est libérée ou presque de toutes les servitudes corporelles qui ne font qu'empoisonner son existence depuis qu'elle est adolescente. Bref, elle peut enfin laisser libre cours à ses instincts les plus animaux... Ça va barder ! Je crois me souvenir également de la présence d'une psychologue qui a un peu vainement cherché à nuancer le propos de la première intervenante... mais embarqué à nouveau dans un demi-sommeil, j'ai perdu le fil, un peu angoissé à l'idée de ce qui m'attendait désormais. M'enfin, pas de panique, on verra bien, restons calme et gérons le quotidien sereinement. N'empêche, la défaillance ne sera pas permise.

    Et puis... et puis... réveillé à nouveau car pas totalement endormi, j'ai cru reconnaître la voix d'un chanteur pourtant rarissime sur les ondes. Il n'arrive pas souvent qu'on diffuse ses chansons et il est encore beaucoup plus rare qu'il donne des interviews. Alors, entre quatre et cinq heures du matin, passer quelques instants en la compagnie de Gérard Manset n'est pas chose banale, non ?

    J'essaie de vous situer le personnage – que Quiet Man saurait vous présenter mieux que moi, étant donné que c'est lui qui me l'a fait écouter voici tellement longtemps maintenant. A ce sujet, vous allez finir par vous dire que durant de longues années, j'ai vécu sous sa totale dépendance. Ce n'est pas totalement faux, pas totalement vrai non plus, mais il faut bien rendre à César ce qui appartient à César, surtout, n'est-ce pas, lorsqu'on évoque Gérard Manset. Car ce dernier est un personnage, sans équivalent dans le paysage musical français. Il ressemble à un grand solitaire – d'ailleurs, il voyage en solitaire –, amoureux des voyages, créateur d'un univers sonore et poétique très particulier qu'il chante d'une voix absolument inimitable. Un peu frêle, un peu nasillarde, pas vraiment assurée. Un timbre unique, reconnaissable instantanément. Il est un peu à la chanson française ce qu'un Neil Young serait au rock : « The loner ». Depuis bientôt quatre décennies maintenant – Gérard Manset fêtera cette années ses 61 ans, le temps passe – notre homme aligne des galettes incomparables imprégnées d'une étrange tristesse et tissées de paroles vagabondes, souvent nostalgiques et mystérieuses. C'est vrai qu'on ne «rigole» guère en la compagnie d'un tel monsieur qui, entouré de quelques musiciens fidèles, compose, arrange et joue de beaucoup d'instruments. Dès qu'il sort un nouveau disque, on dit que ses fidèles – dont le nombre serait compris entre 50 et 70.000 se ruent vers les bacs des disquaires et ajoutent un nouveau chapitre au grand roman que Gérard Manset leur propose. Car il faut le dire aussi : il n'y a rien qui ressemble plus à un disque de Gérard Manset qu'un autre disque de Gérard Manset. On aime ou on n'aime pas, comme on dit, ça passe ou ça casse mais si vous acceptez de glisser ne serait-ce qu'un bout d'orteil dans son engrenage, alors c'en est fait de vous, vous serez contaminé.

    Concernant la discographie de Gérard Manset (que vous trouverez au bas de cette note), sachez qu'elle est aujourd'hui un peu compliquée à délimiter. En effet, les 33 tours publiés entre 1972 et 1984 n'ont jamais fait l'objet d'une réédition en CD à l'identique. Pour des raisons qui relèvent du choix artistique de leur auteur – c'est sa liberté la plus absolue – Gérard Manset a opté pour une solution consistant en une sorte de sélection / mélange de la dizaine de disques originaux concernés en quelques CD. Bref, rien d'exhaustif, certains titres ayant également changé de disque, et les seuls possesseurs des 33 tours originaux peuvent s'y retrouver en conservant avec un soin maniaque leur vinyle chéri. Dont je fais partie...

    La bonne nouvelle du moment, c'est la publication en ce mois d'avril du dix-huitième opus de Gérard Manset : «Obok». C'est aussi la raison pour laquelle on a pu l'entendre longuement interviewé sur les ondes ! Je n'en ai écouté qu'un extrait, mais comme vous l'avez compris, je vais me ruer chez mon disquaire pour en faire l'acquisition et partager une fois encore l'univers si particulier de son créateur. Qui dit d'ailleurs, avec ce disque, avoir souhaité être «plus positif». Je doute fort cependant que le millésime 2006 de Manset soit marqué du sceau de la franche rigolade, mais j'accepte volontiers de le comparer aux précédents, en souhaitant implicitement toutefois qu'il soit dans la parfaite continuité de ses aînés. Car le Manset que j'aime, c'est celui de toujours...

    Si vous êtes totalement étranger à l'univers de Gérard Manset, peut-être serait-il utile de vous proposer quelques secondes extraites d'un de ses plus beaux disques, appelé «Lumières» et publié voici plus de vingt ans maintenant, en 1984. «Un jour être pauvre» est une chanson qui nous invite à nous libérer du mieux que possible de notre monde matériel et de nous contenter de l'essentiel. Une mélodie simple, un texte épuré... c'est Manset !
     
    Laissez-moi, en toute simplicité, vous inviter à ce beau voyage et vous donner envie d'en savoir beaucoup plus sur ce grand monsieur...


    Discographie de Gérard MANSET
    - Gérard Manset (1968)
    - La mort d'Orion (1970)
    - Manset (1972)
    - Y a une route (1975)
    - Rien à raconter (1976)
    - 2870 (1978)
    - Royaume de Siam (1979)
    - L'atelier du crabe (1981)
    - Le train du soir (1981)
    - Comme un guerrier (1982)
    - Lumières (1984)
    - Prisonnier de l'inutile (1985)
    - Matrice (1989)
    - Revivre (1991)
    - La vallée de la Paix (1994)
    - Jadis et Naguère (1998)
    - Le langage oublié (2004)
    - Obok (2006)
  • Caméra traîtresse...

    Après la longue note consacrée à mes souvenirs cyclistes - en chambre uniquement, je le rappelle - j'aimerais revenir sur une image surprenante vue à la télévision jeudi dernier, dans l'émission "Envoyé Spécial", sur France 2.

