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WHAT ELSE ? - Page 18

  • Mets le son moins fort !

    La convalescence a ceci de bon qu'elle vous plonge très vite dans un état mental propice aux aventures humaines les plus inattendues. Votre esprit s'étant libéré des attaques quotidiennes que vous fait subir un environnement professionnel pas toujours réjouissant, vous l'avez aussitôt badigeonné de quelques onguents bénéfiques comme la musique ou la lecture. Au besoin, vous lui avez imposé un repos intégral en vous consacrant à de menues tâches domestiques mineures comme la vaisselle ou le torchon à poussière. Constatant que votre cerveau est encore soumis à quelques soubresauts intempestifs, vous devinez qu'il n'existe plus qu'un seul moyen pour l'affranchir durablement d'une activité incontrôlée : la télévision ! Et par chance, vous, petit verni, avez eu la bonne idée d'être confiné en vos murs au moment même ou quelques centaines de sportifs venus du monde entier gambader comme de jeunes fous sur les cimes neigeuse de la région de Turin vous offrent un spectacle à nul autre pareil : les Jeux Olympiques d'hiver.

    Oh, je vous vois venir ! Vous m'imaginez en train de m'agiter tel le supporter de je ne sais quel club de football : bière et chips à la main, les pieds sur la table du salon ? Que nenni, ici, on a de la tenue et le sport altier. On fait face à l'écran, correctement assis, dans l'élégance discrète d'un canapé de cuir rouge. Je passerai volontiers sur tous ces skieurs qui prennent des risques inconsidérés à dévaler des pentes à une vitesse qui démontre leur irresponsabilité alors qu'en modérant leur allure, ils pourraient envisager de rallier la ligne d'arrivée sans dommage. J'ai déjà oublié tous ces sports exotiques dont on ne parle qu'une fois tous les quatre ans avant de les replonger dans le formol de l'indifférence médiatique (y a ce truc avec plein de gens qui passent le balai comme des malades, feraient mieux de venir me donner un coup de main, parce que deux électriciens sadiques viennent de dévaster ma salle de séjour et mon salon après leur avoir fait subir des outrages dont je ne veux même pas parler ici...), le seul spectacle qui me réjouisse porte un nom : le patinage artistique (à ne pas confondre avec le tapinage arthritique, cette discipline antique étant réservée aux seuls vétérans) !
    Attention toutefois ! N'essayez pas de me prendre en défaut de raillerie de ces sportifs accomplis que sont les patineurs (ou patineuses, cela va de soi). J'ai pour eux le plus profond respect, rien qu'à imaginer le nombre d'heures qu'ils ont dû passer à tenter d'impossibles figures dont les noms m'échappent souvent : triple Lutz, double boucle piquée, tourniquet... j'en passe et des meilleurs. Une torture qui leur est infligée depuis leur plus tendre enfance, et pour certains sous les ordres de je ne sais quelle entraîneuse bulgare moustachue et ventripotente leur vociférant une bordée d'injures lorsque, par malheur, leur patin gauche n'a pas eu la présence d'esprit de se poser délicatement au sol, sans trembler, après une quadruple vrille exécutée pour la dix-huitième fois en vingt minutes. J'éprouve pour eux un respect total et je suis à leurs côtés, je les soutiens de toutes les forces que mon statut officiel de malade peut mobiliser quand, affûtés comme le coupe-chou du coiffeur de mon enfance, ils se présentent sur la glace dans un déguisement qu'on n'oserait même pas imposer à ses propres enfants un soir de Mardi Gras. Une tenue vestimentaire qui allierait la discrétion des habits de lumière du toréador au bon goût parisien des transformistes de chez Michou. Et pour couronner le tout, une ambiance musicale qu'on dirait la plupart du temps imposée par la direction artistique d'André Rieu. Non, vous perdez votre temps, ma passion pour le patinage artistique est guidée par le bonheur de retrouver celui qui, en 2006, est probablement au journalisme sportif ce que Léon Zitrone fut à Intervilles : un must. J'ai nommé, mesdames et messieurs, le sémillant, le réjouissant, l'imprévisible Nelson Monfort.

    Ah, l'admirable Nelson ! Il est probablement, au-delà de ses indéniables talents de journaliste multi-langues, l'unique exemplaire d'un interviewer qu'il me soit arrivé de retrouver seul face à son micro alors qu'un sprinter noir américain à peine remis d'un violent effort venait de prendre la poudre d'escampette et ainsi l'abandonner, n'en pouvant plus d'attendre la fin d'une question qui ne venait jamais ! Avec Nelson, on entre en quelques fractions de seconde dans un monde où tout est merveilleux, il est un peu notre rêve éveillé, le baume humain qui vous indique d'un doigt émerveillé le paradis si accessible que votre oeil méfiant n'entrevoit même pas.

    C'est dire si hier soir, j'étais au comble de la joie lorsque, prenant en main mon magazine de télévision favori (vous savez, celui qui n'aime pas trop rire... oui, vous savez, nous en avons déjà parlé), je me rendis compte qu'une soirée patinage s'offrait à moi ! J'allais pouvoir me régaler, savourer l'emphase et les propos toujours débordants d'enthousiasme de mon Nelson. Un Nelson qui, cerise sur le gâteau, nous fit comprendre qu'il avait à son arc une corde encore jamais révélée : la divination ! Oui, du balai Elisabeth Tessier, laisse la place à Monsieur Nelson ! Notre Nelson nous confia en effet d'emblée qu'il « sentait que quelque chose allait se passer ce soir », au grand étonnement de son complice d'un soir, l'ex-patineur Philippe Candeloro, promu au rang de consultant et dont la prestation fut, reconnaissons-le, de bonne tenue : technicité et concision. A ceci près qu'à chaque fois qu'il prenait la parole, il nous privait des commentaires extatiques de notre frisé et sémillant linguiste. Mais qu'allait-il donc se passer ? Rien de bien important en fait à l'échelle cosmique : un patineur français, arrivé quatrième au terme des épreuves imposées, allait tout balayer sur son passage et gravir la plus haute marche du podium. Nelson l'avait lu dans sa boule de cristal et en était tout tremblant d'une incroyable fièvre supportrice. Il nous annonçait crânement que notre petit gaulois allait nous réserver une belle surprise. Sa joie, son impatience étaient telles qu'en attendant la venue du messie tricolore, il nous gratifia, pour notre plus grand bonheur, d'un continuum sonore de belle facture et de superlatifs à la pelle. Nelson était heureux, il nous avait fait ce cadeau de nous offrir par avance la joie qui allait nous transpercer, aux alentours de 23 heures.

    Les candidats au titre défilèrent les uns après les autres, les membres du jury firent leur boulot de notation (j'entends par là que je ne comprends toujours rien à la notation), les chutes, les glissades se succédèrent ainsi que de splendides figures, reconnaissons-le tout de même. A ce niveau d'ailleurs, ne pas prendre de risque équivaut à une quasi-élimination d'office. Philippe Candeloro eut beau, subrepticement, glisser une remarque pertinente sur la tension qui montait et sur un début d'inquiétude qui germait en lui, rien n'y fit, notre chroniqueur enchanté ne voulut rien entendre et ne tenait plus en place, persuadé plus que jamais que son favori allait s'imposer.

    Oui mais voilà... entre rêve et réalité existe parfois une petite marge douloureuse sur allait immanquablement se fracasser les illusions monfortiennes. Ce qui devait arriver arriva : notre compatriote fut, comme bien d'autres, obligé de repousser certaines limites et, sans trop attendre, s'écrasa au sol, manqua deux autres figures à l'issue desquelles il ne dut son équilibre qu'à un rattrapage de la main. Toute sa prestation fut visiblement contrariée par ces ratés et l'on put voir très vite à sa mine déconfite qu'il ne ne faisait plus la moindre illusion. Mais Nelson continuait d'y croire, lui ! L'attente des notes fut un  long supplice durant lequel on le devinait, sortant sa calculette – je pose mon neuf et je retiens 2 – envisageant une victoire à laquelle il se raccrochait encore. Mais l'impitoybable verdict tomba et là, comme on dit dans les productions Tony Comiti sur M6 : c'est le drame ! Les notes étaient catastrophiques, le poulain hexagonal était repoussé à la sixième place. Subitement, on n'entendit plus rien. Nelson était sans voix, on craignit le pire pour lui, un évanouissement au minimum, plus grave peut-être. De mon côté, j'imaginai volontiers à ses côtés une baronne vieillissante et mamelue lui prodiguer les premiers soins en le ventilant de son éventail et en demandant haut et fort (ben oui, c'est mon sponsor) qu'on lui apporte des sels. L'angoisse était à son comble... Rendez-nous vite notre Nelson, par pitié, ranimez-le, comment va-t-il ? Au bout d'une attente interminable, ouf, merci, notre si cher ami était revenu parmi nous, pas tout à fait remis de ses émotions cependant. Le coeur n'y était plus...

    Autant vous dire que le plaisir de la fête fut très contrarié par ce fâcheux incident... ah oui, j'y pense, je crois que c'est un russe qui a gagné, il était déjà largement en tête au début de l'épreuve et considéré comme le favori imbattable.

    Seul notre Nelson croyait à l'impossible, comme si personne n'avait osé lui suggérer qu'il rêvait. Ah, je l'aime bien, mon Nelson. Allez mon gars, reprends des forces, je suis sûr qu'un jour, tes prédictions finiront par se réaliser !

  • Stimulo 2, unis pour la vie !

    Il y a maintenant quasiment 15 ans, j'avais écrit quelques notes avant et après la pose de mon premier pace maker. Par je ne sais quel miracle, alors qu'elles étaient stockées sur une disquette (vous savez, les trucs plats qu'on insérait autrefois dans les ordinateurs) méticuleusement cachée par mes soins là où elle n'aurait jamais dû se trouver, j'avais pu les retrouver dans leur format d'origine et les livrer ici-même à votre intraitable lecture. Enfin, quand je dis miracle, peut-être aurais-je pu également les détruire...
    Aujourd'hui, en février 2006, l'assassin revient sur les lieux du crime et vous propose un petit compte-rendu de ces 24 heures que je viens de passer en clinique. Et bien conscient du caractère bénin de l'intervention chirurgicale que j'ai subie, je ne me laisserai pas aller à quelque apitoiement que ce soit sur un sort que, finalement, des centaines de millions d'individus de par le monde envieraient probablement à juste titre.
    Et puis... il a dû encore se passer tout un tas de choses horribles ici et là depuis lundi... Alors, oui je sais, tout cela est certainement très égocentrique. Tant pis, j'assume ! J'écris aussi pour ne pas oublier.
    Selon toute probabilité et si j'en crois les éminents spécialistes qui se sont penchés sur mon cas, la durée de vie de ce nouveau stimulateur est estimée à 15 ans, tandis qu'il faudra envisager un changement de la sonde dans 10 ans. Je vous donne dès à présent rendez-vous en 2016 pour le troisième volet de ces aventures, que je rassemblerai probablement dans un somptueux coffret avec bonus et textes inédits. J'en ouvrirai la souscription vers 2012.
    Enfin, je vous avertis que le style de ces notes sera plus concis qu'à l'habitude, car j'ai privilégié le témoignage en quasi « direct live ». Point trop de parenthèses, peu de digressions, mais plutôt une suite d'impressions et de faits reproduits au plus près de leur vérité.
    Et je dédie ce texte modeste à ma petite femme qui, nonobstant un emploi du temps surchargé et une importante réunion, a réussi le tour de force d'être présente lundi après-midi et une bonne partie de la journée de mardi, adoucissant ainsi ces heures grises comme le mur de ma chambre d'hôpital. Miracle de la Saint-Valentin ?
    A vous Cognacq-Jay, à vous les studios.

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    Salle d'attente au service des entrées de la polyclinique. Je regarde mes voisins. Que des vieux. Je n'ai rien contre les personnes âgées, notez-le bien, sauf quand elles vont dépenser leur retraite dans les casinos, mais ça, c'est une autre histoire. Mais ce qui m'étonne toujours, c'est cette impression d'être arrivé là un peu en avance, comme quand j'étais gamin, à l'école ou au collège, plus jeune que les autres. Puis vient mon tour. Questions rituelles posées par une opératrice qui ne quitte pas son écran des yeux. Et lorsqu'elle édite les planches d'étiquettes qu'elle ira coller un peu partout et qui me suivront pendant 24 heures, elle s'aperçoit qu'elle a fait une grosse erreur d'orthographe sur mon nom. C'est bien, je ne suis même plus sûr que c'est de moi qu'on va s'occuper. Je vais devoir expliquer à chaque fois que nécessaire que : non, je ne suis pas monsieur Untel, oui l'erreur a été signalée et corrigée malgré les ratures manuscrites sur les documents. Et puis qu'est-ce j'y peux moi, c'est pas mon problème après tout.

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    Etonnement général quand j'annonce que je ne veux pas de télévision dans ma chambre, comme si j'étais un être anormal. Et pour achever mon portrait de gars bizarre, non, je ne veux pas de téléphone non plus.

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    Deux amis sont là dans la salle d'attente, Jean-Philippe et Gilles. Ce dernier doit lui aussi passer sur le billard car il souffre de calculs rénaux. Quand j'étais à l'école primaire, j'avais la réputation d'un as du calcul mental. Je découvre ainsi que d'autres voies sont ouvertes aux mathématiciens.

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    Une hôtesse nous guide dans ma chambre, au numéro 435. Propreté, murs gris, vue sur un paysage plutôt sinistre – au loin, la zone commerciale dite du Champ-le-Boeuf – froideur du mobilier, température ambiante élevée. Finalement, rien n'a vraiment changé depuis mes dernières incursions dans l'univers hospitalier.

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    A peine installé, deux infirmières me rendent une première visite. Elles promènent avec elles un matériel roulant dont je ne tarderai pas à m'apercevoir qu'elles ne peuvent plus se passer. Je glisse mon doigt dans une sorte de pince à linge électronique, on me plante quelque chose dans l'oreille et on emballe mon biceps (enfin, ce qu'il en reste) dans le gros coussin gonflable servant à mesurer la tension. Tout le reste est automatique, l'intervention humaine n'est plus requise et je peux lire non seulement ma tension, mais aussi la température de mon corps et mon pouls (52 pour la première mesure). Mais j'ai surtout la nostalgie de cette époque où l'infirmière prenait le temps de s'asseoir au bord du lit, de vous enserrer délicatement votre poignet de sa main en regardant sa montre, avant qu'elle ne vous dépose délicatement un thermomètre sur votre table de chevet. Tout est désormais plus calibré, un peu froid tout de même. Je m'efforce de plaisanter avec ces charmantes dames qui exercent leur métier avec application et simplicité...

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    Une autre infirmière, itinérante celle-là, entre dans la chambre pour un prélèvement sanguin à des fins d'analyse. Elle a la voix rauque, elle empeste le tabac quand elle parle. Une fois ses trois flacons étiquetés et rangés dans un sac, elle repart. Le rationalisme appliqué au domaine de la santé limite considérablement les échanges humains.

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    Beurk ! Le repas qu'on me propose est innommable... Une purée au goût de plastique dans laquelle baigne un morceau de viande insipide dont on peut supposer qu'il s'agit d'une sorte de jambon cuit et coupé assez épais. Et pour finir, un petit pot d'un flan industriel très sucré. Malgré la faim qui me tenaille, j'ai du mal à terminer. Une cuisine beaucoup moins avenante que le nom de la société qui la commercialise... Et dire que ne pourrai rien avaler avant demain midi.

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    Le docteur D. me rend une première visite durant mon repas et, voyant ma mine déconfite devant la torture qu'on m'inflige, me raconte ses démêlés avec une saumonette tout aussi immangeable, voici quelques années, ici même lorsqu'à son tour il était temporairement devenu un patient. Et puisque j'en ai terminé avec mon festin, il m'invite à le suivre dans son service pour quelques menus contrôles.

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    Malgré toutes ses tentatives, le docteur D. ne parvient pas à ramener à la vie mon stimulateur définitivement hors service. Il m'explique qu'il lui est déjà arrivé de vérifier qu'après une interruption, la batterie d'un pace maker peut se recharger un peu, permettant à ce dernier de se remettre en route. Mais non, rien n'y fait, le mien est mort, bien mort. Et pour disposer du maximum d'informations, il demande qu'on me fasse deux radios dans la pièce voisine. Poitrine collée à la vitre – toujours trop froide – je me tords le cou pour adhérer au mieux. Très obéissant, j'arrête de respirer quand on m'en intime l'ordre et je pense à ce petit papy qui me racontait il y a bien longtemps qu'il avait failli imploser en attendant que le manipulateur en radiologie l'autorise à respirer une fois son cliché en boîte. Autorisation qu'il attend peut-être toujours, si par bonheur il est toujours en vie.

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    En attendant le développement des clichés, je m'assois dans la salle d'attente et, soucieux de ne pas perdre mon temps, me plonge dans une revue qui m'annonce que je vais tout savoir sur le nouveau système de la Bill Gates Company. Quelle n'est pas ma déception lorsque je me rends compte que le canard est certifié 5 ans d'âge et me présente en fait les grandes lignes de... Windows XP. C'est bon, je connais ! J'aurais dû faire attention aussi, c'était vraiment pas normal cette publicité en quatrième de couverture proposant un ordinateur dont le prix était annoncé en francs...

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    Le docteur D. est en admiration devant les deux radios qu'il scrute avec un plaisir non dissimulé. Il me promet de les scanner et de me les envoyer au plus vite par e-mail. Aurait-il deviné que j'ai des lecteurs, avides de tout savoir sur les charmes de la stimulation électrique ? Et que j'allais m'empresser de leur donner à voir ce beau spectacle ?

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    Remonté dans ma chambre, je passe une soirée très calme, à l'abri de mon iPod. Je commence par deux émissions que j'ai « podcastées » sur France Culture et France Inter : Répliques et Le masque et la plume. Cette dernière est consacrée au cinéma et, plus exactement, au palmarès des auditeurs de l'émission qui couronne cette année le réalisateur Jacques Audiard pour son film... non, ce n'est pas une blague : « De battre mon coeur s'est arrêté ». C'est malin, ça...