    En lien avec l'actualité du moment, les responsables du magazine avaient choisi de suivre pas à pas durant cinq jours quelques personnes clés de l'organisation des manifestations anti-CPE, parmi lesquelles le responsable national de l'UNEF. Dont j'ai oublié le nom, qu'il veuille bien me pardonner. Celui-ci, déjà très rompu à l'exercice de la chose politique - bon sang ne saurait mentir, on n'est pas fils de sa mère-maire pour rien - est un personnage brillant, plutôt mesuré et à des années lumière des étudiants en sociologie ou en "info-comm" un peu caricaturaux et mous du genou que les médias nous surexposent depuis quelque temps, probablement pas sans intention d'ailleurs, et dont le discours, très vite à court d'arguments, aurait plutôt tendance à desservir la cause qu'ils cherchent à défendre. Lui, est résolument contre le CPE, c'est évident mais avance dans le débat avec un vrai sens des responsabilités et déploie beaucoup d'efforts pour coordonner les mouvements issus des Universités. Il est dans rôle, efficace semble-t-il, et assez soucieux de ne pas voir dégénérer les défilés qui ont connu un point culminant le mardi 28 mars 2006, un peu partout en France. Tiens, c'est amusant, le temps d'une fraction de seconde, je me suis dit : "Toi, dans quelques années, tu auras pris du galon et je ne serais pas surpris de te voir à nouveau dans les médias, parlant au nom d'un parti politique".

    Mais pourquoi donc a-t-il accepté de se laisser filmer, le temps d'une pause repas, dans une succursale du temple du "fast food", dont il n'est même pas utile de citer le nom ? Comment n'a-t-il pas perçu l'énorme contradiction entre la revendication forte qui est la sienne et pour laquelle il déploie une énergie incroyable et le fait de s'afficher dans cette enseigne qui, d'une certaine manière, en est le parfait contre exemple ? Ici, me semble-t-il, règne une gestion des ressources humaines plutôt anglo-saxonne, non ? Le CDD, le temps partiel, les horaires exotiques sont le quotidien de la quasi-totalité des salariés. Le "turn over" de la main oeuvre est très fort, les possibilités de promotion réservées à une infime minorité, le rôle des syndicats réduit à son strict minimum. C'est une entreprise efficace, mais sans le moindre état d'âme, dont les managers parlent une belle langue de bois quand on les interroge et dont l'existence n'est justifiée que par l'objectif d'engranger les profits maximum dans les délais les plus brefs (il faut bien assurer les lendemains de ces pauvres retraités richissimes résidant en Floride...), tous continents confondus. Une illustration parfaite du phénomène de la mondialisation uniformisation.

    Point de jugement ici de ma part. C'est juste que la superposition m'a semblé étonnante.

    Alors piégé le jeune homme ? Ou, comme beaucoup d'entre nous, perdu dans ses propres contradictions à demander au marché du travail qu'il nous propose une situation sécurisée pour les décennies à venir, tout en consommant en masse tant de produits issus du capitalisme financier dictatorial qui règne en maître sur notre belle planète ?

    Bon, j'arrête, j'ai un coup de fil à donner. Zut, qu'est-ce que j'ai fait de mon téléphone portable fabriqué en Corée ? Raah, ch'suis bête, il était juste derrière mon ordinateur portable américain fabriqué en Chine...

  • Quand j'étais dictateur...

    Ainsi donc voici venu le moment de relever le défi que j’ai lancé à mon Ô Brother il y a quelques semaines maintenant. Je lui avais proposé en effet de mettre en ligne le même jour que lui sur nos blogs respectifs un texte consacré à un sujet commun remontant à notre enfance et pour lequel je lui ai donné un seul indice : «petits coureurs». Je pense qu’il lui a fallu environ un milliardième de seconde pour comprendre à quoi je faisais allusion et je sais qu’il est prêt à nous raconter sa propre version. L’heure fatidique a maintenant sonné ! Vous pouvez dès maintenant vous adonner au plaisir de la lecture comparée…

    C'était… il y a bien longtemps, en un temps où nos enfants chéris n'étaient même pas le début d'une pensée dans le cerveau de leurs futurs géniteurs qui, on s'en doute, ne se connaissaient eux-mêmes pas encore. Pour dresser un tableau simple et réaliste, nous dirons que la scène originelle se passe au milieu des années 60, quelque part dans une ville meusienne, connue mondialement pour avoir été bien malgré elle le sanglant théâtre d'une bataille durant l'année 1916. 1916… une drôle d’année qui vit de pauvres innocents se faire massacrer par centaines de milliers pendant que notre père venait au monde. Nous vivions dans une grande maison où régnait durant l'été une torpeur confinant parfois à l'ennui, né d'un désoeuvrement lui-même généré par les longues semaines de vacances scolaires trop rarement égayées par une courte virée vers un bord de mer méditerranéen ou normand. Il fallait bien s'occuper, d'autant que – contrairement à nos adolescents actuels – nous n'avions pour nous meubler l'esprit ni notre télévision si intelligente, ni la moindre console de jeux, ni magnétoscope ou lecteur de DVD, ni ordinateur pour surfer et raconter nos émois quotidiens à d’anonymes lecteurs se comptant par milliers, ni même l'obligation de fumer du cannabis en buvant de perverses boissons alcoolisées concoctées pour nous, enfants et adolescents, bref un phénomène d'autant plus crucial qu'il n'existait alors que quelques radios, principalement trois : Radio Luxembourg, Europe 1 et France Inter et qu'aucun marchand cupide n'avait entrepris la lobotomisation de nos cerveaux juvéniles au moyen perfide de ces robinets à vomi qu'on continue, aujourd'hui encore et pour d'obscures raisons, à appeler "radios libres". Libres de quoi ? J'aimerais que quelqu'un m'explique ! Tiens, je m’égare…
    Il y avait la lecture… qu'on réservait plutôt aux soirées.
    Il y avait de beaux 33 tours, dont on n'abusait pas car ils étaient chers à nos poches pas forcément pleines et si fragiles surtout.
    Et puis le reste de la journée. Les longs après-midi, à tournicoter dans une chambre ou un grenier à peine meublé, mais hissé de fait au rang de refuge. Il m’arrivait aussi parfois d’agrémenter la fin de journée en commettant une bêtise propre à mon âge, ce qui me valait de temps à autre d’être poursuivi par mon père, dans toute la maison, puis dans le jardin et pour finir autour d’un massif de fleurs circulaire. Nous tournions autour, moi devant, lui derrière, animé d’une colère peu convaincante et lorsque je sentais qu’il gagnait du terrain, je le désarmais brutalement en lui servant un argument imparable : «M’en fiche, j’ai un tour d’avance…». A l’époque déjà, j’étais très drôle.
    Nos cerveaux étaient disponibles mais il ne se trouvait aucun PDG d’une chaîne de télévision dite «populaire» pour les emplir de bulles américaines. Il nous incombait encore cette lourde responsabilité, celle de nous occuper nous-mêmes. Et sans le précieux concours d’une technologie à l’évolution foudroyante et aujourd’hui banalisée. Croyez-moi, c’était un sacré boulot !
    Je m'adresse à vous, jeunes de moins de 35 ans ! Vous ne connaissez pas votre chance, vous qui, à chaque minute, êtes délestés de cette lourde responsabilité… A peine rentrés chez vous, des écrans bienveillants vous attendent, vous êtes en communication avec le monde en quelques clics et vous vous épanouissez malgré vous. Il y a quelqu’un qui veille, au-dessus de vous, et ne vous veut que du bien. Pensez donc plutôt à ces pauvres enfants que nous étions, qui devaient programmer dix longues semaines d'inaction avec des moyens de fortune !