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    Je consacre la deuxième partie de ma soirée à un exercice dont j'ai largement abusé lorsque j'étais adolescent : lecture et musique. Devant mes yeux, le bouquin de Denys Podalydès, « Scènes de la vie d'acteur ». Une écriture remarquable, concise, inventive et la narration de tous les doutes d'un acteur, sur scène, dans les coulisses, pendant le tournage d'un film. Un vrai plaisir de lecture – le livre est agréable au toucher, ce qui ne gâte rien – même si l'atmosphère finalement assez étouffante qui se dégage de ces pages peut facilement vous dissuader de vous lancer dans le métier d'acteur... Dans les oreilles, deux albums de Traffic : « The low spark of high-heeled boys » (1971) et « Shoot out at the fantasy factory » (1973). Deux disques où la voix magnifique de Stevie Winwood est comme l'illumination permanente d'une musique chaleureuse où se mêlent avec bonheur la scansion du piano, les effets sonores appliqués à un saxophone ténor et une guitare presque douloureuse. A l'écoute de ces deux disques, je suis comme pris d'un vertige. Je me retrouve instantanément à l'époque où je les avais découverts – grâce à mon frère, une fois encore, j'avais 13/15 ans – et j'ai instantanément la perception du temps qui a filé à la vitesse de l'éclair, je suis plongé 35 ans en arrière, j'ai l'impression de n'avoir rien vu passer. Je suis redevenu l'enfant ayant revêtu un costume d'adulte et je me projette en avant, je me vois déjà au seuil de ma vie, trop tard, trop vite, rien qu'en fermant les yeux. Alors je me dis que chaque seconde compte, qu'il faut demeurer très attentif à ceux qui nous entourent, il faut écouter, goûter chaque instant.

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    22h30 : l'infirmière de nuit entre assez brusquement dans ma chambre, comme elle doit le faire dans toutes les chambres. Elle est souriante et me dit qu'elle est l'infirmière de nuit. Surtout, elle me confirme que mon opération est bien planifiée demain matin à 8h30 et qu'à partir de minuit, je ne dois plus ni boire ni manger. Elle m'inflige le même traitement que ses collègues, note tout scrupuleusement sur la feuille à mon nom, avec la faute d'orthographe. Bonne nuit !

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    Juste avant que j'éteigne la lumière, Saxoman m'envoie un SMS pour me souhaiter bonne nuit et bon courage pour demain.

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    6h30 : l'infirmière de nuit entre en trombe dans ma chambre. Elle va quitter bientôt son service et me demande si j'ai bien dormi. Oui, bof, pas trop, il fait trop chaud ici. Tension, température, pouls, l'appareil clignote, émet une série de bips. Comme hier. Elle me donne les consignes essentielles : prendre une douche (ah bon ? Mais j'en ai déjà pris une hier soir ! Oui, mais, il faut prendre une douche...), enfiler cette redoutable chemise longue fendue à l'arrière qui vous donne un air absolument ridicule, les fesses à l'air, quand, après moult efforts, vous avez péniblement réussi à l'attacher au moyen du bouton pression. Et puis... je dois attendre qu'on vienne me chercher.

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    Je patiente en musique : « Deja vu all over again » de John Fogerty et, dans un registre totalement différent, « Momentum » du saxophoniste Joshua Redman. Une bonne cure énergétique, très contrastée. D'un côté, un rock simple et éternel, de l'autre, un jazz qui se tourne vers des atmosphères plus avant-gardistes en proposant un répertoire qui mélange les genres : Led Zeppelin côtoie Ornette Coleman !

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    8h10 : c'est un brancardier qui, cette fois, s'annonce dans ma chambre ! Fini de rigoler, cette fois, faut y aller. Nous voilà partis pour une petite promenade, moi confortablement installé dans mon lit, lui pilotant l'engin et pestant contre les différents obstacles qui ne manquent pas de se présenter. Il y a là, par exemple, un fauteuil roulant vide de tout occupant. N'importe quoi ! Un fauteuil roulant, on en a besoin et on est assis dessus, sinon, ça ne sert à rien ! Nous descendons quatre étages et là, nous arrivons en un lieu qui évoque un peu un garage dont je serais la voiture amenée là pour une petite révision. Je suis très intrigué par la bonne douzaine de lits vides qui attendent. Je suis le seul être humain et, bien que livide moi aussi, je m'amuse à m'imaginer que ces couchages abandonnés ont été déposés là après quelques interventions chirurgicales manquées. C'est vrai, on ne peut pas gagner à tous les coups. La musique de John Fogerty trotte dans ma tête et va m'accompagner jusqu'au bout. Thank ya John !

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    Je suis maintenant dans un couloir où circulent un grand nombre de Schtroumpfs mâles et femelles : ils sont habillés de bleu, portent des chapeaux et des chaussures en papier blanc. Ils sont souriants et me disent tous bonjour, arborant un franc sourire. Je suis leur gagne-pain.

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    Un Schtroumpf différent vient me parler. C'est mon anesthésiste. Il m'explique qu'il va m'injecter je ne sais trop quoi mais que tout ceci est anodin, que l'intervention sera de courte durée. Il se lance aussi dans une longue explication visant à me faire comprendre que le docteur D. ne changera pas ma sonde et que, par conséquent, sa charge anesthésique sera moins puissante. Je suis d'accord avec lui, n'ayant pas la possibilité de penser quoi que ce soit d'autre.

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    Ah ! La salle d'opération ! Enfin ! Comme toujours, l'air ambiant est frisquet et les deux charmantes dames qui vont s'occuper de moi avancent masquées (tandis que moi, mesdames, je vous rappelle qu'on m'a contraint à me promener les fesses à l'air...) et me posent quelques questions d'usage : est-ce que je fais des allergies ? Spontanément, je réponds : « au travail... » mais cette information leur étant de peu d'utilité, je me vois dans l'obligation de leur confesser que, non, je ne me connais pas vraiment d'allergie. Et pour se venger, les garces me rasent la moitié de la poitrine.

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    Panique à bord ! Le docteur D., qui vient de faire son entrée, ne parvient pas à mettre la main sur LE pace maker qu'il a mis de côté pour moi, en prenant soin de bien le ranger non sans avoir écrit sur la boîte mon patronyme en toutes lettres. D'un seul coup, la ruche s'agite, l'une téléphone pour savoir où peut bien avoir été caché le précieux objet, l'autre se remémore le prénom de celle qui, hier, était sensée l'avoir rangé. Le docteur D. s'esquive, visiblement contrarié, avant de revenir, triomphant, une boîte à la main : « Je l'ai !!! ». C'est bon les amis, vous pouvez me piquer. N'empêche, j'ai beau fanfaronner... je sens qu'un début de stress me gagne !

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    L'intervention aura duré un peu plus d'une demi-heure, et bien que n'ayant jamais fermé les yeux, je soupçonne mon Schtroumpf endormeur de ne pas seulement m'avoir injecté un antibiotique et un anti-douleur !!! J'ai probablement perdu un tantinet la conscience exacte de ce qui m'arrivait. Je me souviens d'avoir entendu le Docteur D. dire que le nouveau pace maker était légèrement plus petit que le précédent, je l'entends expliquer à ses assistantes le raccordement à la sonde, je suis certain de lui avoir demandé s'il n'était pas en train de me recoudre. Mais tout s'est passé pour moi dans un flou cotonneux, avant que l'on ne me parque dans un autre grand garage appelé « Salle de réveil ».

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    Des bips en permanence, des malades qui toussent, d'autres auxquels on retire un tube enfoncé dans la gorge, le chant des infirmières qui essaient de les réveiller. Voilà ce qu'est une salle de réveil... dans laquelle je suis arrivé, très bien réveillé, mais où je commence tout doucement à m'endormir. On m'a branché un tube d'oxygène dans le nez, on me le retire un peu plus tard avant de déplacer mon lit qui va partir pour le voyage de retour dans ma chambre (tiens, c'est bizarre, je suis certain que le docteur D. voulait me voir juste après...). J'aperçois Gilles qui, lui aussi, se réveille. Je l'appelle mais, sans lunettes, il ne voit rien et ne me reconnaît pas. Une des infirmières pousse un coup de gueule contre un médecin, je l'entends dire : « Je vais me le faire, s'il continue... ». Pas contente, la demoiselle, vraiment pas !

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    A peine remonté dans ma chambre, mes infirmières viennent s'occuper de moi, suivies par leur appareillage de contrôle. Il y a cette fois une nouveauté : je dois noter ma douleur de 0 à 10. Ah bon ? « Oui, 0 c'est pas de douleur, 10 c'est une douleur insupportable ! ». Bon, ben, disons... 1,596 alors ! Evidemment, ma réponse ne leur convient pas. « Bon, je note 2 alors. Comme ça, quand je reviendrai tout à l'heure, je saurai que si vous me dites 3, c'est que votre douleur sera plus forte tandis que si vous me dites 1, c'est que vous aurez moins mal ». Voui voui voui... ça sent la norme ISO 9002 à plein nez, votre calcul d'intensité du bobo... C'est incroyable ce que les relations sont simplifiées de nos jours : avant, les personnels vous parlaient à la troisième personne du singulier, maintenant, elles vous lisent un questionnaire !