    Fort heureusement, j'avais (et j'ai toujours) un frère ingénieux qui m'avait non seulement initié à des univers musicaux insoupçonnés de mes oreilles incultes et badigeonnées pour l’essentiel des mièvreries en provenance de cet univers incomparable qu’on appelle la «Variété», mais également communiqué sa passion pour le Tour de France cycliste, dont les héros commençaient à arpenter les longues routes de l’Hexagone au moment même où notre année scolaire prenait fin. C'était parti pour trois semaines de bonheur, un bonheur partagé puisque nous ne nous contentions pas de vivre en direct, l'oreille collée au transistor, les exploits des Poulidor, Anquetil, Bahamontès, Jimenez, Gimondi et plus tard Merckx, commentés par Jean-Paul Brouchon ou Guy Kédia, sans oublier quelques années plus tard l’irremplaçable Robert Chapatte. Non, bien mieux que tout cela, ce frère inventif avait élaboré un fantastique outil grâce auquel nous allions pouvoir, jour après jour, effectuer nous-mêmes notre propre Grande Boucle !!!
    Vous allez rire, tant pis, j'assume notre glorieux passé !

    Essayez de comprendre qu'à peine la retransmission radiophonique terminée et ce, malgré le talent des journalistes qui devaient savoir nous décrire avec beaucoup de précision, minute par minute les scènes qui se déroulaient sous leurs yeux, faisant montre d'une verve que beaucoup leur envieraient aujourd'hui, nous étions comme suspendus en l'air, déjà en manque, avides du lendemain et de la prochaine étape. Nous avions ce besoin vital de recommencer par nous-mêmes ce que nous venions de vivre à distance et, ce faisant, de nous attribuer le rôle de Grands Ordonnateurs du Tour de France en chambre. Cette histoire vous paraîtra peut-être un peu longue, pardonnez-moi, mais je ne puis faire autrement que de vous en présenter les trois grandes phases, celles dont je me souviens.

    Avant toute chose, je dois vous lister le matériel nécessaire à cette aventure si par hasard vous souhaitiez vous aussi entrer dans le club très fermé des manipulateurs de coureurs cyclistes. Attention toutefois, cette panoplie correspond à l’ultime version d’un jeu qui a connu d’importantes évolutions au cours de sa passionnante histoire. Appelons-là «Petits Coureurs Update 3».
    Il vous faudra donc :
    - un grand carton, épais et dont les dimensions doivent être suffisantes pour reproduire un itinéraire fait de boucles et de cases numérotées de 1 à 100 ou 150, ces dernières étant de dimensions légèrement supérieures à 3 cm de largeur sur 5 cm de hauteur. Cette somptueuse piste peut éventuellement être composée de plusieurs volets repliables, facilitant le rangement en fin de journée.
    - un feutre bleu marine pour dessiner la piste à main levée.
    - une autre planche de carton, moins épais celui-là, dans laquelle vous découperez des rectangles d'environ 3 cm sur 5.
    - une paire de ciseaux, un tube de colle Scotch liquide.
    - un jeu de dés.
    - plusieurs journaux spécialisés dans le cyclisme professionnel, où vous privilégierez les numéros proposant des photographies de coureurs photographiés en action, à distance moyenne. Sans oublier le numéro spécial Tour de France avec le parcours très détaillé de chacune des étapes, minute par minute.
    - un annuaire pour trouver des patronymes vraisemblables quand il vous faudra inventer des cyclistes.
    - un grand cahier, un stylo, un crayon, une gomme et surtout, rappelez-vous que tout outil destiné à calculer est totalement prohibé. Obligation vous est faite de recourir au calcul mental le plus rigoureux. Pensez à vous exercer le soir, vous gagnerez du temps au moment de l’action.
    - un pantalon assez épais aux genoux, si vous êtes adeptes de la position accroupie, quoique celle-ci corresponde plutôt à la Version 1.
    - une bonne dose d'imagination, une connaissance assez pointue du cheptel des coureurs cyclistes professionnels.
    - éventuellement, des boules Quiès si vous souhaitez ne pas entendre qu'on vous appelle pour donner un coup de main aux tâches domestiques, pour lesquelles on vous sollicite toujours alors que vous êtes dans le feu de l’action. Vous pouvez cependant vous en dispenser si vous préférez devenir autiste.

    Vous êtes prêts, vous avez tout ce qu'il vous faut ? Alors laissez-moi vous raconter cette histoire. Sachez avant toute chose que mes souvenirs sont un peu mélangés et que c’est avec beaucoup de difficulté que je me suis efforcé de les rassembler. C’est ma version, donc elle ne peut être que vraie.

    Impossible de me rappeler l’année exacte au cours de laquelle j’ai pénétré l’univers magique des «petits coureurs» inventés par mon frère. Ils existaient déjà mais, parce que j’étais trop petit, ils m’étaient inaccessibles. Par commodité, je situerai cette année en 1965 – c’est bien simple, c’était quelques semaines avant que John Coltrane n’entame une magnifique tournée qui le conduisit à Antibes Juan lès Pins puis à Paris. La grande maison dans laquelle nous habitions abritait un second étage sans chauffage, aux parquets rugueux car jamais poncés et dont la température ambiante n’était supportable qu’au printemps et en été. Il y avait là deux grandes pièces ainsi qu’un grenier, auxquels nous accédions grâce à un escalier assez raide. C’était là qu’à partir d’une certaine époque, mon frère installait ses quartiers, les préférant de loin à sa chambre d’hiver. Et là, un étrange spectacle s’offrit un beau jour à mes yeux. Mon frère, à genoux au sol, poussait avec méthode et son pouce de petits cartons illustrés, selon un parcours imaginaire qui faisait le tour de l’étage, passant d’une pièce à l’autre avant de revenir à son point de départ. Il avait l’air de s’amuser comme un fou, mais aussi de souffrir car la position qu’il devait adopter pour mener à bien son entreprise était une torture pour ses rotules, qui subissaient les assauts d’un parquet non domestiqué. Je compris très vite qu’il reproduisait «in camera» - Ô Brother, c’est un clin d’œil musical – une course cycliste dont les personnages étaient reproduits avec une minutie assez étonnante. Car ces petits cartons, pour artisanaux qu’ils fussent, correspondaient chacun à un coureur – un vrai, qui existait ! – dont la photographie, découpée dans un magazine spécialisé, était collée sur le recto. Quant au verso, il était plus administratif puisqu’il nous déclinait les informations pratiques relatives au champion : nom, prénom, nationalité, équipe. Ah la belle invention ! Il fallait voir ces cartons – dont le format avoisinait celui d’une carte à jouer – glisser avec élégance sur le parcours, mus par une chiquenaude très précise qu’il déclenchait en coinçant son pouce sous le majeur avant de le libérer avec une grande précision et d’un coup sec, fruit d’une expérience redoutable, celle que l’on n’acquiert qu’après d’innombrables heures d’une pratique assidue et intensive. La tâche était rude, néanmoins, car le principe consistait à faire avancer chaque coureur un à un, puis à recommencer une fois parvenu à la queue du peloton. Et ceci pendant plusieurs tours. Je crois me souvenir que mon frère, charitable, m’accepta assez vite à bord de son embarcation et admis que je m’initie à la technique du «poussage de coureurs». Oh, ce ne fut pas facile au début, il m’arriva souvent de planter mon pouce entre deux plinthes ennemies, de m’écorcher les genoux sur le bois traître du plancher et d’endurer une souffrance que je n’aurais peut-être pas imaginée… Mais je voulais faire comme lui et je finis par développer moi aussi une bonne technique et pus prendre un jour la responsabilité de la direction d’une course. Non sans une certaine émotion, vous l’imaginez bien.
    Cette version du jeu, la première pour moi, présentait néanmoins un inconvénient majeur : elle favorisait la tricherie et nos chouchous de l’époque avaient toujours beaucoup plus de chances de gagner une course ou une étape que n’importe lequel de leurs concurrents. Avec mon frère, Poulidor pouvait gagner un Tour de France haut la main et porter sans jamais être menacé parce je ne sais quel Anquetil ou Merckx ce maillot jaune après lequel il a pourtant couru durant toute sa carrière. De mon côté, je stimulais Michele Dancelli beaucoup plus que tout autre, lui octroyant un palmarès dont il aurait certainement lui-même rêvé. Car en effet, ce vainqueur de Milan San Remo, bon sprinter de surcroît, n’était jamais aussi flamboyant que lorsque je devenais son mentor, avec moi, il dominait le peloton comme l’a fait dans la période récente un américain né sous le signe du cancer. Et si ma sœur avait été acceptée dans notre cercle cycliste – ce qui ne fut jamais le cas car je crois qu’elle est restée à jamais hermétique à la poésie toute masculine de ce jeu aux charmes pourtant illimités ; mais soyons honnêtes, ce cercle privé n’aurait admis une sœur qu’avec beaucoup de réserves – nul doute qu’elle aurait fait de l’italien Felice Gimondi un vainqueur de toutes les courses. Comment donc dépasser cette première phase et mettre un frein à nos ardeurs chauvines ? Mon frère eut un jour LA solution : inventer des coureurs, c’est-à-dire chercher des photographies de ceux qui étaient les moins connus et leur attribuer un patronyme ne correspondant à aucun sportif en activité. A partir de ce jour, le jeu des petits coureurs prit une nouvelle dimension : il s’agissait désormais d’organiser des courses de «coureurs inventés». Nous ne trichions plus, nous poussions les cartons avec sagesse et application et laissions le hasard digital décider de leur sort. Cependant, la souffrance était toujours là, nos genoux étaient meurtris à jamais – il me reste de cette pratique la quasi-impossibilité de rester longtemps à genoux, mais fort heureusement, je suis de ceux qui restent debout – et nos limites physiques nous contraignirent à envisager une nouvelle évolution. Majeure celle-ci, car elle nous fit entrer dans une ère que l’on pourrait qualifier sans exagérer de technologique. La version 2 devait très vite laisser la place à une nouvelle mouture, qui confina – reconnaissons-le en toute humilité – à la perfection.