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    Ma petite femme fait son entrée dans la chambre en compagnie d'un brancardier ! La pauvre, elle était arrivée depuis un bout de temps quand on lui a dit que j'étais déjà parti pour un contrôle chez le Docteur D. chez lequel elle s'est rendue aussitôt sans m'y trouver puisque j'étais en salle de réveil avant que, par erreur, on me remonte directement au numéro 435. Vous me suivez ? Non ? Pas grave, j'ai moi-même mis un bon bout de temps avant de comprendre les mystères de la communication hospitalière. Tout ce que je sais, c'est que je dois effectuer une nouvelle promenade dans mon lit, car mon médecin préféré veut procéder aux premiers contrôles. En voiture, Simone !

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    Je retrouve le docteur D., qui se trouve en compagnie de deux commerciaux de l'entreprise Medtronic qui a fabriqué mon pace maker. J'ai à peine droit à un bonjour, mais je comprends bien que je ne suis pas leur centre d'intérêt. Ils sont là pour vendre leur matériel, en expliquer tous les avantages et surtout, montrer le fonctionnement du logiciel de pilotage et de contrôle de mon stimulateur. Cette drôle d'impression, soudain, de ne plus exister. Elle, tailleur rose bonbon, genre Bimbo des claviers ; lui, en retrait, les mains dans les poches, genre vivement qu'on aille manger.
    Heureusement, le docteur D. est un être humain pas comme les autres et, lorsqu'il apprend que ma femme ne pourra pas venir me chercher et que j'envisage de rentrer chez moi en taxi, il m'annonce comme un cycliste victorieux qu'il se fera un plaisir d'être mon chauffeur en fin d'après-midi et que, cerise sur le gâteau, il me conduira dans un véhicule de 50 ans !!!

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    Coup de téléphone à ma mère car je sais qu'elle doit se ronger les sangs. Un autre à La Fraise qui pensait venir me voir dans l'après-midi au cas où je ne pourrais pas quitter la clinique ce soir. Mais tout se déroule comme prévu, je rentrerai bien en fin d'après-midi. Un échange de SMS avec mon frère aussi, nous parlons de musique, pour ne rien changer aux bonnes habitudes.

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    Je redoute le repas qu'on va me servir et, en attendant, j'écoute « Ca se bouffe pas, ça se mange », l'émission de Jean-Pierre Coffe sur France Inter consacrée cette semaine aux fours à micro-ondes. Ou pourquoi il vaut mieux être ingénieur en génie des particules et spécialiste des champs électro-magnétiques pour bien comprendre tout ce qui se passe quand on n'a pas trouvé mieux pour réchauffer son bol de café...

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    J'espère qu'en plus, mon plateau-repas n'a pas été réchauffé au four à micro-ondes, après tout ce que je viens d'entendre... Taboulé à l'Orientale, Sauté de porc à la Flamande... Une invitation au voyage qui ne vaut que sur le petit menu imprimé. Car pour le reste, tout cela est d'une tristesse... Je mange sans conviction, j'attends d'être chez moi pour retrouver le vrai goût de la nourriture.

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    Ma cicatrice me fait mal, et depuis que j'ai essayé de me lever, un mal de crâne s'est agrippé à mes tempes. Je me déplace avec une certaine prudence car les premiers mouvements me font un peu vaciller. J'attends mon second contrôle.

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    Le téléphone sonne, je dois descendre pour l'ultime vérification avant ma sortie de clinique. Cette fois, j'y vais par mes propres moyens, et comme j'ai mémorisé le parcours depuis ce matin, je n'ai aucun mal à trouver mon chemin. Le docteur D. m'attend avec l'un de ses collègues, le docteur K. Tous deux s'exercent au pilotage de mon pace maker avec le logiciel qui leur a été présenté quelques heures plus tôt par les deux joyeux drilles entrevus quelque temps plus tôt. Je devine, aux vibrations que je ressens, que tous deux testent différents modes de stimulation, dont certains sont franchement désagréables. Mais une fois les réglages effectués, en guise de récompense, j'ai droit à un nouveau carnet de « porteur de pace maker ». Plus fort encore : étant le premier porteur de ce modèle de pace maker, j'assiste à sa naissance informatique. Le voici désormais intégré à la base de données de la clinique.

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    L'heure de la sortie est maintenant proche, il ne me reste plus qu'à me soumettre à quelques formalités administratives avant de rejoindre celui qui s'est désigné comme mon chauffeur. Une fois réglés les 11€ exigés en contrepartie du privilège de la chambre seule, la secrétaire me fait remarquer que je suis entré à 16h44 et que je sors à 16h43 !!! Je quitte les lieux et rejoins mon bienfaiteur. Sur mon chemin, j'ai cru deviner que la vieille Panhard noire qui trône fièrement sur un emplacement réservé aux médecins serait le véhicule dans lequel je rentrerai chez moi. Très impressionnant !

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    La fenêtre du conducteur est restée ouverte, mais les portes sont bien fermées à clé. Le Docteur D. me présente son carrosse – c'est bien la Panhard noire ! – dont il exhibe fièrement la carte grise sur laquelle je peux lire que la première immatriculation remonte au 16 décembre 1957. Cette voiture, banquette à l'avant, sans ceintures de sécurité, qui empeste l'essence, est plus âgée que moi ! Je taquine son conducteur en lui faisant remarquer que, décidément, il aime les records de longévité. Après avoir maintenu en vie mon premier pace maker durant 15 ans (âge très respectable pour un stimulateur), chercherait-il à battre un autre record en pilotant ce véhicule qui tousse, crache, cale mais roule quand même ? Je me demande à quoi nous pouvons ressembler, lui et moi, vus de loin... Un improbable attelage, unis par une complicité réelle.

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    Je rentre chez moi, j'ai mal à la tête, mal à la poitrine. Je me couche très vite en me disant qu'une fois la douleur effacée, une fois la cicatrice bien refermée, je serai en route pour de nouvelles aventures, prêt à tourner une page de 15 ans, mon pace maker et moi ! J'ai envie de courir, de nager, de passer de bons moments avec les miens et de m'efforcer de les goûter au mieux quand ils se présenteront. La vie quoi... trop courte pour ne pas la savourer.

  • Même pas mort !

    Oui, bio-ionique de nouveau, mais bordel de nom d'un chien, j'ai vachement mal : à la tête depuis que je me suis mis debout, et aussi sous le pansement.
    Promis, je vous raconterai tout ça, j'ai pris des notes, y a pas mal de choses cocasses à partager avec vous... La moindre n'étant pas mon retour dans une Panhard de 1957 empestant l'essence et pilotée par mon chirurgien.
    Mais bon, là... dodo !

  • Pause pose

    Aujourd'hui est un jour vraiment placé sous le thème de l'électricité. Alors que je m'apprête à quitter le douillet nid familial pour rallier la clinique où m'attend mon nouveau stimulateur cardiaque, deux électriciens sont entrés dans la maison pour quelques travaux essentiels. Amusante, cette coïncidence, non ?

    Je pense être absent pour une durée très courte : si j'en crois les promesses de mon chirurgien, le « timing » sera le suivant : hospitalisation cet après-midi, pose du pace maker demain matin, sortie demain en fin de journée, une fois effectuées les différentes opérations de contrôle et les réglages nécessaires. C'est bien assez pour moi, j'ai passé suffisamment de temps à l'hôpital – il y a fort longtemps maintenant – pour ne pas en souhaiter plus !

    Faire les bagages. Que faut-il emporter ? Pour 24 heures, allons à l'essentiel. Une trousse de toilette, un pyjama et surtout, les compagnons de toujours. Je vais prendre deux livres : « Scènes de la vie d'acteur », de l'excellent Denis Podalydès (il faudra que je vous reparle de ce bouquin, très bien écrit, tout en finesse) et « Lumière froide », de John Harvey. Ce dernier est le sixième volet de cette suite de onze livres qui mettent en scène l'inspecteur Charles Resnick et ses collaborateurs. Je me suis dépêché de finir « Le tueur et son ombre » de Herbert Liebermann, pour faire la place à mon flic préféré. Mon iPod sera du voyage, gonflé à bloc avec près de 300 CD et quelques émissions diffusées ce week-end sur France Culture et France Inter. Je n'oublie pas mon téléphone portable.

    Je vais ajouter mon carnet de notes et un stylo dans mon sac. Je pense prendre quelques notes « en direct », je les comparerai à celles que j'avais écrites en 1991 et que j'avais recopiées ici sous le nom de « Stimulo ».

    Un peu d'argent liquide aussi. Car ma femme a un emploi du temps tellement chargé qu'elle n'est pas certaine de pouvoir venir me chercher quand je quitterai la clinique. Je prendrai le taxi. Comme dans les films, je tendrai mon billet au chauffeur sans lui demander la monnaie. Enfin, on verra...

    Je pars totalement décontracté, car cette mini-opération ne me fait pas peur du tout ! Je redoute plus l'ambiance de la clinique qui fait remonter en moi des souvenirs très désagréables. Malgré tout, je n'ai qu'une seule envie : être rentré ! Même si, dans les jours qui suivront, je ne pourrai échapper à quelques corvées : contrôles sanguins en laboratoire, pansement, infirmière... Ouais... Décontracté... Peut-être pas tant que ça en fait, je dois dire ça pour frimer un peu, je me raconte des histoires !