    Dans mon rôle de petit chien domestique, je me posais là ! Jamais une idée ne me traversait l’esprit, jamais mon imagination ne produisait le moindre effet sur l’avancement des travaux. A cette époque, j’étais capable de noircir des cahiers entiers d’une encre bleu des mers du sud – on me rétorquera qu’il y a là comme une bizarrerie, parce qu’en réalité donc, je bleuissais mes cahiers, de marque Cathédrale – pour écrire de stupides histoires policières mettant en scène un inspecteur de police appelé Francis Lemarque (…), mais quant à imprimer de mon propre sceau l’histoire d’un jeu aussi passionnant… c’était une autre histoire. Rien, j’attendais le progrès, j’étais un peu le spectateur des trouvailles fraternelles. Je crois aussi que je comptais beaucoup sur mon frère pour avoir des idées pour deux et puis, somme toute, c’était son jeu, il en était le vrai papa, peut-être ne me sentais-je pas le droit d’y inclure des nouveautés moi-même. Et j’avais bien raison ! Car jamais en manque d’une trouvaille, celui-ci eut un jour la bonne idée de me faire découvrir le grand virage qu’il avait choisi de faire emprunter à son bébé. Fini le poussage de coureurs ! Aux oubliettes les genoux écorchés ! Nous allions désormais travailler dans le plus grand confort, sagement assis devant une table sur laquelle était disposée une grande plaque de carton gris clair où il avait dessiné un parcours sinueux composé de cases dont le nombre dépassait largement la centaine. Surtout, il y avait ces deux dés qui trônaient fièrement à côté de la piste. Car si l’on ne poussait plus, il fallait tout de même faire progresser des cyclistes dont les supports avaient sensiblement rétréci. Les petits cartons étaient désormais miniatures, d’environ deux centimètres de côté sur trois. Il y avait toujours la photographie au recto et les informations au verso, avec en plus, comble du raffinement, un morceau de ruban adhésif pour protéger le tout. Ces coureurs riquiqui avançaient désormais au rythme déterminé par le jet d’un ou deux dés (je crois vaguement me rappeler qu’une course ou une étape démarrait par un double lancer et se poursuivait par des lancers simples) tout au long du parcours, avançant d’un nombre de cases correspondant à la valeur du jet. C’est évident. Nous faisions avancer nos champions un à un, du premier au dernier, avant de recommencer. Le peloton s’étirait, des échappées se produisaient, comme en vrai. Il y avait du suspense, nous haletions comme tout quidam en transe au bord de la route dans la montée des vingt et un virages de l’Alpe d’Huez. Lorsque nous simulions le Tour de France, rien ne manquait : il y avait les sommets des cols avec l’attribution de points pour le classement du meilleur grimpeur (à cette époque, on n’avait inventé ni le maillot à pois rouges, ni Richard Virenque), les sprints bonifications, les points attribués pour le classement du maillot vert. Il ne manquait que les ravitaillements, rendus totalement inutiles du fait que nos amis de cartons ne s’alimentaient jamais. De toutes façons, leurs revendications seraient restées sans effet, car nous n’avions pas les moyens de les nourrir. A l’arrivée, les choses devenaient beaucoup plus complexes : chaque groupe de coureurs arrivés dans un même lancer de dés faisait partie du même peloton que l’on empilait méthodiquement à côté du parcours, jusqu’au dernier coureur arrivé. Aux plus beaux jours des étapes de montagnes, les piles n’étaient pas très hautes et souvent espacées de plusieurs jets de dés. Croyez-moi, une étape pouvait être un grand moment sportif, il fallait voir ces cartons franchir les cols, sprinter, se pousser du coude parfois. Et nous de contrôler la course, nous avions congédié Félix Lévitan ou Jacques Goddet pour prendre leur place et organiser la course selon notre volonté ! Oui, je crois vraiment que l’un de nos plus grands plaisirs était bien de régner sur un univers dont nous avions la totale maîtrise. Nous avions créé, nous les Docteur Frankenstein du cyclisme professionnel, des êtres de cartons qui nous obéissaient au doigt et au dé, drôles de petits esclaves silencieux grâce auxquels nous assouvissions nos désirs de dictature dans une implacable république de papier où le repos n’était que très rarement de mise. Au moins, avec eux, pas de manifestations, pas de dopage, pas de salaires mirobolants, pas de médecins véreux, rien de tout cela, notre contrôle était absolu. Nous avions inventé un cyclisme parfait.
    Pourtant, en ce qui me concerne toutefois, je crois que le moment que j’attendais le plus était celui des classements. Je vous épargnerai ici la description du système de handicaps que nous avions élaboré pour qu’un vainqueur du jour ne devienne pas le lendemain un compagnon de la voiture balai, je n’évoquerai que fugitivement la technique adoptée pour calculer les écarts entre les coureurs à la fin d’une étape – pour résumer, je crois que nous lancions un dé trois fois pour calculer l’écart entre deux groupes, le résultat de chaque lancer étant multiplié par cinq, trois et une seconde, mais je ne suis plus certain de tout cela en fait – et préfère vous faire partager le frisson qui me gagnait dès lors qu’il s’agissait de calculer le classement général. Attention, mesdames et messieurs, nous étions devenus des maîtres ! De véritables machines à calculer humaines, spécialisées dans la chronofolie ! Ajouter ou retrancher heures, minutes et secondes était devenu pour nous une véritable gymnastique dans laquelle nous excellions. Nous étions des adeptes du «fitness» arithmétique, personne ne pouvait nous surpasser en ce domaine. Autant dire qu’à cette époque, je rétamais implacablement mes camarades de classe au moment des si redoutés exercices de calcul mental. Il y avait moi et le reste de la classe, que je contemplais avec une certaine condescendance, ravi de constater que malgré leurs grimaces, mes voisins s’étalaient misérablement dans un naufrage de retenues oubliées et de tables de multiplication non maîtrisées. Et je crois bien d’ailleurs qu’il m’est resté quelque chose de cette époque et que les chiffres continuent à danser très souvent devant mes yeux : je pratique toujours le calcul mental avec une vraie célérité, il m’arrive même de compter parfois sans m’en rendre compte, n’importe quoi, le prix de plusieurs articles achetés dans un magasin, le total des nombres inscrits sur une plaque d’immatriculation, etc. etc. Ce mal qui me ronge va parfois se nicher dans de surprenantes pratiques : pourquoi, aujourd’hui encore, suis-je incapable de gravir un escalier sans compter les marches ? Pourquoi ai-je emmagasiné en moi tant de numéros de téléphones, de codes divers et de mots de passe ? Pourquoi suis-je incapable de regarder l’arrivée d’une étape du Tour de France à la télévision sans chercher à calculer le classement général au plus vite, espérant coiffer sur le poteau ce ridicule ordinateur dont les résultats s’affichent au bas de l’écran ? Je pense que le responsable est certainement celui qui m’avait contaminé… Suivez mon regard.

    Et puis les années ont passé, mon frère a grandi au point de dépasser la limite d’âge qu’il s’était implicitement fixée pour pratiquer son jeu favori. Je me rappelle qu’il m’est arrivé un beau jour de voler de mes propres ailes, de fabriquer mes coureurs à moi, ma piste à moi et de reproduire, jour après jour, l’étape du Tour de France que je venais de vivre en direct à la radio ou, à partir de 1970, à la télévision. La télévision a fait son entrée dans la maison, les retransmissions n’étant tout de même pas aussi longues qu’elles ne le sont aujourd’hui. Je pouvais donc continuer à faire régner la terreur sur ma piste grise et condamner mes coureurs aux travaux forcés de l’été.

    Cette évocation fait un peu fi d’une chronologie qui est devenue assez floue pour moi aujourd’hui. Il est possible que ces versions évolutives du jeu des petits coureurs se soient présentées de manière différente, qu’elles se soient plus superposées que je n’ai bien voulu l’écrire ou que leur ordre en ait été un peu différent. Mais qu’importe… Tout cela est un peu mélangé dans ma tête et je ne suis pas un expert ès souvenirs. Je me souviens toutefois que, alors que j’avais moi-même grandi, dès lors qu’une étape du Tour de France était terminée, aussi bien la vraie que la «fausse», j’étais gagné par le besoin pressant de monter sur mon vélo et de partir sur les routes me menant du côté de Douaumont dont je pouvais gravir la côte plusieurs fois de suite, malgré le poids du lourd vélo bleu que m’avait donné mon beau-frère. Je me souviens aussi qu’un beau jour de grande chaleur, alors que je venais de passer à côté de la Tranchée des baïonnettes, j’ai dû poser pied à terre, pris d’un violent étourdissement et qu’après avoir repris mes esprits, je me suis laissé glisser tranquillement en passant par la descente de la Valtoline, pas très fier de mon exploit du jour. Il faisait si chaud que mes parents durent appeler le médecin qui diagnostiqua un «coup de chaleur».

    Parvenu à l’âge adulte, j’ai conservé dans un coin de ma tête une vraie fascination pour la Grande Boucle, et pour le cyclisme en règle général, au grand étonnement de mon fils qui me contemple d’un air ahuri lorsqu’il me voit installé dans mon canapé pendant de longues heures consécutives à suivre l’évolution d’un peloton durant des dizaines et des dizaines de kilomètres, même lorsqu’il pense qu’il ne s’y passe rien. J’ai beau lui expliquer que le Tour de France, c’est un tout, c’est la course bien sûr, mais ce sont aussi tous ces paysages magnifiques, ces petits coins qu’on reconnaît parce qu’on y est déjà passé au moins une fois, j’essaie de le convaincre de se laisser aller à la poésie des rayons et des boyaux. Rien n’y fait, il est hermétique à ce spectacle. Dans ces moments me reviennent en tête quelques grands noms qui ont bercé mon enfance et mon adolescence : Poulidor, Merckx, Ocana, Pingeon, Jimenez, Guimard, Janssen, … impossible de les citer tous, je vous parle là d’un véritable peuple.

    D’ailleurs, s’il se trouve parmi vous quelques nostalgiques de ces années passées, je terminerai cette courte note en vous recommandant la lecture du monumental «Tour de France : Chroniques de l’Equipe 1954-1982» du très regretté Antoine Blondin, publié aux Editions de la Table Ronde. C’est un gros bouquin, qui compte plus de 600 pages, magnifique, écrit par une plume incomparable et qui restitue avec bonheur toute la magie que nous vivions chaque été en suivant les exploits de nos champions cyclistes, juste avant de les reproduire à notre manière. Il n’est jamais bien loin de moi, ce beau livre, et je savoure régulièrement le plaisir d’en lire ou relire deux ou trois pages, comme on dégusterait un grand crû. Une bible dédiée à la Petite Reine.

    Que je dédie moi-même à mon frère, c’est bien la moindre des choses.

    PS : pour une lecture comparée, voyez donc son texte en cliquant ICI.

  • Je réponds, donc je suis

    Ce questionnaire traîne de blog en blog... Alors comme j'ai un boulot fou avec le défi que j'ai lancé à mon Ô Brother, je cède à la facilité... Désolé !

    La dernière insulte que tu as dite ?
    Boah, j’ai dû traiter quelqu’un de connard, mais qui ? Y en a quelques uns qui peuvent être concernés.

    Ta dernière dispute ?
    Dispute ? Me souviens pas. De toutes façons, j’ai tendance à fuir les conflits.

    La dernière chanson que tu as écoutée ?
    J’ai écouté le deuxième album de Led Zeppelin en bossant sur le site web de Seventh Records, hier après-midi dans mon chalet suisse.

    La dernière personne que tu as eue au téléphone ?
    La Fraise, qui avait besoin des services informatiques de son Maître Chronique de père.

    La dernière chose que tu as bue ?
    Un expresso, calibré par La Fraise d’ailleurs. Il était bon, pas tout à fait autant que le mien, mais très encourageant.

    Ta dernière plus belle rencontre ?
    C’est compliqué comme question. J’ai beaucoup aimé le regard d’enfant de Roger Trigaux, le leader du groupe bruxellois Présent, dont le saxophoniste est Mr Monstrueux. Il parlait de lui avec beaucoup d’émotion et sa femme est venue nous rejoindre pour en rajouter une couche. C’était le 17 juin 2005, au Triton.

    La dernière chose que tu as mangé ?
    Une banane, banane !

    La première chose que tu fais en te levant ?
    J’essaie de sauter à pieds joints dans mon slip ou mon caleçon. J’y arrive toujours pas…

    La dernière personne à qui tu as envoyé un mail ?

    Mon frère.

    La dernière odeur que tu as sentie ?
    Cette saloperie de fuel qui empeste mon bureau depuis que la cuve a été remplie.

    Ton dernier fou rire et avec qui ?
    Ben, je crois bien que c’était à midi en famille, quand Madame Maître Chronique et moi-même avons regardé l’œil torve de La Fraise et de Mr Monstrueux en leur disant qu’ils nous avaient promis de nous offrir le resto quand nous serons en vacances au Cap d’Agde. Pour une fois qu’on arrivait à les piéger…

    Ton tout premier coup de foudre ?
    1963. Y avait une fille de ma classe, vieille d’ailleurs, elle avait 7 ans. Elle voulait se marier avec moi. Mes parents ne semblaient pas d’accord. En fait, je ne sais pas si c’était un coup de foudre, je pense que j’étais content de lui faire plaisir.