    Vivement demain...

  • Dimanche à zéro

    Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais il m'arrive assez souvent d'être gagné par une sorte d'apathie tristounette quand arrive la fin du week-end. Je rêve qu'un dimanche viendrait succéder à celui en cours, et je m'imagine, le lendemain matin, en train de regarder paresseusement la France laborieuse se mettre au travail du fond d'un lit dont aucun événement, même tragique, ne saurait m'extraire. Je me suis interrogé sur la raison de cette mélancolie et je n'ai pas mis très longtemps à en connaître la cause. Mais surtout, ce questionnement m'a remis en mémoire une espèce de tradition familiale et néanmoins dominicale que nous avions établie, mes soeurs, mon frère et moi, au grand dam de notre père, qui en était la victime un tantinet consentante. Séquence nostalgie ! Vous n'êtes pas obligés de me lire, j'écris ces lignes de peur de tout oublier un jour... Et pardon d'avance pour les inévitables digressions et cette drôle de manie d'ajouter des commentaires entre parenthèses...

    En toute modestie, je crois pouvoir dire que j'appartenais à la catégorie de ceux que l'on appelle les bons élèves. Presque toujours dans les premiers de la classe, plutôt en avance sur les autres (de une à deux années), assez régulier dans mes devoirs même si je mettais un point d'honneur à ne pas y consacrer plus de temps que nécessaire, je n'ennuyais donc personne avec le quotidien de ma scolarité. Mes occupations intellectuelles étaient plutôt solitaires : disques et livres étaient mes principaux compagnons. Le sport et moi entretenions des relations plutôt distantes (j'apprendrai pourquoi bien plus tard) et, à l'exception d'une période vélo durant mes années lycée, ma chambre fut le lieu de beaucoup de mes découvertes. L'une des rares fois où j'ai pu poser un cas de conscience à mes parents fut le jour où mon instituteur leur suggéra qu'il ne serait pas raisonnable de me laisser entrer en classe de sixième à l'âge de neuf ans et qu'il me serait profitable de redoubler. Ils suivirent ses conseils et je considérai mon second CM2 à la manière d'un film moyennement passionnant qu'on m'aurait un peu forcé à visionner à nouveau. Rien de bien méchant, quoiqu'un peu ennuyeux. Heureusement, celui qui avait la charge de cette classe était un ami de la famille, ce qui me valut un traitement de faveur et l'octroi de quelques privilèges, dont le moindre n'était pas la responsabilité d'aller lui acheter régulièrement un paquet de tabac pour sa pipe (du Bergerac, l'emballage était orange). Car à cette époque, mais oui mais oui, même les instituteurs pouvaient fumer durant la classe. Mais je m'égare... Le reste de ma scolarité fut – à l'exception d'une classe de troisième où un petit vent de folie souffla sur l'esprit de chacun d'entre nous, j'y reviendrai peut-être un jour – assez lisse. La plupart du temps, je trouvais les cours soporifiques, les enseignants guères stimulants et je me suis laissé bercer par ce courant un peu plat jusqu'à l'époque de mon baccalauréat, que j'obtins sans trop de difficultés avant de m'engager dans un cursus universitaire dont je continue, aujourd'hui encore, à me demander par quelle étrange mécanique j'ai pu un jour d'égarement prendre la décision de le suivre. Car, oui, je l'ai suivi, d'assez loin j'en conviens, mais j'y suis tout de même resté durant cinq ans avant de le fuir brutalement, pour entrer dans un autre univers, celui de la vie professionnelle. Fort heureusement, c'est par ce grand mystère de mes études en sciences économiques que j'ai pu faire la connaissance de celle qui allait devenir la maman de La Fraise et de Saxoman. Un bien pour un mal donc... Et je continue à m'égarer. Et je ne vous dirai rien de cette rencontre avec la femme de ma vie, c'est privé !

    Ce préambule historique n'a pas d'autre raison que de vous expliquer l'état d'esprit dans lequel j'abordais au fil des jours ma scolarité : la perspective, chaque dimanche soir, de retrouver des salles de classes ennuyeuses n'étant pas particulièrement motivante, j'appréhendais toujours ces heures un peu bleues, celle où l'avenir immédiat se confondait avec la perspective d'un réveil matinal me conduisant à ma purge quotidienne. Fort heureusement, il nous arrivait, avec mes frères et soeurs, de mettre en place une stratégie dont l'objectif était justement celui de retarder l'arrivée de ce moment fatidique. Ce que je vais vous raconter remonte à si longtemps maintenant...

    Un week-end obéissait chez moi à une mécanique assez exemplaire : jusqu'à l'époque de l'école primaire, j'allais en classe le samedi (y compris l'après-midi) ; à partir de mes années collège, je consacrais mes samedis après-midi aux devoirs et à une petite flânerie en ville (d'où je revenais parfois, voire souvent, avec un disque plus ou moins clandestin en appliquant une tactique que j'ai déjà exposée) ; le dimanche matin était consacré à la messe – jusqu'au jour de notre communion, puisque, une fois nos cadeaux en poche, nous avions appris à nous dispenser de ce moment fastidieux en retardant au maximum l'heure de notre lever – et aux devoirs. Et très souvent, le dimanche après-midi, nous nous rendions chez nos grands-parents maternels qui habitaient à une vingtaine de kilomètres de chez nous. Il faut dire aussi qu'en cette époque lointaine, contrairement à nous, mes grands-parents possédaient la télévision. Principalement une chaîne, si mes souvenirs sont exacts, et en noir et blanc s'il vous plaît, avec une horloge qui s'affichait en attendant que les programmes commencent. Notre activité principale chez eux était donc de dévorer des yeux un écran magique, car nous étions probablement un peu hypnotisés par cette animation absente de notre quotidien. Seul mon père paraissait s'y intéresser moins et l'on devinait poindre chez lui, une fois passé le stade du milieu de l'après-midi, comme un début d'inquiétude. Ne me demandez pas pourquoi, parvenu à une certaine heure, il était gagné par le besoin de rentrer chez lui... je n'en ai pas la moindre idée et j'avoue ne jamais lui avoir jamais posé la question ! Aucune activité particulière ne l'attendait pourtant à la maison (sauf peut-être, à certaines périodes de l'année, alimenter la chaudière en charbon), mais il lui fallait partir, les choses étaient ainsi pour lui. Dans ces conditions, vous imaginez bien qu'il devait faire face à une certaine opposition de notre part (je crois même me souvenir que notre mère, sans le dire vraiment, nous soutenait un peu dans cette stratégie) : à titre personnel et pour les raisons expliquées plus haut, je n'étais guère pressé de retrouver les heures bleues du dimanche soir et je m'accommodais fort bien d'un retour tardif. D'autant qu'il arrivait que le programme télévisé soit aussi notre allié. Car à cette époque, vers 17 heures je crois, l'ORTF pouvait nous gratifier d'un vrai film de cinéma, un autre moment de magie pour nous. C'est là qu'innocemment, nous commencions comme si de rien n'était à regarder le début du film, malgré les premiers signes d'impatience manifestés par notre père. En outre, il nous apparaissait très vite qu'il n'était absolument pas envisageable de ne pas le regarder jusqu'au bout !!! Soit jusqu'à 18h30 environ... En règle générale, après une première phase de négociation, et toujours avec le soutien discret de notre mère, nous parvenions à nos fins, malgré le regard faussement courroucé de notre géniteur qui allait s'employer, durant quatre-vingt-dix minutes, à manifester régulièrement des signes d'impatience que nous mettions un point d'honneur à ignorer. Et nous tenions bon, jusqu'à la fin du générique. Lui aussi d'ailleurs, car son autorité sur nous n'allait pas jusqu'à nous refuser ce plaisir que je le soupçonne malgré tout d'avoir partagé sans l'avouer !

    Autant dire qu'aussitôt après, nous n'avions plus d'autre choix que de nous engouffrer avec zèle et empressement à l'arrière de notre Simca Ariane verte pour rentrer à la maison. Mais pouvions-nous vraiment abdiquer et nous contenter d'une seule victoire face à l'ennemi « dimanche soir » ? Non. Il nous restait encore un petit supplément, une courte torture à infliger à notre chauffeur qui se croyait déjà rentré chez lui...

    Car une fois passé le gros quart d'heure de voyage entre la maison de nos grands-parents et celle que nous habitions, nous étions, nous les passagers de la banquette arrière, pris du besoin irrépressible de retarder une fois encore le moment si redouté, celui du retour. Et alors que parvenus au bas de la grande côte de Belleville qui annonçait l'entrée dans Verdun, notre père, tout à sa conduite, allait clignoter à gauche pour rentrer au plus vite, une insupportable chorale venait lui chanter aux oreilles : « On passe en ville ! On passe en ville ! On paaaassse !!! ».