    Ton dernier achat ?
    « Arcoluz », le CD/DVD de Renaud Garcia-Fons. Ah, non, je me trompe, j’ai acheté depuis un pain de campagne.

    Ta dernière crise de nerf et pourquoi ?

    Je ne fais jamais de crise de nerfs. C’est pas un truc de filles, ça ?

    Le dernier mot que tu as sorti de ta bouche ?

    "RIEN !" Je répondais à mon collègue de bureau qui me demandait ce que je disais… Oui, ça paraît compliqué, mais c’est la vérité.

    Le dernier mot que tu as écrit sur ton ordi ?
    Vérité. J’aime bien d’ailleurs que ce soit celui-là, d’ailleurs, j’ai arrangé la réponse à la question précédente pour que ça tombe pile dessus !!!

    La dernière chose que tu fais avant de dormir ?

    Très simple, c'est une mécanique implacable : je pose mon bouquin sur la table de chevet, je mets le traversin par terre, je range mes lunettes Dolce & Gabbana dans leur étui, je vérifie que le réveil est prêt, j'éteins la lumière, un p'tit bisou dans le cou à Madame Maître Chronique et ensuite, je cherche à dormir en écoutant le moindre bruit dans la Maison Rose et j’essaie de l’identifier. Cette dernière étape est en général la plus longue...

    Ton dernier rêve ?
    Je me souviens rarement de mes rêves et pourtant, l’autre jour, je rêvais que je conduisais la nuit dans une ville (inconnue) et j’avais un mal fou à traverser une rue où la circulation était très dense. Une fois passé de l’autre côté, j’ai dû éviter un gars (ou une fille, je ne sais plus) qui faisait du Tai-Shi au beau milieu des voitures. Et moi de lui dire : "tu peux pas aller tai-shier ailleurs ?".

    Le dernier CD que tu as acheté ?
    Ho ! Hé ! J’ai déjà répondu.

    Le dernier coup de gueule que tu aies poussé ?
    Il a dû être intérieur, mais certainement consécutif à un reportage où je voyais la tête de Sarkosy. En règle générale, je ne pousse pas de coup de gueule, ça me fatigue. Et pis on est toujours très moche quand on est en colère.

  • Faut que je m'y mette...

    Je viens de faire le point avec Stella et nous sommes tombés d'accord pour dire qu'il était largement temps de commencer le rafraîchissement du site Internet de Magma. D'autant que le premier DVD d'une série de quatre enregistrés l'année dernière dans l'ambiance chaleureuse du Triton, aux Lilas, n'est pas loin de voir le jour. Cette tétralogie sera intitulée "Mythes et légendes" et déclinée en quatre époques correspondant aux quatre semaines de concerts donnés par le groupe, chacune proposant un répertoire différent. L'ensemble se veut donc un magnifique passage en revue des grandes compositions de Christian Vander depuis les origines jusqu'à nos jours. En attendant que commence l'enregistrement du prochain disque, le très attendu "Emëhntëht-Rê".

    J'ai la chance de travailler en très bonne entente avec celle qui est la voix féminine du groupe depuis maintenant plus de trente ans et d'avoir toute sa confiance. Nous sommes progressivement devenus amis grâce au travail que j'ai entrepris avec le Press Book Magma en 1999 - un peu en sommeil actuellement car on ne peut être au four et au moulin - et aussi parce que je crois n'avoir jamais cherché à revendiquer quoi que ce soit vis-à-vis du groupe. Je ne fais partie d'aucun rassemblement de "courtisans", je n'arbore jamais la tenue des "kobaïens" (habillé de noir et portant la griffe Magma autour du cou), je ne défends pas d'autre cause que celle de la musique de Magma et je pense compter parmi les quelques personnes qui savent ne pas adopter la posture consistant à révérer un peu béatement un musicien sans prendre un minimum de recul. Je ne prends pas chaque mot de Christian Vander pour parole d'évangile, car s'il a une vision du monde assez tragique que l'on peut comprendre assez aisément en ce début de XXIe siècle, il vit aussi dans une sorte de déchirement permanent entre ce désespoir "face à l'incompréhension entre les hommes" et un amour sans bornes pour la musique de John Coltrane dont il se nourrit depuis sa plus tendre enfance. Christian Vander vit sa propre histoire, j'ai la mienne, ce n'est pas plus compliqué que cela. Et par conséquent, je ne me sens pas forcément en phase avec toute une mythologie qu'il a créée - dont le symbole est la planète Kobaïa - qui l'a parfois poussé à des attitudes et des propos assez intransigeants vis-à-vis de ceux qui l'entourent ou qui le questionnent. Je respecte cette philosophie, mais elle n'est pas mienne. Il m'est arrivé d'ailleurs d'avoir avec lui quelques conversations - houleuses parfois - à ce sujet et nous nous en sommes toujours tenus là, dans le respect mutuel de nos personnalités. Ce qui m'est essentiel est la petite pierre que je peux apporter à l'édifice bâti jour après jour par un musicien à nul autre pareil (je suis tombé dans la musique de Magma voici bien longtemps déjà, il y a plus de trente ans), compositeur habité (qui d'ailleurs ne revendique pas pour lui-même la musique qu'il compose mais considère qu'il en est le récepteur et qu'il a pour mission de l'offrir) et batteur absolument exceptionnel. J'irai même jusqu'à dire qu'il est pour moi le meilleur batteur actuellement en exercice et je suis toujours tenté de conseiller à ceux qui ne l'ont jamais vu sur scène d'aller le voir au moins une fois, même si la musique de Magma ne les passionne pas a priori. Surtout que l'homme a 58 ans aujourd'hui et que le temps passe très vite. Alors n'hésitez pas ! J'ai la chance de l'avoir vu plusieurs dizaines de fois à l'oeuvre en concert et à chaque fois, le résultat fut le même : cette sensation d'avoir reçu une dose vitale d'énergie qui vous plonge ensuite pendant longtemps dans une sorte d'apathie, comme si vous aviez été vidé, lessivé de l'intérieur. Un drôle de nettoyage neuronal en fait...