    L'oeil furibond nous scrutait dans le rétroviseur central, cherchait le secours de son épouse sagement assise à sa droite et ne trouvait pour seul soutien qu'une forte hausse du volume sonore intérieur : « On passe en ville ! On passe en ville ! On paaaassse !!! ». Sa souffrance était maximale, impossible pour notre conducteur de se dérober et de risquer de contrarier l'aréopage taquin... On allait bien passer en ville, arpenter rapidement les rues principales de notre ville natale, demander à chaque fois un crochet supplémentaire, pour différer de quelques précieuses minutes la fin de ce dimanche et, inéluctablement, s'installer dans l'attente d'un lundi matin de grisaille où de drôles de professeurs de sport vous demanderaient de faire plusieurs fois le tour d'un stade glacial quand vous ne rêviez que d'un lit douillet, avant qu'un autre enseignant, mû par je ne sais quelle force mystérieuse, ne tienne absolument à vous initier aux charmes d'un langage binaire dont vous ne saviez même pas qu'il préfigurait l'univers magique de l'informatique.

    Corneille a dit : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », mais cet auteur dramatique, s'il avait connu notre père - qui ne savait rien refuser à ses enfants bien que se sentant peut-être obligé parfois d'endosser fugitivement les habits de l'autorité – aurait pu dire : « A vaincre avec certitude, on triomphe avec jubilation ». Et les dimanches soirs, l'espace de quelques instants, en étaient moins gris...

    Epilogue : je m'aperçois que cette note est partie dans une direction différente de celle que j'avais imaginée au départ. Tant pis, je me suis laissé porter par un courant bienfaisant, c'est l'essentiel... J'espère ne pas vous avoir fait perdre trop de temps !

  • L'absent

    Quatre ans aujourd'hui que mon père nous a quittés. Aussi n'étais-je pas étonné le moins du monde de voir que mon frère lui avait rendu un émouvant hommage sur son propre blog.
    Voici longtemps que je voudrais dresser modestement son portrait, mais bizarrement, je pense qu'il est encore trop tôt. L'absence est toujours aussi forte, la douleur ne s'est pas atténuée.
    Alors je pense à lui, tout simplement.
    Et je vais mettre la dernière main à une petite chronique familale qui le mettra en scène, on y devinera un peu qui il était.
    Pour l'heure, c'est tout ce que je suis capable de faire. Mais sa présence, même discrète, me manque énormément.

  • L'arrêt au milieu

    Ça m'ennuie un peu de vous raconter ça, mais je vous fais une promesse : lorsque je serai à nouveau bourré d'énergie tel le lapin Duracell et que plus rien ne pourra plus m'arrêter de courir dans tous les sens, après la pose de mon nouveau pace maker, je ne viendrai plus vous convier à lire l'exposé minutieux et probablement un peu égocentré de mes petits problèmes de santé. En attendant, voici un retour sur une drôle de sensation...

    Mon coeur est mal fagoté, ça je l'ai compris depuis un certain temps. En d'autres termes, il est un peu du genre paresseux en raison d'un défaut de fabrication originel (je suis donc né avec un vice caché...) appelé « bradycardie sinusale ». Pour parler français, le sinus du coeur (grosso modo, c'est l'amorce de la pompe, c'est un peu lui qui fournit l'électricité...) étant défaillant, j'ai un rythme cardiaque trop bas en général, au repos en particulier où il peut descendre jusqu'à 35 pulsations par minute, voire un peu moins s'il le faut. J'ai tout du sportif au long cours, sauf que je ne suis pas du tout sportif... Mon coeur n'est cependant pas un feignant absolu, car il m'autorise les efforts physiques en accélérant normalement son pouls lorsqu'il le faut. C'est gentil de sa part. Seulement, dès lors que j'arrête l'effort en question, ce salopard prend illico ses RTT et s'arrête de bosser, provoquant la chute brutale de mon rythme cardiaque et, du même coup, de sévères chutes de tensions pouvant aller jusqu'aux malaises les plus désagréables... Je t'en foutrai des 35 heures... Tiens, si je pouvais, je le remplacerais par un coeur japonais, au moins, eux, ils ne prennent pas de vacances... OK, leur moteur est bridé, mais on peut toujours bricoler...

    Voilà pour le descriptif rapide. En conséquence et en l'absence temporaire de stimulation, je dois donc, comme on dit, me ménager et ne pas m'adonner à une activité trop intense. Ce à quoi je m'applique méthodiquement, avec, il faut le reconnaître, une réelle aisance. Au point que j'en viendrais à penser que le travail n'est pas mon propre. Mais c'est là une autre histoire.

    Mais le phénomène le plus perturbant se produit en réalité une fois que je suis couché, lorsque je parviens au repos complet. Mon rythme cardiaque atteint son seuil « plancher » et je ressens comme un drôle de flottement, j'ai l'impression que l'environnement autour de moi commence à vaciller et je n'ai pas d'autre solution que d'engager une lutte discrète dans le seul but d'exercer l'activité physique minimale qui fera remonter mon pouls. Et j'ai beau savoir que le phénomène est parfaitement expliqué du point de vue médical, je ne peux m'empêcher d'être gagné par une légère angoisse qui traîne dans un coin bien enfoui de ma tête au moment où je m'endors.

    Raison pour laquelle il m'arrive de me réveiller au beau milieu de la nuit, certainement histoire de vérifier que ce feignant de coeur n'a pas décidé, une bonne fois pour toutes, de s'arrêter. En gros, je me réveille pour vérifier que je dors bien. Mais non, à 3 heures du matin cette nuit, j'étais bel et bien vivant et pour me rendormir, j'ai allumé le poste de radio niché juste au-dessus de ma tête. Deux charmantes dames nous exposaient doctement le problème de la sexualité des enfants. Passionnant. Le retour aux limbes était garanti sous dix minutes, je me suis très vite rendormi, contrairement à cette autre nuit où je dus subir brutalement les assauts vocaux d'une certaine Nolwenn Leroy. Comment peut-on être aussi cruel avec les auditeurs noctambules ? Ça va pas la tête ? Ah ben là, je peux vous assurer que le rythme de mon coeur a connu une accélération brutale et que le pace maker n'état plus utile durant un bout de temps. Sauf que sur ce coup-là, j'étais à la limite de la crise cardiaque... et que ma bradycardie n'aurait pas le moins du monde été en cause !

  • Stimulonimbus

    Je suis vraiment content pour mon chirurgien. Non, sans blague... Quand il m'a téléphoné samedi dernier à son retour de vacances, j'avais bien perçu chez lui une pointe de désappointement lorsqu'il m'était apparu qu'il avait dû se résigner à m'implanter un stimulateur cardiaque dont le modèle ne correspondait pas à celui qu'il souhaitait me proposer. Indisponible jusqu'au début du mois de mars, cette petite merveille de la technologie était, selon ses dires, la plus adaptée à mon problème de bradycardie sinusale et, de surcroît, de toute dernière génération. J'aurais donc pu bénéficier des dernières avancées de la technologie et, lui, expérimenter le fonctionnement d'un nouvel appareil chez un « jeune » patient (j'emploie cet adjectif car mon docteur D. ne manque jamais de me rappeler que par comparaison avec sa clientèle habituelle, je suis vraiment très jeune). Mais il n'était pas raisonnable de me laisser poireauter encore plus de trois semaines et, par conséquent, son choix s'était porté sur un modèle moins récent mais disponible, assurant néanmoins grosso modo les mêmes fonctions.

    C'est dire qu'avant-hier, quand j'ai reçu de lui un e-mail qui non seulement me confirmait la date du 14 février pour la pose du pace maker mais bien plus encore m'annonçait que, finalement, ce modèle chéri serait bien disponible, j'ai poussé un vrai ouf ! de soulagement. Ben oui, parce que c'est bien beau de s'apitoyer toujours et encore sur le sort des malades, mais a-t-on jamais une pensée pour les praticiens ? J'ai l'air de plaisanter ? Pas tant que ça en fait, surtout dans le domaine précis qui me concerne. Je suis en réalité vraiment content de savoir que je pourrai, passivement certes, contribuer à l'évolution de la connaissance et du traitement de ce type de maladies. Il y a pour moi comme une dynamique entre l'activité du médecin et la contribution que je pourrai fournir en faisant part de mes sensations, en observant les améliorations (ou a contrario l'absence d'améliorations). Je me tiens donc à la disposition de mon médecin pour lui fournir toutes les informations que je serai en mesure de percevoir et de lui retransmettre. Je serai volontiers son chroniqueur du stimulateur...

    Et de même qu'il existe une sorte de complicité médecin / patient, j'ai compris aussi que, parfois, il peut se trouver une connivence entre malades. Il y a quelques mois lors d'un contrôle, c'était en juillet 2005 me semble-t-il, j'écoutais distraitement mon voisin de salle d'attente, un vaillant nonagénaire qui ne semblait pas emballé à l'idée de se faire implanter un pace maker. Son fils déployant tous les arguments possibles pour lui expliquer les bienfaits d'une intervention bénigne, on voyait très bien que le papy n'était guère convaincu, surtout quand il lui renvoyait une moue dubitative signifiant grosso modo : « T'as qu'à te le faire poser toi-même, si c'est si bien que ça... ». Et forcément, il quémandait autour de lui, en silence, avec l'oeil malicieux du gamin farceur qu'il semblait n'avoir jamais cessé d'être, le secours des voisins que nous étions. Ayant compris en outre que malgré mon « jeune » âge, je faisais partie de la confrérie des stimulés, il me demanda derechef mon avis d'expert. Et je n'eus pas la moindre difficulté à le persuader qu'une fois électroniquement assisté, il courrait comme un lapin et oublierait très vite la présence de l'intrus subdermique ! C'est donc un vieux jeune homme qui entra dans le cabinet du médecin et en ressortit quelques minutes plus tard, tout pimpant et fermement décidé à passer à l'acte dans les jours suivants. Moi, le « jeune homme », le bébé du pace maker, le stimulonimbus, j'avais de par la seule force de quelques mots bienveillants et optimistes, peut-être modifié le cours des jours d'un vieux monsieur dont j'imaginais désormais la vie prolongée grâce à mes conseils. Rien que pour ça, c'est chouette une bradycardie !

  • J'adore les profs mais...

    Nan, c'est vrai, en règle générale, j'aime bien les enseignants. En plus, j'ai intérêt à être dans cette disposition d'esprit puisque j'en ai deux à la maison. Néanmoins, en fouillant dans les recoins de ma mémoire, je me rappelle deux ou trois trucs qui m'ont tout de même laissé penser que bien souvent, je me trouvais face à une corporation en bien des points différente des autres.

    Dans le désordre...

    - Mon professeur de français en classe de troisième, qui arrivait régulièrement en classe complètement bourré. Son élocution ne s'en trouvait pas forcément perturbée, mais sa méthode de décompte des points aux interrogations écrites, si. Un jour, il changea brusquement le barême d'une interro surprise (vingt questions, un point par question) et ôta trois points par mauvaise réponse. Inutile de vous dire que les notes négatives ont provoqué quelques remous.

    - Ma prof. d'italien, toujours en troisième : débutante et complètement dépassée malgré un effectif loin d'être pléthorique (je crois que nous étions neuf au total). Son absence d'autorité était telle qu'un beau jour, alors qu'elle était sortie chercher deux ou trois craies dans le couloir, elle ne trouva plus personne à son retour, alors qu'aucun d'entre nous n'était sorti. Forcément, nous avions quitté la salle en nous échappant par la fenêtre qui donnait sur les toits du collège. Elle était quand même un peu en colère. Quelques jours plus tard, un de mes camarades de classe à qui elle avait demandé d'essuyer le tableau n'eut pas de meilleure idée que de poser assez brutalement le chiffon sur son bureau. Malgré le changement de couleur de sa coiffure, elle continua comme si de rien n'était.

    - Il y avait aussi ce professeur d'histoire-géographie, dont la vue était si basse qu'il était incapable de s'apercevoir que ce qui lui grattait la jambe était une longue suite de pailles emboîtées les unes aux autres et que nous glissions sous son pantalon depuis le fond de la classe. Ce que nous aimions également, c'était déposer dans les allées des voitures miniatures pour voir jusqu'où il pouvait les faire rouler en shootant. En plus, c'était un type d'une gentillesse hors du commun : non seulement il nous prévenait avant les contrôles, mais il poussait l'amabilité jusqu'à nous dicter à l'avance les questions et les réponses. 20 sur 20 assuré à chaque fois.

    - Malgré quelques regards assez intrigués, notre prof. d'histoire-géographie en classe de sixième ne s'est jamais rendu compte que durant une heure entière, le bas de sa jupe s'était accroché à sa ceinture, découvrant intégralement un panty à carreaux roses et blancs, très à la mode en cette année 1968.

    - Oh la la ! Mon prof. d'E.M.T. (on dit techno aujourd'hui ?) en classe de quatrième. Lui, non seulement il fumait en classe, mais il ne trouvait pas mieux que de vous faire profiter de son haleine fétide en vous imposant un douloureux face à face quand il voulait vous expliquer ce que vous n'aviez pas compris. Cerise sur le gâteau, il nous laissait contempler les deux filets de bave qui unissaient ses lèvres de part et d'autre, à notre grande inquiétude. Car plus que tout, nous craignions la rupture postillonnante de ces deux filaments.

    - Durant mes deux premières années de collège, j'ai bénéficié du vrai talent d'une prof. d'anglais pas comme les autres. Avec elle, on n'écrivait presque jamais, elle avait confectionné elle-même une impressionnante collection de dessins sur des feuilles de papier Canson, sur lesquels elle inscrivait en phonétique la prononciation de la chose représentée. Ne rigolez pas, c'était nous les meilleurs en anglais, et de très loin !

    - Il y avait aussi ma prof. de maths en troisième (c'est vrai que cette année-là, j'avais atteint une sorte de sommet), toute nouvelle et visiblement pas très à l'aise. Heureusement que mon meilleur copain, redoublant, venait souvent à son secours pour l'aider à terminer quelques démonstrations.

    - Pendant mes trois années de lycée, j'ai eu la même prof. d'italien. Une personne adorable, qui nous considérait un peu comme ses enfants, elle nous gavait de bonbons. Mais elle avait une caractéristique sur laquelle nous n'avons jamais osé la questionner : nous ne lui avons connu qu'une seule tenue, un ensemble tailleur jupe de couleur vert bouteille. De deux choses l'une : ou elle en possédait toute une collection, ou elle ne le lavait pas souvent. Ou peut-être que le tissu séchait très vite...

    - Ah, mon prof. d'E.P.S. en classe de seconde (OK, je le reconnais, je n'ai pas eu tellement affaire à lui, ayant la chance d'avoir suffisamment de problèmes de santé pour échapper à cette discipline exotique), tellement bedonnant qu'il préférait, et de très loin, s'asseoir au bord du terrain de foot pendant que nous disputions un drôle de match où les 3/4 de mes camarades voulaient être avant-centre. Je préférais être arrière et avoir tout le temps de discuter avec le gardien de but, pendant que le reste de la troupe s'étripait dans le rond central. Lui, fumait tranquillement sa clope en bavardant avec le gardien du stade.

    - Et ma prof. de français en classe de seconde : celle-là, c'était une vraie teigne qui, un beau jour, nous soutint que l'adjectif pentu n'existait pas. Elle n'a pas apprécié, mais alors pas du tout, qu'au cours suivant, je lui apporte une photocopie de la page d'un dictionnaire où l'adjectif était bel et bien présent.

    - L'année suivante, dans cette même discipline, j'ai reçu l'enseignement d'une autre grande personnalité de l'époque. Connue pour son attitude étrange en classe (elle marmonnait ses cours en ne regardant jamais devant elle), pour ses deux lourds cabas qu'elle diposait sous le bureau, donnant l'impression de se libérer d'un insoutenable fardeau, je fus pour elle l'occasion d'une sorte de miracle. Alors qu'elle répugnait à noter au-dessus de 7 ou 8, je lui extirpai un royal 15 sur 20 à l'occasion d'un devoir sur le thème : « Le bonheur selon Voltaire, Diderot et Rousseau ». Je n'en suis toujours pas revenu. Elle non plus probablement.

    - Cette même année, mon professeur d'histoire-géographie était lui aussi une célébrité. Ses deux plus beaux faits d'armes avec notre classe furent les suivants : alors que, durant une interrogation écrite, il avait deviné que l'un d'entre nous trichait et recopiait son cours directement, il s'installa dans l'allée, à côté de lui, s'allongea au sol et se mit à faire une série de pompes. Quelque temps plus tard, toujours pendant un devoir en classe, il nous montra que, bien que lisant Le Monde, il nous surveillait, en relevant son journal dans lequel il avait percé deux grands trous pour guetter les petits malins.

    En fouillant encore un peu, je suis certain que je pourrais trouver d'autres exemples cocasses. A l'occasion, je compléterai mon bestiaire... Vous êtes également les bienvenus, cela va de soi !

  • Fortunate John

    Voici maintenant pas loin de 40 ans (37 pour être précis), ma « truffe auditive » commença à flairer dans les ondes ambiantes que le monde de la musique n'était pas seulement celui que me donnait à entendre une diffusion radiophonique plutôt pépère et conformiste (ce qui, entre nous, n'a guère changé depuis malgré l'apparition des radios prétendûment libres qui, aujourd'hui sous la tutelle de deux ou trois grands groupes financiers, ne sont pour la plupart de que de simples robinets d'où coule à flots ininterrompus une dégoulinante mélasse sonore). Il existait donc autre chose que Claude François, Johnny Halliday, Hervé Vilard ou bien encore Alain Barrière ? Je reviendrai un jour en détail sur le parcours que j'ai effectué depuis, de découverte en découverte, chacune englobant la précédente sans l'exclure, un cheminement sans fin dont je ne peux que souhaiter la poursuite jour après jour, mais en attendant, j'aimerais raconter (brièvement, le plus brièvement possible, sinon on va encore me taxer de parenthèses et de prolixité) une première rencontre musicale qui, aujourd'hui encore, m'enchante toujours par sa démarche sincère et bourrée d'energie. Celle d'un groupe américain appelé Creedence Clearwater Revival. Ce quatuor devenu trio sur la fin est très probablement pour moi l'une de mes premières « madeleines de Proust » et il est resté sans le moindre doute un véritable « compagnon d'une vie ». Ecouter un disque de Creedence, c'est pour moi – automatiquement – replonger dans cette période étrange qui me faisait passer de l'enfance à l'adolescence. C'est aussi, d'une certaine façon, me tourner vers mes racines.