    Alors autant dire que la perspective de ma contribution me réjouit au plus haut point. Je n'en tire aucune fierté, uniquement un plaisir. Mon après-midi à la maison sera donc studieux, je vais jongler entre code HTML, traitement des images pour le Web, feuilles de style en cascade et les premiers résultats seront bientôt en ligne.

    Et merci à toi Stella pour ta "carte blanche".

    Pour en savoir plus, voyez ici : www.seventhrecords.com

  • Renaud Garcia-Fons : épilogue provisoire

    Je n'avais pas initialement prévu de rédiger un complément à ma note consacrée au contrebassiste Renaud Garcia-Fons mais la lecture toute récente - postérieure à mon texte - du dernier numéro de Jazzman (mars 2006) appelle de ma part un rapide commentaire.

    Sous la plume de Pascal Crozat, qui dit tout de même pas mal de bien de la dernière production live de Renaud Garcia-Fons («Arcoluz», une édition composée d'un CD audio et d'un DVD audio pour la somme raisonnable de 19 €), je lis le propos suivant (pardonnez-moi, je cite de mémoire) : «Pour intenses qu'elles soient, les performances du contrebassiste ne sont pas dénuées de ce caractère démonstratif qui rappellerait les dérives sportives d'un jazz-rock d'antan».
    Ah bon ? Outre le fait que ce genre de phrase me ramène plus de trente ans en arrière et me rappelle les attaques frontales et totalement stériles menées contre la virtuosité de certains musiciens – tel John McLaughlin et son Mahavishnu Orchestra – dont on s'aperçoit aujourd'hui que leur contribution à l'évolution de la musique du XXe siècle fut déterminante, dans la foulée de la période électrique de Miles Davis, je reste un peu surpris de constater à quel point cette remarque me semble en décalage avec mon propre ressenti à l'écoute d'«Arcoluz» ! On peut être plus ou moins sensible à la démarche artistique de Renaud Garcia-Fons et ses complices et à leur volonté de fusionner musique classique, jazz et flamenco, mais comment ne pas percevoir la sensibilité, la retenue et la concision de leur propos ! Oui, Renaud Garcia-Fons et ses deux complices Kiko Ruiz et Negrito Trasante sont des virtuoses, mais non, leur musique n'est ni démonstrative ni sportive ! C'est tout le contraire ! Et du point de vue humain, nous sommes là en présence de personnes d'une grande sensibilité et d'une vraie simplicité, dont les interviews disponibles sur le DVD nous donnent un aperçu éloquent.
    On dirait que notre journaliste a été obligé de tenir un étrange pari et de glisser dans l'une de ses chroniques une phrase obligatoire très surchargée en clichés éculés !!! Charge à ses collègues de la débusquer... Dérives sportives, je t'en foutrai des dérives sportives... Tiens, à un moment, je crois me souvenir qu'il dit aussi qu'il y a quelque chose de «prévisible» dans cette musique... Pfff...
    Pour vous convaincre, je m'autorise un second extrait de la musique de Renaud Garcia-Fons. Vous pouvez ici l'écouter dans extrait de «Berimbass», extrait d'«Arcoluz», avec un chorus joué à l'archet qui fait merveille. Et si après cela vous n'avez pas envie de vous précipiter chez votre disquaire favori ou sur le site www.enjarecords.com pour vous procurer cette belle double galette, c'est à n'y rien comprendre. J'imagine que Renaud Garcia-Fons ne m'en voudra pas de cette diffusion, il comprendra aisément que je me propose ici de jouer fugitivement le rôle d'un modeste attaché de presse ! Ce que je fais avec le plus grand plaisir, nul n'en aura douté un instant...

  • Que se passe-t-il ? De menthe !

    Voici maintenant près de 50 ans - non non, inutile de me rappeler que je ne fais pas mon âge... A ce sujet, c'est Pierre Dac qui disait, je crois, à propos de quelqu'un qu'il était tellement paresseux qu'il ne faisait même pas son âge - que je me trouve confronté à un grave problème que je ne suis jamais parvenu à surmonter.

    Je vous l'expose brièvement - vous savez que j'apprécie la concision et les textes courts - et, au besoin, je vous demande de m'aider à trouver la solution.

    Voici donc ce qui m'amène : le suçage de bonbon. Une énigme qui concerne tous les parfums - citron, orange, cerise ou menthe - à condition que les friandises soient dures et qu'il faille les sucer tranquillement.

    En effet, dès que mû par la gourmandise ou par le besoin de rafraîchir mon haleine ou bien encore afin de partager charitablement la souffrance d'un collègue de bureau désireux de faire oublier à son retour chez lui les relents puissants et coordonnés du café, de la clope et de la pizza aux fruits de mer, j'avale l'une de ces friandises, je me fais la promesse - promis, juré, craché, si je mens je vais en enfer - que je tiendrai bon et que je devrai absolument le déguster jusqu'au bout sans le croquer. Je m'auto-promets un quart d'heure de douceur, de sensations acidulées et j'en salive deux fois plus. Et ça commence toujours bien, je sens la bestiole qui, petit à petit, fond et rétrécit tranquillement dans ma bouche. Je mesure les effets immédiats du travail méticuleux ainsi accompli. Bref, je me félicite intérieurement, certain, enfin, de parvenir au résultat tellement souhaité depuis ma plus tendre enfance.

    CRAC ! CRIC ! CROC ! BORDEL DE MERDE !

    Encore raté, saperlipopette, je n'ai pas tenu jusqu'au bout. Tiens, ça vient encore de m'arriver alors que j'étais super concentré sur mon boulot, virevoltant entre deux feuilles de calcul et comparant avec maestria les statistiques de l'insertion professionnelle des jeunes sortis de lycée professionnel au niveau V à celle de leurs homogues du niveau IV en Lorraine. Une seconde d'inattention et paf ! le bonbon est réduit en miettes, il faut maintenant le finir au plus vite dans ce magma gluant, mélange des douces saveurs fruitées et de l'amertume du combat perdu.

    Jamais je n'y arriverai, je crois - pour toujours - que nous vivons dans un monde décidément bien cruel qui n'accordera jamais de place aux faibles.