    A la fin des années 60, j'étais comme on dit sous la tutelle bienveillante de mon frère aîné, qui acceptait ma présence dans sa chambre dès lors qu'il mettait en route son électrophone (oui oui, les p'tits jeunes, c'est avec ce genre d'appareil qu'on s'en mettait plein les oreilles) pour écouter les Beatles, les Rolling Stones, les Moody Blues ou encore les Kinks. Il y avait pour moi comme de la magie par ces intrusions dans un univers que je découvrais intuitivement et qui, insensiblement, provoquait chez moi une sorte d'éveil à une connaissance que je ne soupçonnais même pas. Je commençais à parcourir ce chemin qui allait me mener, petit à petit, vers quelques grands noms du rock américain, puis me faire aborder les rives de ce que l'on appelait le « rock progressif », avant que je ne me lance dans le monde plus complexe encore du jazz-rock, juste avant mon atterrissage assez brutal sur la planète Kobaïa... précédant lui-même mon entrée dans l'encyclopédie vivante et changeante et infinie du jazz, de la musique classique et contemporaine. Ces innombrables couleurs musicales sont pour moi les teintes d'une seule et unique palette, tous les mélanges étant autorisés, chaque nuance enrichissant l'ensemble.

    Un beau matin donc, à la fin de l'année 1970, mon frère me fit écouter « Cosmo's factory », qui était le cinquième 33 tours (oui, les petits, un 33 tours, pas un CD) d'un groupe américain appelé Creedence Clearwater Revival. Ne me demandez pas l'origine du nom de ce quatuor, je ne la connais pas, la seule chose qui m'apparaissait dès lors évidente était que je m'étais pris d'une véritable passion pour cette musique et que John Fogerty était le leader incontesté du groupe. Il était Creedence à lui tout seul, et ses acolytes (Tom Fogerty, le frère guitariste ; Stu Cook le bassiste ; Doug Clifford le batteur) étaient en réalité plutôt ses accompagnateurs. Fidèles certes, mais accompagnateurs. Une présence dans l'ombre qu'ils finirent d'ailleurs par ne plus supporter... Mais quel choc pour moi ! Pourtant, cette musique – née de l'influence évidente de Little Richard, Wilson Pickett ou même ici ou là Elvis Presley – était sans fioritures, les musiciens n'étaient certainement pas des virtuoses mais il se dégageait de leur musique une vraie et belle énergie qui me semble aujourd'hui préservée lorsqu'il m'arrive d'écouter leurs disques. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'entre 1968 et 1972 (soit la très brève durée de vie du groupe), John Fogerty se transforma en véritable « machine à tubes », alignant et scandant de sa voix rocailleuse, avec une métronomique régularité, des succès plutôt phénoménaux pour l'époque. Je ne peux pas les citer tous, mais spontanément, je pense à : « Born on the Bayou », « Proud Mary », « Green River », « Bad Moon Rising », « Down on the Corner », « Fortunate Son », « Run Through the Jungle », « Up around the Bend », « Travelin' Band », « Who'll Stop the Rain »... Des compositions simples, presque évidentes (vous savez, celles dont on se dit : « mais comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? ») dont certaines furent l'objet de reprises plus ou moins heureuses : si le « Proud Mary » d'Ike et Tina Turner est resté en nos mémoires, je n'en dirai pas autant des massacres commis en notre bel hexagone par Sylvie Vartan (reprise de « Bad Moon Rising ») ou de notre Johnny national (« Fortunate Son » devenu « Fils de Personne »).

    Au cours de l'année 1971, tel un chien de Pavlov mu par je ne sais quel besoin impérieux, je fis par conséquent l'acquisition de toute la discographie du groupe (recourant parfois par nécessité à une stratégie que j'avais décrite voici quelques mois – pour en savoir plus, cliquez ICI), suppliant mon frère de me revendre son exemplaire de « Cosmo's Factory », un privilège qu'il finit par m'octroyer, pensant peut-être qu'ainsi, je lui ficherais un peu la paix. Creedence venait en outre de sortir son sixième opus, « Pendulum », un disque assez étrange par instants, en particulier du fait de la présence d'une sorte d'ovni musical appelé « Rude Awakening ». Un long instrumental commençant comme une ballade et se terminant par un patchwork électro-acoustique assez étrange, seule incursion dans toute l'histoire du groupe vers une ambiance musicale non influencée par le rock. Intuitivement, je devinais que Creedence évoluait, mais je n'avais par encore perçu qu'après le sommet que constituait « Cosmo's Factory », le groupe allait tout doucement resdescendre la pente pour finalement s'arrêter au bord du chemin. Pourtant, il y avait dans ce disque de nouvelles perles, telles que « Pagan Baby » ou bien encore « Hideaway », où la voix de Fogerty était, plus que jamais, rageuse et suggestive. Mais quelque chose s'était brisé dans le groupe, semble-t-il. Au cours de cette même année 1971, j'appris d'ailleurs que Creedence était réduit à l'état de trio après le départ de Tom Fogerty, lassé selon lui de ne pouvoir s'exprimer autrement qu'à l'ombre de son frère, et c'est avec une fièvre éprouvante que je me ruai un beau jour de l'été pour faire l'acquisition d'un nouveau 45 tours dont le titre principal, « Sweet Hitch Hiker », était plein de promesses. Encore un rock ravageur signé John Fogerty, et pour la première fois, en face B, une composition assez anodine signée par Stu Cook et intitulée « Door to Door ».

    Il me fallut attendre le mois d'avril 1972 pour découvrir « Mardi Gras », le nouveau disque de Creedence. Et là, patatras, je compris instantanément que c'était la fin. Car Stu Cook et Doug Clifford, ayant souhaité partager les responsabilités de la direction musicale du groupe avec John Fogerty, avaient commis l'erreur de nous soumettre leurs propres compositions. Une catastrophe ! Qu'il s'agisse de « Tearin' up the Country » ou de « Sail Away », nous étions là bel et bien en présence de ce que l'on appelle trivialement des « saucissons », compositions simplistes et sans génie à peine dignes d'un apprenti musicien pré-pubère. Dans ce naufrage, John Fogerty surnageait tout de même, avec « Sweet Hitch Hiker » (placé en dernier titre du disque et véritable chant du cygne) et « Someday Never Comes » ; il entamait par ailleurs discrètement un virage vers une musique dont il développera le langage un peu plus tard en solo (« Hello Mary Lou », « Lookin' for a Reason »). Mais pour le reste, quelle purge ! Néanmoins, je fis face à ma déception (et aussi à ma tristesse d'apprendre que le groupe s'était séparé) et m'en retournai écouter sans fin les six prédécesseurs de ce disque raté.

    Depuis cette époque lointaine, John Fogerty est resté pour moi une incomparable source de vitalité et j'en recommande les bienfaits à tous ceux qui, de temps à autre, sont gagnés par un petit coup de blues. L'effet est garanti et, ce qui ne gâte rien, sa musique a très bien traversé les décennies. N'ayant jamais cédé aux sirènes de la mode, les disques de Creedence Clearwater Revival sont restés très actuels et ont toutes chances de rester bien présents dans la mémoire du rock américain.

    Un coffret regroupant l'intégrale de la discographie du groupe est aujourd'hui disponible à la vente. Néanmoins, sa réalisation a été pilotée par le label Fantasy... sans John Fogerty, mais avec Stu Cook et Doug Clifford, qui président aujourd'hui aux destinées d'un énigmatique « Creedence Clearwater Revisited »... Un comble tout de même ! Comment avoir osé utiliser le nom du groupe sans le consentement de celui sans lequel ces deux musiciens seraient restés dans l'anonymat le plus complet ? On préférera sans nul doute se pencher sur la production post-Creedence de John Fogerty, car même si son orientation musicale l'a fait évoluer vers ce que l'on appelle le « swamp rock » – une musique aux colorations plus traditionnellement country ou bayou – la patte du chef est toujours là. Et après la longue période de brouille avec Fantasy (sur lequel est disponible toute la discographie de Creedence Clearwater), il semble bien que John Fogerty ait décidé de rentrer au bercail ! Il nous annonce même un nouveau disque sur ce label pour 2006 !!!

    Alors à bientôt et merci Mister John.


    Discographie Creedence Clearwater Revival :

    • Creedence Clearwater Revival (Juillet 1968)

    • Bayou Country (Février 1969)

    • Green River (Septembre 1969)

    • Willy & the Poorboys (Décembre 1969)

    • Cosmo's Factory (Juillet 1970)

    • Pendulum (Décembre 1970)

    • Mardi Gras (Avril 1972)

    • Live in Europe (Décembre 1973, enregistrement de 1972)

    • The Concert (Octobre 1980, enregistrement de 1970)

    http://www.creedence-online.net/


    Discographie John Fogerty

    • The Blue Ridge Rangers (1973)

    • Rockin' all over the World (1975)

    • Centerfield (1985)

    • Eye of the Zombie (1986)

    • Blue Moon Swamp (1997)

    • Premonition (1998)

    • Deja Vu All Over Again (2004)

    http://www.johnfogerty.com